Sciences de la Société- N° 52 - février 2001
Économie,politique, morale et société
Dossier coordonnépar Patrick Chaskiel

Patrick Chaskiel,Débatsdans les théories sociales (Texte intégral)
Niklas Luhmann, L’économiede la société comme système autopoiétique.(1) et (2)
Stefano Petrucciani,Moraleuniverselle et politique démocratique dans la perspectivede Habermas
Hans Joas, Pluralisme des valeurs et universalismemoral
Jacques Bidet, Modernité, ultimodernité,postmodernité
Jean Cartelier, La monnaie. Du conceptéconomique au rapport social
Heiner Ganßmann, La monnaiecomme fait social

CHRONIQUE
Guy Jalabert
, La ville : objet derecherche autonome ou reflet de la société ? (1) Mutations économiques et croissanceurbaine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
PatrickChaskiel,Débats dans les théories sociales

Texteintégral
La présentelivraison de Sciences de la Société proposedes contributions marquées par leur originalitédans le — vaste et mal défini — domaine des " théoriessociales ", ou ce qu’on appelle encore, de façonnon équivalente mais sûrement plus éclairante :" les théories de la société ".La prudence mise pour traiter des théories sociales commed’un domaine, supposant donc une certaine unité, n’estpas une simple clause de style. Déterminer cette unitén’est pas une petite affaire, ainsi qu’en témoignentles difficultés rencontrées — et assumées— par ceux qui s’y sont essayés (par exemple,Giddens, Turner, 1987, 1-10).

DE QUOI PARLE-T-ON ?

A l’instar dessciences sociales, les théories sociales, qui en représententla fondation la plus abstraite, sont constituées par descourants divergeant sur les paradigmes initiaux à développer.On y retrouve des clivages bien connus, opposant par exemple lesthéories de l’action et la théorie des systèmes,pour ne prendre que le spectre le plus large, et sans considérerque ceux qui tentent de combiner action et système, pointde vue micro et point de vue macro, se situent dans un entre-deux,un compromis qui ne saurait exister sur le plan conceptuel. Onpeut envisager cette multiplicité des thèses enprésence soit comme un signe de vitalité (Giddens,Turner, 1987) soit comme celui d’un échec, au moinsprovisoire (Mouzelis, 1995). On peut aussi admettre que le domainedes théories sociales est lui-même social et, àce titre, imprégné des phénomènesque ces théories examinent dans le cadre d’une représentationautoréférentielle, décrite d’un côtépar la sociologie de la connaissance (Berger, Luckmann, 1994),de l’autre par Luhmann (notamment dans le texte publiéici même).

Si ce n’estdu côté des réponses que peuvent êtrehomogénéisées les théories sociales,il faut alors situer leur trait commun plutôt autour d’uneinterrogation abstraite commune à propos de l’ordresocial ou sociétal, sur les conditions de sapossibilité et/ou sur ses formes et/ou sur ses effets.Dans leur diversité, les courants de pensée concernéssont tendus vers l’explicitation des modalités dela coordination ou de l’intégrationd’actions, si l’on admet avec Simmel que partout oùl’on rencontre des actions réciproques il y a société(Simmel, 1981, 165). Plus généralement, on peutentendre par coordination ou intégration sociale une dynamiquede coordination d’actions ou de pratiques réciproques,individuelles ou collectives, de conflit ou de coopération.Que cette définition soit minimale ne doit faire aucundoute, mais toute précision supplémentaire la feraittendre vers l’un ou l’autre des courants théoriquesdont sont faites les théories sociales.

Du coup, découvrirune grille de lecture qui fasse justice des apports respectifsdes différentes thèses et permette de les situerconceptuellement les unes par rapport aux autres, n’a riend’une évidence. Le spectre classiquement descriptifde ceux qui privilégient le micro ou le macro-social nerésiste pas aux dépassements sans cesse revendiquésd’une telle dichotomie. Les interpénétrationsde théories ne facilitent guère non plus la lisibilitédu domaine considéré. On trouve certes des constantes,mais ces dernières ne le sont que parce qu’elles serenouvellent. Ainsi en est-il du paradigme de l’acteur rationnel,quand il s’étend à l’irrationalitépour appréhender la formation de l’ordre social (Elster,1989). Ainsi encore, l’alternative communauté ou société(Tönnies, 1977) s’est-elle reproduite à traversdes " variantes " contemporaines, mêmesi elles en ont produit des formulations spécifiques etfortement différenciées. On trouvera une variantesophistiquée chez Habermas (1987) et chez Giddens (1987),sous la forme de théories articulant intégrationsystémique et intégration sociale, selon une terminologieinaugurée par Lockwood (1992).

Ailleurs, systèmeet action ou communication(s) constituent l’objet unifié— le système social — de la tradition du fonctionnalismestructuraliste de Parsons (1973) ou du structuralisme fonctionnalistede Luhmann (1995). Anti-fonctionnalistes, les thèses " constructionnistes "de l’organisation et de l’ordre les analysent commele produit de l’(inter)agir, que ce soit dans la traditiondu pragmatisme, très influent aux États-Unis, oude l’interactionnisme symbolique. Ailleurs, encore, se positionneraientles propositions de Bourdieu sur l’habitus ou, par extension,des auteurs relevant de l’École de Francfort, dontle projet initial visait à unifier conceptuellement tousles champs spécialisés dans la connaissance de l’hommeet de la société (Wiggerhaus, 1993).

