Notes de lecture du numéro 63 - octobre 2004

Michel GROSSETTI, Philippe LOSEGO, eds., La territorialisation de l'enseignement supérieur et de la recherche, France, Espagne et Portugal, L'Harmattan, 2003, 339 p.
Mission historique de la Banque de France, Politiques et pratiques des banques d'émissions en Europe (XVIIe et XXe siècle), Paris, Albin Michel, 2003, 830 p.
François HEINDERYCKX, La malinformation. Plaidoyer pour une refondation de l'information, Bruxelles, Labor, 2003, 95 p.
Michel MATHIEN, Économie générale des médias, Ellipses, 2003, 240 p.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
SOCIOLOGIE

Michel GROSSETTI, Philippe LOSEGO, eds., La territorialisation de l'enseignement supérieur et de la recherche, France, Espagne et Portugal, L'Harmattan, 2003, 339 p.

Recension par Marie-Pierre Bès, CERS-CIRUS, Université Toulouse-Le Mirail et IUT-Université Paul Sabatier (Auch) (n° 63, oct. 2004)

Quand des sociologues s'attaquent à un problème « géographique »... Cet ouvrage est la synthèse d'une étude financée dans le cadre d'un programme européen « Interregiic-Sud-Ouest Européen» qui a rassemblé 10 chercheurs et notamment des spécialistes des questions traitées (bibliométrie par exemple pour Béatrice Milard) ou des territoires choisis (Espagne, Portugal). A première vue, le livre peut donner l'apparence d'un état des lieux destiné aux seuls acteurs de ces territoires « universitaires », fussent-ils des acteurs politiques, des décideurs institutionnels ou économiques, des universitaires, des enseignants ou des étudiants. En réalité, lors d'une lecture attentive, on est frappé par la finesse des analyses, qui ne tombent ni dans le déterminisme des frontières physiques et politiques ni dans les allants de soi sur la proximité physique facilitant la coordination « naturelle» des activités. Au contraire, les auteurs se laissent toujours la possibilité de choisir le territoire « pertinent » de l'enseignement supérieur et de la recherche (site, district, antenne) pour analyser sa dynamique. Par exemple, ils mettent en évidence les rapports complexes entre les villes (aspect historique fort, concentration urbaine, zone de chalandise) et les universités (image politique, concurrence avec autres universités). Pour chaque objet d'étude (les universités anciennes, les nouveaux sites, les publications des scientifiques, les laboratoires de recherche), les chercheurs ont conduit des investigations spécifiques sous la forme de monographies, entretiens, collecte d'information et consultation de bases de données. Ainsi, le livre est fouillé sur le plan des données statistiques et souvent illustré de chiffres, tableaux et graphiques se rapportant aux activités publiques d'enseignement supérieur et de recherche dans le Grand Sud-Ouest Européen (Espagne, Portugal et 6 régions françaises du Sud-Ouest). Parfois la disparité des données s'accompagne cependant d'une imprécision sur les sources.

Le livre est composé de trois parties, rédigées sans introduction ni conclusion, comportant respectivement 3, 2 puis 4 chapitres. Par contre, une introduction et une conclusion générale conséquentes encadrent l'ensemble des chapitres.
La première partie est composée de parties indépendantes centrées sur l'histoire universitaire et politique propre à chacun des trois pays. Elle illustre ce que les auteurs appellent « la temporalité spécifique des établissements scientifiques et l'irréversibilité des décisions » : des vagues successives entrecoupées de périodes de latence et aucune décision de fermeture depuis 1896. Elle est rédigée sur la base d'une connaissance précise de ces pays et de leurs systèmes universitaires.

La deuxième partie, qui a clairement vocation à établir des comparaisons entre les cartes scientifiques françaises, espagnoles et françaises à partir des seuls outils bibliométriques, confirme les monographies précédentes : le développement de la production scientifique dans les trois pays est le résultat d'une part de la structure de la carte scientifique construite sur le long terme et d'autre part, de logiques politiques bien spécifiques. De la sorte, la carte de la production scientifique française se présente en couronnes organisées autour de la région parisienne, la carte espagnole comme un système bipolaire centré autour de Madrid et de Barcelone et celle du Portugal est centrée sur Lisbonne et sur la côte atlantique. On peut regretter que ces deux premières parties, les seules qui comparent les systèmes d'enseignement supérieur et de recherche des trois pays, ne bénéficient d'une synthèse finale, pas avant la conclusion située quelques 128 pages après !

