Notes
de lecture du numéro 73 - fév. 2008
Philippe FONTAINE,
dir., La culture, Paris,
Ellipses, 2007, 282 p.
Luc BONNEVILLE, Sylvie GROSJEAN,
Repenser la communication dans les organisations, Paris,
l'Harmattan, 2007, 294 p.
Stéphane CARO DAMBREVILLE,
L'écriture des documents numériques. Approche
ergonomique, Hermès Science/ Lavoisier, 2007, 202 p.
Philippe FONTAINE, dir., La culture, Paris, Ellipses, 2007, 282
p.
Recension
par Alina ROMASCU, étudiante
en master 2 Recherche "Esthétique, communication audiovisuelle
et médias", Université Toulouse-Le Mirail
Dans l'ouvrage La culture, Philippe
Fontaine propose une « clarification conceptuelle »
de la notion de culture, clarification qui, selon lui «
est rendu[e] nécessaire par l'usage inflationniste de cette
notion qui, aujourd'hui, ne désigne plus seulement, selon
son sens classique, l'effort de raffinement intellectuel de l'homme
cultivé, mais aussi, et peut-être de plus en plus,
les murs particulières d'une société, c'est-à-dire
l'ensemble des institutions et pratiques constitutives d'une culture
donnée, selon une acception sociologique et anthropologique
du terme ».
A cet effet, l'auteur décline quelques repères théoriques
structurant la pensée de la culture. Ainsi, la constitution
du monde culturel est présentée comme synonyme de
l'arrachement à la nature de l'humanité. Plus exactement,
dans cette optique, la culture apparaît, d'abord, comme
l'« ensemble de phénomènes constitutifs de
l'existence humaine ». Elle s'impose comme le fondement
de la distinction qui existe entre l'homme et l'animal. Ensuite,
en s'appuyant sur la philosophie d'Ernst Cassirer, Philippe Fontaine,
élabore l'idée que la culture est un produit de
la « fonction symbolique ». Afin de mieux comprendre
l'agissement de l'homme, l'auteur bâtit une analyse de la
structure du comportement humain en se basant sur les études
de Maurice Merleau-Ponty. En fin, pour mettre en valeur l'effort
d'arrachement que l'homme poursuit continûment par rapport
à l'ensemble de ses déterminations naturelles, l'auteur
construit une analyse du langage, en tant qu'institution culturelle.
Aussi, la culture au sens subjectif est associée à
son rôle de formation. Afin de mieux situer son analyse
de la culture comme formation de soi, l'auteur remonte aux origines
latines du terme « culture », puis retrace les origines
du processus de connaissance de soi dans la philosophie grecque.
C'est plus tard, à l'époque des Lumières
que ce « processus » de connaissance de soi prend
la forme d'une formation de soi, en tant qu'élément
constitutif de la culture. Par la suite, plusieurs acceptions
philosophiques du concept de formation font l'objet d'analyse
de cette partie de l'ouvrage.
Un troisième repère, dans son effort de repenser
la culture, est l'approche anthropologique de la culture. Ainsi,
afin d'identifier les instruments conceptuels permettant de définir
pertinemment la culture, l'auteur livre une série d'analyses
centrées sur la question de la différenciation de
l'ordre de la nature de celui de la culture. La prise en charge
par l'anthropologie, du problème de la définition
de la culture comme détermination spécifique de
la condition humaine étant le point d'articulation de toutes
ces analyses.
L'approche de la crise de la culture porte, ensuite, sur la polémique
qui s'installe entre la culture classique et les héritiers
de l'approche culturaliste de la culture. L'analyse du nihilisme
nietzschéenne, mais aussi les études faites par
d'autres auteurs, approfondissant la thèse d'une ample
crise de la culture à l'époque de la modernité,
fournissent à l'auteur les repères significatives
pour l'élaboration d'une théorie générale
de la culture.