Sans couvrir l’ensembledes possibles, les contributions que l’on lira ci-aprèstraduisent de façon circonscrite l’ampleur des problèmesposés. Leurs propositions se concentrent essentiellementautour de deux thématiques fortes : le problèmede la modernité et, à ce titre, des valeurs et desnormes d’une part, celui de la monnaie comme " régulateur "des activités économiques, d’autre part. Cetteparticularisation ne relève pas, disons-le, d’uneprégnance particulière de ces deux thématiquesdans les recherches menées au sein des théoriessociales. Elle ressort d’une gestion éditoriale qui,au delà de ses contraintes, a voulu combiner des critèrescomme la dynamique des débats sur la démocratie,la valorisation de travaux menés par des chercheurs (trop)peu " accessibles " en France et celle derecherches portant sur le domaine économique, encoreassez peu envisagé en France, du point de vue des théoriessociales.

Cette présentation,loin de chercher à créer des rapprochements et desconvergences artificiels, a pour objectif de mettre en évidencele caractère novateur de ces contributions en regard deleur inscription dans la tradition des théories sociales.

MODERNITÉ,VALEURS, NORMES ET DÉMOCRATIE

Les discussions surles questions relatives à la morale, aux normes et auxvaleurs, ainsi que dans le même temps, à la modernité,à la post-modernité et à la démocratieont, depuis deux ou trois décennies au moins, largementdébordé le cadre philosophique qui a, longtempsdurant, été le leur. En France, ce phénomènes’est développé, notamment autour des travauxde Jürgen Habermas, dont l’influence a dépasséles cercles universitaires, et qui peuvent servir de point dedépart. Comme le suggère la contribution de S. Petrucciani,l’enjeu des ces débats est certes cognitif, mais ilest aussi politique dans la mesure où leur horizon estle fondement d’une société démocratique.On peut dès lors comprendre la dynamique provoquéepar Habermas en proposant une théorisation qui, tout ens’inscrivant dans une tradition contestataire, n’enest pas moins tendue vers la définition d’une politiquedémocratique.

Dans des publicationsrécentes, en effet, il a précisé et infléchisa pensée sur la question de la démocratisationde la société en explicitant les possibilitésoffertes par le médium droit face aux contraintes " systémiques "imposées par le pouvoir et l’argent. Ayant depuisquelque temps renoncé à l’idée que le" système " pouvait êtretransformé de l’intérieur, Habermas a avancél’idée que la démocratisation impliquait laformation de compromis entre le " système ",représenté par l’appareil bureaucratico-administratif,et le " monde vécu ", représentépar sa composante société civile (Habermas, 1997).

L'IMPORTANCE D'UNETHÉORIE DE L'AGIR POLITIQUE

La difficultéà surmonter est que, pour être acceptables par lemonde vécu, de tels compromis doivent relever d’unemorale universelle, au sens où elle énonce un certainnombre de principes " pour tous ". Toutefois,dans la mesure où il s’agit de compromis, ils mettenten jeu un double niveau de conditions d’existence :celui du compromis proprement dit, d’une part, et des conditionsde passation du compromis, d’autre part. Ces compromis seformalisant grâce au médium juridique impliquentl’égalité des forces en négociationet le respect des principes universels qui, eux, ne sont jamaisnégociables.

Du coup, si aucuncompromis ne peut s’établir sans raisons morales,se pose la question de l’articulation entre normes juridiquesqui sont l’objet du compromis et questions morales qui, elles,ne peuvent jamais relever d’une quelconque négociation,faute de perdre leur caractéristique d’universalité.On peut, dès lors, soulever deux problèmes. Le premierconcerne l’hypothèse qu’un accord entre systèmeet monde vécu est effectivement possible sur la seule basedes relations entre appareil bureaucratico-administratif et sociétécivile. Cette hypothèse est problématique dans lamesure où elle ignore la question, posée parfoispar Habermas lui-même, de l’interpénétrationde l’appareil politique et du système économique.C’est d’ailleurs pourquoi il a rejeté les utopiespolitiques des tenants de l’État social, quine prennent pas en compte cet enchevêtrement et surestimentla capacité de l’État à dompter l’économie(Habermas, 1990). En d’autres termes, pour que la positionde Habermas soit définitivement valide, il lui faudraitétayer l’idée que les compromis juridiquespassés entre l’appareil bureaucratico-administratifet la société civile ni ne perturbent le fonctionnementdu système économique au point de menacer la reproductionde la vie matérielle ni, à l’inverse, ne sontrendus caducs par un système économique devenu indomptable.En d’autre termes, il reste à faire la démonstrationque ces compromis respectent des contraintes dont le caractèresystémique interdit qu’on les gère démocratiquementde l’intérieur.

Le deuxièmeproblème traité par S. Petrucciani est celui del’articulation entre normes morales et juridiques. Si leprojet général de Habermas est de chercher, àla fois, une théorie politiquement normative et une théoriedescriptive, cela le conduit sinon à une aporie, tout aumoins à un obstacle de taille. En effet, sur les rapportsentre normes juridiques et morales, Habermas tient deux positionsdifférentes. D’une part, il affirme ne donner aucuneprééminence aux normes morales ou aux normes juridiques puisquele droit ne doit et ne peut découler de la seule morale.Mais d’autre part, s’il considère que les normesjuridiques ne peuvent contredire les normes morales, il n’affirmejamais l’inverse. Il en découle donc une dissymétriequi heurte le présupposé initial.

