Notes de lecture du numéro 64 - février 2005

Gheorghe-Ilie FÂRTE,
Comunicarea : o abordare praxiologica (La communication : une approche praxiologique), Iasi, Demiurg, 2004.
Martine BOUTARY, dir., 2003, TIC et PME : des usages aux stratégies, Paris, L'Harmattan.
Erwan QUÉINNEC, Jacques IGALENS, coord., Les organisations non gouvernementales et le management, Paris, Editions Vuibert, Série Institut Vital Roux, 2004.
Pascal MARCHAND, dir., Psychologie sociale des médias, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004.
Bernard LAHIRE, La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi, Éditions La Découverte, coll. Textes à l'appui, Paris, 2004.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
INFORMATION-COMMUNICATION

Gheorghe-Ilie FÂRTE, Comunicarea : o abordare praxiologica (La communication : une approche praxiologique), Iasi, Demiurg, 2004, 206 p.

Recension par Stefan Bratosin, MCF de Sciences de l'information et de la communication, LERASS, Université Toulouse 3 (n° 64, fév. 2005)

Ce dernier ouvrage de Gheorghe-Ilie Fârte, enseignant-chercheur à l'Université Al. 1. Cuza d'Iasi (Roumanie) est une démarche théorique ayant pour objectif la construction d'un modèle herméneutique de la communication. Il s'agit d'un modèle offrant la possibilité, selon l'auteur, de saisir « les facteurs et les interdépendances qui permettent une compréhension suffisamment adéquate » de la communication, un modèle qui cherche à se distinguer des modèles empiriques qui prétendent reproduire « d'une manière objective et exacte le phénomène réel de communication ». La perspective de la démarche est praxéologique car la théorie de la communication développée dans l'ouvrage n'est rien d'autre qu'une instance exemplaire de la théorie générale de l'action. A partir de cet angle de vue, dans les cinq parties du livre, la communication est approchée comme interaction ou transaction sémiotique assujettie à des comportements « complémentaires » observant certaines normes sociales.

Le premier objectif de ce modèle herméneutique est de mettre en évidence, en faisant ressortir l'aspect collectif de tout processus de communication, l'impossibilité de réaliser d'une manière indépendante et de contrôler complètement un tel processus. Si l'idée de considérer la communication dans le cadre de la théorie de l'action n'est pas une démarche inédite ­ voir, par exemple, Les actes de langage. Essai de philosophie du langage de John R. Searle ­ et si l'idée de corréler variables communicationnelles et actions n'est pas une nouveauté non plus ­ l'auteur renvoie aux travaux de Roman Jakobson, Karl Bühler, etc. ­ la proposition de Gheorghe-Ilie Fârte puise l'originalité de son apport dans la manière de transposer les variables communicationnelles ­ émetteur, récepteur, message, code, situation, canal ­ dans une interaction, c'est-à-dire « dans un couple d'actions conjointes » qui relie fondamentalement l'émetteur et le récepteur. La mise à l'épreuve de cette proposition dans le domaine du langage porte ainsi, sur six couples d'actes complémentaires : a) acte d'autorévélation/ acte de discernement, b) acte d'influence/ acte de réponse, c) acte d'émission/ acte de réception, d) acte d'information syntactique/ acte de compréhension syntactique, e) acte de référence/ acte de co-référence, f) acte de relation/ acte de co-rélation.

En second lieu, ce modèle herméneutique est présenté comme un outil permettant de quantifier le succès et respectivement l'échec dans le processus de communication à partir du degré d'accomplissement des interactions dont il participe. Certes, il n'est pas question d'évaluer la communication dans la logique de l'unicité inextricable de ces deux valeurs extrêmes, car il s'agit ici de mettre en exergue des degrés intermédiaires de succès ou d'échec des interactions qui conditionnent la communication. Cependant, l'auteur admet que cette tentative d'évaluation est problématique puisqu'elle ne couvre pas la réalité du processus de communication dans sa totalité. La caractère performatif de ce modèle demeure assujetti à une manière partielle de saisir la communication, car il ignore, par exemple, les facteurs ayant trait à l'histoire des relations entre les protagonistes de la communication ou, dans une certaine mesure, les facteurs internes actuels de la communication ainsi que les facteurs exogènes de la communication.

