Mondialisationet
stratégies d'entreprises
Dossier coordonnépar
Sophiane Tahi (GRECOS, Université de Perpignan)
Sophiane Tahi,Mondialisation, globalisation et stratégiesdes
firmes (Texteintégral)
Rachel Bocquet, Stratégiescognitives
et globalisation de léconomie. La dimensionconventionnelle
de la coordination industrielle
Bernadette Madeuf, Giliane Lefebvre,Les liens paradoxaux entre stratégietechnologique
globale et intégration locale : le casdes groupes
français
Michel Freyssenet, Yannick Lung, Lesstratégies
de régionalisation des constructeursautomobiles
Jean-Marie Cardebat, Libéralisation deséchanges
Nord-Sud, restructuration des firmes et déstructurationde
lemploi. Lapport des données denquête
Med Kechidi, Croissanceexterne
et investisseurs institutionnels internationaux
Jean-Pierre Boissin, Véronique Favre-Bonté,Mondialisation, fusions-acquisitions et multigouvernementdu
groupe via ses filliales
Damien Talbot, Mondialisation et dynamiquesdes
coordinations inter-firmes dans la sous-traitance aéronautique
Michel Cabannes, Les
effets sélectifsde la globalisation sur les politiques
publiques
Philippe Hugon, La mondialisation implique-t-ellemoins
dÉtat ? Comparaison internationale etillustration
en Asie de lEst
CHRONIQUE
Guy Jalabert, La ville : objetde
recherche autonome ou reflet de la société ?(3) Ville et politiques urbaines :du
pouvoir local à la gouvernance
Sofiane
Tahi,Mondialisation,
globalisation et stratégies des firmes
Texteintégral
La deuxièmesession
de lUniversité dautomne du grecos (Groupede
Recherche Économique et Sociale, Université dePerpignan)
organisée en octobre 2000 à Girona (Espagne)a réuni
une cinquantaine de contributeurs autour des thèmescroisés
de la mondialisation, de la globalisation, et desstratégies
dentreprises. Sciences de la Sociétépropose,
dans la présente livraison, un dossier dont lesdeux tiers
des articles qui le composent ont pour origine unesélection
des communications qui y furent présentéeset discutées.
Au-delà deleur contenu propre qui a présidé à leurchoix, ces articles illustrent bien, dans leur variété,la diversité des approches possibles. Néanmoins,ce thème de la "mondialisation" suscite toujoursautant de polémiques tant au niveau de la littératureéconomique quau sein de la société,et un récent sondage publié par LHumanitéen août 2001 révèle que les deux tiers desfrançais interrogés se déclarent inquietsdevant le phénomène de mondialisation/globalisationimpulsé par les grandes firmes multinationales dont onretient surtout les décisions de délocalisationdactivités accompagnée de fermetures de sitesnationaux et de problèmes demploi. Lamalgameentre mondialisation et crise économique, ou encore entrestratégies des firmes et difficultés sociales, conduità sinterroger sur le sens de la relation de causeà effet : la mondialisation est considéréetantôt comme une fatalité, tantôt comme unmal responsable de tous les dysfonctionnements économiqueset sociaux. Mais si la mondialisation véhicule, selon certains,une interdépendance dangereuse des économies etdes marchés (notamment des marchés financiers),elle permet, selon dautres, de développer les échangesde toutes sortes entre les nations et ouvre ainsi la voie au développementéconomique et social. Cependant, le renforcement des inégalitéset le démantèlement des droits sociaux àtravers ceux de la condition salariale et de la protection socialeposent le problème des limites éthiques de la logiquedentreprise et, de manière plus globale, celui dela place de lhomme dans léconomie. Cette confrontationvient nourrir un débat déjà intense. Faut-ilréglementer la mondialisation ou, au contraire, la considérercomme un processus auquel on ne peut sopposer mais auquelon doit sadapter, comme lavait souligné RenatoRuggiero, ancien directeur général de lOrganisationMondiale du Commerce ?
