Économie,politique, morale et société
Dossier coordonnépar Patrick Chaskiel
Patrick Chaskiel,Débatsdans les théories sociales (Texte intégral)
Niklas Luhmann, Léconomiede la société comme système autopoiétique.(1) et (2)
Stefano Petrucciani,Moraleuniverselle et politique démocratique dans la perspectivede Habermas
Hans Joas, Pluralisme des valeurs et universalismemoral
Jacques Bidet, Modernité, ultimodernité,postmodernité
Jean Cartelier, La monnaie. Du conceptéconomique au rapport social
Heiner Ganßmann, La monnaiecomme fait social
CHRONIQUE
Guy Jalabert, La ville : objet derecherche autonome ou reflet de la société ?
Texteintégral
La présentelivraison de Sciences de la Société proposedes contributions marquées par leur originalitédans le vaste et mal défini domaine des " théoriessociales ", ou ce quon appelle encore, de façonnon équivalente mais sûrement plus éclairante :" les théories de la société ".La prudence mise pour traiter des théories sociales commedun domaine, supposant donc une certaine unité, nestpas une simple clause de style. Déterminer cette uniténest pas une petite affaire, ainsi quen témoignentles difficultés rencontrées et assumées par ceux qui sy sont essayés (par exemple,Giddens, Turner, 1987, 1-10).
DE QUOI PARLE-T-ON ?
A linstar dessciences sociales, les théories sociales, qui en représententla fondation la plus abstraite, sont constituées par descourants divergeant sur les paradigmes initiaux à développer.On y retrouve des clivages bien connus, opposant par exemple lesthéories de laction et la théorie des systèmes,pour ne prendre que le spectre le plus large, et sans considérerque ceux qui tentent de combiner action et système, pointde vue micro et point de vue macro, se situent dans un entre-deux,un compromis qui ne saurait exister sur le plan conceptuel. Onpeut envisager cette multiplicité des thèses enprésence soit comme un signe de vitalité (Giddens,Turner, 1987) soit comme celui dun échec, au moinsprovisoire (Mouzelis, 1995). On peut aussi admettre que le domainedes théories sociales est lui-même social et, àce titre, imprégné des phénomènesque ces théories examinent dans le cadre dune représentationautoréférentielle, décrite dun côtépar la sociologie de la connaissance (Berger, Luckmann, 1994),de lautre par Luhmann (notamment dans le texte publiéici même).
Si ce nestdu côté des réponses que peuvent êtrehomogénéisées les théories sociales,il faut alors situer leur trait commun plutôt autour duneinterrogation abstraite commune à propos de lordresocial ou sociétal, sur les conditions de sapossibilité et/ou sur ses formes et/ou sur ses effets.Dans leur diversité, les courants de pensée concernéssont tendus vers lexplicitation des modalités dela coordination ou de lintégrationdactions, si lon admet avec Simmel que partout oùlon rencontre des actions réciproques il y a société(Simmel, 1981, 165). Plus généralement, on peutentendre par coordination ou intégration sociale une dynamiquede coordination dactions ou de pratiques réciproques,individuelles ou collectives, de conflit ou de coopération.Que cette définition soit minimale ne doit faire aucundoute, mais toute précision supplémentaire la feraittendre vers lun ou lautre des courants théoriquesdont sont faites les théories sociales.
Du coup, découvrirune grille de lecture qui fasse justice des apports respectifsdes différentes thèses et permette de les situerconceptuellement les unes par rapport aux autres, na riendune évidence. Le spectre classiquement descriptifde ceux qui privilégient le micro ou le macro-social nerésiste pas aux dépassements sans cesse revendiquésdune telle dichotomie. Les interpénétrationsde théories ne facilitent guère non plus la lisibilitédu domaine considéré. On trouve certes des constantes,mais ces dernières ne le sont que parce quelles serenouvellent. Ainsi en est-il du paradigme de lacteur rationnel,quand il sétend à lirrationalitépour appréhender la formation de lordre social (Elster,1989). Ainsi encore, lalternative communauté ou société(Tönnies, 1977) sest-elle reproduite à traversdes " variantes " contemporaines, mêmesi elles en ont produit des formulations spécifiques etfortement différenciées. On trouvera une variantesophistiquée chez Habermas (1987) et chez Giddens (1987),sous la forme de théories articulant intégrationsystémique et intégration sociale, selon une terminologieinaugurée par Lockwood (1992).
Ailleurs, systèmeet action ou communication(s) constituent lobjet unifié le système social de la tradition du fonctionnalismestructuraliste de Parsons (1973) ou du structuralisme fonctionnalistede Luhmann (1995). Anti-fonctionnalistes, les thèses " constructionnistes "de lorganisation et de lordre les analysent commele produit de l(inter)agir, que ce soit dans la traditiondu pragmatisme, très influent aux États-Unis, oude linteractionnisme symbolique. Ailleurs, encore, se positionneraientles propositions de Bourdieu sur lhabitus ou, par extension,des auteurs relevant de lÉcole de Francfort, dontle projet initial visait à unifier conceptuellement tousles champs spécialisés dans la connaissance de lhommeet de la société (Wiggerhaus, 1993).