A cette premièredifficulté, s’ajoute le fait que les deux types denormes doivent elles-mêmes découler de la discussion,au sens conceptuel que Habermas entend donner à ce terme.Du coup, S. Petrucciani peut soulever la question de la cohérenceet, donc, de la validité d’une thèse qui, d’uncôté, normativise la discussion et, de l’autre,n’indique pas comment ladite discussion pourrait se développeren dehors d’une situation idéale de communication.En d’autres termes, comme d’autres critiques l’ontégalement fait remarquer; si l’émancipationest bien l’horizon de la discussion, cette dernièreprésuppose paradoxalement la présence de citoyensdélestés de toute préoccupation stratégique,autrement dit de citoyens d’ores et déjà émancipés(Archer,1990). Il y a donc une circularité qui n’est passimple à lever sans toucher au cœur du projet de Habermas :combiner une approche à la fois normative et descriptive,projet qui devrait être appliqué au problèmedes rapports entre l’idéal communicationnel etl’agir stratégique.

En effet, quand iltraite de la pratique politique, Habermas s’en tient àla dimension normative, sans la combiner avec une observationpragmatique. Or son projet devrait déboucher sur ce quePetrucciani appelle — au double sens du terme — :une théorisation de l’agir politique, en considérantque s’inspirer d’un universalisme républicainet social n’implique pas, pour autant, de se limiter àune " politique des bons arguments " et s’abstrairede toute organisation stratégique, alors que, commeHobbes l’indique, les adversaires le font.

EXPRESSIVITÉDE L'AGIR, CONTINGENCE DES VALEURS

Si pour S. Petrucciani,la référence à Hobbes est en quelque sorteun détour, pour Hans Joas, en revanche, il s’agitd’un point de départ via le problèmehobbesien, tel qu’il est formulé par Talcott Parsons :" comment un ordre social pacifique peut-il naîtred’un état de nature dans lequel les sujets n’agissentque pour des motifs parfaitement égoïstes ? "(Joas, 1999, 19 et s.). On connaît le paradigme de Parsons :compte tenu du caractère doublement contingent des attentesd’alter et ego, ils ne peuvent communiquersans être capables de généraliser toute particularitéet sans stabiliser le sens de ce qu’ils offrent. Par conséquent,un système symbolique partagé, forme la plus élémentairede la culture, est la précondition de tout ordre social(Parsons, Shils, 1954, 15-16). Avec cette hypothèse, desnormes — culturelles — d’emblée communes,on présuppose résolu et on déplace le problèmede l’existence d’un ordre social pacifique. L’ordresocial est, en effet, une donnée d’évidence,une réalité sui generis, dont on peut certesformaliser le fondement, mais pas l’origine. Le problèmeà résoudre ne serait, dès lors, " que "celui de l’articulation des modalités d’intégrationfondée sur une intégration culturelle placéeen amont.

H. Joas offre uneautre vision en changeant de point de vue, réfutant celuidu système pour adopter celui de l’acteur dont l’agir— créatif — n’est jamais seulement déterminépar la situation dans laquelle il s’inscrit. S’il n’enétait pas ainsi, l’intentionnalité, comme fondementde l’agir, perdrait toute signification (Joas, 1999, 171).Une telle posture diffère d’ailleurs non seulementde celle de Parsons et de la tendance fonctionnaliste, mais ausside celle de Habermas. Elle s’oppose à l’idéede Parsons pour lequel tout se résoudrait dans l’intégrationculturelle, c’est-à-dire dans les valeurs universellesenserrant la société, mais elle s’oppose aussià Habermas dans la mesure où est assuméel’idée que les normes sociales se situent dans laperspective de l’acteur. Le problème central, contrairementà ce qu’envisage Habermas, n’est donc pas celuide la fondation discursive intersubjective des valeurs et desnormes, c’est-à-dire, dans la terminologie de Habermas,dela morale — pour tous — et de l’éthique— la vie bonne pour soi ou pour nous. Si H. Joas tientune position différant sensiblement de cette éthiquede la discussion, ce n’est pas parce qu’il rejette lefondement discursif de toute interaction humaine, mais parce que,à la suite des auteurs pragmatistes, la communication n’estpas en elle-même une caractéristique humaine puisqu’onpeut la rencontrer chez les animaux. L’originalitéhumaine est plutôt que la communication entraîne laproduction dans l’individu lui-même de la réactionqu’il provoque chez autrui de telle sorte qu’il puissediriger sa conduite ultérieure à partir de cetteréaction (Mead, 1963, 63). On ne peut conclure de celaque le pragmatisme se contenterait d’une thèse serésolvant tout entière dans l’idée d’adaptationau milieu. Dans la lignée pragmatiste détailléepar H. Joas, la question déterminante est, au contraire,celle de la croissance, de l’autodépassement, de lacréativité (Joas, 1999, 148).

Du coup, les universaux— définissant le bien — ne déterminentpas exclusivement la conduite d’un acteur tendu vers un actejuste qu’il lui faut spécifier et pour qui les valeurssont contingentes. Envisagé sous un autre angle, et dansune autre formulation, ce problème de la nécessairedistinction entre intégration culturelle et intégrationsociale, entre le bien et le juste, entre les valeurs et les normesdes agents individuels ou collectifs implique de considérer,tout à la fois, l’universalité et le pluralismedes valeurs, dont l’idée qu’ils sont tous deuxcombinables est l’objet de la contribution de H. Joas.