La troisième partie qui s'intitule « sociologie des nouveaux sites universitaires en France », débute par le chapitre le plus intéressant de l'ouvrage consacré aux rapports Université et Territoire. Là, les auteurs cherchent à mettre en évidence, à partir de faits stylisés, des styles de développement de l'enseignement supérieur selon la nature de l'armature urbaine (concurrentielle, métropolistique ou métropolitisque diffuse) et ils obtiennent la « règle d'or » suivante : les armatures urbaines concurrentielles conditionnent le style concurrentiel propre aux enseignements de masse délocalisés mais ce style est fortement tempéré lorsque le pôle universitaire est récent. Au contraire, les armatures urbaines métropolistiques favoriseraient le style aménagé, caractéristique des départements d'IUT. Ainsi, ce chapitre tente de dépasser les explications en termes quantitatifs afin d'expliquer les ressorts de la réussite de certains sites universitaires, au départ peu dotés de moyens et d'étudiants. Bien sûr ce chapitre n'a pas vocation à être un manuel de conseil en aménagement du territoire mais il peut utilement servir à identifier les atouts de n'importe quel site universitaire. Pour beaucoup d'entre eux, P. Losego & A. Augé montrent que l'enjeu de développement se situe aussi dans l'enracinement des jeunes enseignants-chercheurs dans les territoires de ces sites. Cette idée nous parait plus intéressante que celle du partage « social» des tâches péri-pédagogiques entre « turbos» et « permanents» qui reflète surtout la misère de l'Université en termes d'agents administratifs.

Quelle est donc la « place à prendre» pour les laboratoires de recherche implantés dans des antennes (chapitre 8) ? Pour répondre à cette question, les auteurs reprennent les deux conceptions de l'espace du géographe M. Castells et l'appliquent au dilemme des systèmes scientifiques locaux : se connecter à un « espace de flux» scientifiques internationaux ou se situer dans un espace « scientifique des lieux», tel un réseau local. Malgré ces opportunités, les auteurs reconnaissent avoir rencontré « peu de réussites exceptionnelles en matière de recherche dans les sites étudiés» (p. 286) et soulignent avec justesse que le sentiment d'isolement des enseignants et chercheurs de ces sites aggrave leurs difficultés tangibles. Le dernier chapitre se présente comme un exercice de prospective sur le devenir des nouveaux établissements. Malencontreusement, il commence par la périodisation de la création des universités françaises effectuée à l'aide de la notion de système d'action publique, qui apparaît comme une énième grille d'analyse jusque-là non exploitée. Ensuite, un graphique synthétique et pédagogique présente les cinq ressources/contraintes d'un site émergent (p. 299) qui comportent toutes une dimension géographique, axée sur la distance par rapport à un site ou bassin concurrent : un marché du travail local existant ? une université mère proche ou éloignée ? des systèmes urbains adjacents ? un réservoir local d'étudiants ? un mode d'avancement de carrière des enseignants chercheurs qui les tire ou non vers la recherche des grandes villes ? Et au final, c'est l'existence d'une population d'enseignants dans les sites universitaires qui est mise en exergue comme une condition sine qua non de développement. En fin de chapitre, M. Grossetti et D. Filatre élaborent quatre scénarios d'évolution de la carte scientifique (tendanciel, technologique, universitaire et de croissance générale) en s'appuyant sur les incidences de deux nouvelles variables (la démographie estudiantine, la politique universitaire des pouvoirs publics) dont on comprend mal l'articulation avec les cinq facteurs précédents. En fait qu'est ce qui compte pour le décollage d'un site délocalisé ? des enseignants investis dans le site ? un bassin large de recrutement d'étudiants ? une distance « raisonnable » avec la capitale ? un tissu « industriel » vivace ? tout cela un peu sans doute...

