Notes de lecture du numéro 61 - février 2004

Philip L. FRADKIN,
Stagecoach : Wells Fargo and the american west, New-York, Free Press, 2002, 250 p.
Claudia Bird SCHOONHOVEN, Elaine ROMANELLI, eds, The entrepreneurship dynamic : origins of entrepreneurship and the evolution of industries, Stanford, Stanford University Press, 2001, 452 p.
Mihai COMAN, Pour une anthropologie des médias, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2003, 210 p.
Bruno LATOUR, La fabrique du droit : une ethnographie du Conseil d'État, Paris, La Découverte/ Syros, 2002, 316 p.
François MANCEBO, Questions d'environnement pour l'aménagement et l'urbanisme, Nantes, Éditions du Temps, 2003, 288 p.
Alain TORRE, ed., Le local à l'épreuve de l'économie spatiale. Agriculture, environnement, espaces ruraux, Paris, Études Recherches Systèmes Agraires Développement, 2002, 216 p.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
ENTREPRISE

Philip L. FRADKIN, Stagecoach : Wells Fargo and the american west, New-York, Free Press, 2002, 250 p.

Recension par Hélène INTRATOR, MCF de Sciences de gestion, Université de Rouen (n° 61, fév. 2004)

Ce livre raconte l'épopée de la Wells Fargo Company, d'abord entreprise de courrier (le Pony express), puis de transports, et enfin banque et gestionnaires financiers. L'histoire de l'établissement se confond avec celle des États-Unis, et l'auteur (ancien journaliste), traite le sujet sur le mode hollywoodien digne des plus traditionnels westerns. La Wells Fargo est dès son origine, promise au succès dans la mesure où l'un de ses fondateurs (Henry Wells) est déjà un important actionnaire de l'American Express Company. Plus tard, lorsque l'institution se spécialisera définitivement dans les services financiers et bancaires, ces liens s'avèreront précieux.

L'auteur découpe l'histoire en trois périodes : les débuts (1852-1869) coïncident avec la colonisation de la Californie et la ruée vers l'or. Le Pony Express profite de la gabegie de la poste fédérale, pour étendre ses activités à l'ensemble du territoire américain et vers le transport des marchandises et des gens (réseaux de diligences) (on relira avec plaisir le volume du " Lucky Luke " correspondant, P. Morris ayant trouvé les mêmes sources que P. Fradkin). La deuxième période (1870-1906) est marquée par le progrès technique (le télégraphe) et l'industrialisation des États-Unis : le chemin de fer force la Wells Fargo à. abandonner l'activité frêt et à se focaliser sur les services financiers. La troisième période (1907-2000) retrace la restructuration réussie grâce aux liens historiques entre l'établissement et le groupe Amex. La petite banque régionale se transforme, au fil des réformes et des déréglementations du système bancaire américain, en une " super-régionale " de tout premier plan. Sa réputation et sa solidité financière lui permettent d'absorber progressivement toutes les petites banques de la région Ouest : la Northwestern National Bank pour commencer, puis la Nevada Bank, la Hellman Bank, et bien d'autres encore.

L'ouvrage est émaillé de photos et documents d'époque. L'auteur cherche à montrer de quelle manière la Wells Fargo a pu contribuer à l'Histoire des États-Unis. La petite histoire rejoint la grande. A chaque grande étape de la construction des États-Unis, l'auteur décrit les actions de la Wells pour accompagner le mouvement : la ruée vers l'or, le tremblement de terre de San Francisco (1809), l'immigration chinoise, le chemin de fer... Le style est haletant et le lecteur a davantage l'impression de lire un roman d'aventures qu'un ouvrage historique. Pourtant, P. Fradkin s'est beaucoup documenté : les archives de la Wells Fargo lui furent ouvertes sans restriction, et l'auteur a su en profiter avec talent.

La troisième partie (l'évolution contemporaine du groupe), reste à notre avis, un peu en-deçà des deux autres. L'auteur omet de recadrer la stratégie du groupe dans le contexte réglementaire et financier de l'époque : déréglementation générale, bulle spéculative immobilière qui débouchera finalement au début des années 1980, sur une crise structurelle des caisses d'épargne. Suite à ces évènements, le Congrès devra abandonner une bonne partie des barrières géographiques et sectorielles entre les banques et les thrifts, érigées dans les années 1930 (l'interstate). Cela permit à de nombreuses banques (dont la Wells Fargo), d'acquérir des S&L et d'étendre leur zone géographique d'activité. Dans un second temps (à partir de 1992), le Congrès assouplit l'interdiction faite jusqu'ici aux banques, d'effectuer des opérations boursières et de proposer des contrats d'assurance-vie. Là encore, certaines banques en profitèrent. Tout cela est passé sous silence par P. Fradkin, et c'est dommage.