Si l’on pousseplus loin ce raisonnement, l’évidence de Parsons quantà l’existence d’un ordre social " pacifique "est indubitablement questionnée. Le principe, mêmecombiné, de pluralisme et d’universalisme des valeurslaisse en permanence ouverte la porte à de possibles affrontementsculturels. Surtout si l’on admet le fait que tout ordre ettout changement sont contingents, puisque résultant d’unevolonté constructive des acteurs coopérants quine peuvent décréter le caractère pacifiquede ce que leurs actions engendrent. En même temps, la dimensioncréative de l’agir contredit tout éventuelpessimisme, tel qu’on le trouverait notamment chez Weber,car il y a toujours une alternative entre la violence et la créativitéintégrée dans une vie pleine de sens. De ce pointde vue, le contraste des positions de H. Joas et de J. Bidet s’avèreparticulièrement fort.

MÉDIATIONS,CONTRACTUALITÉ, CENTRICITÉ

On lira dans la contributionde J. Bidet, s’appuyant simultanément sur une critiqueinterne de Marx (Bidet 1985) et sur une réélaborationdes sociologies post-weberiennes (Bidet 1999), une thèseradicalement différente de celle de H. Joas en ce sensque ce sont les médiations et non l’actionqui sont premières. Mettre en avant les médiations,et non seulement l’entente immédiate de tous sur toutne renvoie pas simplement à une réévaluationdes sociologies post-weberiennes, puisqu’est explicitementcontestée l’extériorité de l’économiqueet du politique, qu’on trouve d’ailleurs aussi biendans l’édifice marxien infrastructure/superstructureque dans la dichotomie habermassienne du système (et saséparation entre systèmes économique et administratif)et du monde vécu.

En fait, il s’agitde formaliser les médiations de la modernité àtravers une matrice générale, métastructurelledes médiations, dont la modernité n’est jamaisqu’une forme historique des rapports de classe. On peut trouver,ci dessous, un schéma synthétique reconstitutifde ce que J. Bidet appelle la méta/structure de la modernité.

   

FACES
   

Rationalité

Raisonnabilité

 

PÔLES

 

Interindividualité

marché

 

coopération immédiate
 

 

Centricité

organisation

 

contractualité étatique

 

Le jeu du rationnelet du raisonnable induit ainsi une représentation du mondemettant en exergue une interrogation héritée del’économie institutionnaliste et, par analogie, permettantde sortir d’une aporie propre à la philosophie politiquemoderne. En effet, cette dernière ne peut répondreà la question : " comment passe-t-on d’unmonde qui est à tous, puisque rien n’est àpersonne par droit de nature, selon Locke et Kant, à unmonde partagé en nations ? ". Aussi peut-on peuttransposer la question fondatrice de l’économie institutionnaliste :" pourquoi y a-t-il des firmes ? ", àune autre échelle et se demander : pourquoi y a-t-ildes nations ?

Rapportéeà l’imbrication du marché à l’organisation,la nation apparaît comme l’espace territorial et organiséd’affirmation de la règle du marché qui, fautede nation, ne pourrait se déployer. De ce point de vue,on peut observer que l’apport de l’institutionnalismeéconomique est réinterprété par J.Bidet. En effet, la distinction institutionnaliste entre deuxmodes de coordination des activités économiques,selon qu’ils privilégient la coordination marchandedes transactions directes ou la hiérarchie des organisationsbureaucratico-administratives (par exemple, Williamson, 1994)a une logique interne. L’organisation y apparaît, certes,comme une alternative au marché, mais à partir d’uneévaluation des coûtsde transaction qui constituent la variable clé de ladécision de ne pas recourir au marché. Dèslors, l’organisation est une décision de négationpuisque le marché est premier.

La nation étantnon une décision, mais une construction, l’inflexionde la logique institutionnaliste fait de la nation plus qu’unesimple hiérarchie organisée, comme l’est lafirme : la nation est aussi culture. Elle n’est pasculture par rapport à l’acteur en tant que forme universelledu bien, elle est forme identitaire, par rapport au marchéet à l’organisation qui se déploient àl’échelle du monde, pour former le systèmedu monde fonctionnant sous les apparences d’institutionsétatiques mondiales. L’ouverture possible ne peutdonc résider que dans l’essor de la contractualitémondiale aboutissant au " village global "et à l’obsolescence du marché et de l’organisation.Bref, la post-modernité ou socialisme et non l’ultimodernitéqui serait atteinte par poursuite du mouvement de la centricitésystémique.

Si la caractérisationde J. Bidet insiste sur la dualité marché-organisationet laisse entrevoir la possibilité de son obsolescence,l’auteur adopte à l’évidence un autreparti pris que d’autres recherches relatives à l’économiede la société, qui mettent en avant non pas le marché— ou l’organisation -, mais la monnaie, sous l’hypothèsequ’elle leur est logiquement antérieure.

