Notes de lecture du numéro 55 - fév. 2002

Marjorie A. Beale, The Modernist Enterprise : French Elites and the Threat of Modernity 1900-1940,1999
Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, 2001
Olivier Godechot ,
Les traders : essai de sociologie des marchés financiers,2001
Catherine Malaval,
Presse d'entreprise française au XXe siècle.Histoire d'un pouvoir, 2001
Serge Regourd, Droit de la communication audiovisuelle, 2001
Philippe Zarifian, Temps et modernité. Le temps comme enjeu du monde moderne,2001

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
MARCHÉS FINANCIERS

Olivier Godechot, Les traders : essai de sociologie des marchésfinanciers,Paris, La Découverte, 2001, 298 p.

Recensionpar Hélène Intrator, MCF en Sciences économiques,Université de Rouen (n° 55, fév. 2002)

Quoique la mode des " Golden boys soit passée, le métier de trader traînetoujours derrière lui une atmosphère de souffreet l’image d’une activité technique, hautementincompréhensible pour le commun des mortels. C’estun univers étrange et méconnu qu’Olivier Godechottente de dévoiler dans cet ouvrage. Diplôméde Grandes écoles (Normale Superieure et ensae), l’auteura bénéficié à ce titre, malgréson statut de chercheur en sociologie qui le rend atypique, d’unstage dans le sein des saints : une salle de marché. Onimagine mal, en effet, un universitaire décrocher ce genrede poste. Les traders se recrutent surtout dans les grandes écoles: Polytechnique, essec, Mines, Ponts et chaussées…et parmi les hommes du sérail. Ce type de recrutement sejustifie-t-il ? Pas vraiment, selon l’auteur. Le travailest répétitif, mécanique et les opérationss’enchaînent tellement vite que les acteurs ne disposentguère de temps pour réfléchir. Le turn-overest d’ailleurs important, car si les rémunérationssont fortes (moins toutefois que par le passé), l’activitéfinit par devenir abrutissante, à la longue. L’ouvrageparticipe de manière intelligente, et non exempte d’humour(il en faut, pour ironiser gentiment sur le comportement de sescondisciples), à la démystification des marchésfinanciers : finalement, un bon trader est quelqu’unqui a d’abord " du nez , avant de posséderun diplômé brillant.

L’ouvrage se compose de quatre partieséquilibrées : après une assez longue introductiondestinée à retracer l’historique de la transformationfinancière des années 1980 (abandon du monopoledes agents de change, développement de la volatilitéfinancière et modélisation des cours financiers),l’auteur aborde, dans le chapitre 1, l’étudesociologique de la salle de marché, telle qu’il lavoit évoluer sous ses yeux : organisation géographiqueet hiérarchique de la salle, l’activité elle-même.Il en vient ensuite à l’étude des personnes(chap. 2) : stratégies de recrutement et relations de travailsont passées au crible. C’est à notre avis,le chapitre le plus intéressant, car le systèmede recrutement s’appuie sur les relations d’études,voire de famille. Il s’auto-reproduit, empêchant lerenouvellement de ce qu’il est convenu d’appeler les" élites . Citons l’auteur : " Dufait de ce recrutement par inter-connaissance directe ou scolaire,les écoles des membres fondateurs de la salle de marchédeviennent des viviers de recrutement et de reproduction : c’estainsi que certaines Grandes écoles (…) sonttrès fortement représentées (…)Le service des ressources humaines nous a d’ailleurs expliquéque le recrutement de jeunes centraliens était quasimentinstitutionnalisé (…)  (p. 138). L’espritde corps est donc très présent, même si celan’empêche pas les conflits. Et les relations professionnelles,comme l’ambiance au bureau, ressemblent beaucoup, d’aprèsl’auteur, à celles prévalant dans les grandesécoles : " D’une certaine manière,pour bien comprendre cette ambiance et cette félicité,il faut se les représenter comme la poursuite de la grandeécole par d’autres moyens. L’atmosphèrequi règne dans la salle de marché ressemble, (enun peu plus besogneux) à une salle informatique de grandeécole (…) Comme dans les grandes écoles,où l’on est entre soi, entre pairs, entre élus,la célébration de cette appartenance passe par lerelâchement de certaines formes d’auto-contrôleen usage dans le milieu social d’origine  (p.170).Les quelques rares universitaires et femmes présents dansles salles de marché sont complètement déphaséset connaissent souvent des problèmes d’intégration.Letravail de Godechot est ici remarquable dans la mesure oùil perçoit les travers de ses collègues et ancienscondisciples avec suffisamment de recul et d’humour. C’estassez rafraîchissant. Le chapître 3 présenteun contenu plus théorique sur le métier lui-même.L’auteur s’interroge sur la validité des nouvellestechniques d’arbitrage et de spéculation en vigueurdepuis les années 1980. Plusieurs stratégies sonten concurrence : la modélisation extrême des cours,le chartisme (technique graphique), et le " feeling .Les analyses qui tiennent compte des " fondamentaux del’économie  (terme consacré) donnentdes indications de tendances générales, mais nesont pas d’une grande utilité pour la gestion au jourle jour des cours. Toutes ces stratégies se valent, etaucune ne domine vraiment l’autre quant à l’efficacité.Le recrutement des grandes écoles ne se justifie donc pasau regard des méthodes employées. La démystificationdu métier est totale. Le dernier chapître traitede la place des rémunérations dans les relationshiérarchiques. Le salaire d’un trader se composed’un fixe et d’un bonus, qui est fonction de son chiffred’affaires. La concurrence est rude et l’émulationforte. Ce monde fonctionne en vase clos, la salle des marchésest mal intégrée au sein de la banque. Les personnelsse côtoient mais ne se mélangent pas. Mais, ainsique le constate l’auteur, le métier continue d’évoluersous la pression de l’informatique : dans les prochainesannées, des tâches vont disparaître, d’autressont vouées à se développer. Les rapportsentre les individus peuvent donc se modifier. L’avenir ledira. Au total, c’est là un livre intéressantà lire et à méditer, à une époqueoù le monde financier emploie en France près de600.000 personnes (banques, assurances et… traders !).Tout ce petit monde dépend de la confiance générale,c’est-à-dire de la bonne marche du monde.
©Sciences de la Société n° 55 - février2002