Ce modèle général ­ il porte sur le processus de communication en général et non pas sur une forme particulière de celui-ci ­, partiel ­ l'interaction est la seule perspective prise en compte ­, et herméneutique ­ le but n'est pas la description empirique des actes de communication afin de parvenir à des lois universelles, mais la transposition de la communication dans un cadre normatif et intelligible ­ est mis en rapport avec une manière de considérer les formes de communication. A cet effet sont retenus trois critères : a) la nature des signes utilisés, b) la nature de la relation existante entre l'émetteur et le récepteur, c) la distance sociale établie entre les communicants. Les formes de communication auxquelles l'auteur advient en utilisant cette typologie sont des « constructions méthodologiques » qui dans les conditions de la vie sociale n'apparaissent pas d'une manière isolée, mais enchevêtrées et mêlées les unes aux autres et à leurs environnements. La dernière partie de l'ouvrage formule et développe la raison justifiant l'usage du modèle herméneutique proposé par l'auteur : « La communication ­ une action collective gouvernée par des règles ». Ainsi, l'explicitation du concept d'action communicative conduit Gheorghe-Ilie Fârte à relever la possibilité théorique de considérer le processus de communication dans un cadre normatif. Cette possibilité théorique qui consiste à corréler le processus de communication avec des systèmes de normes et de l'analyser par rapport à des valeurs multiples, induit la question des règles qui gouvernent la communication. Le rôle de ces règles ­ dont les caractéristiques essentielles sont la praticabilité, la prescription et la validité contextuelle ­ est de « fixer les modèles de comportement auxquels doivent se conformer les membres d'une communauté ». L'auteur distingue, alors, deux catégories de règles ou de formes de comportement socialement attendues : les règles constitutives et les règles normatives. Par règles constitutives, il désigne celles qui gouvernent les comportements logiquement dépendants d'elles et qui posent les conditions nécessaires pour les actes de communication. Pour mettre en évidence les règles constitutives l'auteur prend comme point de départ l'hypothèse que « le processus de communication n'est pas un fait naturel, mais institutionnel ». Il s'agit d'une optique ou la communication est approchée comme produit d'un pacte social. Malgré les risques encourus, dès lors que l'objet d'étude n'est pas une entité indépendante, c'est-à-dire à saisir de l'extérieur, l'esquisse du système de règles constitutives participe d'une pertinence soigneusement construite. Par règles normatives, il faut entendre dans l'ouvrage les règles ayant trait à des comportements préexistants et indépendants qui fixent « les conditions désirables de mêmes actes de communication », comme, par exemple, les normes d'efficacité et les normes morales qui constituent le choix sur lequel prend appui le discours de l'auteur

Enfin, la riche bibliographie de cet ouvrage écrit en roumain a la particularité remarquable d'observer un équilibre notable entre les références francophones, anglophones, germanophones et, bien sûr, de langue roumaine.
© Sciences de la Société n° 64 - fév. 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
INFORMATION-COMMUNICATION

Martine BOUTARY, dir., 2003, TIC et PME : des usages aux stratégies, Paris, L'Harmattan.

Recension par Bertrand FAURÉ, PRAG d'Économie et de gestion, Doctorant au LERASS, Université Toulouse 3 (n° 64, fév. 2005)

Ne nous y trompons pas, cet ouvrage collectif est humaniste. Loin des discours enchantés et/ou des critiques manichéennes sur les technologies de l'information dans les entreprises, c'est toute la complexité des « situations de choix entre des projets d'action » (Dewey, cité par Schütz, 1942) qui est scrutée. En effet, à travers ces 6 études minutieuses des pratiques liées aux TIC dans les petites entreprises, le lecteur se trouve plongé au cur des expériences des acteurs impliqués dans les projets d'informatisation. Il découvre alors le caractère souvent déroutant des décisions à prendre lorsque la technique rencontre le stratégique.

