Notes
de lecture du numéro 61 -
février 2004
Philip L. FRADKIN, Stagecoach : Wells Fargo and the american west, New-York, Free Press, 2002, 250 p.
Claudia Bird SCHOONHOVEN, Elaine ROMANELLI,
eds, The entrepreneurship dynamic : origins of entrepreneurship
and the evolution of industries, Stanford, Stanford University
Press, 2001, 452 p.
Mihai COMAN, Pour une anthropologie
des médias, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble,
2003, 210 p.
Bruno LATOUR, La fabrique du
droit : une ethnographie du Conseil d'État, Paris,
La Découverte/ Syros, 2002, 316 p.
François MANCEBO, Questions
d'environnement pour l'aménagement et l'urbanisme,
Nantes, Éditions du Temps, 2003, 288 p.
Alain TORRE, ed., Le local à
l'épreuve de l'économie spatiale. Agriculture, environnement,
espaces ruraux, Paris, Études Recherches Systèmes
Agraires Développement, 2002, 216 p.
Philip L. FRADKIN, Stagecoach : Wells Fargo and the american west, New-York, Free Press, 2002, 250 p.
Recension par Hélène INTRATOR, MCF de Sciences de gestion, Université de Rouen (n° 61, fév. 2004)
Ce livre raconte l'épopée
de la Wells Fargo Company, d'abord entreprise de courrier (le
Pony express), puis de transports, et enfin banque et gestionnaires
financiers. L'histoire de l'établissement se confond avec
celle des États-Unis, et l'auteur (ancien journaliste),
traite le sujet sur le mode hollywoodien digne des plus traditionnels
westerns. La Wells Fargo est dès son origine, promise
au succès dans la mesure où l'un de ses fondateurs
(Henry Wells) est déjà un important actionnaire
de l'American Express Company. Plus tard, lorsque l'institution
se spécialisera définitivement dans les services
financiers et bancaires, ces liens s'avèreront précieux.
L'auteur découpe l'histoire en trois périodes :
les débuts (1852-1869) coïncident avec la colonisation
de la Californie et la ruée vers l'or. Le Pony Express
profite de la gabegie de la poste fédérale, pour
étendre ses activités à l'ensemble du territoire
américain et vers le transport des marchandises et des
gens (réseaux de diligences) (on relira avec plaisir le
volume du " Lucky Luke " correspondant, P. Morris ayant
trouvé les mêmes sources que P. Fradkin). La deuxième
période (1870-1906) est marquée par le progrès
technique (le télégraphe) et l'industrialisation
des États-Unis : le chemin de fer force la Wells Fargo
à. abandonner l'activité frêt et à
se focaliser sur les services financiers. La troisième
période (1907-2000) retrace la restructuration réussie
grâce aux liens historiques entre l'établissement
et le groupe Amex. La petite banque régionale se transforme,
au fil des réformes et des déréglementations
du système bancaire américain, en une " super-régionale
" de tout premier plan. Sa réputation et sa solidité
financière lui permettent d'absorber progressivement toutes
les petites banques de la région Ouest : la Northwestern
National Bank pour commencer, puis la Nevada Bank, la Hellman
Bank, et bien d'autres encore.
L'ouvrage est émaillé de photos et documents d'époque.
L'auteur cherche à montrer de quelle manière la
Wells Fargo a pu contribuer à l'Histoire des États-Unis.
La petite histoire rejoint la grande. A chaque grande étape
de la construction des États-Unis, l'auteur décrit
les actions de la Wells pour accompagner le mouvement : la ruée
vers l'or, le tremblement de terre de San Francisco (1809), l'immigration
chinoise, le chemin de fer... Le style est haletant et le lecteur
a davantage l'impression de lire un roman d'aventures qu'un ouvrage
historique. Pourtant, P. Fradkin s'est beaucoup documenté
: les archives de la Wells Fargo lui furent ouvertes sans restriction,
et l'auteur a su en profiter avec talent.
La troisième partie (l'évolution contemporaine du
groupe), reste à notre avis, un peu en-deçà
des deux autres. L'auteur omet de recadrer la stratégie
du groupe dans le contexte réglementaire et financier de
l'époque : déréglementation générale,
bulle spéculative immobilière qui débouchera
finalement au début des années 1980, sur une crise
structurelle des caisses d'épargne. Suite à ces
évènements, le Congrès devra abandonner une
bonne partie des barrières géographiques et sectorielles
entre les banques et les thrifts, érigées
dans les années 1930 (l'interstate). Cela permit
à de nombreuses banques (dont la Wells Fargo), d'acquérir
des S&L et d'étendre leur zone géographique
d'activité. Dans un second temps (à partir de 1992),
le Congrès assouplit l'interdiction faite jusqu'ici aux
banques, d'effectuer des opérations boursières et
de proposer des contrats d'assurance-vie. Là encore, certaines
banques en profitèrent. Tout cela est passé sous
silence par P. Fradkin, et c'est dommage.
On peut également regretter le ton un peu trop hagiographique
de l'ouvrage : les critiques restent superficielles, tout est
fait pour présenter l'institution sous un jour particulièrement
favorable : point de passé trouble, de scandale caché,
de détails croustillants sur une sombre affaire : la banque
est sans taches, transparente. On a du mal à le croire.