La conclusion se présente comme une synthèse ou un résumé fort à propos de l'ensemble des points abordés et qui peut être lue de manière isolée. Elle souligne, les convergences dans les systèmes étudiés : le recouvrement progressif des cartes universitaire et scientifique, le redéploiement des antennes universitaires vers les petites villes, la préférence pour les enseignements technologiques mais aussi l'inertie des hiérarchies scientifiques entre les villes. L'ouvrage se termine par la question primordiale du niveau de régulation pertinent de l'enseignement supérieur, au fond une question éminemment géographique.

Au final, force est de constater que la sociologie apporte beaucoup à la compréhension de la réalité des universités et de leurs rapports aux territoires par son approche plurielle des phénomènes : on parcourt dans cet ouvrage, à la fois l'histoire des très anciennes universités, mais aussi la carte des publications des régions, en passant par les stratégies d'aménagement du territoire des Universités, jusqu'au travail des personnels enseignants dans les petites antennes universitaires. Ce sont bien ces incessants changements d'échelle, d'outils et de références qui donnent cette impression de sérieux et d'approfondissement lorsqu'on lit cet ouvrage. Mais point trop n'en faut quand même ! fallait-il vraiment re-mobiliser Marx pour décrire l'exploitation des gentils profs « résidents » par les méchants enseignants « turbos » ? Ne fallait-il pas plutôt se concentrer sur l'incomplétude des délocalisations universitaires en ce qui concerne les services « péri-universitaires» telle que la restauration, le logement, la santé, les activités sportives et culturelles, etc. Ce sont des facteurs déterminants pour le futur des sites universitaires dont l'absence « repousse» à la fois les enseignants et les étudiants.
© Sciences de la Société n° 63 - oct. 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
ÉCONOMIE BANCAIRE

Mission historique de la Banque de France, Politiques et pratiques des banques d'émissions en Europe (XVIIe et XXe siècle), Paris, Albin Michel, 2003, 830 p.

Recension par Hélène INTRATOR, MCF de Sciences de gestion, Université de Rouen (n° 63, oct. 2004)

Cet ouvrage repose sur les actes d'un colloque international tenu en 2000 à l'occasion du bicentenaire de la Banque de France. Une trentaine d'intervenants français et européens (dont l'actuel gouverneur de la Banque Centrale Européenne, J.P. Trichet), ont collaboré à la rédaction du livre, sous la houlette d'Olivier Feiertag, de Paris x-Nanterre et Michel Margairaz de Paris VIII-Saint-Denis. Il s'agissait de comparer l'émergence des banques centrales en Europe et leurs comportements respectifs dans le développement économique et les bouleversements politiques au cours des siècles.

Les banques d'émission sont nées en Europe. Elles ont vu leurs fonctions évoluer au gré de la conjoncture politique (paix, guerre) et de l'évolution des systèmes économiques et financiers. De véritables « cultures monétaires nationales » s'élaborent. La coopération européenne (sinon internationale) n'intervient que tardivement, au xxe siècle, et encore connaît-elle de nombreux soubresauts. Replacer la mise en place de l'euro dans un contexte historique est une question d'importance : « si l'unification monétaire est seulement le résultat d'un processus historique court, produit des décisions [administratives et politiques], alors l'événement [...] reste de portée moyenne, produit d'une certaine conjonction et qu'une conjonction différente pourrait sans peine défaire. » (Trichet, 18). Mais si l'euro est l'aboutissement d'une évolution historique longue, la conclusion s'avère diamétralement différente. Inutile de préciser que Trichet penche résolument pour cette dernière hypothèse.

L'ouvrage distingue six thèmes d'études articulés autour de l'émergence de l'identité européenne des banques d'émission. Le premier chapitre est consacré à « La genèse des banques d'émission en Europe ». Quatre instituts d'émission sont comparés : la Banque de France bien sûr ; la Banque d'Italie, la banque de Suède, dont les non-initiés apprennent d'une part qu'elle est la plus ancienne Banque centrale (créée en 1668 contre 1694, naissance de la Banque d'Angleterre), et d'autre part, qu'elle se trouve à l'origine du papier-monnaie. Le référent reste la Banque d'Angleterre, qu'on tente de copier partout mais qui n'est imitée nulle part, en raison de données essentiellement nationales et culturelles, même si les fonctions initiales sont identiques : émettre la monnaie fiduciaire et veiller à sa bonne santé. Chaque Banque naît de particularismes nationaux, économiques et politiques : En France, il s'agit tout à la fois, d'assainir le système monétaire français qui sort tout juste du traumatisme des désordres révolutionnaires et des assignats, et d'asseoir l'autorité politique de Napoléon, rare chef d'Etat français (avec Napoléon iii) à développer très tôt une réflexion poussée sur la manière dont il souhaite organiser le système économique et financier français. « La constitution de la banque de France est à vrai dire une création continue de la part de Bonaparte qui intervient pendant huit ans[de 1800 à 1808] à chacune des étapes de sa constitution » (Plessis, p34). Dès le départ, le « modèle » français prend le contre-pied de la Banque d'Angleterre : la Banque de France est étroitement surveillée par le politique, le monopole d'émission du papier-monnaie très vite accordé sur l'ensemble du territoire national.