On peut également regretter le ton un peu trop hagiographique de l'ouvrage : les critiques restent superficielles, tout est fait pour présenter l'institution sous un jour particulièrement favorable : point de passé trouble, de scandale caché, de détails croustillants sur une sombre affaire : la banque est sans taches, transparente. On a du mal à le croire. Mais cela ne retire rien aux qualité réelle de ce petit livre, qu'on lit comme un roman d'aventure.
© Sciences de la Société n° 61 - fév. 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
ENTREPRENEURIAT

Claudia Bird SCHOONHOVEN, Elaine ROMANELLI, eds, The entrepreneurship dynamic : origins of entrepreneurship and the evolution of industries, Stanford, Stanford University Press, 2001, 452 p.

Recension par Luc MARCO, Professeur de Sciences de gestion, Université Paris 13 (n° 61, fév. 2004)

Une douce révolution est en train d'agiter le petit monde des gestionnaires universitaires : l'arrivée d'une nouvelle fonction d'entreprise, l'entrepreneuriat. Au grand dam des vieux mandarins encore arc-boutés sur les six fonctions du Père Fayol, toute une nouvelle génération pousse à la roue pour faire reconnaître cette septième fonction. Bien sûr, la cartellisation du pouvoir en " sixième section du Conseil national des universités " ne favorise guère en France l'émergence de la jeune garde : les anciens grognards veillent au grain, ce qui explique en ce moment l'ambiance quelque peu tendue de certains colloques dans l'Hexagone. Mais la roue tourne inexorablement et le départ à la retraite de certains dinosaures déverrouille peu à peu le blocage des carrières et l'orthodoxie intellectuelle qui l'accompagne dans les quelques vingt-deux IAE et la trentaine de facultés consacrées à la gestion en compagnie de l'économie et parfois du droit. Aussi la lutte est-elle vive pour savoir qui va exercer le pouvoir au sein de l'Académie de l'entrepreneuriat, société savante créée pour promouvoir la nouvelle fonction.

Aux États-Unis la fonction est reconnue depuis déjà longtemps. Une équipe dirigée par deux universitaires fait le point dans un très bon ouvrage de synthèse. Il émane de Stanford University, établissement situé près de la fameuse Silicon Valley, ce qui explique l'intérêt de cette équipe pour le phénomène entrepreneurial. Il s'agit en fait de la publication des actes d'un colloque fondateur, qui s'est déroulé au Balboa Bay Club de Newport Beach en novembre 1998. Certains textes ont été amendés et d'autres ajoutés après coup. L'ensemble comprend 25 contributeurs pour 14 articles, y compris l'introduction et la synthèse finale. La confrontation est vraiment pluridisciplinaire, puisqu'on dénombre quatre sociologues et deux économistes en plus des dix-neuf gestionnaires invités. Parmi ces derniers on relève onze généralistes du management, six spécialistes de la théorie des organisations et deux responsables des programmes entrepreneuriaux des universités. C'est dire si la liaison entre la pratique et la théorie s'articule bien dans un milieu académique pleinement au service des créateurs potentiels.

L'ouvrage est structuré en deux parties complémentaires. La première s'intéresse à la dynamique de l'entrepreneuriat. On y trouve une introduction consacrée aux prémices du phénomène, signée des deux codirectrices de l'ouvrage ; un article sur les modèles d'organisation des nouvelles firmes, intitulé " La compagnie qu'ils gardent ", par Diane Burton de la MIT Sloan School of Management ; une synthèse sur les origines locales des nouvelles entreprises, toujours signée par les duettistes précédentes ; un papier très stimulant sur le rôle des entrepreneurs immigrants dans les nouvelles entreprises risquées, par Annalee Saxenian (Bekerley) ; un gros article collectif sur la commercialisation de la recherche universitaire et sa valorisation, par quatre chercheurs de l'Université du Wisconsin à Madison (Miner, Eesley, Devaugh et Rura-Polley) ; un papier assez technique sur les industries du savoir et les idées d'entrepreneurs qui porte sur les nouvelles dimensions des produits innovants, des services et des organisations en découlant, par Eric Abrahamson et Gregory Fairchild, respectivement de la Columbia Business School et de l'Université de Virginie (Darden School) ; et enfin un bilan sur le contexte social de l'innovation entrepreneuriale qui fait le lien entre le cycle technologique habituellement étudié par les économistes et la dynamique entrepreneuriale qui occupe plus particulièrement nos gestionnaires, par Johann Peter Murmann et Michael L. Tushman, coopération entre Northwestern et Harvard !