Le terrain retenu explique sans doute pour une bonne part la proximité que cette recherche entretient avec la figure de l'acteur. Ce que disent et pensent les individus des difficultés liées à l'implantation des TIC y est plus proche de l'expérience globale du projet que dans une grande entreprise. Prenons le cas des dirigeants. Rappelez-vous la première boite mail que vous avez ouverte et les difficultés qui en ont découlé. Multipliez par 100 et vous aurez une idée de ce à quoi ils sont confrontés. D'autant qu'ils doivent montrer l'exemple car c'est une véritable entreprise dans l'entreprise qu'il leur faut mettre en place. Et s'ils ne sont pas pro-actifs (Marie-Christine Monnoyer), les TIC seront sous-employées. C'est leur rôle direz-vous. Sauf qu'il s'agit de PME et que le dirigeant d'une PME n'est pas forcément aussi rompu aux techniques de management que celui d'une grande entreprise. Il s'agit peut-être là d'une explication à la diversité des pratiques observées par les chercheurs en matière d'informatisation dans ce type d'entreprise. Que révèlent, par ailleurs, les efforts taxinomiques considérables déployés par les auteurs ? Marie-Christine Monnoyer identifie quatre types de situations des PME vis-à-vis des TIC selon le niveau de pro-activité et le comportement du dirigeant (les curieux, les suiveurs, les stratèges, les suiveurs), Angélique Roux postule l'existence de trois scénarios d'évolution des TIC dans les PME (les fonceurs, les randonneurs, les flâneurs), Béatrice Vacher résume en six modèles le comportement des entreprises selon les fonctions assignées aux TIC (borgnes, hyper-actifs, sous pression, fébriles, penses à tout), Dorsaf Omrane mobilise ensuite ces typologies dans son analyse des scénarios de mise en place des sites Web. L'analyse progresse. On peut cependant remarquer que ces typologies sont personnalisées au moyen d'un adjectif qualifiant normalement un trait de comportement humain. Biais humaniste ? Sans doute, mais qui permet d'illustrer un des caractères paradoxaux de la décision dans les PME.


Les TIC offrent des possibilités stratégiques, mais les acteurs semblent considérer qu'ils n'arrivent pas à se faire une représentation convenable de la situation de choix. Pour se faire, il faudrait que l'entreprise se développe ou systématise certaines de ces activités afin que les conséquences des choix stratégiques en matière de tic soient plus discernables. Ce faisant, il faudrait qu'elle abandonne ce qui fait sa spécificité en tant que PME, à savoir, « vivre dans la proximité » (Martine Boutary). En d'autres termes, les décisions relatives à l'implantation des tic se compliquent des décisions relatives à la taille de l'entreprise. Paradoxe. Qu'il nous soit permis de suggérer ici une interprétation personnelle de ces typologies. A travers la question de la taille, on peut considérer que c'est la structure de l'entreprise qui est en question. S'il est vrai que toute structure sociale est en lien avec une structure de récits mythiques (Lévi-Strauss), on peut se demander si les récits auxquels ont eu accès les chercheurs au cours de leurs enquêtes ne sont pas des récits qui, eux-mêmes, personnalisent l'entreprise. Il n'est pas impossible, alors, que certains des termes retenus par les chercheurs dans leurs typologies leur viennent des discours recueillis lors des entretiens. Les typologies résulteraient ainsi d'un effort de conceptualisation des récits des acteurs de la part des chercheurs. Elles révèleraient une spécificité de la PME du point de vue de sa « structure mythique » : le fait d'être peut-être plus proche que les grandes entreprises d'une « théorie implicite de la personnalité » appliquée à l'organisation. Connaissant mieux l'entreprise dans son ensemble, ses membres auraient plus tendance à lui appliquer des catégories anthropocentriques. A contrario, pour décrire une grande entreprise, les individus utiliseraient plutôt des catégories abstraites, plus éloignées de l'expérience affective ou sensible et issues de la rhétorique managèriale. Pour « penser » et agir sur la structure, il faut un vocabulaire correspondant. Ce vocabulaire est lui-même structuré par les récits. Les individus « penseraient » alors les PME en des termes de la vie quotidienne et les « grandes entreprises » en des termes forgés par ceux qui promeuvent ce type de structures.
Il s'agit cependant là d'une hypothèse gratuite, qui n'engage que l'auteur de ces lignes.
© Sciences de la Société n° 64 - fév. 2005

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
ÉCONOMIE SOCIALE

Erwan QUÉINNEC, Jacques IGALENS, coord., Les organisations non gouvernementales et le management, Paris, Editions Vuibert, Série Institut Vital Roux, 2004, 322 p.