Sans couvrir lensembledes possibles, les contributions que lon lira ci-aprèstraduisent de façon circonscrite lampleur des problèmesposés. Leurs propositions se concentrent essentiellementautour de deux thématiques fortes : le problèmede la modernité et, à ce titre, des valeurs et desnormes dune part, celui de la monnaie comme " régulateur "des activités économiques, dautre part. Cetteparticularisation ne relève pas, disons-le, duneprégnance particulière de ces deux thématiquesdans les recherches menées au sein des théoriessociales. Elle ressort dune gestion éditoriale qui,au delà de ses contraintes, a voulu combiner des critèrescomme la dynamique des débats sur la démocratie,la valorisation de travaux menés par des chercheurs (trop)peu " accessibles " en France et celle derecherches portant sur le domaine économique, encoreassez peu envisagé en France, du point de vue des théoriessociales.
Cette présentation,loin de chercher à créer des rapprochements et desconvergences artificiels, a pour objectif de mettre en évidencele caractère novateur de ces contributions en regard deleur inscription dans la tradition des théories sociales.
MODERNITÉ,VALEURS, NORMES ET DÉMOCRATIE
Les discussions surles questions relatives à la morale, aux normes et auxvaleurs, ainsi que dans le même temps, à la modernité,à la post-modernité et à la démocratieont, depuis deux ou trois décennies au moins, largementdébordé le cadre philosophique qui a, longtempsdurant, été le leur. En France, ce phénomènesest développé, notamment autour des travauxde Jürgen Habermas, dont linfluence a dépasséles cercles universitaires, et qui peuvent servir de point dedépart. Comme le suggère la contribution de S. Petrucciani,lenjeu des ces débats est certes cognitif, mais ilest aussi politique dans la mesure où leur horizon estle fondement dune société démocratique.On peut dès lors comprendre la dynamique provoquéepar Habermas en proposant une théorisation qui, tout ensinscrivant dans une tradition contestataire, nenest pas moins tendue vers la définition dune politiquedémocratique.
Dans des publicationsrécentes, en effet, il a précisé et infléchisa pensée sur la question de la démocratisationde la société en explicitant les possibilitésoffertes par le médium droit face aux contraintes " systémiques "imposées par le pouvoir et largent. Ayant depuisquelque temps renoncé à lidée que le" système " pouvait êtretransformé de lintérieur, Habermas a avancélidée que la démocratisation impliquait laformation de compromis entre le " système ",représenté par lappareil bureaucratico-administratif,et le " monde vécu ", représentépar sa composante société civile (Habermas, 1997).
L'IMPORTANCE D'UNETHÉORIE DE L'AGIR POLITIQUE
La difficultéà surmonter est que, pour être acceptables par lemonde vécu, de tels compromis doivent relever dunemorale universelle, au sens où elle énonce un certainnombre de principes " pour tous ". Toutefois,dans la mesure où il sagit de compromis, ils mettenten jeu un double niveau de conditions dexistence :celui du compromis proprement dit, dune part, et des conditionsde passation du compromis, dautre part. Ces compromis seformalisant grâce au médium juridique impliquentlégalité des forces en négociationet le respect des principes universels qui, eux, ne sont jamaisnégociables.
Du coup, si aucuncompromis ne peut sétablir sans raisons morales,se pose la question de larticulation entre normes juridiquesqui sont lobjet du compromis et questions morales qui, elles,ne peuvent jamais relever dune quelconque négociation,faute de perdre leur caractéristique duniversalité.On peut, dès lors, soulever deux problèmes. Le premierconcerne lhypothèse quun accord entre systèmeet monde vécu est effectivement possible sur la seule basedes relations entre appareil bureaucratico-administratif et sociétécivile. Cette hypothèse est problématique dans lamesure où elle ignore la question, posée parfoispar Habermas lui-même, de linterpénétrationde lappareil politique et du système économique.Cest dailleurs pourquoi il a rejeté les utopiespolitiques des tenants de lÉtat social, quine prennent pas en compte cet enchevêtrement et surestimentla capacité de lÉtat à dompter léconomie(Habermas, 1990). En dautres termes, pour que la positionde Habermas soit définitivement valide, il lui faudraitétayer lidée que les compromis juridiquespassés entre lappareil bureaucratico-administratifet la société civile ni ne perturbent le fonctionnementdu système économique au point de menacer la reproductionde la vie matérielle ni, à linverse, ne sontrendus caducs par un système économique devenu indomptable.En dautre termes, il reste à faire la démonstrationque ces compromis respectent des contraintes dont le caractèresystémique interdit quon les gère démocratiquementde lintérieur.
Le deuxièmeproblème traité par S. Petrucciani est celui delarticulation entre normes morales et juridiques. Si leprojet général de Habermas est de chercher, àla fois, une théorie politiquement normative et une théoriedescriptive, cela le conduit sinon à une aporie, tout aumoins à un obstacle de taille. En effet, sur les rapportsentre normes juridiques et morales, Habermas tient deux positionsdifférentes. Dune part, il affirme ne donner aucuneprééminence aux normes morales ou aux normes juridiques puisquele droit ne doit et ne peut découler de la seule morale.Mais dautre part, sil considère que les normesjuridiques ne peuvent contredire les normes morales, il naffirmejamais linverse. Il en découle donc une dissymétriequi heurte le présupposé initial.