Mais cela ne retire rien aux qualité réelle de ce
petit livre, qu'on lit comme un roman d'aventure.
©
Sciences de la Société n° 61 - fév. 2004
Claudia Bird SCHOONHOVEN, Elaine ROMANELLI, eds, The entrepreneurship dynamic : origins of entrepreneurship and the evolution of industries, Stanford, Stanford University Press, 2001, 452 p.
Recension par Luc MARCO, Professeur de Sciences de gestion, Université Paris 13 (n° 61, fév. 2004)
Une douce révolution est en train
d'agiter le petit monde des gestionnaires universitaires : l'arrivée
d'une nouvelle fonction d'entreprise, l'entrepreneuriat. Au grand
dam des vieux mandarins encore arc-boutés sur les six fonctions
du Père Fayol, toute une nouvelle génération
pousse à la roue pour faire reconnaître cette septième
fonction. Bien sûr, la cartellisation du pouvoir en "
sixième section du Conseil national des universités
" ne favorise guère en France l'émergence de
la jeune garde : les anciens grognards veillent au grain, ce qui
explique en ce moment l'ambiance quelque peu tendue de certains
colloques dans l'Hexagone. Mais la roue tourne inexorablement
et le départ à la retraite de certains dinosaures
déverrouille peu à peu le blocage des carrières
et l'orthodoxie intellectuelle qui l'accompagne dans les quelques
vingt-deux IAE et la trentaine de facultés consacrées
à la gestion en compagnie de l'économie et parfois
du droit. Aussi la lutte est-elle vive pour savoir qui va exercer
le pouvoir au sein de l'Académie de l'entrepreneuriat,
société savante créée pour promouvoir
la nouvelle fonction.
Aux États-Unis la fonction est reconnue depuis déjà
longtemps. Une équipe dirigée par deux universitaires
fait le point dans un très bon ouvrage de synthèse.
Il émane de Stanford University, établissement situé
près de la fameuse Silicon Valley, ce qui explique l'intérêt
de cette équipe pour le phénomène entrepreneurial.
Il s'agit en fait de la publication des actes d'un colloque fondateur,
qui s'est déroulé au Balboa Bay Club de Newport
Beach en novembre 1998. Certains textes ont été
amendés et d'autres ajoutés après coup. L'ensemble
comprend 25 contributeurs pour 14 articles, y compris l'introduction
et la synthèse finale. La confrontation est vraiment pluridisciplinaire,
puisqu'on dénombre quatre sociologues et deux économistes
en plus des dix-neuf gestionnaires invités. Parmi ces derniers
on relève onze généralistes du management,
six spécialistes de la théorie des organisations
et deux responsables des programmes entrepreneuriaux des universités.
C'est dire si la liaison entre la pratique et la théorie
s'articule bien dans un milieu académique pleinement au
service des créateurs potentiels.
L'ouvrage est structuré en deux parties complémentaires.
La première s'intéresse à la dynamique de
l'entrepreneuriat. On y trouve une introduction consacrée
aux prémices du phénomène, signée
des deux codirectrices de l'ouvrage ; un article sur les modèles
d'organisation des nouvelles firmes, intitulé "
La compagnie qu'ils gardent ", par Diane Burton de la
MIT Sloan School of Management ; une synthèse sur les origines
locales des nouvelles entreprises, toujours signée par
les duettistes précédentes ; un papier très
stimulant sur le rôle des entrepreneurs immigrants dans
les nouvelles entreprises risquées, par Annalee Saxenian
(Bekerley) ; un gros article collectif sur la commercialisation
de la recherche universitaire et sa valorisation, par quatre chercheurs
de l'Université du Wisconsin à Madison (Miner, Eesley,
Devaugh et Rura-Polley) ; un papier assez technique sur les industries
du savoir et les idées d'entrepreneurs qui porte sur les
nouvelles dimensions des produits innovants, des services et des
organisations en découlant, par Eric Abrahamson et Gregory
Fairchild, respectivement de la Columbia Business School et de
l'Université de Virginie (Darden School) ; et enfin un
bilan sur le contexte social de l'innovation entrepreneuriale
qui fait le lien entre le cycle technologique habituellement étudié
par les économistes et la dynamique entrepreneuriale qui
occupe plus particulièrement nos gestionnaires, par Johann
Peter Murmann et Michael L. Tushman, coopération entre
Northwestern et Harvard !