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
HISTOIRE MANAGÉRIALE

Catherine Malaval, Pressed’entreprise française au XXe siècle. Histoired’un pouvoir,Paris, Belin, coll. Histoire et Société/Modernités, 2001.

Recensionpar Luc Marco, Professeur de Sciences de gestion, Universitéde Paris 8 (n° 55, fév. 2002)

Le vingt-quatrième volume de cettecollection dirigée par Louis Bergeron et Patrice Bourdelaisfera certainement date. Il manquait en effet une synthèsesur ce genre si particulier de presse que constituent les journauxd’entreprise. Comme souvent en histoire, il s’agit dela version remaniée d’une thèse de doctoratsoutenue à l’ehess en septembre 1999. L’auteurest une spécialiste de la communication d’entreprise,directrice de Créapress Editions. Elle a publiéplusieurs histoires d’entreprises sur les Banques populaires,le Crédit mutuel du Nord, la firme Zodiac et la biscuiterieAlsacienne. Déjà, en 1992, elle s’étaitintéressée à la presse d’entrepriseavec le cas de Renault depuis la fin de la second guerre mondiale.Elle nous livre ici une somme, solide et érudite en diable.Sous un format proche de celui du livre de poche, l’ouvrageest un bloc de 416 pages, réparties comme suit : 323 pagesde texte, 48 de notes, 4 de chronologie des principaux titres,22 de sources et de bibliographie, et 12 d’index et de tables.Ne manque qu’un cahier iconographique qui donnerait une idéede la forme et de la typographie de ces journaux d’entreprises.Seule la couverture présente un tas de revues empilées.Maigre consolation, mais cela suggère l’idéed’une future exposition accompagnée d’un cataloguerichement illustré.

La chronologie se présente sous laforme d’un tableau des 102 journaux d’entreprise créésavant 1945 qui ont servi à l’étude. Une premièrecolonne recense les journaux externes dits "B. to B. c’est-à-dire " business to business en langage actuel (53 titres). La deuxième contient lesjournaux internes à l’usage des employés dela firme (49 titres). Plusieurs périodes sont manquantesdans ce tableau : 1879-1881, 1883-1884, 1886-1893, 1895-1901,1903-1905, 1907, 1909-1912, et 1917. Il reste donc encore destitres à exhumer pour combler ces trous noirs. Les sourcessont clairement introduites par de courts textes de présentation.La presse professionnelle semble avoir été correctementdépouillée. Mais il manque cruellement ici un ouvragede synthèse sur les revues d’affaires (pour une premièreapproche voir notre article à paraître dans Economieset Sociétés, série PE : " La naissancedes revues françaises de gestion 1900-1940 ). La sectionsur la presse d’entreprise précise les référencespour 76 firmes du tableau chronologique précédent.Pour la période d’après 1945, le nombre detitres (1938 en 1957) interdit tout listage raisonnable. Les autressources imprimées contiennent 79 référencesd’époque. Les archives consultées sont au nombredix : deux d’associations professionnelles (cegos, ujjef),sept de grandes firmes (Crédit Lyonnais, ratp, Renault,Michelin, sncf, Havas, gimm), et une privée (F. Salvat).Enfin la bibliographie générale montre l’ampleurde la quête et toute la richesse de la récolte :pas moins de 238 références, publiées entre1919 et l’an 2000. Le plan est chronologique : une premièrepartie s’occupe de la période antérieure àla dernière guerre, une seconde partie se charge de lapériode postérieure jusqu’aux annéessoixante-dix. La première comporte une introduction consacréeà la naissance des journaux d’entreprise àl’étranger. Puis le chapitre 1 ne démarre,pour la France, qu’à la période de l’entre-deux-guerres,tout en donnant de nombreuses indications pour les créationsantérieures à 1919. Le titre du chapitre 2 s’intitulejoliment : " Les nouveaux médias des " seigneursdu commerce et de l’industrie  . Ce chapitrerépertorie les grands ancêtres (Le Chasseur français,Le De Dion Bouton, Meccano Magazine, les Echos de l’Exportation,et Le Devoir). Il insiste sur l’impulsion des annéesvingt : c’est la thèse centrale du livre qui réévaluel’apport de ces premiers titres. Il souligne aussi l’engouementdes publicitaires, en particulier d’Etienne Damour et sarevue Vendre. Tout cela conduit aux promoteurs d’unecivilisation du produit, dont les grands hérauts ont pournom Citroën et Michelin. Malgré quelques redites,ces pages sont agréables à lire. Signalons une coquille: Mon Bureau a été créé en1909 et non en 1919 (page 63). Le chapitre 3 aborde de manièretrès alerte le problème de l’information externeaux entreprises. Les raisons structurelles du développementsont la guerre et les besoins de main-d’œuvre qui endécoulent. La gestion du personnel devient enfin une préoccupationmajeure des dirigeants. Par ailleurs, l’information se complexifiedans sa forme comme dans son fond ainsi que le montre trèsbien toute la fin du chapitre. Les principales fonctions de cettepresse interne sont étudiées par le chapitre suivant: contrer les syndicats, coordonner les divers métiers,motiver les personnels et unir les membres de l’entreprise-famille.La conclusion de la première partie résume les résultatsobtenus par l’enquête historique et sert de liaisonavec la deuxième partie tout en traitant rapidement dela période de l’occupation.