Au niveau de la littératureéconomique, le principe même de léchangeinternational, ses causes et ses conséquences nontrien doriginal. Nombreuses sont les théories àsêtre intéressées à lanalysedes échanges entre nations, ainsi quaux conditionsde leur optimisation. Les théories du commerce internationalont, depuis longtemps, tenté dexpliquer les échangesentre nations par les écarts entre les coûts de productiondes marchandises. Ainsi, les disparités en termes de productivitédu travail et dabondance des facteurs de production furent,pendant longtemps, utilisés pour tenter dexpliquerle commerce international.
Au XIXe siècle,Ricardo proposait une explication fondée sur le conceptdavantage comparatif qui prolonge et modifie celui davantageabsolu élaboré auparavant par Adam Smith. Par lasuite, une nouvelle approche fut proposée par Heckscheret Ohlin, selon laquelle lavantage comparatif entre nationsdépend plus de labondance des facteurs de productionque de la productivité relative comme principal élémentdanalyse du commerce mondial. Les travaux de Leontief àla fin des années 1950 et linvalidation empiriquede lapproche traditionnelle marquent un tournant décisif.La création dinstitutions internationales (FondsMonétaire International et Banque Mondiale, notamment),les développements technologiques ou lintensificationdes échanges ont contribué à accentuer lerecul des théories traditionnelles comme seul instrumentdanalyse. A la place, de nouveaux courants (hétérodoxes)combinant des données de léconomie internationaleet de léconomie industrielle tentent aujourdhuidanalyser une sphère économique complètementbouleversée par lémergence de ce que lonappelle le double processus de mondialisation/globalisation enfaisant de la firme, placée au centre de lanalyse,le moteur des échanges.
Laccélérationdu phénomène dinternationalisation des économiesoccidentales, linsertion de pays nouvellement industrialisésdans léconomie mondiale et la place de plus en plusprépondérante des firmes multinationales dans lesrelations économiques internationales sont autant délémentsqui marquent le développement de ce processus de mondialisation/globalisationqui se traduit, semble-t-il, par le passage du modèle de"léconomie multinationale" qui a dominéles décennies 1960 et 1970 à celui de "léconomieglobale" qui se développe depuis le début desannées 1980. Si elle se caractérisait par le développementdes mouvements de capitaux, la phase de multinationalisation restaitnéanmoins dominée par les mécanismes de léconomieréelle, cest-à-dire la sphère de production.Par la suite, la déréglementation et le décloisonnementdes marchés nationaux de capitaux, lémergencede nouveaux produits financiers, le développement duneéconomie "immatérielle" soutenue par lesnouvelles technologies de linformation et de la communication,la reconfiguration des marchés et des secteurs ont favorisélémergence dune nouvelle logique : cellede la mondialisation/globalisation qui repose autant sur un processuspropre de financiarisation de lactivité économiqueque sur léconomie réelle. Néanmoins,les acteurs principaux de la dynamique de la globalisation commede la multinationalisation demeurent les mêmes, àsavoir : les grands groupes industriels et/ou financiers.Toutefois, cest au niveau de leurs nouvelles logiques stratégiquesque le processus actuel puise ses particularités.
Parmi les traitscaractéristiques permettant de distinguer la dynamiqueéconomique actuelle des précédentes, on notera :
la déréglementationet la restructuration des marchés dans la plupart des paysindustrialisés. Cette tendance, qui avait pour objectifdintensifier la concurrence, a favorisé le renforcementdu rôle des firmes, notamment les plus grandes, dans uncadre réglementaire flexible ;
la saturationdes marchés et lintensification de la concurrence,ce qui a incité les entreprises à chercher de nouveauxdébouchés (Europe centrale et orientale, Asie delEst) ;
le développementdu rôle des institutions internationales (fmi, bm, omc )et le renforcement des zones de libre échange ;
la refontedu rôle (de la conception ?) de lÉtat-nationet lémergence de "lÉtat-région" ;
le développementtechnologique et lapparition de la "nouvelle économie"matérialisée par le développement de nouveauxsecteurs dactivité (ntic, biotechnologies ).Cette tendance sest traduite par une redéfinitiondes compétences, une très forte augmentation descoûts de la recherche-développement, une réductionde la durée de vie des produits ;
lémergencede la nouvelle finance internationale qui a engendré unenouvelle logique en ce qui concerne le gouvernement dentreprise,appuyée sur une domination de la logique financièresur lactivité productive (rentabilité àcourt/moyen terme) ;
une tendanceà la convergence des économies, mais lhomogénéisationde la demande et des modes de vie comme celle des conditions dorganisationde la production et des compromis socio-politiques est loin dêtreréalisée.