La seconde partie est dévolue à l'entrepreneuriat
dans l'évolution des industries. Elle commence par un important
papier d'Aldrich et Baker (Universités de Caroline du Nord
et celle du Wisconsin) sur les rapports entre apprentissage et
légitimité. Celui-ci étudie les réponses
entrepreneuriales aux contraintes sur l'émergence des nouvelles
populations et leurs organisations ; plus spécifique l'article
suivant s'attaque à l'action entrepreneuriale dans la création
d'une niche dans la spécialité caféière
: il est signé par Violina Rindova et Charles Fonbrun (New
York University et Université du Maryland) ; le dixième
chapitre s'intéresse au pouvoir de la compétition
publique, c'est-à-dire à la promotion de la légitimité
cognitive au travers des conflits de certification, sous la plume
agréable de Hayagreeva Rao de Emory University ; le onzième
est co-signé par Anand Swaminathan et James B. Wade (UCLA
et Wisconsin) et porte sur la théorie du mouvement social
et l'évolution des nouvelles formes organisationnelles
; le douzième est collectif puisqu'il réunit trois
auteurs : Ari Ginsberg (New York University), Erik R. Larsen (City
University Business School of London) et Alessandro Lomi (Université
de Bologne, Italie) ; le thème en est l'entrepreneuriat
dans son contexte ou l'interaction stratégique et l'émergence
des économies régionales - tout un programme ! ;
le treizième est plus juridique car il se penche sur l'environnement
légal de l'entrepreneuriat, avec des observations sur la
légitimation du capital risque dans la Silicon Valley (par
Suchman, Steward et Westfall de l'Université du Wisconsin
; enfin le dernier chapitre récapitule les thèmes
émergents et la nouvelle vague de la recherche entrepreneuriale,
par les deux codirectrices de l'ouvrage. Une bibliographie générale
de 32 pages complète l'ensemble qui se termine par un index
un peu trop rachitique à notre goût.
L'ensemble est bien écrit, correctement édité
et très cohérent. Il permet de comprendre comment
le cercle vertueux de la Silicon Valley s'est enclenché
et comment il a perduré. La proximité d'une université
dynamique (Stanford), plus l'accueil de personnalités de
renom a permis d'attirer des compétences variées
et entreprenantes. L'essaimage de sociétés satellites
à partir des sociétés initiales a ensuite
concrétisé la réussite ultérieure,
l'effet de réputation permettant la réallocation
du capital découlant des entreprises entre-temps disparues.
L'ouvrage explique tout cela et bien plus. Son achat est fortement
conseillé aux chercheurs intéressés par le
domaine et qui veulent progresser ou avoir de nouvelles idées
de recherche.
L'entrepreneuriat s'imposera-t-il en France comme discipline à
part entière ? La réponse est affirmative avec cependant
un décalage par rapport aux États-Unis d'Amérique.
Car la force des mandarins - ou de ce qu'il en reste - est bien
de faire courber l'échine à leurs commensaux en
les faisant passer sous les fourches caudines de leur bon plaisir
académique. C'est en se dégageant de ces rets illusoires
que la nouvelle génération s'imposera en renvoyant
aux livres d'histoire les potentats d'antan. Reste pour certains
à imiter servilement les travaux américains, en
faisant croire qu'ils font oeuvre novatrice : la lecture de cet
ouvrage fondateur dessillera les yeux de bien des néophytes.
©
Sciences de la Société n° 61 - fév. 2004
Mihai COMAN, Pour une anthropologie des médias, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2003, 210 p.
Recension par Stefan BRATOSIN, MCF de Sciences de l'information et de la communication, LERASS, Université Paul Sabatier-Toulouse 3 (n° 61, fév. 2004)
L'ouvrage, organisé en deux parties,
rassemble d'une manière transversale à cette organisation,
deux plaidoiries : l'une de nature apologétique en faveur
de l'approche anthropologique comme méthode alternative
de collecte et de traitement de l'information selon la perspective
ouverte par Susan Allen et élargie avec les contributions
de Kelly Askew et Richard Wilk, Sara Dickey, Conrad Kottak etc.,
l'autre de nature revendicative pour la reconnaissance de l'anthropologie
des médias comme composante distincte du champ plus large
de l'anthropologie de la communication mis en évidence
par des travaux de Palo Alto, d'Edward Hall, de Dell Hymes, d'Erwin
Goffman etc., dont Yves Winkin principalement et Jean Lohisse
sont les promoteurs. Ces deux plaidoiries reposent, d'une part,
sur la mise en exergue des recherches qui concernent les médias
d'information et qui relèvent d'une manière plus
ou mois assumée d'approches anthropologiques et, d'autre
part, sur une tentative de cadrage théorique de la démarche
anthropologique dans l'étude des médias. Dans ce
cadre, pour l'auteur, l'anthropologie des médias, expresssion
émergeant en 1969 dans le cadre d'une réunion de
l'American Anthropological Association, est un syntagme qui désigne
un ensemble d'études cherchant à approcher ou/et
expliciter les médias à l'aide des concepts propres
à l'anthropologie des formes symboliques (mythe, religion
etc.) et des méthodes de l'ethnographie. Les deux niveaux
auxquels l'auteur identifie le transfert de ces acquis disciplinaires
spécifiques à l'anthropologie et à l'ethnographie
dans les recherches sur les médias sont celui des terrains
saisis comme micro-domaines dans la sphère de la communication
de masse et celui des contenus étudiés comme formes
de rituels, de mythes, de cérémonies, etc.
La première partie s'attache à dresser " l'état
de la question ". Il s'agit de projeter une image de la diversité
des recherches issues d'approches anthopologiques des médias.
Cette image est déployée autour de trois axes :
a) le relation entre les médias et le rituel, b) le rôle
de la pensée mythique dans le discours journalistique,
c) le rapport entretenu par les journalistes avec le phénomène
religieux. Les travaux cités par l'auteur afin d'illustrer
la relation entre les médias et l'univers rituel regroupent
des études qui analysent les médias dans le contexte
des grandes cérémonies publiques. Ces études
recouvrent essentiellement des recherches révélatrices
de deux préoccupations distinctes : la façon dont
la presse traite les rites de masse et le rôle d'agent de
ritualisation joué par la presse dans certaines situations.
