SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ
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N° 68 - mai 2006
Dimensions
sociales du document
Dossier
coordonné par Caroline
COURBIERES et Gérard REGIMBEAU
Caroline COURBIERES, Gérard
REGIMBEAU,
Entrées pour
le document : praxis, matières et formes sociales [texte intégral]
THEORIES
Jean MEYRIAT,
Pour une compréhension
plurisystémique du document (par intention)
Regina Maria MARTELETO, Nanci Gonçalves
da NOBREGA, Les documents et leurs appropriations.
Réflexions sur « information-document » et
réserve symbolique
Brigitte GUYOT, Marie-France PEYRELONG, Le document dans une perspective
organisationnelle. Un objet comme un autre ?
Catriona RABOUTET, Hubert CAHUZAC, Le document comme espace de connaissance(s), entre fonction
sociale et fonction cognitive
Dominique COTTE, Marie DESPRES-LONNET, Information et document numérique. Entre métaphore
et matérialité
PRATIQUES SOCIALES ET ORGANISATIONNELLES
Gérald GAGLIO, Manuel ZACKLAD,
La circulation documentaire
en entreprise comme analyseur de pratiques professionnelles. Une
étude de cas
Olivier DUPONT, Sabine DUTREL, Entretien annuel d'évaluation. Le document, un
objet « intermédiateur »
Mathieu JAHNICH, Suzanne de CHEVEIGNE, Production, circulation et échange
de documents : une observation des pratiques
HISTOIRES
Icléia THIESEN, Leila Beatriz RIBEIRO,
Documenter, informer, marquer. Le retour
à un « nouveau » passé ?
Stefan BRATOSIN, Le dossier
personnel de la Securitate roumaine. Un document politique en
tant qu'oeuvre
Maria de Fátima Gonçalves Moreira TALAMO,
Johanna W. SMIT, Documentation. La
mémoire et les systèmes de recherche d'information
Marilda Lopes Ginez de LARA, Cristina Dotta ORTEGA,
Le document et l'information documentaire.
Une construction organisée sous forme et contenu
NOTES DE LECTURE
Caroline COURBIERES,
Gérard REGIMBEAU,
Entrées pour le document :
praxis, matières et formes sociales
Texte
intégral
La reprise de la question du document correspond plus à
une volonté de clarification, de réexamen et d'élargissement
qu'à une remise en question des notions clefs élaborées
au cours du XXe siècle par les auteurs maintenant cités
et reconnus tels que Paul Otlet ou Suzanne Briet, et plus près
de nous, Jean Meyriat dont le texte choisi ici en ouverture marque
une étape de plus dans sa construction patiente et déterminante
d'une théorie du document. En abordant de front des définitions
dont la difficulté d'élaboration tient à
la réduction conceptuelle de l'immensité matérielle,
physique d'un objet aux dimensions multiples micro et macro socio-économiques,
ils ont donné aux sciences de l'information et de la communication
en cours de construction les premières bases théoriques
solides qui devraient figurer dans leurs textes essentiels.
Si le document autorise diverses approches, on peut également
poser que l'appréhension de cet objet nécessite
une pluralité de points de vue afin de travailler sa complexité.
L'un des objectifs de ce numéro de Sciences de la Société
était de présenter des recherches actuelles qui
tentent d'approfondir différents aspects de cet objet,
et qui, au-delà des démarches singulières
qu'elles adoptent, permettent de construire des parcours d'analyse
cohérents. Il s'avère important que cette revue
soit l'occasion de créer de nouveaux ponts entre des travaux
provenant d'horizons scientifiques et géographiques divers,
parfois distants, renouvelant la question de manière incitative
et non conclusive, pour la mettre en débat et susciter
des prolongements, notamment au sein des Sciences de l'information
et de la communication. Nos
propres recherches initiées dans l'équipe ICC puis
MICS du LERASS1 et dont le texte « Sur le document :
notion, travaux et propositions » de 2001 constitue
un jalon, nous ont permis d'alimenter une réflexion, dépendante
de clarifications axiomatiques, définitionnelles, méthodologiques
liées à sa construction en tant qu'objet de recherche
(Couzinet, Régimbeau, Courbières, 2001). Aujourd'hui,
la réunion de ces nouvelles contributions invite à
progresser dans la voie, qui nous semble s'imposer, de regards
et de croisements théoriques et empiriques. On notera de
plus, que certains échos relatifs au document numérique
du texte collectif - in progress - du RTP-Doc (2003-2006)
(Réseau thématique pluridisciplinaire n° 33,
également nommé par à-peu-près «
phonique » Roger T. Pédauque), dont une première
partie fut publiée en 2003, parviennent très logiquement
dans des articles de ce dossier. Il nous a semblé cependant
que l'électronique pouvait avoir sa part sans tenir toute
la place ; que l'axe de la problématique (du paradigme)
électronique ne devait pas oblitérer certains champs
et visées de recherches dans la description et la saisie
des réalités autant que dans les ouvertures épistémologiques
à propos du document dans toute sa variété
et sa variabilité.
Ainsi, les dimensions sociales de cet objet polymorphe, en mutation
permanente nous ont paru recouper certaines réflexions
à développer, mais surtout, elles s'imposent ici
comme une nécessité de cerner de plus près
ce que les SIC invoquent souvent sans l'approfondir, à
savoir les pratiques sociales. Il est fréquent, en effet,
dans les textes de notre discipline, d'être renvoyé
aux contextes, situations, groupes, milieux, etc. qui agissent
sur tel ou tel processus informationnel ou communicationnel sans
autre précision sur les réalités de ces conditions.