La seconde partie est dévolue à l'entrepreneuriat dans l'évolution des industries. Elle commence par un important papier d'Aldrich et Baker (Universités de Caroline du Nord et celle du Wisconsin) sur les rapports entre apprentissage et légitimité. Celui-ci étudie les réponses entrepreneuriales aux contraintes sur l'émergence des nouvelles populations et leurs organisations ; plus spécifique l'article suivant s'attaque à l'action entrepreneuriale dans la création d'une niche dans la spécialité caféière : il est signé par Violina Rindova et Charles Fonbrun (New York University et Université du Maryland) ; le dixième chapitre s'intéresse au pouvoir de la compétition publique, c'est-à-dire à la promotion de la légitimité cognitive au travers des conflits de certification, sous la plume agréable de Hayagreeva Rao de Emory University ; le onzième est co-signé par Anand Swaminathan et James B. Wade (UCLA et Wisconsin) et porte sur la théorie du mouvement social et l'évolution des nouvelles formes organisationnelles ; le douzième est collectif puisqu'il réunit trois auteurs : Ari Ginsberg (New York University), Erik R. Larsen (City University Business School of London) et Alessandro Lomi (Université de Bologne, Italie) ; le thème en est l'entrepreneuriat dans son contexte ou l'interaction stratégique et l'émergence des économies régionales - tout un programme ! ; le treizième est plus juridique car il se penche sur l'environnement légal de l'entrepreneuriat, avec des observations sur la légitimation du capital risque dans la Silicon Valley (par Suchman, Steward et Westfall de l'Université du Wisconsin ; enfin le dernier chapitre récapitule les thèmes émergents et la nouvelle vague de la recherche entrepreneuriale, par les deux codirectrices de l'ouvrage. Une bibliographie générale de 32 pages complète l'ensemble qui se termine par un index un peu trop rachitique à notre goût.

L'ensemble est bien écrit, correctement édité et très cohérent. Il permet de comprendre comment le cercle vertueux de la Silicon Valley s'est enclenché et comment il a perduré. La proximité d'une université dynamique (Stanford), plus l'accueil de personnalités de renom a permis d'attirer des compétences variées et entreprenantes. L'essaimage de sociétés satellites à partir des sociétés initiales a ensuite concrétisé la réussite ultérieure, l'effet de réputation permettant la réallocation du capital découlant des entreprises entre-temps disparues. L'ouvrage explique tout cela et bien plus. Son achat est fortement conseillé aux chercheurs intéressés par le domaine et qui veulent progresser ou avoir de nouvelles idées de recherche.
L'entrepreneuriat s'imposera-t-il en France comme discipline à part entière ? La réponse est affirmative avec cependant un décalage par rapport aux États-Unis d'Amérique. Car la force des mandarins - ou de ce qu'il en reste - est bien de faire courber l'échine à leurs commensaux en les faisant passer sous les fourches caudines de leur bon plaisir académique. C'est en se dégageant de ces rets illusoires que la nouvelle génération s'imposera en renvoyant aux livres d'histoire les potentats d'antan. Reste pour certains à imiter servilement les travaux américains, en faisant croire qu'ils font oeuvre novatrice : la lecture de cet ouvrage fondateur dessillera les yeux de bien des néophytes.
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INFORMATION-COMMUNICATION

Mihai COMAN, Pour une anthropologie des médias, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2003, 210 p.

Recension par Stefan BRATOSIN, MCF de Sciences de l'information et de la communication, LERASS, Université Paul Sabatier-Toulouse 3 (n° 61, fév. 2004)

L'ouvrage, organisé en deux parties, rassemble d'une manière transversale à cette organisation, deux plaidoiries : l'une de nature apologétique en faveur de l'approche anthropologique comme méthode alternative de collecte et de traitement de l'information selon la perspective ouverte par Susan Allen et élargie avec les contributions de Kelly Askew et Richard Wilk, Sara Dickey, Conrad Kottak etc., l'autre de nature revendicative pour la reconnaissance de l'anthropologie des médias comme composante distincte du champ plus large de l'anthropologie de la communication mis en évidence par des travaux de Palo Alto, d'Edward Hall, de Dell Hymes, d'Erwin Goffman etc., dont Yves Winkin principalement et Jean Lohisse sont les promoteurs. Ces deux plaidoiries reposent, d'une part, sur la mise en exergue des recherches qui concernent les médias d'information et qui relèvent d'une manière plus ou mois assumée d'approches anthropologiques et, d'autre part, sur une tentative de cadrage théorique de la démarche anthropologique dans l'étude des médias. Dans ce cadre, pour l'auteur, l'anthropologie des médias, expresssion émergeant en 1969 dans le cadre d'une réunion de l'American Anthropological Association, est un syntagme qui désigne un ensemble d'études cherchant à approcher ou/et expliciter les médias à l'aide des concepts propres à l'anthropologie des formes symboliques (mythe, religion etc.) et des méthodes de l'ethnographie. Les deux niveaux auxquels l'auteur identifie le transfert de ces acquis disciplinaires spécifiques à l'anthropologie et à l'ethnographie dans les recherches sur les médias sont celui des terrains saisis comme micro-domaines dans la sphère de la communication de masse et celui des contenus étudiés comme formes de rituels, de mythes, de cérémonies, etc.