L'INSCRIPTIONSOCIÉTALE DE LA MONNAIE

Les débatsconceptuels sur l’inscription sociale — et sociétale— de l’économique ont pris, depuis quelque tempsde l’ampleur, notamment en France. Outre les travaux évoquésprécédemment de J. Bidet, des ouvrages (par exemple,Aglietta, Orléan, 1998 ; Jacob, Vérin, 1995)ont mis en valeur tant la nécessité que la possibilitéde fonder une vision englobant les dimensions sociales de l’économie,à partir de la lecture d’auteurs relevant des " grandesthéories " (par exemple, sur Simmel, Baldner,Gillard, 1996). Sur une autre voie, le marché est l’objetd’une analyse de Bourdieu se situant dans sa propre perspectiveconceptuelle des " luttes de champ "(Bourdieu, 2000). Si tous ces travaux se rejoignent dans le soucide donner une explication pas uniquement économique auxphénomènes économiques, ils se placent néanmoinsde part et d’autre de lignes de clivage qu’ils ne peuventque très difficilement franchir.

L’oppositionà la théorie économique standard (ou théoriede l’équilibre de marché), et à sa thèsed’une rationalité parfaite des acteurs, ou aux théorieséconomiques de la valeur-travail — de l’économiepolitique classique à, au moins pour partie, Marx —ne représente dès lors qu’une unitécontingente. Il en va de même dans le cadre de l’unificationdisciplinaire opérée par la " sociologieéconomique " (Smelser, Swedberg, 1994), dontles écarts semblent tout aussi importants que ceux quiséparent, par exemple, économistes et sociologues.Dans le cas de la sociologie économique, cette hétérogénéités’accompagne d’une faible place accordée aux" grandes théories sociales " contemporaines,à l’exception — partielle — de celle deParsons, dont on connaît le poids institutionnel aux État-Unis.Des formalisations comme celles de Habermas ou de Luhmann, quipar certains côtés héritent de Parsons, sonttrès marginales, voiretotalement ignorées. S’il est vrai que Habermasn’a guère développé ses thèseséconomiques (cependant : Habermas, 1990, 105-126,venant après : Habermas 1978), il n’en va pasde même de Luhmann, qui a traité de tout ou presque.

Dans cet ensemble,les textes relatifs à la monnaie ont pour particularitéde faire de cette dernière unélément conceptuel primordial pour toute conceptualisationde l’économique. Il s’agit là d’unedes lignes de clivage signalées précédemment,si l’on observe qu’un auteur comme Bourdieu, pourtantintéressé par la vie symbolique, neprend pas explicitement en compte le symbole monétaireet que J. Bidet privilégie d’autres types de médiations.

La traduction d’untexte de Luhmann, sinon séminal tout au moins synthétique,s’inscrit dans une volonté de rendre disponibles desthèses fortes. Modifiant la problématisation deParsons dans ses fondations (Luhmann, 1995, 103-106) et dans saproposition de considérer l’économie de lasociété comme un système autopoiétique,Luhmann innove incontestablement et stimule les débatsprésentés ici. En effet, bien que se situant dansla tradition des grandes théories de la domination (Marxet Weber, notamment), Heiner Ganßmann a, antérieurement,jugé fructueux d’opérer un détour parles travaux de Luhmann (Ganßmann 1988) ; et Jean Cartelier,tout en rejetant la fiction de l’interindividualitéégalitaire du social, voit dans les thèses de Luhmannsur l’autopoièse de l’économie une formalisationcompatible, au moins partiellement, avec la sienne.

La caractéristiquecommune de ces différentes postures est de trancher avecune thèse bien ancrée dans — et grâceà — la théorie économique académiquede la monnaie, à savoir que la monnaie serait une conséquencelogique du troc. Si cette idée que la monnaie serait enquelque sorte une astuce pour repousser les limites du troc (etsa nécessaire unité de lieu et de temps) a la viedure c’est, en premier lieu, parce qu’elle est, danstoute sa simplicité, largement répétéedans l’histoire de la pensée économique. Laséquence troc/ monnaie a trouvé sa légitimitédans toutes les théories de la valeur, de la valeur-utilitéà la valeur-travail. C’est, en second lieu, parcequ’aucune explication alternative d’ensemble n’estparvenue à s’imposer.

Or la séquencetroc/ monnaie est depuis longtemps radicalement critiquée,aussi bien empiriquement que conceptuellement, en posant que l’échangesans monnaie et l’échange monétaire relèventde caractéristiques différentes (Simiand, 1934,20-22). Et donc, que la monnaie constitue une rupture par rapportau troc et non son prolongement. Dans toutes les contributionspubliées ici, telle est l’idée conduisant àfaire de la monnaie la base conceptuelle à partir de laquelledoivent être pensés le marché et l’économique.

Ceci n’exclutpas que les auteurs suivent des chemins différents. J.Cartelier fait de la monnaie un rapport social qui conditionnel’accord marchand, c’est-à-dire des conditionsfaisant que deux individus, au moins, peuvent conclure et effectivementréaliser une transaction entre eux (Cartelier, 1992, 233).N. Luhmann part du problème, revu et corrigé, dela double contingence pour s’adjoindre la théoriedes systèmes autopoiétiques, empruntée àla biologie. H. Ganßmann, à la suite de Searle, considèrela monnaie comme un fait social devant être rapprochédu langage plutôt que de l’échange

LA MONNAIE AVANTL'ACCORD MARCHAND

Les propositionsde J. Cartelier résultent d’une double confrontation.La première l’oppose aux théories économiquesde la valeur, qui tentent de déterminer la valeur indépendammentde la monnaie et ne parviennent pas à l’introduiredans une conceptualisation qui n’en pas besoin. Il s’agittant de la théorie néo-classique, standard, quede la théorie de la valeur-travail. La seconde confrontation,s’inscrivant dans une démarche collective, se donnepour défi de rapprocher différents points de vue,y compris empiriques, autour d’un principe fédérateur: la monnaie comme expression d’une dette de l’individuà la société, donc d’une dette sociale(Aglietta, Orléan 1998).