Le cinquième repère théorique relevé
par l'auteur soulève le problème de la dialectique
de la culture et de la vie, telle qu'elle a été
exposée par G. Simmel. Dans ce contexte, l'auteur montre
que seulement la prise en compte de la dialectique du subjectif
et de l'objectif permet de donner un sens précis au procès
de culture. Après la présentation de la thèse
du cheminement de « l'âme en route vers soi »,
Philippe Fontaine développe, également, d'autres
articulations entre la culture et la vie ainsi que la culture
comme auto-production objective du processus de la vie et pose
la dissociation de la valeur culturelle et de la valeur éthique
de l'uvre ou la contradiction entre le « subjectif »
et l'« objectif » comme « tragédie de
la culture ».
La perspective proposée par Hannah Arendt, ouvre vers un
autre point de vue du panorama de la crise de la culture. Une
partie significative de l'analyse est consacrée à
la portée sociale et politique de cette crise. Afin, d'élucider
les rapports entre la culture et la société, l'auteur
centre son argumentation sur le « statut objectif du monde
culturel qui, pour autant qu'il contient des choses tangibles,
englobe en lui-même le passée tout entier remémoré
des pays, des nations, et finalement du genre humain ».
Les différentes analyses évoquées précédemment
tentent de réaliser, entre autres, une esquisse du processus
« de désagrégation interne qui semble avoir
atteint, à l'époque moderne, les valeurs fondamentales
sur lesquelles notre tradition occidentale reposait jusqu'à
présent ». Philippe Fontaine conclut son analyse
de la crise de la culture par une description des rapports qui
s'instituent entre culture et barbarie. Ainsi, l'auteur précise
que ce n'est pas le rapprochement qui existe entre la culture
et la barbarie qui pose problème, mais c'est plutôt,
la signification de la relation entre barbarie et culture qui
devient une impasse dans le processus de rattachement du phénomène
de la barbarie contemporaine à une théorie plus
large de la culture. Les données historiques du dernier
siècle nous révèlent que l'avancement de
la science et de la technique, comme d'ailleurs d'une manière
générale l'évolution de la raison, «
ne sont nullement en mesure d'endiguer, à l'échelle
de la civilisation mondiale, la montée de la barbarie ».
Un dernier repère, dont une théorie générale
de la culture ne pourra pas s'affranchir, se trouve dans la théorie
freudienne de la culture qui aura posé les fondements d'une
nouvelle interprétation de la structure du psychisme humain.
En guise de conclusion à son ouvrage, l'auteur réitère
le constat de la fragilité intrinsèque de la culture
dans « cette période de confusion idéologique,
où aucun sens ne semble plus être en mesure de s'imposer
».
©
Sciences de la Société n° 73 - fév. 2008
Luc BONNEVILLE, Sylvie GROSJEAN, Repenser la communication dans les organisations,
Paris, l'Harmattan, 2007, 294 p.
Recension
par Stefan BRATOSIN, MCF HDR
de Sciences de l'information et de la communication, LERASS-Université
Toulouse 3
En croisant les regards d'une douzaine de chercheurs français
et canadiens dont les recherches portent sur la communication
dans les organisations, l'ouvrage dirigé par Luc Bonneville
et Sylvie Grosjean propose quelques éléments de
réponse à une question qui malgré son caractère
fondamental a été peu ou timidement posée
dans ce domaine : la question de la production du sens. Ces
éléments de réponse marquent une orientation
prometteuse pour les recherches sur le terrain des communications
organisationnelles notamment par leur caractère novateur
qui réside principalement dans la volonté affichée
de mettre en évidence quelques orientations d'un mouvement
qui déplace le cadre d'analyse du traditionnel «
paradigme d'informativité » vers celui du «
paradigme de la communicabilité ». A cet effet, organisé
en quatre parties « sur la base de critères thématiques
», l'ouvrage regroupe une diversité d'approches notable.