Plus délimitée dans son objet,la seconde partie aborde l’histoire de la professionnalisationde la presse d’entreprise de l’immédiat après-guerrejusqu’aux années soixante-dix. Trois chapitres suffisentici à remplir ce programme ambitieux. Le chapitre 5 passeainsi en revue les hommes de cette presse-là, mépriséepar la " grande  presse. Il est rempli d’anecdotessavoureuses et bénéficie de la précisiondes entretiens accordés à l’auteur. Les luttesde pouvoir, les cycles d’activité des associationssont bien vus. La multiplication des sigles énigmatiquesralentit cependant la compréhension du texte. Une coquilleà signaler en fin de chapitre : l’iut citéest rattaché à Paris 5 et non à Paris 4 (p.206).

Plus proche de nous dans le temps, le chapitre6 s’attaque aux identifications et diverses représentationsde la presse dans l’entreprise. C’est l’époqued’apparition des " relations humaines  et de laprise de pouvoir de la presse d’entreprise par les chargésde relations publiques (fin années 1950/ début desannées 1960). L’auteur fait aussi le point sur lesdébuts de la théorie de l’information danscette presse autocentrée. Ce chapitre intéresseraplutôt nos collègues de la 71ème section ducnu (Sciences de l’information et de la communication). Ilest suivi du chapitre qui dessine les grandes tendances de lapresse d’entreprise à l’aune d’étudesspécialisées. L’auteur tente une approche économiquequi reste très descriptive, mais aborde avec plus de bonheurles techniques utilisées et les choix éditoriauxalors adoptés. C’est bien le temps de la naissancede l’information économique. Celle-ci se met souventau service du mythe de l’entreprise " maison de verre en raison d’une mémoire sélective qui privilégieles succès sur les échecs, les moments heureux surles déboires peu glorieux. Cette histoire préparele mouvement de mode en faveur des entreprises des années1980, comme le précise l’épilogue consacréà l’histoire récente de la presse d’entreprise.

Saluons donc comme il se doit cette synthèsefort bien maîtrisée, fruit d’un labeur de plusieursannées, qui possède nettement plus de qualitésque de défauts. Les principales qualités de l’ouvragenous semblent être : il est facile à lire, l’intertitrageest régulier et de très bon aloi, le texte traduitun grand esprit de synthèse face à la masse de donnéesà traiter (surtout dans la seconde partie). Quelques défautssont cependant évidents : nombreuses redites, classementthématique un peu flou, et sous-estimation des travauxd’histoire de la presse économique et commercialeécrits par des historiens de la pensée. Manque aussiune liste des sigles utilisés. Le public potentiel estassez large : étudiants d’histoire, de gestion etd’aes (plutôt en 2ème et 3ème cycle),ainsi que les historiens de la presse et les professionnels del’information d’entreprise. En somme, une belle réussitepour une historienne accomplie.
©Sciences de la Société n° 55 - février2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
HISTOIREMANAGÉRIALE

Marjorie A. Beale,The Modernist Enterprise : French Elites and the Threat ofModernity 1900-1940, Stanford, Stanford University Press,1999.

Recensionpar Luc Marco, Professeur de Sciences de gestion, Universitéde Paris 8 (n° 55, fév. 2002)

Cette historienne américaine estactuellement professeur-adjoint à l’Universitéde Californie basée à Irvine. Elle a soutenu en1991 une thèse sous la direction de Susanna Barrows àBerkeley sous le titre Advertising and the politics of publicpersuasion in France, 1900-1939. Ce livre est une versionremaniée de la thèse. Son titre indique nettementl’ambition de la recherche : L’entreprise moderne,les élites françaises et la menace de la modernité(notre traduction). La période, qui est vaste, couvre quaranteans s’étendant de l’aurore du siècle àses plus sombres années. Sous une forme très ramasséeavec 172 pages de texte, 29 pages de notes, 18 de bibliographieet 9 d’index (soit un total de 231 pages), ce travail paraîtêtre de toute première importance. Il est construità l’anglo-saxonne, en cinq chapitres à progressionlogique encadrés d’une courte introduction de dixpages et d’une brève conclusion de huit pages. Labibliographie est conséquente : 6 sources d’archives,15 périodiques dépouillés et 339 ouvrageset articles référencés, dont 148 textes primaireset 191 sources secondaires. Il s’agit donc d’une bellesynthèse qu’il nous faut suivre pas à pas,chapitre après chapitre.