A cette premièredifficulté, sajoute le fait que les deux types denormes doivent elles-mêmes découler de la discussion,au sens conceptuel que Habermas entend donner à ce terme.Du coup, S. Petrucciani peut soulever la question de la cohérenceet, donc, de la validité dune thèse qui, duncôté, normativise la discussion et, de lautre,nindique pas comment ladite discussion pourrait se développeren dehors dune situation idéale de communication.En dautres termes, comme dautres critiques lontégalement fait remarquer; si lémancipationest bien lhorizon de la discussion, cette dernièreprésuppose paradoxalement la présence de citoyensdélestés de toute préoccupation stratégique,autrement dit de citoyens dores et déjà émancipés(Archer,1990). Il y a donc une circularité qui nest passimple à lever sans toucher au cur du projet de Habermas :combiner une approche à la fois normative et descriptive,projet qui devrait être appliqué au problèmedes rapports entre lidéal communicationnel etlagir stratégique.
En effet, quand iltraite de la pratique politique, Habermas sen tient àla dimension normative, sans la combiner avec une observationpragmatique. Or son projet devrait déboucher sur ce quePetrucciani appelle au double sens du terme :une théorisation de lagir politique, en considérantque sinspirer dun universalisme républicainet social nimplique pas, pour autant, de se limiter àune " politique des bons arguments " et sabstrairede toute organisation stratégique, alors que, commeHobbes lindique, les adversaires le font.
EXPRESSIVITÉDE L'AGIR, CONTINGENCE DES VALEURS
Si pour S. Petrucciani,la référence à Hobbes est en quelque sorteun détour, pour Hans Joas, en revanche, il sagitdun point de départ via le problèmehobbesien, tel quil est formulé par Talcott Parsons :" comment un ordre social pacifique peut-il naîtredun état de nature dans lequel les sujets nagissentque pour des motifs parfaitement égoïstes ? "(Joas, 1999, 19 et s.). On connaît le paradigme de Parsons :compte tenu du caractère doublement contingent des attentesdalter et ego, ils ne peuvent communiquersans être capables de généraliser toute particularitéet sans stabiliser le sens de ce quils offrent. Par conséquent,un système symbolique partagé, forme la plus élémentairede la culture, est la précondition de tout ordre social(Parsons, Shils, 1954, 15-16). Avec cette hypothèse, desnormes culturelles demblée communes,on présuppose résolu et on déplace le problèmede lexistence dun ordre social pacifique. Lordresocial est, en effet, une donnée dévidence,une réalité sui generis, dont on peut certesformaliser le fondement, mais pas lorigine. Le problèmeà résoudre ne serait, dès lors, " que "celui de larticulation des modalités dintégrationfondée sur une intégration culturelle placéeen amont.
H. Joas offre uneautre vision en changeant de point de vue, réfutant celuidu système pour adopter celui de lacteur dont lagir créatif nest jamais seulement déterminépar la situation dans laquelle il sinscrit. Sil nenétait pas ainsi, lintentionnalité, comme fondementde lagir, perdrait toute signification (Joas, 1999, 171).Une telle posture diffère dailleurs non seulementde celle de Parsons et de la tendance fonctionnaliste, mais ausside celle de Habermas. Elle soppose à lidéede Parsons pour lequel tout se résoudrait dans lintégrationculturelle, cest-à-dire dans les valeurs universellesenserrant la société, mais elle soppose aussià Habermas dans la mesure où est assuméelidée que les normes sociales se situent dans laperspective de lacteur. Le problème central, contrairementà ce quenvisage Habermas, nest donc pas celuide la fondation discursive intersubjective des valeurs et desnormes, cest-à-dire, dans la terminologie de Habermas,dela morale pour tous et de léthique la vie bonne pour soi ou pour nous. Si H. Joas tientune position différant sensiblement de cette éthiquede la discussion, ce nest pas parce quil rejette lefondement discursif de toute interaction humaine, mais parce que,à la suite des auteurs pragmatistes, la communication nestpas en elle-même une caractéristique humaine puisquonpeut la rencontrer chez les animaux. Loriginalitéhumaine est plutôt que la communication entraîne laproduction dans lindividu lui-même de la réactionquil provoque chez autrui de telle sorte quil puissediriger sa conduite ultérieure à partir de cetteréaction (Mead, 1963, 63). On ne peut conclure de celaque le pragmatisme se contenterait dune thèse serésolvant tout entière dans lidée dadaptationau milieu. Dans la lignée pragmatiste détailléepar H. Joas, la question déterminante est, au contraire,celle de la croissance, de lautodépassement, de lacréativité (Joas, 1999, 148).
Du coup, les universaux définissant le bien ne déterminentpas exclusivement la conduite dun acteur tendu vers un actejuste quil lui faut spécifier et pour qui les valeurssont contingentes. Envisagé sous un autre angle, et dansune autre formulation, ce problème de la nécessairedistinction entre intégration culturelle et intégrationsociale, entre le bien et le juste, entre les valeurs et les normesdes agents individuels ou collectifs implique de considérer,tout à la fois, luniversalité et le pluralismedes valeurs, dont lidée quils sont tous deuxcombinables est lobjet de la contribution de H. Joas.