Si l’on partde ce principe, la compréhension du fonctionnement d’uneéconomie de marché ainsi conçue repose surdeux prémisses : la monnaie est logiquement antérieureaux relations de marché, et la monnaie est un lien socialplus fondamental que ce dernier. Bien que ces propositions nesoient pas symétriques par rapport à la théorieéconomique standard, elles n’en opèrent pasmoins un renversement. Non seulement la monnaie ne saurait êtreune conséquence du marché mais, en outre, sa genèseéconomique ne peut être un objet de recherche, eten tout cas ne saurait être liée à la seulethéorie économique (Aglietta, Cartelier 1998, 133).

Dans la mesure oùla monnaie ne peut être saisie que dans sa totalitésociale d’inscription, on doit la comprendre comme une formede mise en relation de l’individu à la société.Cette relation a une double face : la monnaie a un effetd’homogénéisation et de hiérarchisation.Dans cette perspective, la monnaie moderne est, en tendance, lemasque des relations d’ordre propres à toute société.Elle traduit, d’un côté, une ouverture des individusà l’échange et de confiance et, de l’autre,une obligation. Ceci est clairement illustré par l’ambiguïtédu rapport salarial : ce dernier se présente commeégalitaire dans l’échange et inégalitairedu fait de la soumission dans la production, résultantdans un accès différenciéaux moyens de paiement et de production (Aglietta et al,1998, 18).Il s’agit alors, pour J. Cartelier, d’établirun " cahier des charges " pour élaborerune théorie monétaire qui s’abstrait de l’insolubleproblème de la genèse de la monnaie. Les élémentsconstitutifs de tout système de paiement (unitéde compte, règle de monnayage, une procédure derèglement des soldes) rapprochent les propositions de J.Cartelier de celles de Luhmann, en dépit des divergencespotentielles quant à la genèse de la monnaie.

PAYER OU NE PAS PAYER

L’apport deNiklas Luhmann est à la fois indéniable et problématique.Peu traduit et, plus généralement, peu diffuséen France, Luhmann n’en pas moins marqué les théoriessociales de plusieurs façons. Il est, par exemple, difficilede comprendre certaines des évolutions de Habermas, sansavoir à l’esprit sa polémique avec Luhmann.Certes, le retournement habermassien vis-à-vis de la théoriedes systèmes ne va pas jusqu’à la version autopoiétiquede ladite théorie, loin de là. Il reste que la théoriede Luhmann est, de manière répétée,discutée par Habermas (par exemple, Habermas 1978, 177-191 ;1987 ; 1988, 416-420 ; 1997, 61-71), y compris dansses derniers développements, alors qu’à l’inverse,Luhmann se réfère — explicitement — peuà Habermas (pas plus qu’à d’autres théoricienscontemporains, pourrait-on ajouter).

Il est vrai que,en décrivant le social comme un système — autopoiétique-, Luhmann, du coup, néglige le monde vécu, mêmes’il ne l’ignore pas totalement (Miller, 1994, 111).Loin d’apposer deux ou plusieurs modes sociaux de coordinationdes actions, Luhmann ramène toute activité socialeà des opérations de communication. Il entend parlà une mise en relation qui parvient à connecterles attentes de A et de B de telle sorte que A et B non seulementse comprennent mais font de leur offre de sens les bases de leurcomportement respectif. Puisque les offres de sens de A et B sontdoublement des contingences pour l’un et l’autre, unerégression à l’infini est possible en raisonde cette dépendance réciproque, et la communicationest donc improbable.

L’improbabilitéde la communication ne trouve de solution que dans l’adoptionde médias réduisant la complexité de la prisede décisions. Le premier médium ainsi considéréest le langage qui assure la compréhension de l’offrede sens, alors que les médias de dissémination assurentle faire savoir des communications. Les médias symboliquementgénéralisés (monnaie, pouvoir, amour, vérité,droit, …), selon une terminologie reprise à Parsons,assurent le succès de la communication. Parmi eux, la monnaiecodifie toutes les opérations économiques en paiements,l’économie étant constituée de toutesles opérations monétaires.

Ainsi la monnaiene trouve-t-elle pas sa source conceptuelle dans la relation d’échange,mais dans le langage, la monnaie étant un médiumde communication de sens. On rejoint dès lors l’interrogationsoulevée par Heiner Ganßmann sur l’enracinementde la monnaie dans le langage comme fait social : pourquoila monnaie, et pas le langage, est-elle une condition de la réussitedes communications économiques, au sens où ces communicationssont des décisions choisies, transmises et acceptéesou bien refusées ? Ce qui revient à se demanderpourquoi il existe une forme prix et, avant cela, un principede propriété des biens, qui selon Luhmann, étaitle médium économique précédant lamonnaie.