La première partie s'attache à dresser " l'état de la question ". Il s'agit de projeter une image de la diversité des recherches issues d'approches anthopologiques des médias. Cette image est déployée autour de trois axes : a) le relation entre les médias et le rituel, b) le rôle de la pensée mythique dans le discours journalistique, c) le rapport entretenu par les journalistes avec le phénomène religieux. Les travaux cités par l'auteur afin d'illustrer la relation entre les médias et l'univers rituel regroupent des études qui analysent les médias dans le contexte des grandes cérémonies publiques. Ces études recouvrent essentiellement des recherches révélatrices de deux préoccupations distinctes : la façon dont la presse traite les rites de masse et le rôle d'agent de ritualisation joué par la presse dans certaines situations. La première orientation, visant la rhétorique des médias, se propose d'observer les conséquences du discours médiatique en rapport avec le fonctionnement de l'espace public. La seconde, visant la production des comportements, se focalise sur les rapports aux médias mis en évidence par " la consommation ritualisée des médias " ou/et par la dimension rituelle de l'activité rédactionnelle.

Pour saisir le rôle de la pensée mythique dans le discours journalistique, selon l'auteur, les travaux de recherche font appel, d'une manière ou d'une autre, à une des trois paradigmes suivants : " le modèle archétypal ", " le modèle fonctionnaliste " et " le modèle cognitif ". Les travaux relevant du modèle archétypal fondent leurs points de départ sur l'hypothèse du texte journalistique qui n'épuise pas ses significations, c'est-à-dire sur l'hypothèse de l'article qui contient entre ses lignes l'annonce de l'imminente irruption d'un autre récit. Dans la perspective instrumentale ouverte par l'introduction du mythe sur le territoire de l'idéologie, le modèle fonctionnaliste regroupe les études recherchant à justifier la présence du mythe dans le traitement médiatique de l'information comme un besoin inextricable du discours journalis-tique. Le modèle cognitif, " espace du bricolage symbolique ", est associé aux recherches qui portent sur le binôme discours médiatique/ discours mythique ou texte médiatique / construction mythique. Quant aux analyses du rapport entretenu par les journalistes avec le phénomène religieux, elles se caractérisent par des approches focalisées sur l'étude de la diffusion sociale de la religion, par le questionnement du fonctionnement médiatique comme réalité religieuse et par la mise en exergue du recours journalistique à des concepts du domaine de la religion afin d'expliciter des situations qui ne participent pas de ce domaine.

Dans la deuxième partie, l'auteur met en évidence quatre indices permettant de distinguer parmi les multiples approches conceptuelles des médias (sociologiques, économiques, psychologiques, historiques, politiques, linguistiques, sémiotiques, littéraires etc.), les principales propositions théoriques s'inscrivant dans une vision anthropologique : a) la rencontre entre l'anthropologie en tant que discipline scientifique et les médias entendus comme objet de recherche, b) le recours pour l'explicitation des médias aux catégories conceptuelles de mythe, de cérémonie et d'événement, c) l'analyse du processus de médiatisation en termes de ritualisation ou de mythification, d) la prise en compte de la dimension symbolique des médias comme composante inextricable de l'espace public. Il s'agit des perspectives théoriques où les lieux de rencontre entre l'anthropologie et les médias relèvent, d'une part, des terrains délimités par des fonctionnements communautaires ou professionnels et, d'autre part, des terrains bornés par la normativité culturelle. Pour saisir les pratiques en rapport avec les médias dans ces " terrains clos ", notamment pour saisir les pratiques de production et de réception, la démarche de recherche s'empare d'outils méthodologiques issus des méthodes d'investigation ethnographique et d'un " regard transversal " dont les deux vecteurs sont les manifestations et les concepts propres à l'anthropologie culturelle. L'interprétation des médias associée à une telle démarche est assujettie dès lors au processus de reconnaissance dans le champ de la médiatisation des fonctions et des significations qui sont identiques aux manifestations étudiées par l'anthropologie culturelle. Cette interprétation est tributaire également de la capacité des concepts et des théories spécifiques à l'anthropologie culturelle à embrasser le phénomène médiatique. La question posée s'inscrit, dans ces conditions, plutôt dans une problématique de construction rituelle et mythique du monde par les médias que dans une interrogation des cérémonies dans les médias ou du rôle des thèmes mythiques dans le fonctionnement de la presse. Elle vise la médiatisation transmuée en ritualisation et en mythification, c'est-à-dire en processus de constructions identitaires culturelles permettant les rapports de reconnaissance mutuelle et d'affrontement symbolique dans un espace public fragmenté, mais généralisé.

Enfin, il faut noter, pour souligner davantage l'intérêt de cet ouvrage, la bibliographie tout à fait remarquable par son ampleur, mais aussi par son contenu révélateur d'un important nombre des travaux anglophones participant de l'anthropologie des médias peu connus dans l'espace de lecture francophone.
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SOCIOLOGIE

Bruno LATOUR, La fabrique du droit : une ethnographie du Conseil d'État, Paris, La Découverte/ Syros, 2002, 316 p.