Recension par Luc MARCO, Professeur de Sciences de gestion, Université Paris 13 (n° 64, fév. 2005)

Ce livre paraît sous la direction de deux gestionnaires (Quéinnec, maître de conférences à l'Université Paris 13, et Igalens, professeur à l'Université Toulouse I). L'équipe rédactionnelle comprend sept personnes : trois économistes qui sont Bennani (professeur associé à l'Université Technologique de Compiègne), Bévant (mcf à l'Université Rennes I) et Hofman (professeur associé à l'Université Bordeaux 3), deux gestionnaires avec Haddad de l'Université de Reims et Valéau de l'Université de La Réunion, un sociologue (Vedelago, mcf à l'Université Bordeaux 3) et enfin un médecin (Comte, de Médecins sans frontières). Il s'agit donc d'un véritable travail pluridisciplinaire dont la cohérence doit beaucoup aux deux coordonnateurs de l'ouvrage.
Après une préface signée par l'énigmatique François Grünewald dont on ne sait qui il est, une introduction présente les deux grandes parties du livre. La première propose un balancement original, qui oppose organisations non gouvernementales (ong) et entreprise versus ong et entreprises (apprécions le pluriel), puis deux questions : quelle relation conceptuelle versus quelle proximité institutionnelle ? Elle comprend elle-même cinq denses chapitres. Les deux premiers sont dus à la plume élégante d'Erwan Quéinnec et concernent les grandes ong humanitaires, françaises ou étrangères. Le troisième s'attache aux ong d'aide alimentaire, sous le stylo alerte de Didier Bévant. Le quatrième s'intéresse à la mise en uvre de la responsabilité sociale de l'entreprise : il étudie les modalités, les enjeux et les limites d'un partenariat intelligent entre firmes et ong. Rédigé par Jacques Igalens, il sert de liaison avec le chapitre 5, co-signé par François Vedelago, Patrick Valéau et Erwan Quéinnec, sur « Les conflits de valeurs au sein des ong et des associations de solidarité ». Le lien organique avec le management est constamment opéré dans cette très belle première partie.

Le deuxième volet, plus technique, analyse les ong dans l'intimité de leur gestion stratégique selon trois axes : développer l'association, gérer les hommes, conduire les projets. Ici encore cinq chapitres charpentent fortement l'ouvrage. Le sixième scrute comment professionnaliser la gestion ou, symétriquement, gérer la professionnalisation ! Erwan Quéinnec et Laura Haddad montrent que les ong sont toujours confrontées aux dilemmes de leur croissance. Le septième chapitre, associant la même Laura Haddad et Az-Eddine Bennani, étudie l'e-solidarité. C'est une étude empirique de l'importance du Web dans la stratégie de communication des ong. Ensuite, Patrick Valéau décrit la gestion des ressources humaines dans les organisations non gouvernementales (vaste entreprise). Le neuvième évoque le cas de msf France. Dû à Eric Comte, accompagné par Erwan Quéinnec, il analyse la prééminence du volontariat expatrié sur l'emploi local dans les organisations humanitaires. Se pose alors la question de savoir s'il s'agit d'un simple réflexe culturel ou d'une vraie recherche d'efficacité organisationnelle. Enfin, le dernier chapitre, signé par Elisabeth Hofman, décrit bien l'articulation entre planification et évolution dans les stratégies opérationnelles. En particulier, est-ce que la planification des projets de développement se présente comme une camisole ou une boussole (tant il est vrai que quand l'on perd totalement la boussole, on a souvent besoin d'une camisole de force !). L'ouvrage se termine par la liste alphabétique des auteurs. On regrettera l'absence de conclusion, d'index des thèmes ou des personnes citées. Les bibliographies sont insérées à la fin de chaque chapitre, et les notes sont bien renvoyées en bas de page, comme il est d'usage dans cette collection.