Le but de l’ouvrage consiste àétudier la manière dont les élites françaisesont affronté la menace de la modernité montante,c’est-à-dire le face à face entre l’âmenationale et les changements du monde. Pour cela, l’auteurs’intéresse plus aux seconds couteaux qu’auxgrands intellectuels du temps. Le premier chapitre analyse lamanière dont la publicité a été lerévélateur de ce face à face crucial. Ildécrit les débuts de la science publicitaire pendantla Belle époque et l’entre deux-guerres. Les revuesétudiées sont La Publicité, LaPublicité Moderne et Mon Bureau. On aurait aiméque le mensuel généraliste Commerce et Industriesoit aussi de la fête car il fut important dans l’apprentissagedu métier de publicitaire rationnel. Mais ce chapitre esttrès consistant en l’état. Le deuxièmes’intitule " La guerre commerciale et la critiquede la presse française . Il traite spécifiquementde la période de la Grande guerre durant laquelle la pressea eu un rôle prépondérant dans la prise deconscience de la lutte commerciale et économique àmener. L’auteur étudie les principaux quotidiens (LeMatin, le Petit Parisien, Le Journal, etc.), l’agenceHavas et les grands journalistes qui s’y illustrèrent: Raffalovitch pour la vénalité de la presse, MauriceSchwob et Léon Daudet pour la menace allemande, Henri Hauserpour le versant économique. Le conflit mondial a bien étéle révélateur douloureux de problèmes longtempsrestés sous-jacents. Un troisième volet a pour objet" La culture des affaires . Il s’intéresseaux liens entre la pensée américaine et la penséefrançaise entre les deux guerres. Un parallèle estopéré entre Taylor et Fayol, entre les vulgarisateursdu premier et les adeptes du second. Le lien avec les thèsesclassiques de l’histoire économique est tentédans le début du chapitre, avant que celui-ci ne basculesur le versant des thèses plus récentes de l’histoiremanagériale : existence d’une culture organisatricepropre à la France et antérieure à l’invasiondes idées américaines, interface entre les sciencesdures et les disciplines d’application, etc. Le quatrièmea pour sujet de prédilection les relations entre catholicismeet modernité. Il débute par la prise en compte desidées de trois auteurs d’importance : Albert de Mun,René de la Tour du Pin et Hubert Lyautey, général-organisateur.Il se poursuit par le dépouillement intelligent des actesdes Semaines Sociales de France, conférences donnéesrégulièrement par les intellectuels d’obédiencecatholique à partir de 1904. Le rôle de personnalitéscomme Etienne Léon Saint Martin ou d’économistescomme Eugène Duthoit est bien souligné dans le maelströmdu mouvement critique envers le taylorisme importé cheznous dans les années vingt. Enfin le dernier chapitre abordele rôle décisif de Jean Coutrot dans l’art del’ingénierie sociale. Ce polytechnicien passépar les Ponts et les Mines devint ensuite un industriel et unconsultant renommé dans les cercles industriels parisiens.En tant que membre du Comité National de l’OrganisationFrançaise (cnof) et fondateur d’X-crise, ilsera au cœur de tous les débats sur l’organisationà la mode de l’époque. C’est la partiela plus documentée de l’ouvrage et, au demeurant,la plus neuve avec des aperçus éclairants sur desauteurs trop oubliés aujourd’hui : Maurice Ponthière,Joseph Wilbois, etc.

En guise de conclusion nous émettronsquelques critiques avant d’évaluer la réellevaleur de ce travail. Les critiques sont de forme tout d’abord: nombreuses fautes d’accent en particulier dans la bibliographieet à la fin de l’index (fatigue de relecture ?). Letexte n’est pas très structuré et se lit commeune longue dissertation. Elles sont plus importantes ensuite :Comfort est le pseudonyme de Louis Angé, Chambonnaud nese prénomme pas Louis mais bien Léonard, le prénomde Damour est Léon (ou Etienne selon le frère),hec n’est pas la " Haute Ecole Commerciale mais l’École des Hautes Études Commerciales...Mais ces pêchés sont véniels, eu égardà la qualité de l’ensemble. L’idéede faire une étude transversale entre histoire de la presse,histoire des idées et histoire des faits est une idéecourageuse qui mérite d’être saluée.Ce livre servira de tremplin pour de nombreuses recherches quivont approfondir tel ou tel point. La thèse semble solideà l’aune de nos connaissances actuelles. Une traductionen langue française serait la bienvenue au moment oùnous allons fêter le centenaire de nos fondateurs en matièrede pensée managériale francophone.
© Sciences de la Société n° 55 - février2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
SOCIOLOGIE

Pierre Bourdieu,Langage et pouvoir symbolique, Paris, Fayard, coll. Points-Essais,2001, 426 p.

Recensionpar Jacques Le Bohec, MCF en Sciences de l'information et de lacommunication, Université deTechnologie de Belfort-Montbéliard (n° 55, fév. 2002)

Le livre de poche paru récemmentsous le titre Langage et pouvoir symbolique n’estpas une œuvre originale signée par Pierre Bourdieu.Il se compose en fait d’une juxtaposition de quinze textesdéjà connus mais réunis pour une éditionde 1991 destinée aux lecteurs anglo-saxons : la productionet la reproduction de la langue légitime ; les ritesd’institution ; décrire et prescrire ; lareprésentation politique ; la délégationet le fétichisme politique ; censure et mise en forme.L’objectif était de leur faire mieux connaîtreun certain nombre de travaux traitant du langage et du discourstout en introduisant à son approche sociologique. D’oùla préface de John B. Thompson, qui parvient à présenteravec clarté ses bienfaits et à anticiper les lecturescaricaturales les plus fréquentes. Un seul bémol :la confusion entre les notions de " champ  etde " marché  (p. 26), ce qui est fortpeu pour une pensée difficile à comprendre et àtraduire. Le fil conducteur consiste à mettre en évidenceles apories d’une perspective (sémiologique) qui chercheraitles causes de l’efficacité performative des discoursdans les propriétés formelles de ceux-ci.

