Notes de lecture du numéro 66 - octobre 2005

Patrick CHARAUDEAU, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005.
Mariann PETCU, Jurnalist în România. Istoria unei profesii (Journaliste en Roumanie. Histoire d'une profession), Bucarest, Comunicare.ro, 2005.


 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
INFORMATION-COMMUNICATION

Patrick CHARAUDEAU, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005, 256 p.

Recension par Valérie BONNET, Sciences du langage, Université Montpellier 3 (n° 65, octobre 2005)

Patrick Charaudeau poursuit son travail d'exploration des différents types de discours et consacre son dernier ouvrage au discours politique, déjà abordé dans de précédentes publications sur la communication médiatique. Cet excursus du discours politique se place dans le cadre d'une analyse de discours, mais selon la pratique de l'auteur, sont convoquées tant la psychologie sociale que la philosophie, l'étude des médias que l'analyse du discours et l'argumentation. Les références sont nombreuses, la pluridisciplinarité affichée. Projet ambitieux, Le discours politique-Les masques du pouvoir ne doit pas être abordé comme un ouvrage disciplinaire, au risque d'être déçu, mais comme un essai avec les spécificités inhérentes à ce type d'exercice. L'auteur effectue ainsi une traversée du champ du discours politique, tentant d'en théoriser les principes par-delà les clivages politiques, les types de régimes. Bien que cette intention soit affichée, il ressort qu'il traite essentiellement de démocratie, et que sont majoritairement évoqués les hommes politiques français ; ainsi se pose le problème soulevé par D. Wolton : y a-t-il une communication mondiale possible ?

Construit suivant le principe d'un plan descriptif en quatre parties, débouchant sur un bilan comprenant lui-même une conclusion, l'ouvrage débute classiquement par un descriptif du champ (première partie), suivi d'une description du cadre d'émergence du discours politique (deuxième partie). À ces prolégomènes succèdent deux parties plus proprement consacrées à l'analyse du discours politique, toutes deux composées d'un chapitre théorique associé à un chapitre d'application au discours politique, qui répertorie et exemplifie les points décrits et analysés dans le chapitre théorique.

Sont abordés dans ces deux parties l'ethos et les imaginaires de vérité. Si le premier, issu de la tradition rhétorique, demeure une question classique de la recherche en argumentation, la véritable nouveauté de la réflexion de P. Charaudeau réside dans l'articulation de cette notion au concept de représentations sociales, issu de la psychosociologie. Ce concept, l'auteur l'ajuste à l'analyse de discours en introduisant la notion d'imaginaires socio-discursifs, dont il ne traite dans le chapitre d'application que les imaginaires de vérité, en raison de leur centralité dans le jeu politique.

À l'issue de cet excursus, l'auteur analyse et tente de définir les caractéristiques du discours politique actuel, à travers la description de la transformation de trois de ses instances en constante interaction : l'opinion publique, les médias et les acteurs politiques. C'est par une adaptation de la problématique de la rhétorique à la modernité, par une réflexion sur les rapports entre gouvernance et communication, qu'il pose la question de la place du médiatique au sein des champs de l'action sociale. Si sa dénonciation de la doxa de la dégénérescence du discours politique est une position usitée chez les spécialistes du discours politique, l'originalité de l'ouvrage est de proposer des nouvelles conditions de réflexion sur ce point par l'utilisation de la notion d'imaginaires. il rappelle que toute communication est une co-construction du sens, contestant ainsi, à l'instar des spécialistes des médias, le lieu commun d'une manipulation médiatique, en appliquant le contrat de communication, notion centrale de son travail, à l'espace public. Si ses conclusions rejoignent celle de la communauté scientifique, ce sont des angles d'appréhension de ce problème qu'apporte l'auteur, angles d'appréhension qui le conduisent à l'issue de sa description d'une chaîne de causalité conduisant à ce que l'on a coutume d'appeler la crise du politique, à proposer une nouvelle éthique.

Au final, Le discours politique n'est pas tant un ouvrage d'analyse de discours, qu'un essai alimenté par l'analyse du discours, une étude du discours politique qu'une étude du politique dans ses liens dialectiques avec les imaginaires, et, au final, avec la société, le vivre ensemble. On comprend dès lors le rôle des médias dans ce vivre ensemble, au sens étymologique de médiateur, intermédiaire entre les différentes instances de l'espace public. La redistribution de la bipolarité habermassienne proposée dans la première partie, redistribution qui suppose une régulation du champ d'action social, n'en empêche pas moins cet ouvrage d'être inscrit dans la filiation du philosophe allemand, revendiquée en début d'ouvrage.
© Sciences de la Société n° 66 - octobre 2005

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
INFORMATION-COMMUNICATION

Mariann PETCU, Jurnalist în România. Istoria unei profesii (Journaliste en Roumanie. Histoire d'une profession), Bucarest, Comunicare.ro, 2005, 243 p.