Le premier chapitre commence par définir les ONG et en livre une typologie intelligente. On y distingue les grandes organisations humanitaires françaises de leurs homologues étrangères ; on y insiste sur l'exemple original d'un management par le contrôle de soi (chapitre 2). Le cas des organisations d'aide alimentaire est ici très bien traité (chapitre 3). Le thème de la responsabilité semble bien être le fil conducteur de la première partie (chapitres 4 et 5). Il mobilise pas moins de quatre auteurs : Igalens, Vedelago, Valéau et l'omniprésent Quéinnec. S'y adjoint une bibliographie très pluridisciplinaire. En revanche les tableaux statistiques ne sont pas assez nombreux et leur liste n'est nulle part fournie ! Peut-être dans une future édition ? Sur le deuxième versant de l'ouvrage, la partie « marketing » nous semble la plus neuve. On a enfin lancé un pont sur le no-bridge dénoncé dès 1969 par Philip Kotler entre le marketing privé et la communication publique. Comme à Millau, ce pont repose sur sept piliers dont nous laissons le soin au lecteur curieux de retrouver la liste. La nuée de l'e-don complète le panorama. La partie gestion des ressources humaines est, elle aussi, très bien venue. En particulier les encadrés du chapitre 8 donnent beaucoup de relief au paysage survolé. La partie « financière » paraît plus conventionnelle, alors que la partie « stratégique » souffre de la faiblesse constatée de l'interaction réduite des fonctions de base au sein des ong. Si le pont n'enjambe pas un fleuve glacé, marmoréen, ses piliers paraissent plus fragiles dans la brume du matin. Si les fonctions ne sont pas enserrées dans un filet stratégique aux mailles compréhensives, la pêche sera maigre, même en taquinant le poisson-gestionnaire du haut du pont. Les illusions sont plus fugaces dans la brume du soir.

Cet ensemble dense, bien écrit, bien pensé nous paraît correspondre à l'esprit de la collection dans laquelle il s'insère. On sent que les coordonnateurs ont procédé à une relecture globale et à une certaine harmonisation du style, qui fait souvent défaut dans les ouvrages collectifs. Ici le sentiment d'entreprise est bien renforcé par la réhabilitation de la dimension managériale au sein des ong. Cette dimension est essentielle pour leur avenir, que l'on espère peu brumeux. Là encore, l'ouvrage fait réfléchir à la nature de ce management de type nouveau, mi-public mi-privé : et si le management mixte trouvait ici le lieu de son envol ? Car un recul critique est aussi pris envers la vulgate privatisante du modèle anglo-saxon, qui trop souvent domine nos listes bibliographiques, alibis d'un savoir trop vite importé. Que le premier qui n'a pas trop cité les américains en gestion me lance la pierre : elle ricochera sur le fleuve marmoréen !

Au total cette petite encyclopédie du phénomène ong exige une grande attention de lecture car le parcours est ardu et la déclivité du pont parfois assez rude. Mais pour ceux qui surmonteront ces obstacles liminaires, la beauté de la perspective récompensera les efforts de la montée. Oui, le point de vue est majestueux et l'ouvrage arachnéen, comme bâti sur le fil du rasoir, c'est-à-dire sans peur et sans reproche ! A recommander à ceux qui rêvent de la troisième dimension du management
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PSYCHOLOGIE SOCIALE

Pascal MARCHAND, dir., Psychologie sociale des médias, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004, 324 p.

Recension par Didier COURBET, MCF-HDR en Sciences de l'information et de la communication, Université de Nice-Sophia Antipolis (n° 64, fév. 2004)

Au regard du nombre important de publications sorties en 2004 portant sur la psychologie sociale de la communication, et plus particulièrement la psychologie sociale de la communication médiatique1, il semble qu'un domaine de recherches est en voie de solidement se structurer en France. Le livre dirigé par Pascal Marchand, Professeur de psychologie sociale à l'Université de Toulouse 3, contribue à cette structuration et témoigne du dynamisme de ce « jeune » domaine d'études dans notre pays.
La première partie du livre, écrite par Pascal Marchand, propose un historique de la psychologie sociale expérimentale des médias, de ses questionnements, controverses, méthodes et résultats. Pour la première fois en langue française, l'auteur offre une synthèse critique de récentes recherches organisée autour de quatre questions : les médias peuvent-ils nous convaincre ? Les médias façonnent-ils notre comportement ? Les médias influencent-ils notre vision du monde ? Les médias changent-ils la société ? Tout en approfondissant particulièrement l'influence des programmes violents, des films érotiques et les modalités de la diffusion médiatique de la nouveauté, cette partie dépasse les seuls effets psychologiques et sociaux des médias puisqu'elle propose également un modèle original de construction sociale des objets.