Les lecteurs francophones qui ont compulséles numéros de la revue Actes de la Recherche en SciencesSociales parus dans les années 1975-1985 etqui ont lu Ce que parler veut dire (Fayard, 1982) ne découvrirontrien de neuf dans ce volume. Il regroupe des textes éparset facilite l’accès à un corpus de textes réunissous le double emblème du discours et du " pouvoirsymbolique . Mais son intérêt n’est passeulement d’ordre bibliographique, pour rendre service àdes étudiants ou des pédagogues pressés :la lecture de ce volume fera aussi mieux sentir combien les réflexionsde Bourdieu sont des réactions aux contextes socio-intellectuelssuccessifs dans lesquels il s’est trouvé au coursde sa trajectoire biographique. Sa familiarité avec lesphilosophes durant les années 1950 a clairement marquéses partis pris scientifiques, lui qui a débutésa carrière comme professeur de philo dans un lycée.Cela se vérifie par ses références récurrentesempruntées à cette matière, un peu antédiluviennespour les plus jeunes. On voit bien qu’il a dû bataillerferme contre les tics de langage dominants à l’époqueen France, marqués par l’emphase et l’aristocratismeuniversitaire ; il n’est d’ailleurs pas si sûrqu’il en ait terminé avec ce passé, comme enattestent ses ouvrages à partir de Heidegger et de Pascal.On peut sans doute parler de disposition, intérioriséelors de sa socialisation au travail intellectuel, à sesituer par rapport à la philosophie, impératif quene ressent ni un sociologue nord-américain, ni un sociologuecontemporain. Ceci dit, le travail ainsi effectué a grandementcontribué à l’autonomisation des sciences socialesvis-à-vis de ce parent abusif en France. Son origine socialel’a conduit à refuser les verdicts péremptoireset à se diriger vers une explication d’un monde oùrien ne lui apparaissait naturel, sans doute parce que sa présencedans le champ académique ne l’était pas.

Cet ouvrage permet aussi de constater l’obligationpour P. Bourdieu de se situer par rapport à deux grandesthéories dominant les années 1950-1970 afin de s’enextirper : le structuralisme et le marxisme ; c’estpar là que l’on retrouve la question de l’étudedu langage. Il se méfie tant de l’exportation desmodèles issus de la linguistique vers les sciences sociales("grammaire ) que des interprétations orthodoxesde penseurs aussi opposés par ailleurs que M. Heideggeret K. Marx. Dans le premier cas, il n’a de cesse de montrerl’impasse où se place une science du langage ou desmythes qui se contenterait de prendre en compte les propriétésformelles des discours. Dans le second, il s’efforce de critiquerles lectures décontextualisées et orthodoxes. Ilinsiste notamment sur les injonctions militantes et entend fuirtout embrigadement et jdanovisme comme la peste. Sa ténacitéest telle qu’on se demande comment on peut associer leursdeux noms et le taxer encore de " marxiste  (le plussouvent pour délégitimer et exorciser ses apportsen usant de ce subterfuge). Ces deux préventions, malgréleur valeur historique, conservent quelque actualité ;les analyses internes de discours perdurent malgré lesobjections bourdieusiennes, principalement en raison de la persistancede sous-marchés cloisonnés et d’habitus formatésà n’user que de cette technique transposéedes études littéraires, juridiques et exégétiques.

C’est dire que l’auteur en tantque sujet historique affleure souvent au détour des phrases.On sent ainsi une forte sensibilité du Béarnaisd’origine à la question des langues minoritaires dansdeux textes, l’un plutôt favorable, l’autre critique(vis-à-vis du projet occitan) ; mais il aurait peut-êtregagné à chercher des exemples ailleurs, làoù la langue n’a pas de racine commune avec le français(basque, breton, alsacien). Ensuite, on imagine très bienses irritations face à certaines postures d’importance,d’où sa critique de la rhétorique de la scientificité.C’est ce qui fait qu’il faudrait mesurer à chaqueparagraphe le potentiel ironique de réflexions blasphématoiresau moment où elles ont été énoncées.Il faut dire que sa trajectoire de petit-bourgeois ascendant quia traversé une série de barrières socialesne le prédispose guère à révérerce qui était célébré comme paroled’Evangile par ses pairs, ni à respecter les figuresimposées et les temps d’attente. La carrièrequi l’a mené au Collège de France n’estd’ailleurs pas un modèle d’académisme,ce qui sans doute explique en partie que son paradigme ne dominepas institutionnellement la sociologie française, contrairementà ce que croient certains journalistes.