Si la mondialisationrenvoie à la logique de "nation" à traversles différentes vagues de déréglementationet linterdépendance croissante des économies,la globalisation renvoie plutôt aux stratégies desfirmes dans leur course à la compétitivitéglobale et/ou globalisante. La globalisation des firmes impliqueune réorganisation spatiale des stratégies inter-entreprisesdans le but de se donner davantage de souplesse face aux contraintesde la localisation. Il semble aujourdhui que la concurrencesoit davantage fondée sur linnovation et la recherchedatouts stratégiques. Cela conduit au renforcementdes stratégies inter-entreprises, notamment entre acheteurset fournisseurs. Ainsi, alors même que la firme se globalise,cette nouvelle dynamique vient paradoxalement réactualiserla constitution de liens inter-industriels. La combinaison desdeux phénomènes conduit à lémergencedun processus aux facteurs imbriqués, à lafois causes et conséquences de ces bouleversements. Cetenchevêtrement traduit le double processus de mondialisation/globalisationqui place la firme en général, et le groupe multinationalen particulier, au centre de cette articulation.
Ces nouvelles stratégiesdentreprises peuvent être analysées selon plusieursangles dapproche : à partir de la sphèrede production, de la sphère du marché monétaireet financier, et de la sphère de lemploi, du socialet de la réglementation. Les articles rassemblésici peuvent globalement sarticuler autour de ces trois grandesorientations. En ce qui concerne les comportements stratégiquesdes firmes, ils seront appréhendés ici par rapportà lincertitude, la concurrence internationale, latechnologie et la reconfiguration des marchés. Il sagira,ensuite, daborder laspect financier de la mondialisationà travers les nouveaux modes de gouvernement des groupes,les processus de financiarisation, et leurs effets sur les logiquesde management et de développement des firmes. Enfin, lerôle de lÉtat dans le processus de mondialisation/globalisationfait lobjet dune discussion tant au niveau de sa réactionface aux différents effets du phénomène quàcelui de sa mutation en tant quacteur/ régulateur.
Le comportement stratégiquedes
groupes
Tout au long de cesvingt dernières années, les stratégies inter-entreprisesont connu une évolution sur le quadruple plan de la quantité(avec des taux de croissance à deux chiffres, voire troispour les secteurs des nouvelles technologies), de lampleursectorielle (en concernant un panel de plus en plus large dactivités),de létendue géographique (avec louverturedes économies et la déréglementation desmarchés), ainsi que sur celui de leur nature (nature despartenaires et des objectifs visés).
Lun des faitsmarquants du double processus de mondialisation/globalisationest incontestablement celui de limpact de ces stratégiesinter-entreprises mises en uvre au début des années1980. Les firmes cherchent un moyen pouvant leur permettre deréduire lintensité des confrontations concurrentiellestout en sauvegardant leurs compétitivités globalesrespectives. Désormais, les firmes préfèrentpartager un gain éventuel que supporter seules une perteprobable. Elles se placent par conséquent sur une frontièrecombinant coopération et compétition avec tout ceque cela suppose comme relations complexes. Lanalyse deRachel Bocquet montre que lincertitude croissante inciteles firmes à développer pour cela de nouvelles stratégiescognitives. Si la majorité de ces relations reposent surle contrat comme principale articulation, certaines semblent offrirà lentreprise un instrument de coordination industriellede manière informelle, dans le sens non contractuel. Cettedimension conventionnelle permet de conclure que la globalisationconduit à lémergence et au renforcement duniverscognitifs collectifs communs aux entreprises.