La première orientation, visant la rhétorique des
médias, se propose d'observer les conséquences du
discours médiatique en rapport avec le fonctionnement de
l'espace public. La seconde, visant la production des comportements,
se focalise sur les rapports aux médias mis en évidence
par " la consommation ritualisée des médias
" ou/et par la dimension rituelle de l'activité
rédactionnelle.
Pour saisir le rôle de la pensée mythique dans le
discours journalistique, selon l'auteur, les travaux de recherche
font appel, d'une manière ou d'une autre, à une
des trois paradigmes suivants : " le modèle archétypal
", " le modèle fonctionnaliste "
et " le modèle cognitif ". Les travaux
relevant du modèle archétypal fondent leurs points
de départ sur l'hypothèse du texte journalistique
qui n'épuise pas ses significations, c'est-à-dire
sur l'hypothèse de l'article qui contient entre ses lignes
l'annonce de l'imminente irruption d'un autre récit. Dans
la perspective instrumentale ouverte par l'introduction du mythe
sur le territoire de l'idéologie, le modèle fonctionnaliste
regroupe les études recherchant à justifier la présence
du mythe dans le traitement médiatique de l'information
comme un besoin inextricable du discours journalis-tique. Le modèle
cognitif, " espace du bricolage symbolique ",
est associé aux recherches qui portent sur le binôme
discours médiatique/ discours mythique ou texte médiatique
/ construction mythique. Quant aux analyses du rapport entretenu
par les journalistes avec le phénomène religieux,
elles se caractérisent par des approches focalisées
sur l'étude de la diffusion sociale de la religion, par
le questionnement du fonctionnement médiatique comme réalité
religieuse et par la mise en exergue du recours journalistique
à des concepts du domaine de la religion afin d'expliciter
des situations qui ne participent pas de ce domaine.
Dans la deuxième partie, l'auteur met en évidence
quatre indices permettant de distinguer parmi les multiples approches
conceptuelles des médias (sociologiques, économiques,
psychologiques, historiques, politiques, linguistiques, sémiotiques,
littéraires etc.), les principales propositions théoriques
s'inscrivant dans une vision anthropologique : a) la rencontre
entre l'anthropologie en tant que discipline scientifique et les
médias entendus comme objet de recherche, b) le recours
pour l'explicitation des médias aux catégories conceptuelles
de mythe, de cérémonie et d'événement,
c) l'analyse du processus de médiatisation en termes de
ritualisation ou de mythification, d) la prise en compte de la
dimension symbolique des médias comme composante inextricable
de l'espace public. Il s'agit des perspectives théoriques
où les lieux de rencontre entre l'anthropologie et les
médias relèvent, d'une part, des terrains délimités
par des fonctionnements communautaires ou professionnels et, d'autre
part, des terrains bornés par la normativité culturelle.
Pour saisir les pratiques en rapport avec les médias dans
ces " terrains clos ", notamment pour saisir les pratiques
de production et de réception, la démarche de recherche
s'empare d'outils méthodologiques issus des méthodes
d'investigation ethnographique et d'un " regard transversal
" dont les deux vecteurs sont les manifestations et les concepts
propres à l'anthropologie culturelle. L'interprétation
des médias associée à une telle démarche
est assujettie dès lors au processus de reconnaissance
dans le champ de la médiatisation des fonctions et des
significations qui sont identiques aux manifestations étudiées
par l'anthropologie culturelle. Cette interprétation est
tributaire également de la capacité des concepts
et des théories spécifiques à l'anthropologie
culturelle à embrasser le phénomène médiatique.
La question posée s'inscrit, dans ces conditions, plutôt
dans une problématique de construction rituelle et mythique
du monde par les médias que dans une interrogation des
cérémonies dans les médias ou du rôle
des thèmes mythiques dans le fonctionnement de la presse.
Elle vise la médiatisation transmuée en ritualisation
et en mythification, c'est-à-dire en processus de constructions
identitaires culturelles permettant les rapports de reconnaissance
mutuelle et d'affrontement symbolique dans un espace public fragmenté,
mais généralisé.
Enfin, il faut noter, pour souligner davantage l'intérêt
de cet ouvrage, la bibliographie tout à fait remarquable
par son ampleur, mais aussi par son contenu révélateur
d'un important nombre des travaux anglophones participant de l'anthropologie
des médias peu connus dans l'espace de lecture francophone.
©
Sciences de la Société n° 61 - fév. 2004
Bruno LATOUR, La fabrique du droit : une ethnographie du Conseil d'État, Paris, La Découverte/ Syros, 2002, 316 p.