La réflexion sur la construction du sens et de la signification
dans la vie des organisations offre, ainsi, à la première
partie du livre trois contributions signées respectivement
par Béatrice Vacher, Gino Gramaccia, Christian Brassac
et Pierre Fixmer le cadre d'une unité thématique
permettant de montrer que « par le biais des échanges,
débats, négociations, ruses et bricolages, les membres
d'une organisation en arrivent à clarifier, partager des
perceptions, des interprétations et a créer progressivement
du sens ». Sans aller jusqu'à la mise en évidence
des déterminations phénoménologiques internes
au processus de production du sens, cette partie a sans doute
le mérite non seulement de montrer toute une série
des lieux de production de sens dans les organisations, mais aussi
de mettre à l'épreuve l'hypothèse du sens
comme résultat de la pratique d'un contexte investit lui-même
auparavant par un sens partagé.
« La question du sens et de la connaissance » qui
est posée dans la deuxième partie de l'ouvrage apparaît
comme une occasion pour les auteurs Jean Robillard et Sylvie
Grosjean de considérer les concepts d'information,
de communication et de connaissance afin de proposer une «
relecture critique du concept de connaissance organisationnelle
». La visée de la démarche est une théorisation
du lien existant entre mémoire et connaissance par la re-connaissance
du rôle fondamentalement dynamique des activités
communicationnelles « dans l'émergence de formes
de mémoire organisationnelle ». Autant dire que cette
théorisation conçoit le concept de « mémoire
organisationnelle » en convoquant le concept d'action, c'est-à-dire
en opposition avec une vision statique de l'objet et en adéquation
avec une construction sociale de la mémoire organisationnelle
en tant que flux de l'action.
Dans la troisième partie, les analyses sont centrées
sur la question du « sens de l'action dans le contexte de
l'informatisation des organisations, plus particulièrement
dans le cadre de l'implantation des technologies de l'information
et de la communication ». Les auteurs Luc Bonneville
et Florence Millerand fondent leurs remarques sur des observations
faites sur deux terrains : un appartenant au domaine de la
santé, l'autre au domaine de la recherche universitaire.
Les approches macrosociologique d'une part, quasi ethnométhodologique,
d'autre part sont différentes, certes, mais la complémentarité
des réponses apportées à la question qui
est posée dans cette partie enrichit la réflexion
par la mise en exergue des niveaux multiple d'investigation.
Enfin, la dernière partie de l'ouvrage est remarquable
pour la remise du sujet au centre du questionnement sur le sens
de la communication dans les organisations. Ainsi, en revisitant
le concept de « communication participative »
revisite proposée par Ana-Maria Davila-Gomez et Pierre-Paul
Morin et en tentant de saisir « les mécanismes
âgistes et les processus contribuant à une culture
négative de l'âge au travail » tentative
faite par Martine Lagacé et Francine Tougas les deux
dernières contributions du sommaire constituent indéniablement
un des points non seulement d'équilibre, mais aussi de
réel intérêt dans l'économie de cet
ouvrage.
Cela dit, une fois terminée la lecture de l'ouvrage, on
ressent le goût d'une forte frustration marquée une
fois de plus par l'approche étriquée de la notion
d'organisation retenue par les coordonnateurs. Il s'agit d'une
manière agaçante mais aussi handicapante et par
conséquent gênante épistémologiquement
à mon sens réitérée désormais
depuis un bon moment dans le champ des sciences de l'information
et de la communication et qui consiste à borner quasi systématiquement
c'est-à-dire à quelques exceptions près
la pensée de la communication dans les organisations
aux études des organisations de travail. Certes, repenser
la communication dans les mêmes organisations, c'est-à-dire
dans les organisations de travail, est indéniablement une
entreprise ce n'est pas un lapsus absolument nécessaire.
Mais repenser la communication dans les organisations en entendant
l'organisation dans le sens entier du terme, demeure sûrement,
même après cet ouvrage, une urgence vitale pour le
développement disciplinaire.
©
Sciences de la Société n° 73 - fév. 2008
Stéphane CARO DAMBREVILLE, L'écriture des documents numériques. Approche ergonomique, Hermès Science/ Lavoisier, 2007, 202 p.