Par ailleurs, lapériode est marquée par lavènementdune nouvelle ère technologique fondée surla fertilisation croisée entre disciplines scientifiqueset le transfert de connaissances visant à lapplicationindustrielle des avancées de la science. Ainsi, le processusde mondialisation/globalisation sopère dans un contextede circulation rapide et décloisonnée de linformation,dapparition de nouveaux secteurs dactivités,de prédominance des services dans le commerce mondial Cette redéfinition des compétences saccompagnedune nécessaire réactivité des firmesfaite de combinaisons organisationnelles à la fois globaleset locales.
En étudiantlinternationalisation des activités de recherche-développementdes groupes multinationaux français, Bernadette Madeufet Gilliane Lefebvre font apparaître des " liensparadoxaux " entre stratégie technologiqueglobale et intégration locale : si les motifs dimplantationdes centres de recherche à létranger semblentocculter une stratégie techno-centrée, cette dernièretend, progressivement, à se confirmer par une intensificationde lexploitation des avantages scientifiques locaux. Ainsi,les stratégies techno-centrées globales vont depair avec un ancrage territorial local des centres de rechercheinstallés à létranger, de sorte quela globalisation nimplique pas nécessairement iciune déterritorialisation au détriment de la constructionde liens locaux, bien au contraire.
De la mêmefaçon, Michel Freyssenet et Yannick Lung montrent commentla gestion de leur espace par les constructeurs automobiles confrontésaux contraintes de leurs modèles productifs a conduit audéveloppement dun processus de régionalisation.A défaut de contribuer efficacement à lhomogénéisationattendue des espaces, celui-ci prend en considération lesdifférents facteurs dhétérogénéitéet tend, ainsi, à les consacrer sinon les renforcer, commeautant de limites au processus de mondialisation. Reste àsavoir si les firmes sont capables de développer des modèlesorganisationnels adaptés.
Une telle concurrenceexacerbée entre firmes du Nord et celles du Sud nestpas propre au secteur de lautomobile, mais peut concerneraussi bien des secteurs à faible intensité technologiqueque des secteurs à forte intensité technologique.Il ressort de lenquête présentée parJean-Marie Cardebat que les firmes de tels secteurs (le secteurde la chaussure pour les premiers, celui de lélectroniquegrand public pour les seconds) ont opté pour un évitementde la concurrence dont lintensification est liéeà la libéralisation des échanges Nord-Sud.Elles privilégient pour cela le recours à un mixde plusieurs stratégies : innovation, externalisationet différenciation. Chacune de ses stratégies débouchesur des restructurations et semble générer des effetspréjudiciables sur lemploi.
Nouvelle finance internationale et gouvernement dentreprise
Lémergencedune nouvelle finance internationale a renforcé lalogique de rentabilité financière à courtou moyen terme au sein des entreprises, en même temps quellesen nourrit. Les nouveaux actionnaires semblent peser trèsfortement sur les directions des firmes et conditionner leurschoix. Med Kechidi propose une analyse de la financiarisationcroissante du processus de concentration qui repose sur la miseen évidence dune étroite corrélationentre les stratégies de croissance externe des firmes etla logique de rentabilité financière véhiculéepar les nouveaux investisseurs institutionnels internationaux(essentiellement, les gestionnaires de fonds anglo-saxons). Avecplus de 35 % de détention moyenne de la capitalisationboursière française, ces investisseurs imposentaux firmes des stratégies de croissance répondantà lobjectif de "création de valeur pourlactionnaire". Dès lors, le comportement stratégiquedes firmes soumises à une telle logique se trouve radicalementbouleversé par rapport aux préconisations des modèlesde gestion standards.