Recension par Bertrand FAURÉ, Doctorant en Sciences de l'information et de la communication, LERASS, Université Paul Sabatier-Toulouse 3 (n° 61, fév. 2004)
Un Latour au sommet de son art. La sociologie
de la traduction prouve, encore une fois, sa capacité à
bouleverser les lectures traditionnelles, à renouveler
les approches sur un sujet pourtant aride : la " fabrique
" du droit par le Conseil d'État. Pur produit made
in France, cet organe juridique est étudié non
pas du point de vue de la sociologie critique traditionnelle mais
du point de vue de l'ethnographe naïf, petite souris curieuse
infiltrée dans la foule anonyme des costumes/cravates,
qui vient traquer le " passage du droit ", ce
moment particulier où une jurisprudence, âgée
comme la République, peut-être ébranlée
par une requête anodine, une affaire de pigeons pas très
propres par exemple. " Si nous pouvions comprendre par
quelle alchimie on passe, au cours de la séance, de la
multitude des détails rappelés dans la note du rapporteur
(...) à la question de droit qui concentre enfin
l'attention, suscite l'intérêt et se présente
aux yeux de tous comme quelque chose de votable, c'est-à-dire
de décidable, nous aurions alors compris une grande partie
du travail du droit, de sa forme si particulière de véridiction
" (p. 113).
Les " histoires " que nous racontent Latour sont passionnantes.
Voici des gens très sérieux, réunis dans
un lieu solennel et autour de dossiers volumineux, pour parler
de " féroces et malfaisants " pigeons.
Comment est-ce possible ? Il aura suffi d'un élu local
pas très énergique, d'un citoyen un peu procédurier,
d'un tribunal de première instance peut-être maladroit,
et les charmants volatiles vont devenir prétextes à
de savantes discussions sur la faute lourde et légère
dont on aurait eu raison, ou non, de qualifier la négligence
du maire. Mais attention, ces ergotages n'ont rien de discussions
de comptoir. Non seulement ces messieurs (très peu de femmes
au Conseil d'État) ne sont pas au bistrot, mais en plus,
ils ont des documents à lire et à classer, des synthèses
à rédiger. Ils représentent chacun une logique
et, dans la façon dont ils l'incarnent, se joue une partie
de leur carrière. Et le lecteur suit le parcours implacable
de la requête initiale, de sa mise en forme en dossier juridiquement
recevable à la conclusion définitive du Conseil
d'État, en passant par les décisions des différents
tribunaux et par les duels verbaux des conseillers, riches d'implicites
partagés et de double sens, de remarques assassines et
de précisions magnifiques.
Au final, la " force justifiée " qu'est
le droit apparaît moins arbitraire que ce que semblent le
penser certains sociologues critiques (comme Bourdieu dans La
force du droit) : malgré l'extrême formatage
que subissent les plaintes, celles-ci font parfois " bouger
" la jurisprudence qui n'est donc pas qu'un organe de reproduction
des structures de domination. Par ailleurs, le regard de l'ethnographe
restitue avec saveur les doutes, les astuces, les pré-requis
de la tribu des conseillers... dont " l'habitus "
paraît alors singulièrement complexe. Bien évidemment,
Latour n'emploie jamais le terme d'habitus. Pour lui, les
structures cognitives sont inaccessibles à l'ethnographe
qui doit s'en tenir au contenu verbal des délibérations
des conseillers pour dégager ce qui fait sens, ce qu'il
appelle " la circulation des objets de valeur ".
Le lecteur suit alors pas à pas, à travers les reconstructions
analytiques des débats, le raisonnement juridique en acte,
les méandres formels dans lesquels il s'égare parfois,
mais aussi les brutaux rappels au bon sens d'un président
" réflexif ". L'hypothèse d'un droit arbitraire
tient alors difficilement : les principes démocratiques
et républicains travaillent en permanence les conseillers...ou
alors ce sont de très bons acteurs.
La méthode qui avait déjà porté ses
fruits avec La vie de laboratoire, et qui consiste à
" pister " les productions écrites des acteurs
(les articles, les dossiers), est aussi l'occasion d'une comparaison
originale entre les énonciations scientifiques et juridiques.
" Ce qui apparaît aux juges comme une faiblesse,
les savants le considèrent comme une grande force : oui,
ils peuvent trouver de l'exactitude en s'éloignant de plus
en plus de tout contact direct avec les gens. Ce que les scientifiques
tiennent pour un défaut du droit, les conseillers le prennent
au contraire pour un compliment : oui, ils s'en tiennent exactement
à ce qui ressort du dossier sans en rajouter, sans en retrancher.
Deux conceptions différentes de l'exactitude et du talent,
de la fidélité et du professionnalisme, du scrupule
et de l'objectivité. On dira que ces différences
sont peu de choses à côté de ce qui les rassemble
et qui consiste dans les deux cas, à réduire le
monde à du papier. " (p. 242) Un esprit malicieux
pourrait peut-être en dire autant des comptables, mais cela
est déjà une autre thèse.
Un livre à conseiller à tout étudiant en
droit public qui veut enfin comprendre comment, et non pas pourquoi,
se " fait " le droit.
©
Sciences de la Société n° 61 - fév. 2004
François MANCEBO, Questions d'environnement pour l'aménagement et l'urbanisme, Nantes, Éditions du Temps, 2003, 288 p.
Recension par Alain LEFEBVRE, Professeur émérite d'Aménagement et urbanisme, GRESOC, Université Toulouse-Le Mirail (n° 61, fév. 2004)
Le sous-titre de cet ouvrage, Cours de
Géographie, indique bien l'ambition d'un livre qui
a pour vocation première de contribuer à la formation
des futurs acteurs de l'aménagement et de l'urbanisme.