Si lon pousseplus loin ce raisonnement, lévidence de Parsons quantà lexistence dun ordre social " pacifique "est indubitablement questionnée. Le principe, mêmecombiné, de pluralisme et duniversalisme des valeurslaisse en permanence ouverte la porte à de possibles affrontementsculturels. Surtout si lon admet le fait que tout ordre ettout changement sont contingents, puisque résultant dunevolonté constructive des acteurs coopérants quine peuvent décréter le caractère pacifiquede ce que leurs actions engendrent. En même temps, la dimensioncréative de lagir contredit tout éventuelpessimisme, tel quon le trouverait notamment chez Weber,car il y a toujours une alternative entre la violence et la créativitéintégrée dans une vie pleine de sens. De ce pointde vue, le contraste des positions de H. Joas et de J. Bidet savèreparticulièrement fort.
MÉDIATIONS,CONTRACTUALITÉ, CENTRICITÉ
On lira dans la contributionde J. Bidet, sappuyant simultanément sur une critiqueinterne de Marx (Bidet 1985) et sur une réélaborationdes sociologies post-weberiennes (Bidet 1999), une thèseradicalement différente de celle de H. Joas en ce sensque ce sont les médiations et non lactionqui sont premières. Mettre en avant les médiations,et non seulement lentente immédiate de tous sur toutne renvoie pas simplement à une réévaluationdes sociologies post-weberiennes, puisquest explicitementcontestée lextériorité de léconomiqueet du politique, quon trouve dailleurs aussi biendans lédifice marxien infrastructure/superstructureque dans la dichotomie habermassienne du système (et saséparation entre systèmes économique et administratif)et du monde vécu.
En fait, il sagitde formaliser les médiations de la modernité àtravers une matrice générale, métastructurelledes médiations, dont la modernité nest jamaisquune forme historique des rapports de classe. On peut trouver,ci dessous, un schéma synthétique reconstitutifde ce que J. Bidet appelle la méta/structure de la modernité.
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Le jeu du rationnelet du raisonnable induit ainsi une représentation du mondemettant en exergue une interrogation héritée deléconomie institutionnaliste et, par analogie, permettantde sortir dune aporie propre à la philosophie politiquemoderne. En effet, cette dernière ne peut répondreà la question : " comment passe-t-on dunmonde qui est à tous, puisque rien nest àpersonne par droit de nature, selon Locke et Kant, à unmonde partagé en nations ? ". Aussi peut-on peuttransposer la question fondatrice de léconomie institutionnaliste :" pourquoi y a-t-il des firmes ? ", àune autre échelle et se demander : pourquoi y a-t-ildes nations ?
Rapportéeà limbrication du marché à lorganisation,la nation apparaît comme lespace territorial et organisédaffirmation de la règle du marché qui, fautede nation, ne pourrait se déployer. De ce point de vue,on peut observer que lapport de linstitutionnalismeéconomique est réinterprété par J.Bidet. En effet, la distinction institutionnaliste entre deuxmodes de coordination des activités économiques,selon quils privilégient la coordination marchandedes transactions directes ou la hiérarchie des organisationsbureaucratico-administratives (par exemple, Williamson, 1994)a une logique interne. Lorganisation y apparaît, certes,comme une alternative au marché, mais à partir duneévaluation des coûtsde transaction qui constituent la variable clé de ladécision de ne pas recourir au marché. Dèslors, lorganisation est une décision de négationpuisque le marché est premier.
La nation étantnon une décision, mais une construction, linflexionde la logique institutionnaliste fait de la nation plus quunesimple hiérarchie organisée, comme lest lafirme : la nation est aussi culture. Elle nest pasculture par rapport à lacteur en tant que forme universelledu bien, elle est forme identitaire, par rapport au marchéet à lorganisation qui se déploient àléchelle du monde, pour former le systèmedu monde fonctionnant sous les apparences dinstitutionsétatiques mondiales. Louverture possible ne peutdonc résider que dans lessor de la contractualitémondiale aboutissant au " village global "et à lobsolescence du marché et de lorganisation.Bref, la post-modernité ou socialisme et non lultimodernitéqui serait atteinte par poursuite du mouvement de la centricitésystémique.
Si la caractérisationde J. Bidet insiste sur la dualité marché-organisationet laisse entrevoir la possibilité de son obsolescence,lauteur adopte à lévidence un autreparti pris que dautres recherches relatives à léconomiede la société, qui mettent en avant non pas le marché ou lorganisation -, mais la monnaie, sous lhypothèsequelle leur est logiquement antérieure.
L'INSCRIPTIONSOCIÉTALE DE LA MONNAIE
Les débatsconceptuels sur linscription sociale et sociétale de léconomique ont pris, depuis quelque tempsde lampleur, notamment en France. Outre les travaux évoquésprécédemment de J. Bidet, des ouvrages (par exemple,Aglietta, Orléan, 1998 ; Jacob, Vérin, 1995)ont mis en valeur tant la nécessité que la possibilitéde fonder une vision englobant les dimensions sociales de léconomie,à partir de la lecture dauteurs relevant des " grandesthéories " (par exemple, sur Simmel, Baldner,Gillard, 1996). Sur une autre voie, le marché est lobjetdune analyse de Bourdieu se situant dans sa propre perspectiveconceptuelle des " luttes de champ "(Bourdieu, 2000). Si tous ces travaux se rejoignent dans le soucide donner une explication pas uniquement économique auxphénomènes économiques, ils se placent néanmoinsde part et dautre de lignes de clivage quils ne peuventque très difficilement franchir.