La Banque d'Angleterre voit le jour de manière très différente, « spontanément » pourrait-on écrire, et cette histoire est relatée dans de nombreux ouvrages, dont le présent volume tente la synthèse. Guillaume d'Orange ayant besoin d'argent dans la lutte qui l'oppose à Louis XIV, accorde à W. Patterson, en plus des activités d'une banque privée traditionnelle, le droit d'émettre des billets contre l'obtention d'un crédit de 1 200 000 livres (or). Progressivement, ces billets de banque se substitueront à toutes autres formes de papier-monnaie circulant au Royaume-Uni.

L'antagonisme viscéral entre les deux nations allait favoriser la confrontation permanente entre les deux « modèle » de Banque centrale, l'une fortement centralisée et contrôlée, l'autre pragmatique et relativement indépendante du pouvoir politique (texte de Gilles Jacoud).

La nation suédoise naît au cours du XVIIe siècle, son développement économique s'appuyant sur une industrie métallurgique exportatrice. La croissance de ce secteur et les besoins de financement qu'elle entraîne nécessite très tôt la circulation du papier-monnaie (en remplacement du cuivre, peu pratique) et la création d'une Banque Centrale afin d'organiser le système bancaire. L'article de Rita Bredefeldt décrit cette histoire au cours de laquelle on montre un financier, du nom de Johan Palmstruch, fondateur de la Stockholm Banco, qui a l'idée d'introduire des lettres de crédit (technique cambiaire que l'on doit aux banquiers italiens du Moyen-Age), dans le but explicite de remplacer les monnaies en cuivre. Par la suite, la banque privée de Palmstruch allait disparaître, remplacée par la Banque des Etats, publique, première Banque Centrale historique.

Le chapitre 2 décrit le rôle des banques d'émission au cours de la Révolution Industrielle jusqu'en 1914 : émergence des systèmes bancaires et organisation du crédit. Les différents intervenants comparent la gestion du crédit et le dynamisme des marchés monétaires entre des pays ayant commencé leur Révolution Industrielle (la France), la débutant (l'Allemagne), et en retard économiquement (la Grèce). Le rôle de l'Etat s'avère primordial dans cette période charnière, afin d'accompagner et d'orienter l'évolution des sociétés industrielles qui émergent.

Les chapitres 3 et 4 s'interrogent sur les relations monétaires internationales du xixe au xxe siècle. L'entre-deux-guerres est une période très perturbée, tant du point de vue économique que monétaire : des périodes de croissance inflationniste alternent avec des dépressions déflationnistes. La coopération monétaire tente de pacifier les relations. La naissance de la Banque des Règlements Internationaux (bri) en 1930 en est un des acteurs, même si effectivement, « le double aspect de la bri, instrument nouveau d'une collaboration institutionnelle des banques centrales et banque de réparations, en fait un révélateur de la politique allemande de la France » (Lacroix-Riz, 387). Ces deux chapitres constituent véritablement le cur de l'ouvrage. Au fil des pages et des thèmes abordés, l'identité européenne se construit : l'Union latine (1865 à 1926) marque une première tentative de coopération monétaire entre la France, l'Italie, la Belgique et la Suisse, en vue « d'une acceptation mutuelle des pièces d'or et en argent frappées pare les différents Etats de l'Union selon des règles communes, mais avec des images et dénominations qui restaient entièrement nationales » (Einaudi, 300).