Recension par Bertrand FAURÉ, Doctorant en Sciences de l'information et de la communication, LERASS, Université Paul Sabatier-Toulouse 3 (n° 61, fév. 2004)

Un Latour au sommet de son art. La sociologie de la traduction prouve, encore une fois, sa capacité à bouleverser les lectures traditionnelles, à renouveler les approches sur un sujet pourtant aride : la " fabrique " du droit par le Conseil d'État. Pur produit made in France, cet organe juridique est étudié non pas du point de vue de la sociologie critique traditionnelle mais du point de vue de l'ethnographe naïf, petite souris curieuse infiltrée dans la foule anonyme des costumes/cravates, qui vient traquer le " passage du droit ", ce moment particulier où une jurisprudence, âgée comme la République, peut-être ébranlée par une requête anodine, une affaire de pigeons pas très propres par exemple. " Si nous pouvions comprendre par quelle alchimie on passe, au cours de la séance, de la multitude des détails rappelés dans la note du rapporteur (...) à la question de droit qui concentre enfin l'attention, suscite l'intérêt et se présente aux yeux de tous comme quelque chose de votable, c'est-à-dire de décidable, nous aurions alors compris une grande partie du travail du droit, de sa forme si particulière de véridiction " (p. 113).

Les " histoires " que nous racontent Latour sont passionnantes. Voici des gens très sérieux, réunis dans un lieu solennel et autour de dossiers volumineux, pour parler de " féroces et malfaisants " pigeons. Comment est-ce possible ? Il aura suffi d'un élu local pas très énergique, d'un citoyen un peu procédurier, d'un tribunal de première instance peut-être maladroit, et les charmants volatiles vont devenir prétextes à de savantes discussions sur la faute lourde et légère dont on aurait eu raison, ou non, de qualifier la négligence du maire. Mais attention, ces ergotages n'ont rien de discussions de comptoir. Non seulement ces messieurs (très peu de femmes au Conseil d'État) ne sont pas au bistrot, mais en plus, ils ont des documents à lire et à classer, des synthèses à rédiger. Ils représentent chacun une logique et, dans la façon dont ils l'incarnent, se joue une partie de leur carrière. Et le lecteur suit le parcours implacable de la requête initiale, de sa mise en forme en dossier juridiquement recevable à la conclusion définitive du Conseil d'État, en passant par les décisions des différents tribunaux et par les duels verbaux des conseillers, riches d'implicites partagés et de double sens, de remarques assassines et de précisions magnifiques.

Au final, la " force justifiée " qu'est le droit apparaît moins arbitraire que ce que semblent le penser certains sociologues critiques (comme Bourdieu dans La force du droit) : malgré l'extrême formatage que subissent les plaintes, celles-ci font parfois " bouger " la jurisprudence qui n'est donc pas qu'un organe de reproduction des structures de domination. Par ailleurs, le regard de l'ethnographe restitue avec saveur les doutes, les astuces, les pré-requis de la tribu des conseillers... dont " l'habitus " paraît alors singulièrement complexe. Bien évidemment, Latour n'emploie jamais le terme d'habitus. Pour lui, les structures cognitives sont inaccessibles à l'ethnographe qui doit s'en tenir au contenu verbal des délibérations des conseillers pour dégager ce qui fait sens, ce qu'il appelle " la circulation des objets de valeur ". Le lecteur suit alors pas à pas, à travers les reconstructions analytiques des débats, le raisonnement juridique en acte, les méandres formels dans lesquels il s'égare parfois, mais aussi les brutaux rappels au bon sens d'un président " réflexif ". L'hypothèse d'un droit arbitraire tient alors difficilement : les principes démocratiques et républicains travaillent en permanence les conseillers...ou alors ce sont de très bons acteurs.

La méthode qui avait déjà porté ses fruits avec La vie de laboratoire, et qui consiste à " pister " les productions écrites des acteurs (les articles, les dossiers), est aussi l'occasion d'une comparaison originale entre les énonciations scientifiques et juridiques. " Ce qui apparaît aux juges comme une faiblesse, les savants le considèrent comme une grande force : oui, ils peuvent trouver de l'exactitude en s'éloignant de plus en plus de tout contact direct avec les gens. Ce que les scientifiques tiennent pour un défaut du droit, les conseillers le prennent au contraire pour un compliment : oui, ils s'en tiennent exactement à ce qui ressort du dossier sans en rajouter, sans en retrancher. Deux conceptions différentes de l'exactitude et du talent, de la fidélité et du professionnalisme, du scrupule et de l'objectivité. On dira que ces différences sont peu de choses à côté de ce qui les rassemble et qui consiste dans les deux cas, à réduire le monde à du papier. " (p. 242) Un esprit malicieux pourrait peut-être en dire autant des comptables, mais cela est déjà une autre thèse.
Un livre à conseiller à tout étudiant en droit public qui veut enfin comprendre comment, et non pas pourquoi, se " fait " le droit.
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TERRITOIRES

François MANCEBO, Questions d'environnement pour l'aménagement et l'urbanisme, Nantes, Éditions du Temps, 2003, 288 p.