Loppositionà la théorie économique standard (ou théoriede léquilibre de marché), et à sa thèsedune rationalité parfaite des acteurs, ou aux théorieséconomiques de la valeur-travail de léconomiepolitique classique à, au moins pour partie, Marx ne représente dès lors quune unitécontingente. Il en va de même dans le cadre de lunificationdisciplinaire opérée par la " sociologieéconomique " (Smelser, Swedberg, 1994), dontles écarts semblent tout aussi importants que ceux quiséparent, par exemple, économistes et sociologues.Dans le cas de la sociologie économique, cette hétérogénéitésaccompagne dune faible place accordée aux" grandes théories sociales " contemporaines,à lexception partielle de celle deParsons, dont on connaît le poids institutionnel aux État-Unis.Des formalisations comme celles de Habermas ou de Luhmann, quipar certains côtés héritent de Parsons, sonttrès marginales, voiretotalement ignorées. Sil est vrai que Habermasna guère développé ses thèseséconomiques (cependant : Habermas, 1990, 105-126,venant après : Habermas 1978), il nen va pasde même de Luhmann, qui a traité de tout ou presque.
Dans cet ensemble,les textes relatifs à la monnaie ont pour particularitéde faire de cette dernière unélément conceptuel primordial pour toute conceptualisationde léconomique. Il sagit là dunedes lignes de clivage signalées précédemment,si lon observe quun auteur comme Bourdieu, pourtantintéressé par la vie symbolique, neprend pas explicitement en compte le symbole monétaireet que J. Bidet privilégie dautres types de médiations.
La traduction duntexte de Luhmann, sinon séminal tout au moins synthétique,sinscrit dans une volonté de rendre disponibles desthèses fortes. Modifiant la problématisation deParsons dans ses fondations (Luhmann, 1995, 103-106) et dans saproposition de considérer léconomie de lasociété comme un système autopoiétique,Luhmann innove incontestablement et stimule les débatsprésentés ici. En effet, bien que se situant dansla tradition des grandes théories de la domination (Marxet Weber, notamment), Heiner Ganßmann a, antérieurement,jugé fructueux dopérer un détour parles travaux de Luhmann (Ganßmann 1988) ; et Jean Cartelier,tout en rejetant la fiction de linterindividualitéégalitaire du social, voit dans les thèses de Luhmannsur lautopoièse de léconomie une formalisationcompatible, au moins partiellement, avec la sienne.
La caractéristiquecommune de ces différentes postures est de trancher avecune thèse bien ancrée dans et grâceà la théorie économique académiquede la monnaie, à savoir que la monnaie serait une conséquencelogique du troc. Si cette idée que la monnaie serait enquelque sorte une astuce pour repousser les limites du troc (etsa nécessaire unité de lieu et de temps) a la viedure cest, en premier lieu, parce quelle est, danstoute sa simplicité, largement répétéedans lhistoire de la pensée économique. Laséquence troc/ monnaie a trouvé sa légitimitédans toutes les théories de la valeur, de la valeur-utilitéà la valeur-travail. Cest, en second lieu, parcequaucune explication alternative densemble nestparvenue à simposer.
Or la séquencetroc/ monnaie est depuis longtemps radicalement critiquée,aussi bien empiriquement que conceptuellement, en posant que léchangesans monnaie et léchange monétaire relèventde caractéristiques différentes (Simiand, 1934,20-22). Et donc, que la monnaie constitue une rupture par rapportau troc et non son prolongement. Dans toutes les contributionspubliées ici, telle est lidée conduisant àfaire de la monnaie la base conceptuelle à partir de laquelledoivent être pensés le marché et léconomique.
Ceci nexclutpas que les auteurs suivent des chemins différents. J.Cartelier fait de la monnaie un rapport social qui conditionnelaccord marchand, cest-à-dire des conditionsfaisant que deux individus, au moins, peuvent conclure et effectivementréaliser une transaction entre eux (Cartelier, 1992, 233).N. Luhmann part du problème, revu et corrigé, dela double contingence pour sadjoindre la théoriedes systèmes autopoiétiques, empruntée àla biologie. H. Ganßmann, à la suite de Searle, considèrela monnaie comme un fait social devant être rapprochédu langage plutôt que de léchange
LA MONNAIE AVANTL'ACCORD MARCHAND
Les propositionsde J. Cartelier résultent dune double confrontation.La première loppose aux théories économiquesde la valeur, qui tentent de déterminer la valeur indépendammentde la monnaie et ne parviennent pas à lintroduiredans une conceptualisation qui nen pas besoin. Il sagittant de la théorie néo-classique, standard, quede la théorie de la valeur-travail. La seconde confrontation,sinscrivant dans une démarche collective, se donnepour défi de rapprocher différents points de vue,y compris empiriques, autour dun principe fédérateur: la monnaie comme expression dune dette de lindividuà la société, donc dune dette sociale(Aglietta, Orléan 1998).