Le livre fournit des données physiques, biologiques, économiques,
sociales, réglementaires, mais aussi des expertises, des
analyses d'enjeux et de conflits, destinés à éclai-rer
l'action collective en matière d'environnement, tout particulièrement
pour les risques naturels et technologiques.
Le plan du livre est conforme à cet objectif didactique.
La première partie est consacrée aux représentations
de l'environnement, un accent particulier étant mis sur
certaines spécificités urbaines : le lecteur pourra
ainsi apprécier la vision éthologique des analyses
consacrées au marquage territorial, dans la lignée
des travaux de E. H. Hall. La deuxième partie est consacrée
aux politiques, stratégies et modes de gestion des questions
environnementales, l'auteur insistant plus particulièrement
sur les débats internationaux, sur les contraintes pesant
sur la planification territoriale et sur la question des risques.
A la suite de ces développements - presque toujours intéressants,
mais présentés un peu en désordre - la troisième
partie traite des outils pour l'action. Les trois exemples choisis
pour illustrer l'analyse sont tout à fait pertinents et
portent successivement sur la gestion de l'eau, sur la question
des déchets et sur les conflits sociaux autour des espaces
aéroportuaires périurbains, autant dire sur des
questions de société particulièrement vives.
La double formation universitaire - quelque peu originale (...)
- de François Mancebo (biologie et géographie-aménagement)
lui sert évidemment tout au long de son entreprise car
elle lui permet de valoriser "naturellement" les ressources
du systémisme sans avoir à justifier en permanence
cette manière de voir. Un intérêt majeur de
cet ouvrage réside d'ailleurs dans son style clair et roboratif,
sans que l'auteur éprouve le besoin d'utiliser les ressources
souvent pesantes de la représentation graphique chère
à certains systémiciens. Une langue agréable,
des exemples nombreux, voire quelques anecdotes croustillantes
parsèment l'ouvrage et devraient satisfaire, au-delà
du public plus ou moins captif des aménageurs, un public
cultivé soucieux d'en savoir plus sur le sujet que les
échos souvent spectaculaires, mais toujours parcellaires,
renvoyés par la sphère médiatique. Un lexique
final bien composé, une cartographie pertinente et des
encadrés appropriés agrémentent heureusement
un livre de bonne facture.
Sur le fond, l'auteur ne cache pas un certain scepticisme en faisant
référence à une maxime bien peu encourageante
: " en matière d'environnement, la politique a
démissionné, l'économie dicte sa loi, les
juristes décident ". De ce fait, la place réservée
aux aménageurs semble bien étroite. Rejetant toute
forme d'injonction brutale, l'auteur plaide pour la manière
douce et propose de donner aux aménageurs la mission de
concrétiser, dans l'organisation de l'espace, le dialogue
permanent entre les dimensions bio-physiques et les systèmes
culturels des habitants. On peut évidemment se demander
si ce réalisme opératoire est à la hauteur
des enjeux environnementaux. Mais rien n'empêche le lecteur,
sur la base des informations solides et des analyses pertinentes
présentes dans l'ouvrage de François Mancebo, de
s'atteler à des solutions plus vigoureuses.
©
Sciences de la Société n° 61 - fév. 2004
Alain TORRE, ed., Le local à l'épreuve de l'économie spatiale. Agriculture, environnement, espaces ruraux, Paris, Études Recherches Systèmes Agraires Développement, 2002, 216 p.
Recension par Eduardo CHIA, Chercheur UMR Innovation, CIRAD-Tera/ INRA Montpellier (n° 61, fév. 2004)
La première particularité
de cet ouvrage est d'avoir réuni, autour des phénomènes
de localisation et des effets de la localisation sur l'organisation
sociale et productive au niveau local (fait local), quatorze chercheurs
d'horizons différents (universités et organismes
de recherche) et pas seulement des économistes comme pourrait
le laisser penser le titre. La deuxième est de combiner
les contributions théoriques et les études des cas
(ou la théorie à l'épreuve des faits).
L'ouvrage est structuré en quatre parties. La première
, " Des développements théoriques des dynamiques
spatiales ", est consacrée à faire le point
sur les approches économiques (concepts et problématique)
du " fait local ". Rallet propose de parcourir la production
des économistes, en particulier, spatiaux, à travers
" l'économie de la proximité " et Courlet
à partir de l'évolution des recherches sur les Systèmes
Productifs Localisés (SPL). Ils essaient de donner de l'épaisseur
historique et scientifique aux concepts de distance, qui a fondé
les sciences régionales ou l'économie spatiale,
et l'organisation spatiale (district). Selon Rallet, qui se fait
le porte parole du groupe " Dynamiques de proximité
", les recherches sur la proximité se font suivant
deux axes : le premier consiste à considérer la
proximité comme une caractéristique intrinsèque
du territoire et l'autre prend la proximité comme une dimension
possible de la coordination entre les acteurs. C'est surtout dans
ce deuxième axe que se situent les contributions. Compte
tenu du caractère multi-dimensionnel et polysémique
de la notion de proximité, l'auteur propose deux types
de proximité : une géographique et l'autre organisée
(ou relationnelle) qui résulte du lien social. Elle permet
de dépasser et compléter la proximité géographique
pour rendre compte des capacités des acteurs locaux à
faire face à des perturbations mais aussi à avoir
une démarche pro-active et surtout à comprendre
la stratégie relationnelle des acteurs. Si globalement
nous sommes d'accord avec Rallet sur le fait qu'il faut dépasser
la proximité géographique, l'argumentation n'est
pas très convaincante. En quoi et comment est-elle organisée
? Elle peut être temporaire. Nous pensons qu'il existe trois
types, au moins, de proximité : géographique, organisée
et organisationnelle. L'organisationnelle est la proximité
que se génère à l'intérieur d'une
entreprise, d'une institution, d'une organisation (AOC, projet
de développement local par exemple également).