Recension par Alain LEFEBVRE, Professeur émérite d'Aménagement et urbanisme, GRESOC, Université Toulouse-Le Mirail (n° 61, fév. 2004)

Le sous-titre de cet ouvrage, Cours de Géographie, indique bien l'ambition d'un livre qui a pour vocation première de contribuer à la formation des futurs acteurs de l'aménagement et de l'urbanisme. Le livre fournit des données physiques, biologiques, économiques, sociales, réglementaires, mais aussi des expertises, des analyses d'enjeux et de conflits, destinés à éclai-rer l'action collective en matière d'environnement, tout particulièrement pour les risques naturels et technologiques.

Le plan du livre est conforme à cet objectif didactique. La première partie est consacrée aux représentations de l'environnement, un accent particulier étant mis sur certaines spécificités urbaines : le lecteur pourra ainsi apprécier la vision éthologique des analyses consacrées au marquage territorial, dans la lignée des travaux de E. H. Hall. La deuxième partie est consacrée aux politiques, stratégies et modes de gestion des questions environnementales, l'auteur insistant plus particulièrement sur les débats internationaux, sur les contraintes pesant sur la planification territoriale et sur la question des risques. A la suite de ces développements - presque toujours intéressants, mais présentés un peu en désordre - la troisième partie traite des outils pour l'action. Les trois exemples choisis pour illustrer l'analyse sont tout à fait pertinents et portent successivement sur la gestion de l'eau, sur la question des déchets et sur les conflits sociaux autour des espaces aéroportuaires périurbains, autant dire sur des questions de société particulièrement vives.

La double formation universitaire - quelque peu originale (...) - de François Mancebo (biologie et géographie-aménagement) lui sert évidemment tout au long de son entreprise car elle lui permet de valoriser "naturellement" les ressources du systémisme sans avoir à justifier en permanence cette manière de voir. Un intérêt majeur de cet ouvrage réside d'ailleurs dans son style clair et roboratif, sans que l'auteur éprouve le besoin d'utiliser les ressources souvent pesantes de la représentation graphique chère à certains systémiciens. Une langue agréable, des exemples nombreux, voire quelques anecdotes croustillantes parsèment l'ouvrage et devraient satisfaire, au-delà du public plus ou moins captif des aménageurs, un public cultivé soucieux d'en savoir plus sur le sujet que les échos souvent spectaculaires, mais toujours parcellaires, renvoyés par la sphère médiatique. Un lexique final bien composé, une cartographie pertinente et des encadrés appropriés agrémentent heureusement un livre de bonne facture.

Sur le fond, l'auteur ne cache pas un certain scepticisme en faisant référence à une maxime bien peu encourageante : " en matière d'environnement, la politique a démissionné, l'économie dicte sa loi, les juristes décident ". De ce fait, la place réservée aux aménageurs semble bien étroite. Rejetant toute forme d'injonction brutale, l'auteur plaide pour la manière douce et propose de donner aux aménageurs la mission de concrétiser, dans l'organisation de l'espace, le dialogue permanent entre les dimensions bio-physiques et les systèmes culturels des habitants. On peut évidemment se demander si ce réalisme opératoire est à la hauteur des enjeux environnementaux. Mais rien n'empêche le lecteur, sur la base des informations solides et des analyses pertinentes présentes dans l'ouvrage de François Mancebo, de s'atteler à des solutions plus vigoureuses.
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TERRITOIRES

Alain TORRE, ed., Le local à l'épreuve de l'économie spatiale. Agriculture, environnement, espaces ruraux, Paris, Études Recherches Systèmes Agraires Développement, 2002, 216 p.

Recension par Eduardo CHIA, Chercheur UMR Innovation, CIRAD-Tera/ INRA Montpellier (n° 61, fév. 2004)

La première particularité de cet ouvrage est d'avoir réuni, autour des phénomènes de localisation et des effets de la localisation sur l'organisation sociale et productive au niveau local (fait local), quatorze chercheurs d'horizons différents (universités et organismes de recherche) et pas seulement des économistes comme pourrait le laisser penser le titre. La deuxième est de combiner les contributions théoriques et les études des cas (ou la théorie à l'épreuve des faits).

L'ouvrage est structuré en quatre parties. La première , " Des développements théoriques des dynamiques spatiales ", est consacrée à faire le point sur les approches économiques (concepts et problématique) du " fait local ". Rallet propose de parcourir la production des économistes, en particulier, spatiaux, à travers " l'économie de la proximité " et Courlet à partir de l'évolution des recherches sur les Systèmes Productifs Localisés (SPL). Ils essaient de donner de l'épaisseur historique et scientifique aux concepts de distance, qui a fondé les sciences régionales ou l'économie spatiale, et l'organisation spatiale (district). Selon Rallet, qui se fait le porte parole du groupe " Dynamiques de proximité ", les recherches sur la proximité se font suivant deux axes : le premier consiste à considérer la proximité comme une caractéristique intrinsèque du territoire et l'autre prend la proximité comme une dimension possible de la coordination entre les acteurs. C'est surtout dans ce deuxième axe que se situent les contributions. Compte tenu du caractère multi-dimensionnel et polysémique de la notion de proximité, l'auteur propose deux types de proximité : une géographique et l'autre organisée (ou relationnelle) qui résulte du lien social. Elle permet de dépasser et compléter la proximité géographique pour rendre compte des capacités des acteurs locaux à faire face à des perturbations mais aussi à avoir une démarche pro-active et surtout à comprendre la stratégie relationnelle des acteurs. Si globalement nous sommes d'accord avec Rallet sur le fait qu'il faut dépasser la proximité géographique, l'argumentation n'est pas très convaincante. En quoi et comment est-elle organisée ? Elle peut être temporaire. Nous pensons qu'il existe trois types, au moins, de proximité : géographique, organisée et organisationnelle. L'organisationnelle est la proximité que se génère à l'intérieur d'une entreprise, d'une institution, d'une organisation (AOC, projet de développement local par exemple également).