Dans la deuxième partie, quatorze chercheurs français et italiens analysent plus en détail, d'une part, la production et les discours et, d'autre part, les traitements en réception des informations médiatiques. On y trouve ainsi, d'une part, des articles de recherche originaux, utilisant la méthode expérimentale ou les analyses de discours et, d'autre part, des synthèses théoriques. La variété des chapitres de la deuxième partie montre le large éventail de compétences conceptuelles que possède la psychologie sociale pour étudier les médias. Les recherches portent sur des thèmes aussi variés que les modes de raisonnement (par « scripts ») des journalistes, l'analyse des discours des journalistes couvrant les campagnes électorales, le rôle de la presse dans les décisions judiciaires, le traitement de l'information médiatique, l'analyse psychosociale de la presse quotidienne, l'influence de la communication politique et de la publicité.

Il n'est pas surprenant que, dans la lignée des travaux du psychologue social Rodolphe Ghiglione, se développe une psychologie sociale des médias en France. Cependant, l'optique du livre est différente des recherches plus théoriques de Ghiglione2. Pascal Marchand et les contributeurs ont pris résolument le parti de rendre accessibles des résultats d'expériences majeures, tout en montrant la largesse des domaines médiatiques que peut couvrir la psychologie sociale. On comprend, à la lecture du livre, que l'auteur a également fait un double pari épistémologique. Le premier pari est de développer une psychologie sociale des médias reposant essentiellement sur la méthode expérimentale (couplée, quand c'est nécessaire, avec des analyses de discours). Le second pari est de bâtir une psychologie sociale des médias à partir, avant tout, de données empiriques et de modèles construits localement.

La démonstration nous paraît réussie. Sur le plan méthodologique, on voit aisément que la psychologie sociale possède un éventail d'instruments pertinents pour étudier les médias : depuis les analyses de discours (automatisées par le logiciel Tropes dans le chapitre six de Marie-Pierre Fourquet-Courbet ou couplées avec des analyses factorielles dans le chapitre trois de Pascal Marchand et quatre de De Piccoli et al.) jusqu'à la méthode expérimentale (voir l'application originale de cette méthode dans le chapitre un de Jacques Py et Anne Ginet sur les journalistes). Sur le plan conceptuel, la preuve semble également convaincante. En mobilisant des ressources théoriques propres à la psychologie sociale fondamentale ou propres à d'autres sous-disciplines de la psychologie comme la psychologie cognitive ou la psycholinguistique, les modèles portent à la fois sur la production, le discours et la réception médiatiques. Les contributeurs nous montrent, en outre, que la psychologie sociale s'articule bien avec d'autres disciplines s'intéressant également aux médias telles la linguistique, les sciences de la communication ou les sciences de gestion (recherche en marketing).

De là, faut-il affirmer, comme le fait Van Dijk dans la préface, qu'il s'agit de confier désormais à l'unique psychologie sociale le soin d'étudier avec un cadrage multidisciplinaire le rôle des médias dans la société en général et leur influence sur les usagers en particulier (p. 16) ? Ce serait, d'une part, remettre en cause les apports fondamentaux des domaines comme l'ethnographie des médias ou la sociologie des médias et reviendrait, d'autre part, à nier le rôle de pierre angulaire que l'on accorde souvent aux sciences de la communication dans cette fonction. Pour prétendre avoir un tel rôle, il convient maintenant d'inciter la psychologie sociale expérimentale des médias à intégrer les multiples modèles, à construire des théories plus générales couvrant systématiquement de plus larges ensembles de phénomènes médiatiques. Un tel chantier commencerait, sans doute, en cherchant à donner une première définition au domaine et un ensemble de programmes. Même si le livre dirigé par Pascal Marchand n'aborde pas explicitement cette perspective (c'est là notre principale réserve), certains chapitres vont parfois discrètement dans ce sens. La théorie du contrat de communication, indiquée ça et là dans l'ouvrage et la perspective interactionniste qui lui est indirectement associée pourraient, peut-être, être alors d'une certaine utilité.
© Sciences de la Société n° 64 - fév. 2005

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
SOCIOLOGIE

Bernard LAHIRE, La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi, Éditions La Découverte, coll. Textes à l'appui, Paris, 2004, 778 p.