Les Etats européens cherchent (pour certains désespérément, comme la Grande-Bretagne) à revenir à la parité or des monnaies. Les équilibres anciens sont rompus. La crise de 1929 commencée aux Etats-Unis et en Allemagne se propage rapidement à l'Europe entière. Les banques centrales naviguent à vue et se voient désormais chargées de la gestion des réserves de change et du taux de change. Cette période constitue le creuset de la coopération monétaire européenne. L'existence des marchés monétaires renforce les mouvements spéculatifs et exacerbe les tensions entre es Etats européens « Cette solidarité des marchés de l'argent en Europe a débouché, au cours du xixe siècle, sur des conflits entre les banques d'émission, qui, surtout en temps de crise ou de tension, se disputent âprement l'or, devenu la monnaie internationale par excellence » (Asselain, Plessis, 276. C'est le cas entre la France et la Grande-Bretagne (R. Boyce), ou entre la France et l'Allemagne (Bonin, Lindenlaub).

Après la Seconde guerre mondiale, l'Europe entre dans une longue période de prospérité : les trente Glorieuses. Le chapitre 5 souligne le rôle des banques centrales dans la croissance économiques après 1945 dans plusieurs pays (la RFA, l'Espagne et la Grande-Bretagne) Il faut reconstruire et moderniser les systèmes économiques et financiers. La fonction de Prêteur de Dernier Ressort (PDR) se développe. Ce chapitre expose (de manière assez fastidieuse, il faut l'avouer), les politiques d'escompte des différentes banques centrales européennes.

Du point de vue monétaire, la mise en place de l'étalon de change-or place le dollar en position centrale. Les difficultés économiques des États-Unis commence dans les années 1960 pour atteindre leurs paroxysmes dans les années 1970, avec le cumul des déficits jumeaux (public et commerce extérieur). Face à cette dérive, l'Europe s'organise : ce sera d'abord le « serpent monétaire » en 1973, assez vite remplacé par le SME. Le chapitre 6 décrit cette intégration des banques centrales au système monétaire européen (SME). Curieusement, les intervenants successifs n'évoquent pas la constitution d'une « zone mark » qui marque le début d'une nouvelle ère dans la coopération monétaire, certes, inégalitaire (avec un leader et des suiveurs), mais concrète.Les articles de E. Bussière et de G. Bossuat montrent bien la difficulté de mise en place d'une coopération monétaire en France. Ce pays perd sa puissance coloniale et de sa suprématie économique et diplomatique sur la scène internationale. Cette situation est relativement mal vécue par les classes dirigeantes qui tentent de s'affranchir de la « contrainte extérieure », fut-elle européenne. Les échecs successifs des politiques de relance et de sorties du SME (1968, 1973) finissent par avoir raison de cette stratégie.

Une mention pour le passionnant article de P. Cotrell sur la politique de la Banque d'Angleterre pour la période 1958-1967. L'affaiblissement du rôle mondial de la Livre sterling et l'accumulation des balances-sterling, pendant la guerre, font peser sur la politique monétaire britannique de lourdes contraintes : afin de maintenir la City dans sa position dominante sur les marchés financiers, le gouvernement britannique sacrifiera, sans état d'âme ses objectifs internes (croissance, emploi) à ses déterminants extérieurs (taux d'intérêt, taux de change) : afin que ces balances sterling privées soient maintenues en l'état (i.e. ne soient pas transformées en dollar ce qui provoquerait un effondrement total de la Livre), les autorités monétaires doivent maintenir un niveau élevé de rémunération de ces placement (taux d'intérêt élevé en dépit des besoins d'investissement de l'économie domestique) c'est-à-dire un taux de change surévalué de la monnaie. Les conséquences d'une telle politique seront désastreuse sur l'économie britannique : les politiques de « stop and go » lamineront l'industrie, l'empêchant de profiter des « Trente glorieuses » de l'après-guerre. « Le maintien d'une confiance nécessaire dans la livre sterling risquait de devenir, et est en fait devenu, une source de division. Cette question risquait d'opposer la City au gouvernement britannique, dont le principal objectif était d'accélérer le rythme de l'expansion économique intérieure afin d'assurer la prospérité, le plein-emploi et le bien-être social » (793). Ce seront les politiques dites de « stop and go » dont la Grande-Bretagne ne sortira qu'au début des années 1980. L'intégration monétaire à l'Europe en sera également freinée.
Au final, un volumineux ouvrage, très complet et très instructif. A lire.
© Sciences de la Société n° 63 - oct. 2004

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
INFORMATION-COMMUNICATION

François HEINDERYCKX, La malinformation. Plaidoyer pour une refondation de l'information, Bruxelles, Labor, 2003, 95 p.