Dans la deuxième partie nous retrouvons trois contributions ou illustrations dans le domaine des " Stratégies territoriales des firmes des IAA ". L'article de Saives et Lambert concerne les comportements spatiaux (c'est-à-dire de localisation) des entreprises industrielles du Pays de Loire. Les auteurs, à partir de 92 enquêtes auprès des IAA, montrent que si, par le passé, les entreprises choisissaient leur localisation en fonction, principalement, du coût de transport (accès au marché en minimisant les coûts de transport), l'évolution de l'infrastructure ainsi que des moyens de transports (réduction des coûts et du temps) font que les coûts ne sont pas le seul critère de localisation des entreprises. Elles peuvent choisir leur localisation pour bénéficier du capital culturel présent dans la localité ou des possibilités d'établir des alliances ou des coopérations (proximité organisée et organisationnelle). Les auteurs proposent, en s'appuyant sur les contributions des sciences de gestion sur la stratégie des entreprises, une typologie en fonction de la transportabilité (forte et faible) et la disponibilité (forte et faible) d'intrants pour expliquer la diversité de comportement en matière de stratégie territorialisée d'approvisionnement. et territorialisation. Ils dégagent 4 types : opportunité (achats spéculatifs et quasi rente organisationnelle) ; constance (quasi rente de monopole et relations bilatérales contractuelles) ; confiance (réseaux locaux d'échange et quasi-rente ricardienne territoriale) et assurance (prise de participation, intégration localisée).

Angeon s'interroge sur les stratégies territoriales face à l'émergence des nouvelles règles du commerce international à partir d'une enquête réalisée auprès de 175 producteurs de bananes des îles Sainte Lucie et Martinique. Elle montre qu'en fonction du contexte national et de la proximité organisationnelle, la réponse va être différente. Dans le cas des producteurs de bananes de Sainte Lucie les nouvelles règles du commerce international ont comme effet une défection du marché ; compte tenu des coûts de production plus élevés, de l'absence d'un projet collectif (proximité organisationnelle) et d'une politique publique de soutien. Au contraire, les producteurs de bananes de la Martinique, bien qu'ayant des coûts de production élevés, continueront à produire, grâce à une forte proximité organisationnelle et organisée (résistance) ainsi qu'au soutien des pouvoirs publics. L'auteur montre que ces choix sont influencés par les subventions, l'existence des mécanismes de garanties, du niveau d'endettement, de la reprise d'une exploitation familiale, de l'exercice d'une autre activité et de l'âge et niveau d'instruction. Filippi, montre, en mobilisant l'économie de l'innovation et de la connaissance, que les coopératives (de la Région Midi Pyrénées) sont prises entre un ancrage territorial et une intégration économique. Elles doivent investir dans les relations avec les producteurs en valorisant leurs savoir-faire et, en aval, avec d'autres partenaires de la filière afin de mieux valoriser les produits. Elles gèrent des réseaux à la fois internes et externes. Il souligne que les changements et les innovations qui se produisent dans les sociétés coopératives sont facilités par la capacité de ces sociétés à produire de la proximité organisationnelle - gestion du réseau interne - et de la proximité organisée ou relationnelle avec les autres acteurs de la filière.