Malgré ces connexions entre sa trajectoireet son propos, il est impossible de faire régresser lesecond sur la première, alors qu’elle lui a justementpermis de mettre au jour de multiples phénomènescachés bien réels. Néanmoins, Bourdieu faitpreuve d’une grande pudeur à se mettre en scènepour s’objectiver alors qu’il ne cesse de promouvoirce préalable réflexif. Malgré son expérienced’ethnologue en Kabylie et les nombreuses donnéesqu’il brasse avec brio, son habitus semble profondémentmarqué par une posture théoriciste. Sans doute a-t-ileu également à cœur de ne pas prêterle flanc à l’accusation de subjectivité. Aussila prise en compte de son expérience se réalise-t-ellebien en amont de la communication et ne se perçoit qu’enfiligrane de son travail d’écriture. On se demandemême si un certain nombre de critiques qu’il formuleà l’encontre de certains auteurs ne sont pas des messagessubliminaux suggérant que ses propos pourraient eux-mêmesfaire l’objet des mêmes reproches hic et nunc(garde-fou) et utilisations ex-post (orthodoxie).

Bref, la lecture de ce reader apporterabeaucoup à ceux et celles qui sont engagés dansdes recherches en sciences sociales. On se surprend mêmeà penser qu’il n’est jamais vain de se payerquelques tranches de Bourdieu et de le lire en se demandant ceque ses propos peuvent apporter à sa recherche particulièreen cours. Autrement dit, ce serait dommage de s’en priver(comme de Norbert Elias, d’Erving Goffmann, de Max Weber,etc.) sous des prétextes fallacieux (classement idéologique,risque de stigmatisation, rivalités de clans, traditionsde recherche ancrées…). Cela ne veut pas dire qu’ondoive le considérer à son tour comme parole d’Evangile.Les fulgurances de P. Bourdieu ne sont pas incompatibles avecdes points aveugles ou des flous. Par exemple, son approche ades difficultés à intégrer les relationsentre les agents sociaux placés dans des champs différents,son réflexe étant de recourir aux notions d’"homologie ou de " marché .

En outre, il convient de revenir sur l’expression" pouvoir symbolique . On abonde bien sûr àl’association de la langue et du symbolique : on estdans l’ordre des représentations. Sous la plume deBourdieu, cette expression renvoie à l’idéed’un pouvoir qui serait reconnu par les dominés. Maisn’y a-t-il pas ici abus de langage ? Le terme idoinene serait-il pas " légitime  plus que "symbolique  pour qualifier ce mécanisme ? Deplus, le vocable " pouvoir  n’est-il pas une reliquetrop connotée et dénotée pour fonder uneanalyse approfondie ? Ne risque-t-il pas d’êtreinterprété comme une propriété intrinsèqueplutôt que comme le produit social d’un réseaud’interdépendances ? En revanche, quand l’auteuremploie l’expression " violence symbolique , qu’ildéfinit comme une violence douce et méconnue, onle rejoint volontiers pour décrire une violence systémique,et définitivement quand il évoque des luttes symboliques(bien qu’il ne s’appesantisse guère sur la questiondes conflits, sans doute par souci de prendre ses distances parrapport au concept marqué au fer rouge de " luttedes classes , et aussi parce que sa sociologie est marquéepar l’idée d’une adaptation entre habitus etstructures génératrice de stabilité sociale).Penser avec Bourdieu afin d’élever le niveau de pertinencede ses travaux personnels ne signifie donc pas nécessairementânonner béatement. Le problème, c’estque les structures du champ académique ne laissent tropsouvent le choix qu’entre la mise en quarantaine prophylactiqueet l’orthodoxie du disciple.
©Sciences de la Société n° 55 - février2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
SOCIOLOGIE

Philippe Zarifian,Temps et modernité. Le temps comme enjeu du mondemoderne, Paris, L’Harmattan, 2001.

Recensionpar Victor Dupuy, MCF associé en Sciences de gestion, IUT-UniversitéPaul Sabatier-Toulouse 3 (n° 55, fév. 2002)

Dans son dernier ouvrage Philippe Zarifians’attaque à une des questions les plus centrales dela philosophie, celle du temps. Mais il veut la traiter en sociologuemême si, écrit-il : " (on) devrait avoirrecours à des philosophes ". L’auteur a doncune double ambition : élucider et critiquer le conceptde temps dans sa réalité contemporaine et inscrirecette critique dans une problématique de renouvellementdes concepts de sociologie générale . Dans son diagnosticsur la situation du monde contemporain, il souligne que "l’incertitude est un problème social majeur(caractéristique) des sociétés capitalistesactuelles ". Mais pour l’auteur, fidèle àses thèses antérieures, cette incertitude ne contientpas seulement des germes de désagrégation socialemais aussi ceux d’une transformation positive du monde. Reconnaître" l’évènement " et la surprise qu’ilenferme c’est y déceler ses potentialités éthiques.

L’incertitude rencontre la dimensiontemporelle dans deux directions. D’une part, l’idéologiedominante et le vécu contemporain sont marqués parla discontinuité, l’étanchéitédu présent par rapport au passé. D’autre partl’avenir de plus en plus imprévisible est source d’angoisse.Cette double impasse peut être surmontée àl’aide du concept de durée. L’idée centraledu livre est en effet de montrer que la notion de durée,conquête de la philosophie, permet d’échapperà la dictature du temps chronique, du temps spatialisé.Bergson nous permet de penser l’opposition radicale entretemps chronique et durée. Cette délivrance nousautorise à intégrer l’événementdans sa filiation du passé et à lui donner sa fonctiond’assumer non pas l’avenir mais le devenir. Dans despages convaincantes, nourries de culture philosophique, l’auteurdémontre combien la pensée d’un devenir està la fois libératrice (Deleuze) et responsabilisante(Jonas). Il analyse à travers ce prisme des situationsconcrètes comme le travail productif en montrant que sedétacher du temps spatialisé au profit du temps-devenirc’est donner un sens nouveau au travail, lui permettre defaire advenir les capacités d’adaptation et d’imaginationqu’il contient. Sur un autre plan, inscrire notre manièred’être dans la perspective du devenir de l’humanitéconduit à s’interroger avec acuité sur nosmodes de consommation et de production.