Recension par Jean-Thierry JULIA, MCF de Sciences de l'information et de la communication, LERASS-Université Toulouse 3
L'ouvrage est assez rare pour être
signalé : si de nombreux recueils traitent des multiples
aspects du « document numérique » ou
autrement dit du « multimédia » bien
peu s'attachent alors à montrer de façon pertinente
les spécificités de l'écriture qui y sera
associée. C'est en effet ce à quoi réussit
Stéphane Caro Dambreville, dans un volume complet et très
organisé : l'auteur y envisage systématiquement
toutes les dimensions de ce (toujours nouveau...) type de document,
et décline à chaque fois les multiples aspects qui
pourront singulariser le processus d'écriture et de production
d'un document numérique.
Préalables à la chose, les deux premiers chapitres
s'attachent à un retour aux fondements notamment
historiques du multimédia et du document numérique
; ce sera l'occasion de cerner un certain nombre de notions et
concepts propres au champ (interactivité, multimodalité...)
de façon à questionner par la suite une «
ergonomie cognitive » d'un tel document. On soulignera en
particulier l'investigation comparative première entre
document papier et document numérique, menée très
finement et très précisément autour de ce
qui fait la particularité d'un support aussi bien que de
l'autre, et qui a le mérite au final de poser ce dont l'ouvrage
traitera et ce dont il ne traitera pas. Le chapitre 3 s'attache
à la structure d'un document numérique, et bientôt
à son corollaire de la « navigation », tributaire
de la représentation mentale qu'elle soit étayée
ou non par la technique que l'on pourra se faire du document
dans l'étape de sa consultation. Là encore, l'approche
est très systématique (même si l'on peut regretter
l'absence de quelques vues, par exemple au-delà du tout
arborescent), et au final, les parcours de navigation, parfois
tortueux, gagneront à être passés au crible
de la réflexion proposée par Caro Dambreville en
la matière.
Chapitres 5 et 6 nous ramènent alors mais les points
préalables auront été nécessaires
à la « surface » visible du document,
c'est-à-dire vont traiter des aspects d'une part de mise
en forme du document (notamment textuelle), d'autre part des nombreux
« organisateurs para-liguistiques » : sous ce terme,
l'auteur s'attache à tous les éléments, non
textuels, constituant pourtant la spécificité du
document multimédia, qui permettront la mise en valeur,
la hiérarchisation, et au final une accessibilité
différenciée et une consultation que l'on voudra
facilitée des différents contenus numériques
(typographies, couleurs ; icônes, menus, qu'ils soient déroulants
ou en cascade...). Sous-jacent à l'investigation méticuleuse,
le référent sémio-pragmatique permet d'ordonnancer
au mieux la chose, et dès lors d'appréhender le
document numérique de façon structurée. L'avant-dernier
chapitre présente en outre différentes méthodes
qui permettront d'évaluer l'ergonomie générale
d'un document multimédia (tant relative à utilité
d'un produit, son « utilisabilité » relative
à la facilité de son utilisation qu'encore
à son esthétique). Et l'ouvrage de se clore sur
un dernier chapitre, à la fois analytique et prospectif,
en tous points très documenté, qui, au terme d'un
état de l'art en la matière, tente de circonscrire
les tendances vers lesquelles pourrait s'orienter la réalisation
des multimédias que nous connaîtrons demain.
Ainsi, l'ouvrage pourra intéresser tout aussi bien les
personnes professionnellement engagées dans la réalisation
de documents et produits multimédias, que plus largement
celles et ceux qui discourent aisément autour de tels objets,
tout en méconnaissant parfois ses spécificités
intrinsèques, de fait bien au-delà de celles d'autres
documents. L'auteur aura de la sorte réussi une investigation
complète et précise, qui méritait assurément
d'être soulignée dans le champ des études
autour des tic.
©
Sciences de la Société n° 73 - fév. 2008