Recension par Stefan BRATOSIN, MCF de Sciences de l'information et de la communication, LERASS, Université Paul Sabatier-Toulouse 3 (n° 63, oct. 2004)

Ce plaidoyer condensé pour une « refondation de l'information » est construit à partir de l'hypothèse que « notre civilisation est malade de son information ». Les arguments avancés dénoncent dès lors une pathologie qui mine - selon l'auteur - la « société de l'information ». L'une des meilleurs illustrations serait le fait qu'en dépit de l'enchantement mythique du monde de l'information, la société de l'information n'est toujours pas parvenue à « se muer en société de la connaissance ». Le syndrome de la surinformation est tenu responsable dans ces conditions d'une « dynamique inquiétante » qui met en péril « les fondements même de notre vie, de nos capacités cognitives, de notre équilibre intellectuel, de nos activités civiques, de nos institutions démocratiques ».
L'objectif affirmé de l'ouvrage - conçu en quatre parties inégales - est d'ouvrir et de justifier un débat critique sur l'état actuel de la gestion de l'information. Au centre de ce débat, l'auteur entend placer « les médias de ce début de xxie siècle ». Il se défend, cependant, de « donner des leçons, identifier des responsabilités », tout en assumant, par ailleurs son ambition de mettre à profit ses constatations et ses intuitions afin de rendre rationnel « le malaise diffus » qui entoure le monde de l'information. Ainsi, l'auteur, chercheur universitaire et « gros consommateur d'information », relève un certain nombre d'observations personnelles, pose une série de questions, fait des suggestions, etc., mais d'une manière délibérée il ne pose pas de cadre théorique. Dans l'ouvrage, il n'y a qu'une seule référence bibliographique et elle n'appartient pas à la littérature spécialisée, mais à un auteur de science-fiction des années 1950, Ray Bradbury.

Dans « le bazar de l'information », l'auteur décline la cause du décalage entre, d'une part, la profusion d'information dans un contexte de surstimulation et « saturation sensorielle » des contenus sans cesse échangés et (re)in-formés et, d'autre part, la non satisfaction des attentes et des besoins légitimes pour chacun en matière d'information. Cette déclinaison est structurée par sept axes problématiques: a) « la dilution du sens « de l'information à cause d'une surproduction d'information qui plonge l'humanité dans l'embarras du choix informationnel, b) l'accroissement exponentiel de l'information - »l'information engendre l'information » - qui induit l'inquiétant problème de stockage et de conservation auquel les nouvelles technologies n'apportent pas vraiment une réponse satisfaisante, c) la redondance due aux logiques médiatiques de « reformatage et rhabillage » de l'information, d) « la fracture numérique » issue du développement des ntic qui au lieu de permettre un accès plus large à l'information, excluent une grande partie de l'humanité en raison des coûts prohibitifs des technologies et des services, e) le leurre de l'universalisme de l'information dans le contexte des interfaces informationnelles de plus en plus nombreuses, offertes par le web, f) la valabilité de l'information pour laquelle le présent est le seul temps qui compte, g) la confusion perpétuée par les médias entre la surinformation et la surstimulation informative.