Dans la deuxième partie nous retrouvons trois contributions
ou illustrations dans le domaine des " Stratégies
territoriales des firmes des IAA ". L'article de Saives et
Lambert concerne les comportements spatiaux (c'est-à-dire
de localisation) des entreprises industrielles du Pays de Loire.
Les auteurs, à partir de 92 enquêtes auprès
des IAA, montrent que si, par le passé, les entreprises
choisissaient leur localisation en fonction, principalement, du
coût de transport (accès au marché en minimisant
les coûts de transport), l'évolution de l'infrastructure
ainsi que des moyens de transports (réduction des coûts
et du temps) font que les coûts ne sont pas le seul critère
de localisation des entreprises. Elles peuvent choisir leur localisation
pour bénéficier du capital culturel présent
dans la localité ou des possibilités d'établir
des alliances ou des coopérations (proximité organisée
et organisationnelle). Les auteurs proposent, en s'appuyant sur
les contributions des sciences de gestion sur la stratégie
des entreprises, une typologie en fonction de la transportabilité
(forte et faible) et la disponibilité (forte et faible)
d'intrants pour expliquer la diversité de comportement
en matière de stratégie territorialisée d'approvisionnement.
et territorialisation. Ils dégagent 4 types : opportunité
(achats spéculatifs et quasi rente organisationnelle) ;
constance (quasi rente de monopole et relations bilatérales
contractuelles) ; confiance (réseaux locaux d'échange
et quasi-rente ricardienne territoriale) et assurance (prise de
participation, intégration localisée).
Angeon s'interroge sur les stratégies territoriales face
à l'émergence des nouvelles règles du commerce
international à partir d'une enquête réalisée
auprès de 175 producteurs de bananes des îles Sainte
Lucie et Martinique. Elle montre qu'en fonction du contexte national
et de la proximité organisationnelle, la réponse
va être différente. Dans le cas des producteurs de
bananes de Sainte Lucie les nouvelles règles du commerce
international ont comme effet une défection du marché
; compte tenu des coûts de production plus élevés,
de l'absence d'un projet collectif (proximité organisationnelle)
et d'une politique publique de soutien. Au contraire, les producteurs
de bananes de la Martinique, bien qu'ayant des coûts de
production élevés, continueront à produire,
grâce à une forte proximité organisationnelle
et organisée (résistance) ainsi qu'au soutien des
pouvoirs publics. L'auteur montre que ces choix sont influencés
par les subventions, l'existence des mécanismes de garanties,
du niveau d'endettement, de la reprise d'une exploitation familiale,
de l'exercice d'une autre activité et de l'âge et
niveau d'instruction. Filippi, montre, en mobilisant l'économie
de l'innovation et de la connaissance, que les coopératives
(de la Région Midi Pyrénées) sont prises
entre un ancrage territorial et une intégration économique.
Elles doivent investir dans les relations avec les producteurs
en valorisant leurs savoir-faire et, en aval, avec d'autres partenaires
de la filière afin de mieux valoriser les produits. Elles
gèrent des réseaux à la fois internes et
externes. Il souligne que les changements et les innovations qui
se produisent dans les sociétés coopératives
sont facilités par la capacité de ces sociétés
à produire de la proximité organisationnelle - gestion
du réseau interne - et de la proximité organisée
ou relationnelle avec les autres acteurs de la filière.
La troisième partie est consacrée aux exploitations
agricoles et à la gestion de l'espace. Aviles, Paoli, Bonin
et Lardon proposent d'illustrer ce thème à partir
des recherches qu'ils ont réalisé en Espagne, en
Corse et en Ardèche. Aviles se donne pour objectif de tester
la capacité analytique de la notion de proximité
pour comprendre l'évolution du système de Dehesa
(système agro-sylvo-pastoral) de la région de Séville.