La troisième partie est consacrée aux exploitations agricoles et à la gestion de l'espace. Aviles, Paoli, Bonin et Lardon proposent d'illustrer ce thème à partir des recherches qu'ils ont réalisé en Espagne, en Corse et en Ardèche. Aviles se donne pour objectif de tester la capacité analytique de la notion de proximité pour comprendre l'évolution du système de Dehesa (système agro-sylvo-pastoral) de la région de Séville. Elle propose de différencier deux types d'espaces et de proximité. L'espace organisationnel est celui au sein duquel les exploitations évoluent et où s'établissent des proximités économiques et productives. L'espace géographique est celui qui facilite le " face à face " entre les exploitations et qui permet d'échanger des savoirs peu formalisés, etc. Elle s'interroge surtout sur le rôle de la proximité dans la gestion durable des exploitations. Ces résultats montrent que le modèle de gestion durable que les exploitations de la Dehesa ont mis en place est très fortement corrélé avec le niveau d'ancrage territorial des exploitations. La proximité permet aux exploitants d'échanger des informations, de faire jouer la solidarité, etc. Paoli, montre, à travers l'exemple Corse et à propos de la mise en place des Contrats Territoriaux d'Exploitation, que l'existence des proximités géographique et organisationnelle fortes n'est pas une garantie totale d'absence de conflits car les CTE posent la question de la répartition de nouvelles aides et le contrôle de certains espaces. Le T de territoire fait intervenir des acteurs nouveaux qui, jusqu'ici, avaient été peu pris en compte dans les politiques publiques. Ainsi, la proximité géographique joue négativement dans la mise en place de dispositifs locaux de gestion des territoires et l'on doit, de façon à limiter les conflits et à garantir une meilleure gestion, choisir des niveaux plus englobants comme le département ou la région. Du coup, on " dé-territorialise " des mesures. Afin de faire participer les acteurs locaux à la gestion de l'espace, l'auteur propose, à partir d'une recherche-action, de fabriquer de la proximité organisationnelle là où, jusqu'ici, il n'y avait seulement que de la proximité géographique qui joue à l'encontre de l'émergence des dispositifs locaux. La question des modes de coordination reste toutefois posée. Bonin et Lardon proposent de modéliser la trajectoire d'utilisation de l'espace par les agriculteurs en utilisant la modélisation graphique. Pour moi ces types des résultats doivent être considérés et utilisés comme des " objets intermédiaires " au sens des sociologues. C'est-à-dire des objets qui facilitent l'échange et la communication entre les acteurs afin d'élaborer des projets en commun et ainsi fabriquer de la proximité organisationnelle.

La dernière partie est consacré aux relations " Agriculture et environnement " avec les contribution de Papy et Torre, Lahaye, puis de Triboulet et de Langlet. Papy et Torre se posent la question " Quelles organisations - mais aussi dispositifs - territoriales pour concilier production agricole et gestion des ressources naturelles ? ". Ils nous proposent d'abord de faire le point sur les méthodes et les concepts dont l'agronomie et l'économie disposent pour traiter cette question. Ainsi, par exemple, les systèmes de culture, qui sont au départ un concept permettant aux agronomes de rendre compte des façons dont au sein d'une exploitation agricole sont décidés les productions et les itinéraires techniques, sont utilisés par des entreprises agro-alimentaires pour " planifier ", au niveau d'un bassin de collecte, la production afin d'assurer une qualité homogène de produits. En économie, bien que les questions d'environnement aient été longtemps oubliées, les concepts de proximité et coordination permettent d'analyser, comprendre et proposer des pistes de solution aux gestionnaires. Cependant, la " situation de gestion " qui résulte de la volonté de gérer les ressources naturelles au niveau local pose aussi la question des tensions et conflits et confère à la problématique de la proximité et des coordinations de nouvelles perspectives scientifiques : comme par exemple étudier la façon dont les problèmes d'environnement se construisent ; les acteurs en présence ; le rôle des experts et les relations avec les acteurs. Pour répondre à ces nouvelles questions et à ces nouveaux enjeux, la recherche doit aussi innover sur la façon de travailler au niveau des dispositifs et des relations entre les disciplines. Les auteurs donnent un bon exemple de travail interdisciplinaire. Lahaye s'interroge sur la " Gouvernance territoriale et le rôle de la proximité face à l'enjeu de développement durable ". Les résultats qu'elle présente sont originaux car ils concernent la gestion des fleuves. L'auteur montre que le développement durable territorial nécessite des dispositifs de régulation locaux qui doivent articuler, prendre en compte, mobiliser la proximité géographique et la proximité institutionnelle (organisée, organisationnelle) notamment. Les acteurs institutionnels doivent modifier leurs pratiques de communication - entre eux et avec les usagers -, d'élaboration des projets afin de développer une " gestion partenariale intégrée ". Les travaux que Triboulet et de Langlet ont une visée d'aide à la décision des décideurs locaux et régionaux. Les auteurs sont partis de l'hypothèse que, pour mieux et gérer l'" Insertion territoriale de l'agriculture dans les espaces ruraux ", il faut connaître l'évolution et les dynamiques des espaces ruraux. A cet effet ils ont créé une base de données géographiques dans la région de Midi-Pyrénées. La méthode qu'ils proposent se décline en 4 étapes : 1.- choix d'une unité spatiale élémentaire (commune) ; 2.- sélection et obtention des variables au niveau à partir des RGA, CORINE, RGP ; 3.- construction d'indicateurs qualitatifs et quantitatifs ; 4.- interprétation cartographique. Les résultats leur permettent d'élaborer des typologies qui sont (devraient) être utilisées comme des " objets intermédiaires ".

Au final, je recommande la lecture de cet ouvrage car il permet de voir les évolutions récentes des concepts et des méthodes de l'économie, de la géographie, de l'agronomie - on aurait aimé voir aussi la contribution de la sociologie ou l'anthropologie, et leur application à des situations de localisation et de proximité spatiale, ainsi qu'à des questions aussi diverses que la gestion des fleuves, la mise en place des CTE en Corse ou la gestion de la Dehesa en Espagne.
© Sciences de la Société n° 61 - fév. 2004