Toutefois, si unetendance à lhomogénéisation et àlintégration des économies liée àla mondialisation des marchés financiers est bien àluvre, de même quune tendance àla globalisation des firmes à travers ces logiques financières,la globalisation du gouvernement des groupes multinationaux est,comme le montrent Jean-Pierre Boissin et Véronique Favre-Bonté,loin dêtre acquise. Bien au contraire, le gouvernementdu groupe sorganise au travers de tout un ensemble non homogènede filiales et, pour cela, doit précisément prendreen considération, comme cela à déjàété relevé à dautres niveaux,lhétérogénéité des environnementslocaux desdites filiales ; ce qui peut conduire àrepenser lhomogénéité même delentreprise globale.
La redéfinition du rôle de lÉtat
La pression des marchésfinanciers et des institutions internationales sest soldéepar la mise en question des politiques publiques, et par conséquentdu rôle de lÉtat, qui sest traduite soitpar le reflux total ou partiel de ce dernier, soit par la redéfinitionde son rôle en tant quacteur économique :régulateur et non plus producteur en situation de monopole.Transfert dune plus ou moins large partie du pouvoir étatiquede léchelle nationale vers un niveau supranationalau travers des institutions internationales et/ou régionales,déréglementation des marchés assortie dunesuccession de privatisations (essentiellement dans les pays industrialisés),réduction des déficits publics par la limitationdes dépenses, désengagement social par le biaisde la flexibilisation du rapport salarial, représententune part des effets de la mondialisation sur les choix publics.
En France, par exemple,lÉtat en tant quadministrateur des territoiresrevoit sa politique et se désengage progressivement dela coordination inter-industrielle qui a marqué de nombreuxsecteurs durant les Trente glorieuses. Cest le casdu secteur de la construction aéronautique étudiépar Damien Talbot. Son analyse intègre les dimensions territorialeet sectorielle en se focalisant sur la relation entre politiquepublique et coordination inter-firmes. Après de longuesannées de " logique darsenal ",le désengagement de lÉtat en tant que client/actionnaire/financeurcoïncide avec laccélération de la courseà la compétitivité des firmes sous leffetde la mondialisation. La structure des relations entre donneurdordres et sous-traitants est désormais davantagefondée sur le critère du prix comme source davantagecompétitif que sur celui de la localisation du sous-traitant,jusque-là défendue par lÉtat.
Toutefois, commele développe Michel Cabannes, ces effets de la mondialisationjouent à des degrés divers et conduisent àdifférents types de politiques publiques. En fait, la naturede linteraction entre mondialisation et politique publiquedépend du degré dautonomie des décisionspubliques ainsi que de celui du comportement de la sociétévis-à-vis des marchés mondiaux. Le processus demondialisation se traduit par la domination de la penséelibérale sur la détermination des politiques conjoncturelles(politique monétaire, réduction des déficitspublics ) et par le renforcement du processus de déréglementationdes marchés et dintensification de la concurrenceen ce qui concerne les politiques structurelles.
Enfin, cette relationÉtat/mondialisation est appréhendée différemmentdans les pays en voie de développement. Si dans les payspauvres (Afrique, par exemple) il sen est suivi une accélérationde la décomposition de lÉtat, déjàtrès affaibli par le poids de lendettement, celui-cisemble jouer un rôle central dans les pays émergents(Asie de lEst par exemple). Tout en examinant les différentesévolutions du rôle économique de lÉtat,désormais plus distributeur et régulateur que producteur,Philippe Hugon montre que cette recomposition des fonctions delÉtat seffectue dans le cadre dune gestiondespaces différenciés et emboîtés,et non face à un unique marché mondial ; ce"marché mondial" que les firmes semblent vouloirconstruire, mais dont, en même temps, elles retardent laréalisation par la prise en compte, dans leurs stratégiesdinternationalisation, des éléments dhétérogénéitéterritorialisés qui, finalement, peuvent agir comme contraintesou être utilisés comme générateursdavantages compétitifs.
Dans des champs particulierset
par des approches spécifiques, les articles qui suiventapportent
des éléments de réponse àces interrogations
sur le contenu et les effets du développementdu processus
dinternationalisation de lactivitééconomique
sous sa forme actuelle nouvelle de la mondialisation/globalisation.