Les aspects qualitatifs et quantitatifs, aussi bien de forme que de fond de la malinformation sont mis en évidence par l'analyse de ce que l'auteur considère comme une sorte d'hypertrophie de la sphère potentielle d'intérêt des individus. Il s'agit d'un rejet de l'information - illustré par l'érosion continuelle de la consommation des médias - qui ne doit pas être interprété comme un manque d'intérêt, mais comme un « mécanisme de protection du consommateur et du citoyen. En effet, selon l'auteur, la superposition de genres ­ information/production ­ perturbe les schémas de consommation dans un contexte où les stratégies fondées sur l'imaginaire, l'affectif et le subjectif s'imposent à la place des démarches rationnelles et informatives. Une aggravation supplémentaire est induite par la complexification des relations d'(in)dépendance des médias vis-à-vis du monde marchand. Dans ces conditions, le contrepoids ­ notamment celui des associations de consommateurs ­ à l'information diffusée par les entreprises et les institutions constitue une démarche lacunaire et fortement limitée aux fonctions utilitaires et économiques. Quant aux phénomènes qui troublent l'information du citoyen, l'auteur en remarque: a) la tension électorale qui favorise la rupture entre le « fonctionnement et l'image qu'en perçoit le citoyen », la marketing-politique qui « vend » aux citoyens des personnalités politiques, c) la tendance journalistique vers la concision des idées politiques par anticipation à un supposé désintérêt des masses, d) l'appui de la démagogie politique sur les médias, e) le tassement du débat idéologique en faveur d'un processus constructeur de personnification, f) l'approche des médias au sujet du politique en terme de « course » de pouvoirs.

Les principales tendances qui engagent les médias dans la « spirale de malinformation » participent de la hantise de « répondre » au publique et de « plaire » à un nombre toujours croissant d'individus. Parmi ces tendances, l'auteur met en exergue, en premier lieu, la réduction des segments d'information pratiquée par les médias, ainsi que les choix favorables au factuel et au descriptif effectués au détriment de l'analytique et de l'argumentatif. Ensuite, il souligne la dimension conjoncturelle de mécanismes de sélection et le cloisonnement selon des rubriques correspondant aux schémas d'organisation des rédactions, cloisonnement permettant l'illusion d'information en assimilant le savoir à la compréhension. Tout cela sous le fond d'une précarité de la démarche journalistique qui engendre le glissement vers un repli, d'une part, sur un monde moins étendu, un monde de proximité et, d'autre part, un « info-divertissement ».

Sans proposer de solution en vis-à-vis de ses critiques, l'auteur ouvre néanmoins quelques perspectives ­ tyrannie de la demande, éparpillement des contenus, fragmentation des publics, éducation à l'information, etc. ­ pour conclure en réitérant la nécessité actuelle de considérer le défit d'une refondation de l'information.
© Sciences de la Société n° 63 - oct. 2004

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
INFORMATION-COMMUNCATION

Michel MATHIEN, Économie générale des médias, Ellipses, 2003, 240 p.

Recension par Christian PRADIÉ, MCF de Sciences de l'information et de la communication, IUT de Valenciennes (n° 63, oct. 2004)

Le projet de dresser une économie générale des médias ne peut être que salué, tant il subsiste un large écart entre les approches qui abordent les industries culturelles comme un tout mais demeurent imprécises quant aux caractéristiques de chaque secteur de l'activité médiatique et celles qui, très descriptives, se réduisent à l'évolution de la presse ou de la télévision, par exemple. Michel Mathien consacre plusieurs chapitres préliminaires à des considérations d'ensemble sur l'entreprise de communication de masse et le contexte économique. Suivent des parties spécifiques à une introduction à l'économie de la presse et à l'économie de l'audiovisuel, comprenant l'étude de la radio et de la télévision.

La présentation de la situation de la presse s'appuie sur les statistiques de la Direction du développement des médias, mais aussi du sessi du Ministère de l'Industrie, pour dégager des tendances comme la concentration, non seulement des titres de presse mais aussi des entreprises. Les résultats des études du dep du Ministère de la Culture sont utilisés pour décrire de plus la « consommation de la presse » en accordant un examen très détaillé aux différentes catégories de publications. Précédant une présentation assez classique des aides publiques, l'organisation de la distribution fait l'objet d'une présentation plus précise que dans la plupart des traités précédents et réserve une part justifiée aux principes de la loi Bichet sur la liberté de distribution, l'égalité entre les titres et l'impartialité du processus de distribution. En revanche, les « principaux aspects de la gestion » des entreprises de presse ne font l'objet que d'une introduction sommaire, qui s'attarde sur le décompte des coûts mais néglige plusieurs évolutions déterminantes comme celles de l'évolution des politiques de ressources humaines et d'emploi des journalistes, l'impact des technologies sur la production et la diffusion des contenus en ligne, l'internationalisation de la conception des formules, les liens éditoriaux avec les thèmes et personnages promus par les programmes audiovisuels, l'évolution multimédia des publications ou encore l'enjeu du développement de la publicité pour les titres de presse. Enfin, un court chapitre est consacré à une intéressante typologie des entreprises de presse, suivant leur mode d'organisation répondant ou non à une intégration de leur activité, leur modalité d'obtention de recettes plus ou moins composées de ressources publicitaires et les modalités de distribution comprenant abonnements et ventes au numéro, mais sans que soit inclus dans cette étude le contexte des relations économiques et financières de la firme au sein de groupes de sociétés et de pôles financiers, ce qui aurait amené à aborder le statut, qui demeure à approfondir, d'éditeur indépendant.