Du point de vue épistémologique,Philippe Zarifian établit d’abord la légitimitéde sa problématique grâce aux grands ancêtres: Durkeim et Weber. Ceux-ci portent sur la modernité deleur époque un regard critique qui conditionne leur systèmede pensée. Pour Durkeim, le risque social est celui dela dissolution de la communauté, pour Weber, c’estla perte de sens qui menace la vie collective. Considérantque ces diagnostics ont fondé les courants sociologiquesencore existants, c’est à ce stade des présupposéscritiques que Philippe Zarifian veut intervenir en fondant leconcept d’incertitude.

Sur la question du temps, il montre que,si elle est largement absente de la sociologie, elle est cependantabordée par Hobbes et Norbert Elias. Hobbes intègrela durée, le désir de durer des hommes, comme fondementdu pouvoir. Faut-il, pour autant, admettre que Hobbes est un précurseurde la sociologie ? Elias met à jour le caractèrehistorique du comptage du temps, son intériorisation parles individus et sa traduction sociale ou plus largement civilisationnelle.Philippe Zarifian y voit la tentative d’" une analysepurement sociologique  du temps. Cependant, il lui reprochede n’avoir pas introduit explicitement la notion de durée,alors même que celle-ci travaille toute sa réflexionsur le temps. Cette lacune lui interdit d’appréhenderle temps-devenir comme tel. Or c’est ce que vise l’ouvragequi veut se situer dans la continuité d’Elias. Saconstruction théorique est des plus riches : en rendrecompte en quelques lignes présente un risque majeur detrahison. Dans le chapitre sept, l’auteur avance quatre "propositions pour une sociologie du devenir  qui sontune manière de synthèse de ce livre-ci et d’ouvragesprécédents. L’événement en cristallisantle devenir fait apparaître le sens. Il peut être l’occasionpour les individus ou les groupes d’exercer leur libertéde " contre-effectuation . Or cette possibilitérequiert comme, le propose Bergson, de situer l’événementdans la durée. Le rôle de la sociologie est "d’être attentive aux événements etaux contre-effectuations, que les acteurs (…) opèrent,comme au sens qui est ainsi provoqué . On peutregretter, à cette occasion, que l’auteur n’aitpas fait la moindre référence à Castoriadiset à son analyse de la force créatrice de l’imaginairecollectif.

Pour accomplir cette tâche, la sociologiedoit prendre en compte le devenir social comme une pluralitéde devenirs parfois en lutte. Notre auteur critique vertementle penchant des sociologues à classer l’expressionindividuelle dans des cases d’enquêtes, hypothéquantainsi " l’orientation et le sens du vivre collectif .Une telle sociologie abandonne toute préoccupation normative.Elle n’a pas pour recherche la régulation et l’identité." C’est une sociologie de la communauté humaineen tant que totalité concrète considéréedans son mouvement . Elle s’inscrit dans un dépassementde la morale par l’éthique. L’auteur récuserait-iltoute référence à Habermas ? Cette sociologiedu devenir et du sens se veut essentialiste. L’auteur règleses comptes avec le nominalisme. Pour lui le langage, justificationdu nominalisme, est à la fois le formulé et l’informulé(qui n’est pas l’inconscient). Penser le social commeformé aussi de ses potentialités de devenir et doncde sens, c’est favoriser l’expressivité au-delàdu seul formulé et découvrir des perspectives souventinformulées.

Ceci est-il un programme sociologique ?L’auteur nous a convaincu du caractère philosophique,plus précisément éthique et politique, d’uneconception du temps. Dans sa brillante conclusion, nous ne lisonspas Philippe Zarifian comme sociologue mais comme philosophe.N’écrit-il pas lui-même que concevoir le tempsindividuel comme temps spatialisé ou comme temps-devenir," sont deux philosophies de la vie qui se confrontent". Mais l’un des mérites de cet ouvrage n’est-ilpas d’abolir les frontières un peu artificielles entredisciplines ?
©Sciences de la Société n° 55 - février2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
COMMUNICATION

Serge Regourd,Droit de la communication audiovisuelle, Paris, PUF, coll. Droitfondamental, droit politique et théorique, 2001, 479 p.

Recensionpar Guy Pineau, Chargé de cours, Université de Paris1 et Paris 3 (n° 55, fév. 2002)

En préambule, l’auteur posela question de la pertinence de l’existence même d’undroit spécifique " de la communication audiovisuelle distinct du droit de la communication dans son acception la pluslarge. Cette interprétation extensive, récusée,lui permet d’expliciter le projet politico-économiquesous-tendu. Il s’agit, masquée par la convergencetechnologique, de la convergence des marchés et des opérateursqui pourraient bouleverser les logiques juridiques en place pouraboutir à un droit " a minima ". Cetteréflexion est particulièrement éclairanteau moment de la mise en œuvre de la sociétédite de l’information.