Si lon partde ce principe, la compréhension du fonctionnement duneéconomie de marché ainsi conçue repose surdeux prémisses : la monnaie est logiquement antérieureaux relations de marché, et la monnaie est un lien socialplus fondamental que ce dernier. Bien que ces propositions nesoient pas symétriques par rapport à la théorieéconomique standard, elles nen opèrent pasmoins un renversement. Non seulement la monnaie ne saurait êtreune conséquence du marché mais, en outre, sa genèseéconomique ne peut être un objet de recherche, eten tout cas ne saurait être liée à la seulethéorie économique (Aglietta, Cartelier 1998, 133).
Dans la mesure oùla monnaie ne peut être saisie que dans sa totalitésociale dinscription, on doit la comprendre comme une formede mise en relation de lindividu à la société.Cette relation a une double face : la monnaie a un effetdhomogénéisation et de hiérarchisation.Dans cette perspective, la monnaie moderne est, en tendance, lemasque des relations dordre propres à toute société.Elle traduit, dun côté, une ouverture des individusà léchange et de confiance et, de lautre,une obligation. Ceci est clairement illustré par lambiguïtédu rapport salarial : ce dernier se présente commeégalitaire dans léchange et inégalitairedu fait de la soumission dans la production, résultantdans un accès différenciéaux moyens de paiement et de production (Aglietta et al,1998, 18).Il sagit alors, pour J. Cartelier, détablirun " cahier des charges " pour élaborerune théorie monétaire qui sabstrait de linsolubleproblème de la genèse de la monnaie. Les élémentsconstitutifs de tout système de paiement (unitéde compte, règle de monnayage, une procédure derèglement des soldes) rapprochent les propositions de J.Cartelier de celles de Luhmann, en dépit des divergencespotentielles quant à la genèse de la monnaie.
PAYER OU NE PAS PAYER
Lapport deNiklas Luhmann est à la fois indéniable et problématique.Peu traduit et, plus généralement, peu diffuséen France, Luhmann nen pas moins marqué les théoriessociales de plusieurs façons. Il est, par exemple, difficilede comprendre certaines des évolutions de Habermas, sansavoir à lesprit sa polémique avec Luhmann.Certes, le retournement habermassien vis-à-vis de la théoriedes systèmes ne va pas jusquà la version autopoiétiquede ladite théorie, loin de là. Il reste que la théoriede Luhmann est, de manière répétée,discutée par Habermas (par exemple, Habermas 1978, 177-191 ;1987 ; 1988, 416-420 ; 1997, 61-71), y compris dansses derniers développements, alors quà linverse,Luhmann se réfère explicitement peuà Habermas (pas plus quà dautres théoricienscontemporains, pourrait-on ajouter).
Il est vrai que,en décrivant le social comme un système autopoiétique-, Luhmann, du coup, néglige le monde vécu, mêmesil ne lignore pas totalement (Miller, 1994, 111).Loin dapposer deux ou plusieurs modes sociaux de coordinationdes actions, Luhmann ramène toute activité socialeà des opérations de communication. Il entend parlà une mise en relation qui parvient à connecterles attentes de A et de B de telle sorte que A et B non seulementse comprennent mais font de leur offre de sens les bases de leurcomportement respectif. Puisque les offres de sens de A et B sontdoublement des contingences pour lun et lautre, unerégression à linfini est possible en raisonde cette dépendance réciproque, et la communicationest donc improbable.
Limprobabilitéde la communication ne trouve de solution que dans ladoptionde médias réduisant la complexité de la prisede décisions. Le premier médium ainsi considéréest le langage qui assure la compréhension de loffrede sens, alors que les médias de dissémination assurentle faire savoir des communications. Les médias symboliquementgénéralisés (monnaie, pouvoir, amour, vérité,droit, ), selon une terminologie reprise à Parsons,assurent le succès de la communication. Parmi eux, la monnaiecodifie toutes les opérations économiques en paiements,léconomie étant constituée de toutesles opérations monétaires.
Ainsi la monnaiene trouve-t-elle pas sa source conceptuelle dans la relation déchange,mais dans le langage, la monnaie étant un médiumde communication de sens. On rejoint dès lors linterrogationsoulevée par Heiner Ganßmann sur lenracinementde la monnaie dans le langage comme fait social : pourquoila monnaie, et pas le langage, est-elle une condition de la réussitedes communications économiques, au sens où ces communicationssont des décisions choisies, transmises et acceptéesou bien refusées ? Ce qui revient à se demanderpourquoi il existe une forme prix et, avant cela, un principede propriété des biens, qui selon Luhmann, étaitle médium économique précédant lamonnaie.