©Sciences
de la Société n° 54 - octobre 2001
Résumé
Lobjectif de cet article est de montrer que la globalisationde
léconomie saccompagne de la créationpar
les firmes dunivers collectifs dont le cadre cognitifcommun
leur permet de coopérer et de rester concurrentes.Face
à lincertitude et à la complexitécroissante
de lenvironnement, les firmes mettent en uvrede nouvelles
stratégies cognitives, de recherche et dediffusion dinformations
susceptibles de faire émergerun univers cognitif commun
qui leur garantit une représentationpartagée des
conditions de la concurrence, et dont léconomiedes
conventions permet de rendre compte.
Motsclés :globalisation, concurrence, coopération, Économiedes conventions, cognition.
BernadetteMadeuf,
Giliane Lefebvre, Les liens paradoxauxentre
stratégie technologique globale et intégrationlocale :
le cas des groupes français
Résumé
La globalisation des activités de R-D des groupes multinationauxforme
une composante majeure et croissante de la globalisationde la
technologie. Une enquête récente sur la rechercheà
létranger contrôlée par vingt-septgroupes
français montre que le déploiement dunestratégie
technologique globale par les groupes présenteune dimension
territoriale marquée par une spécialisationrégionale
des centres de recherche ainsi que par leur intégrationaux
systèmes scientifiques et techniques locaux. Les centresimplantés
aux États-Unis se distinguent de ceuxétablis en
Europe par leur stratégie plus techno-centrée.En
outre, le degré dintégration dans les systèmeslocaux
de recherche est dautant plus élevéque les
centres poursuivent des objectifs plus "globaux",en
termes de marché et de radicalité de linnovation.
Mots-clés : groupes multinationauxfrançais, recherche-développement, stratégiestechnologiques, globalisation, régionalisation.
MichelFreyssenet,
Yannick Lung,Les stratégies
de régionalisationdes constructeurs automobiles
Résumé
Larticleexamine
la variété des stratégies dinternationalisationdes
constructeurs automobiles. La première partie présentela
grille danalyse théorique mobilisée quipermet
dappréhender la diversité des stratégiesde
profit et des modèles productifs des firmes en relationavec
le contexte macroéconomique et sociétal danslequel
elles sinsèrent. La seconde partie étudiela
contribution des constructeurs automobiles aux processus derégionalisation
des économies en cours dans lesdifférentes régions
du monde. La troisièmepartie précise les limites
du processus de mondialisationdans le secteur automobile et la
capacité des différentsmodèles productifs
à trouver des configurationsorganisationnelles adaptées
aux mutations en cours.
Mots-clés : industrieautomobile, modèles productifs, mondialisation, régionalisation.
Jean-MarieCardebat,
Libéralisation des échanges Nord-Sud,restructuration
des firmes et déstructuration de lemploi.Lapport
des données denquête
Résumé
Ce textesappuie
sur une enquête concernant les secteurs françaisde
la chaussure et de lélectronique grand public.Elle
montre que les firmes françaises soumises àla concurrence
du Sud cherchent en priorité à éviterla concurrence
directe par les prix grâce à une stratégiede
différenciation des produits. La différenciationhorizontale
saccompagne souvent de délocalisationsou dinnovations
techniques afin datteindre un objectifde flexibilité.
La différenciation verticale saccompagneplutôt
dinnovations organisationnelles dans le butde renforcer
la qualité des produits. Ces stratégiesconduisent
à un mouvement de spécialisation intrafirmesur les
tâches intensives en travail qualifié età
une nette augmentation de la demande relative de travailqualifié
synonyme dinégalités salariales.
Mots-clés : commerce Nord-Sud,délocalisations, stratégies concurrencielles, emploi.