Recension par Stefan BRATOSIN, MCF de Sciences de l'information et de la communication, LERASS, Université Toulouse 3 (n° 66, octobre 2005)

Après avoir déjà publié entre 1999 et 2002 cinq ouvrages sur la presse roumaine ­ Puterea si cultura. O istorie a cenzurii (Pouvoir et culture. Une histoire de la censure), Tipologia pressei romanesti (Typologie de la presse roumaine), Sociologia mass media (Sociologie des mass media), O istorie ilustrata a publicitatii romanesti (Une histoire illustrée de la publicité roumaine) et Istoria presei românesti (L'histoire de la presse roumaine) ­ Marian Petcu revient cette année avec une histoire de la profession de journaliste en Roumanie. Il s'agit d'un livre mettant en évidence les moments qui, depuis 1871 ­ année du congrès de la « Presse Nationale » ­, ont marqué en Roumanie, d'une part, le processus de la prise de conscience de l'appartenance à une profession, d'autre part, le processus de développement et de maturation de cette profession. La restitution de ces moments est structurée en trois parties qui couvrent l'histoire de la profession de journaliste en Roumanie depuis l'apparition de l'« esprit corporatiste » jusqu'à la formalisation du statut des journalistes, en passant par l'histoire polémique de l'enseignement journalistique roumain.

Ainsi, dans une première partie, l'auteur réunit un certain nombre des données historiques extrêmement importantes pour permettre de distinguer les contours, mais en même temps le rôle et les conditions manifestes des « représentations professionnelles, des rapports au public et aux acteurs politiques, des stratégies d'images » ainsi que des aléas individuels et collectifs connus par les journalistes roumains. La richesse de ces données subsiste avant tout dans l'accumulation de détails historiques dans la construction argumentative. Par exemple, lorsqu'il est question de montrer le rôle des journalistes étrangers dans le développement de la presse roumaine, on apprend que le premier français qui a contribué au développement de notre presse a été le journaliste Ulysse Marsillac (1921-1877) né à Montpellier, que Léo Levêque, né à Monpont en Dordogne, ­ correspondant pour Le Figaro (Paris), Salut Public (Lyon), Sémaphore (Marseille), L'Indépendance (Bruxelles) » ­ a travaillé comme rédacteur pour les publications Peuple Roumain, L'Indépendance roumaine, La Roumanie, qu'Emil Galli (1845-1906), né à Ajaccio ­ venu en Roumanie en tant que correspondant de guerre ­ a fondé en 1888 le quotidien La Roumanie, ou que Victor Berardi (1854-1998), un autre correspondant de guerre a travaillé avec F. Damé, au journal La Liberté Roumaine, etc. Toutes ces détails contribuent à esquisser d'une manière précise un contexte très complexe qui englobe « les polémiques apparues tout au long de la construction identitaire, les attitudes et les décisions surprenantes par leur actualité, les preuves de synchronisation avec les pratiques professionnelles et la vie associative des pays occidentaux ».

La deuxième partie de l'ouvrage est consacrée à l'histoire de l'institutionnalisation de la formation des journalistes en Roumanie. L'intérêt de cette partie vient d'abord du fait que cette composante de la profession de journaliste ­ c'est-à-dire la formation ­ est le lieu d'une polémique très ancienne dont les premières formes remontent aux débuts mêmes de la presse roumaine. Les questions qui alimentent cette polémique portent essentiellement sur les études spécialisées comme condition sine qua non pour accéder au métier de journaliste, les conditions de ces études, la durée de ces études, les domaines de formation, etc. L'intérêt de cette partie vient également du fait que l'auteur ne se propose pas d'apporter une réponse, mais tout simplement de mettre à la disposition des intéressés quelques éléments historiques peu connus et cela pour alimenter plutôt une « réflexion » qu'une polémique. La mise en perspective, dans un ordre chronologique, des ces tentatives d'institutionnalisation de l'enseignement journalistique roumain conduit néanmoins à la constatation paradoxale que ­ malgré l'obsédante et continuelle recherche pour la mise en place d'une école de journalisme ­ « jusqu'en 1990 seulement pendant les régimes autoritaires ont pu être crées des structures institutionnelles cohérentes de formation dans le domaine du journalisme ».

La dernière partie de l'ouvrage est un recueil de statuts de journalistes. Plus exactement, il s'agit de dix statuts qui ont marqué la profession de journaliste dans l'espace roumain de 1899 à 1956, c'est-à-dire du statut de l'association des journalistes constituée sous le nom de « Societatea Presei » (La Société de la Presse) et jusqu'au statut de l'Union des Journalistes de la République Populaire Roumaine. Le recueil de ces statuts a le mérite de donner un aperçu des préoccupations d'ordre professionnel éprouvées par les journalistes de Roumanie à différents moments de l'histoire du pays et de fournir certains éléments indispensables pour l'analyse de l'évolution de cette profession.

Les documents normatifs (décrets, lois) concernant la profession et l'exercice de la profession de journaliste en Roumanie réunis dans les annexes de l'ouvrage, ainsi que la chronologie insérée à la fin du livre complètent ce travail minutieux, richesse en informations et à mon avis incontournable pour l'étude et la compréhension de la pratique journalistique roumaine et de ses acteurs.
© Sciences de la Société n° 66 - octobre 2005