La démarchede Luhmann mélange en réalité deux constructions.L’une est de type post-parsonienne. En effet, à ladifférence de Parsons qui présuppose un consensussur les valeurs préalables à toute communicationentre alter et ego, Luhmann renonce à cettehypothèse, lourde s’il en est. Dans l’optiquede Luhmann, il n’y aucune raison de chercher la solutiondans un consensus préalablement donné, puisqu’ilsuffit que l’un fasse un geste à l’autre et queprogressivement se construise un médium. Mais ceci ne résoutpas la difficulté suivante : puisque la connexionentre alter et ego n’est pas nécessaire— ce qui est, pour Luhmann, l’un des deux élémentsde définition d’une contingence — pourquoi finit-ellequand même par s’établir ? Rien ne ditqu’il faut qu’il en soit ainsi. Si alter,ego et les autres sont d’accord pour se contenter detel ou tel état, y compris pour " communiquer "de temps en temps et brièvement seulement, pourquoi secompliqueraient-ils la vie en se dotant de médias symboliquesqu’ils ne maîtriseront pas, alors qu’ils pourraientse contenter du langage et, éventuellement, des médiasde dissémination ? En d’autres termes, commentappréhender le passage de relations interindividuelles,certes non impossibles, non nécessaires à un systèmesocial ?

La réponsede Luhmann ne peut résider dans le prolongement d’unesituation originelle de double contingence, car elle n’estpas la source conceptuelle adéquate, surtout si, commel’avance J. Cartelier, la monnaie peut revêtir unepluralité de statuts. Luhmann le reconnaît implicitementà travers l’introduction du capitalcomme composante de l’économie différenciée.Dans une économie capitalistique, des paiements s’effectuent,au moins partiellement, du point de vue de la profitabilitédes investissements. Toutefois, ceci crée un problème :comment des paiements peuvent-ils engendrer une plus grande capacitéde paiements ? Pourquoi/comment a-m-a’, pour reprendrela formule du capital de Marx ?

Cette particularitéde surcapacité de paiement n’affecte qu’une partiede ceux qui paient, mais pas ceux qui travaillent (et qui en faisantcela sont payés, mais ne paient pas). Luhmann indique,après Marx et Weber, que les ménages travaillentcar ils n’ont pas d’autres moyens de reproduire leurcapacité de paiement (Luhmann, 1989, 56). Or d’unepart, on doit bien admettre que la différenciation fonctionnelledu système économique, au sein de la société,n’est pas seulement tendue par et vers la réductionde la complexité : encore faut-il que ceux qui travaillentsoient progressivement dépourvus de tout autre moyen d’approvisionnementet que soit créée et reproduite la raretéd’accès à la monnaie comme condition de larareté dans l’accès aux biens. D’autrepart, si le travail et la production physique — le pompagede pétrole, par exemple — sont inclus dans le systèmeéconomique, ils n’en sont pas pour autant des paiementset nereçoivent pas un traitement en accord avec le principede stricte identité entre économie et monnaie.

MONNAIE ET LANGAGE

Cette difficulté,à savoir le caractère non strictement universeld’un médium pourtant généralisésymboliquement, est une des justifications de la problématisationeffectuée par Heiner Ganßmann en rapportant la monnaieau langage en les considérant tous deux, à la suitede Searle (1995), comme des faits sociaux. Par là,il s’agit de dépasser le point de vue des " grandesthéories " de la communication, de Parsons àHabermas en passant par Luhmann.

Si ces théoriesont à dire sur la monnaie, en en faisant un médiumde communication généralisé, elles finissent(ou commencent) par en faire un " objet "neutre dans les rapports sociaux (Ganßmann, 1988, 288).Or l’usage général de ce symbole est d’autantplus étonnant qu’il matérialise des inégalitésprofondes entre les individus. Ces théories s’écartent,malgré leur filiation, d’une tradition pensant entermes de domination telle qu’on peut la trouver, quoiquedifféremment, chez Marx et Weber. Elles n’expliquentpas, dans leur ensemble, pourquoi un symbole sans valeur s’échangecontre des biens de valeur (ibidem, 303). On touche làà ce que la tradition économique néo-classiqueappelle, depuis très longtemps, l’énigme dela monnaie.

C’est àcette énigme que H. Ganßmann se propose d’apporterdes éléments de réponse originaux en lesrecherchant dans la fondation même du social, c’est-à-diredans le langage comme fait social. Certes, de Parsons àHabermas et Luhmann, la monnaie apparaît bien comme un langagespécialisé, comme une sorte de langage-bis, maiscela induit une complication consistant à expliquer uneconvention/monnaie par une autre convention/langage, qui resteelle-même inexpliquée, voire inexplicable. Et peut-onajouter, ceci ne dit pas en quoi le langage doit être priscomme étant l’origine de tout fait social, sauf àretomber dans la fiction d’alter et ego construisantdes moyens de communiquer.

Une solution seraitde prendre le langage comme une donnée, une conventiondont on ne peut, pas plus que la monnaie, expliquer la genèseet, dès lors, rapporter la monnaie au langage, mais passeulement en en faisant valoir les racines communes en tant quefaits sociaux. Il convient d’expliquer, également,la différence entre langage et monnaie, c’est-à-direla moindre universalité de la monnaie, assumée parceux qui jouent à son " jeu ". Du couppourraient être envisagées les dimensions extra-communicationnellesde la monnaie au sens où la monnaie constitue un"autre" mode de coordination que le langage. Nepas s’en tenir au seul aspect communicationnel de la monnaieconsiste à prendre en compte le fait qu’il y a nonseulement transfert de monnaie, mais aussi changement de possessionde biens et services. On rejoint ainsi le souci de la thèsede la " monnaie souveraine " (Aglietta,Orléan, 1998) qui, elle aussi, revendique cette conjonctionà travers la double caractéristique, de confianceet d’obligation, de la monnaie. L’articulation entrele communicationnel et le non-communicationnel s’avèredès lors une piste de recherche pertinente.