Elle propose de différencier deux types d'espaces et de
proximité. L'espace organisationnel est celui au sein duquel
les exploitations évoluent et où s'établissent
des proximités économiques et productives. L'espace
géographique est celui qui facilite le " face à
face " entre les exploitations et qui permet d'échanger
des savoirs peu formalisés, etc. Elle s'interroge surtout
sur le rôle de la proximité dans la gestion durable
des exploitations. Ces résultats montrent que le modèle
de gestion durable que les exploitations de la Dehesa ont mis
en place est très fortement corrélé avec
le niveau d'ancrage territorial des exploitations. La proximité
permet aux exploitants d'échanger des informations, de
faire jouer la solidarité, etc. Paoli, montre, à
travers l'exemple Corse et à propos de la mise en place
des Contrats Territoriaux d'Exploitation, que l'existence des
proximités géographique et organisationnelle fortes
n'est pas une garantie totale d'absence de conflits car les CTE
posent la question de la répartition de nouvelles aides
et le contrôle de certains espaces. Le T de territoire fait
intervenir des acteurs nouveaux qui, jusqu'ici, avaient été
peu pris en compte dans les politiques publiques. Ainsi, la proximité
géographique joue négativement dans la mise en place
de dispositifs locaux de gestion des territoires et l'on doit,
de façon à limiter les conflits et à garantir
une meilleure gestion, choisir des niveaux plus englobants comme
le département ou la région. Du coup, on "
dé-territorialise " des mesures. Afin de faire participer
les acteurs locaux à la gestion de l'espace, l'auteur propose,
à partir d'une recherche-action, de fabriquer de la proximité
organisationnelle là où, jusqu'ici, il n'y avait
seulement que de la proximité géographique qui joue
à l'encontre de l'émergence des dispositifs locaux.
La question des modes de coordination reste toutefois posée.
Bonin et Lardon proposent de modéliser la trajectoire d'utilisation
de l'espace par les agriculteurs en utilisant la modélisation
graphique. Pour moi ces types des résultats doivent être
considérés et utilisés comme des " objets
intermédiaires " au sens des sociologues. C'est-à-dire
des objets qui facilitent l'échange et la communication
entre les acteurs afin d'élaborer des projets en commun
et ainsi fabriquer de la proximité organisationnelle.
La dernière partie est consacré aux relations "
Agriculture et environnement " avec les contribution
de Papy et Torre, Lahaye, puis de Triboulet et de Langlet. Papy
et Torre se posent la question " Quelles organisations
- mais aussi dispositifs - territoriales pour concilier production
agricole et gestion des ressources naturelles ? ". Ils
nous proposent d'abord de faire le point sur les méthodes
et les concepts dont l'agronomie et l'économie disposent
pour traiter cette question. Ainsi, par exemple, les systèmes
de culture, qui sont au départ un concept permettant aux
agronomes de rendre compte des façons dont au sein d'une
exploitation agricole sont décidés les productions
et les itinéraires techniques, sont utilisés par
des entreprises agro-alimentaires pour " planifier ",
au niveau d'un bassin de collecte, la production afin d'assurer
une qualité homogène de produits. En économie,
bien que les questions d'environnement aient été
longtemps oubliées, les concepts de proximité et
coordination permettent d'analyser, comprendre et proposer des
pistes de solution aux gestionnaires. Cependant, la " situation
de gestion " qui résulte de la volonté de gérer
les ressources naturelles au niveau local pose aussi la question
des tensions et conflits et confère à la problématique
de la proximité et des coordinations de nouvelles perspectives
scientifiques : comme par exemple étudier la façon
dont les problèmes d'environnement se construisent ; les
acteurs en présence ; le rôle des experts et les
relations avec les acteurs. Pour répondre à ces
nouvelles questions et à ces nouveaux enjeux, la recherche
doit aussi innover sur la façon de travailler au niveau
des dispositifs et des relations entre les disciplines. Les auteurs
donnent un bon exemple de travail interdisciplinaire. Lahaye s'interroge
sur la " Gouvernance territoriale et le rôle de
la proximité face à l'enjeu de développement
durable ". Les résultats qu'elle présente
sont originaux car ils concernent la gestion des fleuves. L'auteur
montre que le développement durable territorial nécessite
des dispositifs de régulation locaux qui doivent articuler,
prendre en compte, mobiliser la proximité géographique
et la proximité institutionnelle (organisée, organisationnelle)
notamment. Les acteurs institutionnels doivent modifier leurs
pratiques de communication - entre eux et avec les usagers -,
d'élaboration des projets afin de développer une
" gestion partenariale intégrée ". Les
travaux que Triboulet et de Langlet ont une visée d'aide
à la décision des décideurs locaux et régionaux.
Les auteurs sont partis de l'hypothèse que, pour mieux
et gérer l'" Insertion territoriale de l'agriculture
dans les espaces ruraux ", il faut connaître l'évolution
et les dynamiques des espaces ruraux. A cet effet ils ont créé
une base de données géographiques dans la région
de Midi-Pyrénées. La méthode qu'ils proposent
se décline en 4 étapes : 1.- choix d'une unité
spatiale élémentaire (commune) ; 2.- sélection
et obtention des variables au niveau à partir des RGA,
CORINE, RGP ; 3.- construction d'indicateurs qualitatifs et quantitatifs
; 4.- interprétation cartographique. Les résultats
leur permettent d'élaborer des typologies qui sont (devraient)
être utilisées comme des " objets intermédiaires
".
Au final, je recommande la lecture de cet ouvrage car il permet
de voir les évolutions récentes des concepts et
des méthodes de l'économie, de la géographie,
de l'agronomie - on aurait aimé voir aussi la contribution
de la sociologie ou l'anthropologie, et leur application à
des situations de localisation et de proximité spatiale,
ainsi qu'à des questions aussi diverses que la gestion
des fleuves, la mise en place des CTE en Corse ou la gestion de
la Dehesa en Espagne.
©
Sciences de la Société n° 61 - fév. 2004