Ce livre est avant tout une mise au net,avec une rigueur dont l’auteur nous a déjàdonné de nombreuses preuves, des règles juridiquesfondamentales du champ de la communication audiovisuelle. Sonintérêt est double : outre son excellence juridiquequant à la présentation des textes et de la jurisprudence,il introduit à l’intelligibilité par-delàle droit, grâce à la compréhension du contextepolitique, économique et technique dans lequel il s’inscrit.On saisit mieux, chemin faisant, la notion de volontarisme juridiqueversus la soumission de la règle de droit aux forceséconomiques et financières dominantes (cf. la notionde " soft law ), car " pas plus ici qu’ailleurs,l’histoire du droit n’obéit à un scénariode la table rase . À cet égard, la rubrique" Pour aller plus loin , concluant chaque chapitre,introduit le plus souvent, outre une bibliographie commentée,une réflexion complémentaire, ouverture stimulantesur les mutations en cours. Cette disposition apporte au lecteurde précieux éléments d’analyse, voiredes points de vue dont certains peuvent susciter la discussion.Il s’adresse, bien entendu, à des juristes, professionnelset étudiants, mais aussi à ceux, non-juristes, quidans le champ de l’information-communication, souhaitentétayer et consolider le volet juridique de leur approchemultidisciplinaire. On souhaiterait, presque, des tableaux récapitulatifs,tant la matière est dense ; mais à la réflexion,ce type de dispositif relève d’un autre genre, pluspédagogique.

Dans sa présentation formelle, deuxgrandes parties, distribuée chacune en cinq chapitres,offrent une architecture donnant à voir les grands pansde la législation de ce droit de l’audiovisuel françaiset du droit communautaire se " saisissant de la communicationaudiovisuelle . À noter que les législationsétrangères ne sont pas présentéesdans cet ouvrage, l’auteur ayant déjà publiéun ouvrage consacré à La télévisiondes européens (La Documentation française, 1992),dont nous souhaitons, avec impatience, une nouvelle éditionmise à jour.

En premier lieu, l’ouvrage présentele cadre juridique général et permet au lecteurde retrouver les fondements, les raisonnements, les principeset règles (législation, jurisprudence) du droitde la communication audiovisuelle. L’approche s’étenddes origines du monopole à sa disparition. D’abord" libéral , puis monopole " sanction ,il s’accompagne en décalage, de l’émergencedu service public (et ses différentes mutations organisationnelles)jusqu’à sa suppression et l’affirmation du marché(et sa régulation) à partir de 1982-1986. Cettepremière partie aborde également le caractèrepluridimensionnel de la liberté de la communication audiovisuelle(liberté publique), l’organisation pluraliste du systèmeaudiovisuel, les règles relatives au dispositif anti-concentration.L’auteur souligne à cet égard, avec raison,l’acuité la question de la concentration des médias.Cette partie traite également du cadre juridique de l’expressiondes courants d’opinion et de leur traduction en termes deprogrammation (expression politique, syndicale, religieuse…).D’autres dispositifs du droit d’accès àl’antenne sont présentés : droit de réplique,droit de réponse, ainsi que les mécanismes de laprotection de l’enfance et de l’adolescence. La questiondu maintien d’un droit à l’information commelimite aux droits exclusifs de retransmission d’un événement" d’une importance majeure pour la société est exposée, en particulier au regard des droits de retransmissionsportive.

Les régimes juridiques spécifiquesde la communication audiovisuelle, regroupés dans la secondepartie de l’ouvrage, concernent le public et le privésous l’angle du financement et du mode de distribution (câble,satellite, numérique de terre, radio). Le droit des œuvresaudiovisuelles et de la propriété intellectuelley trouve également sa place, avec en toile de fond, leconflit latent qui oppose les tenants du droit d’auteur àceux du copyright. En ce qui concerne la question actuellementdiscutée de la délimitation du champ d’applicationdu droit de la communication audiovisuelle, l’auteur faitle départ de ce qui relève spécifiquementde la communication audiovisuelle classique et des règlesde droit applicables à Internet. Cette analyse rejointcelle, abordée en ouverture du livre, et souligne les conséquencesnéfastes qui résulteraient de la dilution du droitaudiovisuel dans un droit de la communication attrape-tout. Soutenupar la thèse dite de la convergence, cette conception,en ces temps dits de "mondialisation , remet en causeles dispositifs juridiques élaborés et ancrésdans l’État- Nation. La régulation, thèmeapprofondi dans la première partie relative aux médiasclassiques (radio, télévision, avec une analysedétaillée du Conseil supérieur de l’audiovisuel),se prolonge ici, évoquant les prémisses d’unecorégulation, pouvoirs publics/divers opérateursprivés, à travers le " Forum des droits surl’Internet ".

La question de " l’exception culturelle est évoquée à plusieurs reprises. Fondéesur la spécificité des productions culturelles,elle les dissocie des règles ordinaires du marchéau plan national comme au plan des échanges internationaux.Son examen renforce les raisons qui plaident, aux yeux de l’auteur,pour le maintien d’un droit spécifique de la communicationaudiovisuelle. Cela ne l’empêche pas d’appelerde ses vœux une adaptation du droit à la complexitééconomique et financière du domaine concerné.La réalité du mouvement d’internationalisation,de concentration, de financiarisation et de transformation dumode de consommation des médias (connexion directe entreles industries d’amont et le consommateur final, par exemple),amène Serge Regourd à préconiser des solutionsjuridiques internationales à la dimension des enjeux contemporains.
©Sciences de la Société n° 55 - février2002