Recension par Mariette SIBERTIN-BLANC, Docteure en Géographie urbaine et aménagement du territoire, CIRUS-CIEU & GRESOC, Université Toulouse-Le Mirail (n° 64, fév. 2005)

La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi : ce titre évocateur illustre que s'il n'est pas (encore ?) possible d'analyser les pratiques culturelles sans se positionner par rapport aux travaux de Pierre Bourdieu des années soixante et soixante-dix ­ ou au moins de s'y référer ­, il est pourtant souhaitable pour la sociologie et pour tout observateur de la vie culturelle française de réinterroger les recherches de ce sociologue de la culture. Voire de remettre en questions ses conclusions qui insistaient avant tout sur les pratiques de classes. En approfondissant la connaissance des pratiques culturelles individuelles, en considérant leur hétérogénéité ou même les aberrations statistiques qu'elles génèrent, B. Lahire opère un travail de déconstruction/ reconstruction méthodologique et analytique, avec nombre de précautions et de développements théoriques.

La théorie de la légitimité culturelle s'inscrit dans une hiérarchie des arts, à laquelle correspond une hiérarchie sociale. Sans nier cette corrélation ­ les classes populaires au moindre capital scolaire ont avant tout des pratiques culturelles peu légitimes et les classes supérieures au fort capital scolaire sont davantage portées sur des pratiques très légitimes ­ l'objectif de l'ouvrage est de mettre en lumière les fortes dissonances observables dans la population française. L'étude approfondie des cas individuels nuance fortement la consonance des pratiques qui se dégage des statistiques sur le collectif. Il s'agit donc de montrer que « la frontière entre la légitimité culturelle (la « haute culture ») et l'illégitimité culturelle (la « sous-culture », le « simple divertissement ») ne sépare pas seulement les classes, mais partage les différentes pratiques et préférences culturelles des mêmes individus, dans toutes les classes de la société » (p.13). Si ce n'est pas son objectif principal, cette approche des pratiques individuelles ­ éventuellement en marge ­ participe à la réflexion et aux vives interrogations sur l'échec, peut-être relatif mais toujours constaté, des politiques de démocratisation culturelle conduites par l'État et les collectivités depuis une cinquantaine d'années.

La première partie s'attarde sur la construction de la hiérarchie culturelle, sur son rôle social distinctif et sa participation à établir une sociologie des dominants/dominés. C'est à partir de cette hiérarchie ­ analysée à partir de nombreux travaux sociologiques et philosophiques sur les pratiques culturelles ­ que les enquêtes pourront établir la plus ou moins grande légitimité des pratiques retenues. Sept types de pratiques sont ainsi passées au crible : l'écoute de musique, la lecture, les sorties culturelles, les visites culturelles, les films préférés, les émissions de télévision préférées, les loisirs et divertissements. Le corpus empirique est en grande partie composé des personnes interrogées dans le cadre de l'enquête Pratiques culturelles des Français en 1997 du Département Etudes et Prospectives du Ministère de la Culture et de la communication, auxquelles s'ajoutent les interviews effectuées dans le cadre de travaux plus spécifiques (adolescents, pratiquants de karaoké...).

Dans une seconde partie, l'objectif est de reprendre les travaux sur les pratiques culturelles et en particulier ceux de P. Bourdieu concernant les stéréotypes culturels, pour relativiser finalement ses conclusions sur la corrélation systématique entre pratiques et classe sociale. B. Lahire insiste donc sur ces écarts de soi à soi, sans pour autant nier le rôle de l'appartenance à une classe sociale, du niveau de diplôme et de l'âge dans l'orientation des pratiques individuelles et des probabilités à constituer des profils dissonants ou consonants. Si même les statistiques révèlent une complexité certaine dans les orientations diverses et contradictoires des pratiques culturelles, l'analyse des interviews individuelles vient renforcer le caractère hybride de la majorité des profils, et met en lumière le faible nombre de profils d'« ascètes » ou « brillants esthètes » et d'« exclus » ou « illettrés ». En prenant en effet les sept types de pratiques étudiés, les individus cumulant « les bons points en matière de légitimité culturelle » ne représentent que 0,7 % de la population française, alors que ceux au contraire qui ont uniquement des pratiques culturelles illégitimes représentent 1,6 %. Qui sont alors les autres ? Les près de 98 % ? Cette masse est caractérisée par l'hétérogénéité de ses pratiques, par les variations intra-individuelles conduisant à des profils dissonants qui allient goûts illégitimes et goûts légitimes, dans des mesures variables.