En appliquant aux théoriessociales l’idée qu’elles sont elles-mêmessociales, n’a-t-on pas soulevé une question d’autantplus délicate qu’il n’y a pas de définitionpréalable possible du social, comme on l’a vu. Etpeut-on sortir de ce caractère paradoxal ?Les contributions présentées ici dessinent deuxtypes de réponse possible, non exclusifs l’un de l’autre.Il s’agit tout d’abord de l’introduction d’unedimension résolument normative dans la théorisation,ne serait-ce qu’à travers le choix d’un paradigmeinitial, dont on ne peut pas affirmer qu’il est " scientifiquementneutre ". La difficulté conséquente n’estpas ce choix normatif mais plutôt de ne pas le considérercomme tel.

Il s’agit ensuited’un renoncement à décrire la genèsedu social en " inventant " une mythique situationoriginelle, qui risque de disparaître en cours de routesans qu’on puisse en expliquer les raisons, pour s’entenir à des présuppositions et problématisationsplus fonctionnelles (mais pas nécessairement fonctionnalistes).

En tout étatde cause, de par les problèmes qu’elles traitent eten dépit de ceux qu’elles rencontrent, les théoriessociales s’avèrent indispensables dans leur rôlede donner des pieds d’airain, et non pas d’argile, auxcolosses construits par les sciences sociales.
©Sciences de la Société n° 52 - février2001

Référencesbibliographiques

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
NiklasLuhmann,L’économie de la société comme systèmeautopoiétique. (1) et (2)

Résumé
Ce textedécrit l’économie de la sociétécomme un système autopoiétique. Un tel systèmeest composé de paiements en monnaie qui sont reproduitspar des paiements en monnaie. Le système est fermé,puisque il n’est composé que de paiements et de riend’autre. Mais il est aussi ouvert en s’adaptant auxbesoins de son environnement. En ce sens, la fermeture est lacondition de son ouverture.

Motsclés  :système, autopoièse, monnaie, communication, medium.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
StefanoPetrucciani, Moraleuniverselle et politique démocratique dans la perspectivede Habermas

Résumé
Dans sestravaux récents, Habermas examine les liens entre normesmorales et normes juridiques. Une analyse de ses positions indiqueque, contrairement à ce qu’il affirme, Habermas nemet pas ces deux dimensions sur le même plan. En outre,la construction habermassienne fait dériver l’uneet l’autre d’un troisième principe, celui dudiscours. L’argumentation de Habermas révèlealors une faiblesse dans la mesure où elle tend àconfondre aspects normatifs et descriptifs. Une meilleure approchede l’agir politique apparaît dès lors nécessaire.

Motsclés  :normes, morale, droit, discussion, agir.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Hans Joas,Pluralisme des valeurs et universalisme moral

Résumé
Ce textediscute de la possibilité de construire une approche conciliantpluralisme de valeurs et universalisme moral. Pour cela, il seréfère aux propositions d’Isaiah Berlin danssa défense du pluralisme des valeurs, qui comporte deuxpoint faibles : volontarisme et historicisme. En s’appuyantsur la théorie pragmatique de l’action, il apparaîtnécessaire de distinguer intégration sociale etintégration culturelle.

Motsclés  :valeurs, normes, morale, action, pragmatisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Jacques Bidet,Modernité, ultimodernité, postmodernité

Résumé
Se référantà des travaux antérieurs relatifs à l’élaborationd’une théorie méta/structurelle, cet articleanalyse le capitalisme à l’aune de la philosophiepolitique. Il montre ainsi que, dans la nation, s’articulentdeux pôles économiques : le marché etl’organisation, co-implication entre contractualitésinterindividuelle et centrale. Dans le système du monde,en revanche, domine le totalitarisme marchand. La post-modernitéimplique, à l’horizon, l’émergence dela communication immédiate en lieu et place des médiationsmarché et organisation.

Motsclés  :marché, organisation, modernité, contrat, monde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
JeanCartelier, Lamonnaie. Du concept économique au rapport social

Résumé
Ce textese présente, d’une part, comme une critique de lathéorie académique de l’équilibre économique,en ce qu’elle ne parvient pas à introduire de façonsatisfaisante la monnaie dans sa problématisation. Il avance,d’autre part, des propositions en vue d’aller vers unethéorisation de l’économie monétairequi considère la monnaie comme un point de départ.Le texte met en évidence la nécessité depenser la monnaie dans ses dimensions sociales. Par certains aspects,il se trouve en phase avec la vision luhmannienne de la monnaie.

Motsclés  :monnaie, troc, équilibre, société, autopoièse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Heiner Ganßmann,La monnaie comme fait social

Résumé
Ce textese propose d’avancer vers la résolution de " l’énigmede la monnaie ". Pour cela, la perspective ouverte parSearle, dans sa définition des faits sociaux, s’avèreun moyen stimulant de montrer en quoi la monnaie est un fait socialprésupposant le langage. Tout en tenant compte des acquisfournis par Habermas et Luhmann, mais en les dépassant,il est dès lors envisageable de rapporter le statut dela monnaie à l’idée de domination, selon unetradition ouverte par Marx et Weber.

Motsclés  :monnaie, langage, Searle, social, règles.