Plusieurs enjeux spécifiques apparaissent avec l'étude du secteur audiovisuel, comme le rôle de l'Etat, la portée des politiques de libéralisation et l'impact de la législation européenne. Cet ensemble est abordé, même de façon rapide, en donnant un tableau assez complet de la situation des principaux médias audiovisuels, qui souligne, pour la radio, l'opposition entre la concentration du secteur privé et le développement des stations associatives et, pour la télévision, le contraste entre l'expansion des groupes constitués autour de Canal Plus, tf1 et m6 et les difficultés stratégiques du secteur public. Cette description s'arrête toutefois au cadre traditionnel de la télévision hertzienne terrestre et ne s'engage pas dans le nécessaire complément de l'économie du câble et du satellite, où les stratégies de développement des principaux groupes de communication auraient pu être mieux mis en évidence, en comprenant également leurs alliances, comme celles, assez structurantes, entre Bouygues et m6 ou entre Vivendi et Lagardère. Par ailleurs, un emploi des sources statistiques aussi approfondi que dans la rédaction de la partie relative à la presse aurait pu mieux rendre compte des évolutions rapides de la démographie éditoriale, de la diversification des modalités de distribution ou encore de la dynamique générale d'expansion du secteur.

En fin de compte, plusieurs limites s'opposent à ce que le projet de proposer une économie générale des médias soit entièrement rempli. Une première difficulté subsiste quant à la nécessaire définition du domaine des activités médiatiques. Une définition par extension est fournie avec l'examen de trois de ses composantes, mais de façon exclusive et étanche et, alors que la convergence est citée comme un fait exogène, sans que puisse être prise en compte la situation des produits du domaine du modèle éditorial des secteurs de l'édition, du disque ou du cinéma et sans même que les relations, par exemple, entre presse et édition, radio et disque ou télévision et cinéma soient replacées dans une vision d'ensemble. Il reste également à établir une définition compréhensive du domaine général des médias qui contribuerait à indiquer le statut d'une économie spécifique du champ, ce que ne réalise pas l'apport des approches systémiques ou encore issues de la théorie mathématique de l'information.

Un deuxième problème réside, au-delà de l'accomplissement d'une description des situations sectorielles, dans une élaboration encore inachevée de l'analyse des principes dynamiques de l'évolution passée de ce domaine d'activité. Si l'écueil du déterminisme technologique est évité, mais avec l'inconvénient que l'évocation des impacts des mutations techniques peut paraître imprécisément rapporté, le primat semble donné à un déterminisme économique qui relève une extension des conditions d'un fonctionnement marchand comme le phénomène de fond des mutations rencontrées. Si une telle option peut être défendue, l'optique retenue d'une approche micro-économique amène à considérer un modèle unique de gestion de l'entreprise médiatique comme relié, de façon réductrice, au schéma paraissant inévitable de la société de capitaux et tend à amoindrir précisément une des dimensions spécifiques du champ de la communication.

Surgit ici le troisième écueil d'une définition de l'approche disciplinaire d'une analyse contemporaine des médias. L'approche macro-économique et macro-sociale permet certainement de rendre compte des enjeux spécifiques de l'évolution des médias et des industries culturelles. A cette échelle se pose une difficulté qui demeure à surmonter pour articuler les phénomènes économiques avec les dimensions spécifiques des contextes juridiques et politiques nationaux des secteurs médiatiques. Face à cette difficulté récurrente ­ ici, la législation communautaire nous est paradoxalement présentée en détail mais pas semblablement l'état et la portée du droit national ­, la tentation est de songer à une science politique générale des médias.
© Sciences de la Société n° 63 - oct. 2004