La démarchede Luhmann mélange en réalité deux constructions.Lune est de type post-parsonienne. En effet, à ladifférence de Parsons qui présuppose un consensussur les valeurs préalables à toute communicationentre alter et ego, Luhmann renonce à cettehypothèse, lourde sil en est. Dans loptiquede Luhmann, il ny aucune raison de chercher la solutiondans un consensus préalablement donné, puisquilsuffit que lun fasse un geste à lautre et queprogressivement se construise un médium. Mais ceci ne résoutpas la difficulté suivante : puisque la connexionentre alter et ego nest pas nécessaire ce qui est, pour Luhmann, lun des deux élémentsde définition dune contingence pourquoi finit-ellequand même par sétablir ? Rien ne ditquil faut quil en soit ainsi. Si alter,ego et les autres sont daccord pour se contenter detel ou tel état, y compris pour " communiquer "de temps en temps et brièvement seulement, pourquoi secompliqueraient-ils la vie en se dotant de médias symboliquesquils ne maîtriseront pas, alors quils pourraientse contenter du langage et, éventuellement, des médiasde dissémination ? En dautres termes, commentappréhender le passage de relations interindividuelles,certes non impossibles, non nécessaires à un systèmesocial ?
La réponsede Luhmann ne peut résider dans le prolongement dunesituation originelle de double contingence, car elle nestpas la source conceptuelle adéquate, surtout si, commelavance J. Cartelier, la monnaie peut revêtir unepluralité de statuts. Luhmann le reconnaît implicitementà travers lintroduction du capitalcomme composante de léconomie différenciée.Dans une économie capitalistique, des paiements seffectuent,au moins partiellement, du point de vue de la profitabilitédes investissements. Toutefois, ceci crée un problème :comment des paiements peuvent-ils engendrer une plus grande capacitéde paiements ? Pourquoi/comment a-m-a, pour reprendrela formule du capital de Marx ?
Cette particularitéde surcapacité de paiement naffecte quune partiede ceux qui paient, mais pas ceux qui travaillent (et qui en faisantcela sont payés, mais ne paient pas). Luhmann indique,après Marx et Weber, que les ménages travaillentcar ils nont pas dautres moyens de reproduire leurcapacité de paiement (Luhmann, 1989, 56). Or dunepart, on doit bien admettre que la différenciation fonctionnelledu système économique, au sein de la société,nest pas seulement tendue par et vers la réductionde la complexité : encore faut-il que ceux qui travaillentsoient progressivement dépourvus de tout autre moyen dapprovisionnementet que soit créée et reproduite la raretédaccès à la monnaie comme condition de larareté dans laccès aux biens. Dautrepart, si le travail et la production physique le pompagede pétrole, par exemple sont inclus dans le systèmeéconomique, ils nen sont pas pour autant des paiementset nereçoivent pas un traitement en accord avec le principede stricte identité entre économie et monnaie.
MONNAIE ET LANGAGE
Cette difficulté,à savoir le caractère non strictement universeldun médium pourtant généralisésymboliquement, est une des justifications de la problématisationeffectuée par Heiner Ganßmann en rapportant la monnaieau langage en les considérant tous deux, à la suitede Searle (1995), comme des faits sociaux. Par là,il sagit de dépasser le point de vue des " grandesthéories " de la communication, de Parsons àHabermas en passant par Luhmann.
Si ces théoriesont à dire sur la monnaie, en en faisant un médiumde communication généralisé, elles finissent(ou commencent) par en faire un " objet "neutre dans les rapports sociaux (Ganßmann, 1988, 288).Or lusage général de ce symbole est dautantplus étonnant quil matérialise des inégalitésprofondes entre les individus. Ces théories sécartent,malgré leur filiation, dune tradition pensant entermes de domination telle quon peut la trouver, quoiquedifféremment, chez Marx et Weber. Elles nexpliquentpas, dans leur ensemble, pourquoi un symbole sans valeur séchangecontre des biens de valeur (ibidem, 303). On touche làà ce que la tradition économique néo-classiqueappelle, depuis très longtemps, lénigme dela monnaie.
Cest àcette énigme que H. Ganßmann se propose dapporterdes éléments de réponse originaux en lesrecherchant dans la fondation même du social, cest-à-diredans le langage comme fait social. Certes, de Parsons àHabermas et Luhmann, la monnaie apparaît bien comme un langagespécialisé, comme une sorte de langage-bis, maiscela induit une complication consistant à expliquer uneconvention/monnaie par une autre convention/langage, qui resteelle-même inexpliquée, voire inexplicable. Et peut-onajouter, ceci ne dit pas en quoi le langage doit être priscomme étant lorigine de tout fait social, sauf àretomber dans la fiction dalter et ego construisantdes moyens de communiquer.
Une solution seraitde prendre le langage comme une donnée, une conventiondont on ne peut, pas plus que la monnaie, expliquer la genèseet, dès lors, rapporter la monnaie au langage, mais passeulement en en faisant valoir les racines communes en tant quefaits sociaux. Il convient dexpliquer, également,la différence entre langage et monnaie, cest-à-direla moindre universalité de la monnaie, assumée parceux qui jouent à son " jeu ". Du couppourraient être envisagées les dimensions extra-communicationnellesde la monnaie au sens où la monnaie constitue un"autre" mode de coordination que le langage. Nepas sen tenir au seul aspect communicationnel de la monnaieconsiste à prendre en compte le fait quil y a nonseulement transfert de monnaie, mais aussi changement de possessionde biens et services. On rejoint ainsi le souci de la thèsede la " monnaie souveraine " (Aglietta,Orléan, 1998) qui, elle aussi, revendique cette conjonctionà travers la double caractéristique, de confianceet dobligation, de la monnaie. Larticulation entrele communicationnel et le non-communicationnel savèredès lors une piste de recherche pertinente.