Ces profils ­ consonants et dissonants ­ sont présentés dans la troisième partie. Les premiers, dont les pratiques sont homogènes, sont donc de très loin les moins nombreux. Parmi eux, les profils consonants très légitimes sont à nouveau minoritaires, par définition pourrait-on dire. Causes culturelles et sociales, parcours de vie et relations individuelles expliquent ces cas à qualifier de « particuliers ». Viennent ensuite les profils dissonants. La présentation des portraits de profils culturels dissonants, respectivement des classes supérieures, moyennes et populaires, illustre avec acuité l'importance des variations intra-individuelles, souvent sous-estimées pourtant par les sociologues de la culture.

Les deux dernières parties s'attachent à détailler les principales raisons de ces variations intra-individuelles. La quatrième partie est consacrée aux écarts de soi à soi dans les pratiques culturelles résultant de la variation des sociabilités (évolutions sociales, mobilités professionnelles, vie de couple, scolarisation), et de l'influence des relations familiales, amicales ou professionnelles. L'analyse des pratiques des adolescents est particulièrement édifiante. Ils ont très majoritairement des profils dissonants, à l'inverse des personnes âgées qui ont davantage des profils consonants. Cette grande hétérogénéité des pratiques des jeunes de 12 à 25 ans s'explique doublement : ils sont davantage soumis à de fortes contraintes sociales, scolaires, familiales et amicales, et ils font moins que leurs aînés l'objet de jugements sur la légitimité de leurs goûts. Enfin, la cinquième partie s'attarde sur les raisons des pratiques illégitimes dans les classes supérieures, et de la diminution généralisée de la croyance en la légitimité culturelle. Dans un contexte où la culture littéraire et artistique perd le pas sur la culture mathématique, scientifique et technique, la société contemporaine et les modes de vie relativement stressants conduisent à un besoin croissant de « relâchement » et de divertissement ; les « fautes culturelles » sont alors de moins en moins susceptibles d'être fragilisantes socialement. S'ajoute l'exploitation de ce contexte par la télévision ­ un certain anti-intellectualisme est toujours de bon ton, surtout « ne vous inquiétez pas, nous ne serons pas intello ce soir ! »...

Comme l'a souligné P. Urfalino, ces tendances participent au passage de l'objectif de démocratisation culturelle à celui de démocratie culturelle Ce n'est pourtant pas cette orientation ­ une estime sociale de moins en moins affirmée de la culture légitime ­ qui effacera « les formes les plus traditionnelles de la domination culturelle » (p. 668) et B. Lahire de conclure ­ malgré les variations intra-individuelles bien mises en évidence ­ sur le rôle des ascètes et de l'école pour la vie et les pratiques culturelles. Repose alors sur l'institution scolaire l'enjeu de la familiarisation avec la culture légitime, toujours source de distinction sociale et culturelle, malgré tout.

Cette forme d'injonction pourrait s'adresser plus généralement aux politiques publiques, dont l'objet se justifie prioritairement par l'accès à la culture du plus grand nombre. Mais un hiatus évident est apporté par cette analyse des dissonances culturelles quant aux positionnements des collectivités territoriales. En effet, les aspirations variées à l'extrême des Français quant à leurs pratiques ne contribuent-elles pas à décomplexer les politiques culturelles ­ en particulier locales ­ et à élargir le panel possible des orientations adoptées ? Sans public prétendument visé, ces politiques peuvent jongler à loisir dans les objectifs et types d'interventions favorisés : allant alors du soutien des pratiques et de la création artistique légitimes, à l'offre de divertissement à travers les manifestations de culture régionale et fêtes destinées à renforcées prioritairement le « lien social », ou encore en optant pour des événements ponctuels destinés à la médiatisation territoriale. Aussi cette analyse des pratiques culturelles individuelles contribue-t-elle à enrichir utilement la réflexion sur la place et les enjeux de l'action culturelle dans les politiques publiques territoriales ­ transversales ou sectorielles.
© Sciences de la Société n° 64 - fév. 2005