MedKechidi,Croissance externe et
investisseurs institutionnels internationaux
Résumé
Ces dernièresannées,
la fusion et lacquisition dactifs existantsapparaissent
comme la principale modalité de croissancedes entreprises
et des restructurations industrielles. Cet articledéveloppe
le point de vue selon lequel les motivationsde ces opérations
de concentration obéissent, endernière analyse,
à une logique financièrequi sappuie sur le
discours sur la "créationde valeur pour lactionnaire"
et transite par les investisseursinstitutionnels internationaux.
Mots-clés : fusions et acquisitions,investisseurs institutionnels, financiarisation, "créationde valeur".
Jean-PierreBoissin,
Véronique Favre-Bonté,
Mondialisation, fusions-acquisitionset multigouvernement du
groupe via ses filliales
Résumé
Laccélération du processus de mondialisationde
léconomie se trouve fréquemment àlorigine
de débats sur une uniformisation des stratégies,des
modes de gouvernement et de gestion des entreprises. Néanmoins,même
dans le contexte des stratégies de globalisation,le poids
du local oblige à un management différenciépar
nation. Ces particularismes apparaissent dans les différentssystèmes
nationaux de gouvernement des filiales. Finalement,la réalité
des groupes industriels internationauxconduit à sinterroger
sur lexistence dunmultigouvernement intra-groupe intégrant
les différentspartenaires des filiales.
Mots-clés : globalisation,gouvernement dentreprise, groupes, filiales.
DamienTalbot,
Mondialisation et dynamiques des coordinationsinter-firmes
dans la sous-traitance aéronautique
Résumé
Lobjet de cet article est de rendre compte des conséquencesde
la mondialisation sur les relations entretenues par lÉtat,un
groupe industriel et son réseau de sous-traitance. Lephénomène
de la mondialisation est examinéà la lumière
dune double manifestation :désengagement public
et rationalisation des coordinationsinter-firmes. Ainsi, le retrait
progressif de lÉtatde lindustrie aéronautique
a conduit eads Airbusà rationaliser ses modes dapprovisionnement,
notammenten procédant à une mise en réseau
de sespreneurs dordres.
Mots-clés : sous-traitanceaéronautique, dynamiques des relations inter-firmes, mondialisation,désengagement public.
MichelCabannes,
Les effets sélectifs de la globalisationsur les politiques
publiques
Résumé
La globalisation entraîne des effets différents selonles
domaines de la politique économique. Son influencesur la
politique conjoncturelle est très forte car lesmarchés
financiers exercent une contrainte directe surles politiques budgétaires
et monétaires. Limpactsur les politiques structurelles
est moins important, mais progressesous les effets de la compétition
mondiale. Des étudesempiriques montrent que lincidence
sur la politique du secteurnon-marchand est assez faible, en raison
surtout de lactionefficace des forces sociales pour soutenir
lÉtatprovidence. Cependant, dans lavenir, si
la globalisationaccélère la mobilité des
facteurs, la concurrencefiscale pourrait davantage peser sur les
dépenses collectives.
Mots-clés : mondialisation,globalisation, politique conjoncturelle, politique structurelle,politique fiscale, dépenses publiques, concurrence fiscale.
PhilippeHugon,
La mondialisation implique-t-elle moins dÉtat ?Comparaison
internationale et illustration en Asie de lEst
Résumé
La vulgate selon laquelle la mondialisation suppose moins détatpeut
être nuancée. Il existe des interdépendancesentre
les pouvoirs économiques et politiques, et une recompositionde
ces pouvoirs se dessine. Il y a emboîtement déchelonsterritoriaux
constituant un système complexe de relationsoù létat
occupe une place nouvelle. On constateune différenciation
croissante du rôle de létatentre les économies
industrielles, les économiesémergentes et les pays,
pris dans les trappes àpauvreté, en voie de marginalisation.
Cet article, aprèsavoir présenté les recompositions
de létatdans un contexte de mondialisation, illustre
son rôle dansla croissance, la crise et la reprise dans
les pays dAsiede lEst.
Mots-clés : mondialisation,état, pouvoirs économiques, pouvoirs politiques,économie politique, Asie de lEst.