En appliquant aux théoriessociales lidée quelles sont elles-mêmessociales, na-t-on pas soulevé une question dautantplus délicate quil ny a pas de définitionpréalable possible du social, comme on la vu. Etpeut-on sortir de ce caractère paradoxal ?Les contributions présentées ici dessinent deuxtypes de réponse possible, non exclusifs lun de lautre.Il sagit tout dabord de lintroduction dunedimension résolument normative dans la théorisation,ne serait-ce quà travers le choix dun paradigmeinitial, dont on ne peut pas affirmer quil est " scientifiquementneutre ". La difficulté conséquente nestpas ce choix normatif mais plutôt de ne pas le considérercomme tel.
Il sagit ensuitedun renoncement à décrire la genèsedu social en " inventant " une mythique situationoriginelle, qui risque de disparaître en cours de routesans quon puisse en expliquer les raisons, pour sentenir à des présuppositions et problématisationsplus fonctionnelles (mais pas nécessairement fonctionnalistes).
En tout étatde cause, de par les problèmes quelles traitent eten dépit de ceux quelles rencontrent, les théoriessociales savèrent indispensables dans leur rôlede donner des pieds dairain, et non pas dargile, auxcolosses construits par les sciences sociales.
©Sciences de la Société n° 52 - février2001
NiklasLuhmann,Léconomie de la société comme systèmeautopoiétique. (1) et (2)
Résumé
Ce textedécrit léconomie de la sociétécomme un système autopoiétique. Un tel systèmeest composé de paiements en monnaie qui sont reproduitspar des paiements en monnaie. Le système est fermé,puisque il nest composé que de paiements et de riendautre. Mais il est aussi ouvert en sadaptant auxbesoins de son environnement. En ce sens, la fermeture est lacondition de son ouverture.
Motsclés :système, autopoièse, monnaie, communication, medium.
Résumé
Dans sestravaux récents, Habermas examine les liens entre normesmorales et normes juridiques. Une analyse de ses positions indiqueque, contrairement à ce quil affirme, Habermas nemet pas ces deux dimensions sur le même plan. En outre,la construction habermassienne fait dériver luneet lautre dun troisième principe, celui dudiscours. Largumentation de Habermas révèlealors une faiblesse dans la mesure où elle tend àconfondre aspects normatifs et descriptifs. Une meilleure approchede lagir politique apparaît dès lors nécessaire.
Motsclés :normes, morale, droit, discussion, agir.
Hans Joas,Pluralisme des valeurs et universalisme moral
Résumé
Ce textediscute de la possibilité de construire une approche conciliantpluralisme de valeurs et universalisme moral. Pour cela, il seréfère aux propositions dIsaiah Berlin danssa défense du pluralisme des valeurs, qui comporte deuxpoint faibles : volontarisme et historicisme. En sappuyantsur la théorie pragmatique de laction, il apparaîtnécessaire de distinguer intégration sociale etintégration culturelle.
Motsclés :valeurs, normes, morale, action, pragmatisme.
Jacques Bidet,Modernité, ultimodernité, postmodernité
Résumé
Se référantà des travaux antérieurs relatifs à lélaborationdune théorie méta/structurelle, cet articleanalyse le capitalisme à laune de la philosophiepolitique. Il montre ainsi que, dans la nation, sarticulentdeux pôles économiques : le marché etlorganisation, co-implication entre contractualitésinterindividuelle et centrale. Dans le système du monde,en revanche, domine le totalitarisme marchand. La post-modernitéimplique, à lhorizon, lémergence dela communication immédiate en lieu et place des médiationsmarché et organisation.
Motsclés :marché, organisation, modernité, contrat, monde.
JeanCartelier, Lamonnaie. Du concept économique au rapport social
Résumé
Ce textese présente, dune part, comme une critique de lathéorie académique de léquilibre économique,en ce quelle ne parvient pas à introduire de façonsatisfaisante la monnaie dans sa problématisation. Il avance,dautre part, des propositions en vue daller vers unethéorisation de léconomie monétairequi considère la monnaie comme un point de départ.Le texte met en évidence la nécessité depenser la monnaie dans ses dimensions sociales. Par certains aspects,il se trouve en phase avec la vision luhmannienne de la monnaie.
Motsclés :monnaie, troc, équilibre, société, autopoièse.
Heiner Ganßmann,La monnaie comme fait social
Résumé
Ce textese propose davancer vers la résolution de " lénigmede la monnaie ". Pour cela, la perspective ouverte parSearle, dans sa définition des faits sociaux, savèreun moyen stimulant de montrer en quoi la monnaie est un fait socialprésupposant le langage. Tout en tenant compte des acquisfournis par Habermas et Luhmann, mais en les dépassant,il est dès lors envisageable de rapporter le statut dela monnaie à lidée de domination, selon unetradition ouverte par Marx et Weber.
Motsclés :monnaie, langage, Searle, social, règles.