Il nous a donc semblé important de mettre en visibilité
ce volet « documentaire » (!), empirique, concret,
de la recherche pour l'approfondissement de la compréhension
du phénomène. Et ceci, en établissant, en
quelque sorte, un premier contact par le biais d'un appel à
contribution dont nous rappelons ici le contenu :
« Les travaux sur le document s'intensifient depuis quelques
années, notamment en Sciences de l'information et de la
communication. Cet objet de recherche était au centre des
questions des premiers congrès de la SFSIC à la
charnière des années 1970-1980 sous l'impulsion
particulière de Jean Meyriat. Des études ont poursuivi
ses approches empiriques et conceptuelles ; parmi d'autres, citons
les apports de H. Fondin, M. K. Buckland, V. Couzinet et l'auteur
collectif RTP-Doc.
Colloques, groupes de travail, revues ou collections ont adopté
le terme de document dans leurs intitulés. Preuve de sa
vitalité, il est revenu sur le devant de la scène
terminologique au détriment parfois d'"information",
accolé des épithètes électronique
ou numérique. L'intérêt croissant pour cet
objet de médiation privilégié marquerait-il
l'aube d'une ère nouvelle du document, après la
"société de l'information" ?
Cependant, en dépit des recherches et des interrogations,
on mesure encore mal l'existence polymorphe du document dans des
relations humaines concrètes ; en somme son importance
sociale. Objet de référence, objet intermédiaire,
support informationnel et communicationnel, support collecté,
conservé, diffusé, traité par des citoyens,
des organismes, des institutions, des professionnels, il est aussi
un enjeu de pouvoir et de discrimination. Il concentre sur lui
des pratiques et des discours, des transformations, des mutations
techniques, des permanences et des nouveautés qu'on résumera
sous le concept politique, économique, sociologique et
culturel de "pratique sociale". On souhaiterait donc
faire le point sur certains de ces aspects, ceci afin de mieux
cerner et d'enrichir la compréhension des activités
et actes sociaux construits autour de la notion et de l'objet.
Envisageant non plus seulement le "document de" au travers
des recherches informationnelles et communicationnelles, mais
aussi le "document sur" en tant qu'objet central de
diverses configurations sociales, c'est l'approche mono-technique
du document qui veut être ici délaissée pour
mieux réintégrer ses dimensions socio-économique,
socio-politique, socio-sémiotique et ne plus s'intéresser
spécifiquement à la notion de support qui lui est
inhérente. Les approches pourront donc envisager les enjeux
d'une médiation qui ne se réduise pas à un
simple interphasage mais prolonge l'analyse vers les pratiques
et les représentations qui accompagnent le document dans
une société de liens et de clivages.
Parmi les perspectives que nous souhaiterions rassembler dans
ce dossier - et nous indiquons ici quelques disciplines et/ou
orientations susceptibles d'intervenir - nous proposons :
- le document dans les réseaux : rôle, statut,
circuit et enjeux sociaux afférents (économie sociale,
SIC, histoire) ;
- le document dans les métiers : comment se compose
et se transmet le document dans les corps de métiers :
importance, initiation, formation (sociologie, SIC, histoire)
;
- le document en tant que matière documentaire : la
question des transformations du document vers l'information et
à nouveau vers le document ? (SIC) ;
- le document en tant qu'objet de pratiques artistiques qui dévoilent,
"illustrent" ou anticipent des pratiques sociales (esthétique,
histoire de l'art, sociologie, SIC) ;
- le document enjeux social (passé, présent et avenir),
quand l'information et la documentation faisaient, font et feront
partie des revendications sociales : comités d'information
sur..., groupes d'information sur, centre de documentation sur,
centre d'info sur, etc, (histoire, sociologie, SIC) ;
- les discours sur le document : discours professionnels, discours
artistes, discours profanes, discours scientifiques, discours
médiatiques, études dans une perspective socio-sémiotique,
afin de montrer la multiplicité des vies du document en
société (sémiotique, histoire, sociologie,
SIC).
Nous souhaiterions ainsi que cet ensemble d'articles qui constitueront
le dossier de Sciences de la Société puisse
proposer une entrée supplémentaire aux travaux interdisciplinaires
des SHS sur le document ».
Comme c'est très souvent le cas dans les réponses
à un appel à contribution, les différentes
perspectives envisagées n'ont pas toutes été
reprises, soit qu'elles ne correspondaient pas à des travaux
déjà avancés, soient qu'elles n'ont pas semblées
s'imposer en première approche aux auteurs intéressés,
tandis que d'autres sont venues stimuler ou enrichir le premier
propos. Si nous le reprenons dans cette introduction, c'est en
raison de son caractère programmatique : il nous semble,
en effet, qu'il nous faudra revenir, par l'investigation, l'essai,
l'analyse et la synthèse, sur certaines des voies esquissées
pour prendre la mesure d'un état mieux établi de
la question.
Tracer, reprendre et retracer les contours d'un sujet, en laissant
ou non des repentirs, passe souvent par le rappel étymologique
dont on ne retient que les éclairages intéressant
ponctuellement tel ou tel angle d'approche. En l'occurrence, il
est bon de rappeler que le terme « documens », gardant
encore l'empreinte de son étymologie latine « docere
» ou enseigner, signifiait encore au xviiie siècle
: « information » ou « enseignement ».
Ce lien entre « information » et « document
» soulignait mieux qu'aujourd'hui la liaison indéfectible
des deux entités. Difficile, en effet, de concevoir une
information qui serait une abstraction détachée
de sa condition matérielle d'expression : le document réalise
en ce sens un complexe sémiotique dont chaque dimension
démontre l'interdépendance de ses composants (Jeanneret,
2000, 68-79).
Il est aussi possible de comprendre un contour comme une prévision,
la supposition d'une aire à explorer. Il nous reste en
la matière des orientations et des suggestions qui pourraient
devenir autant d'études collectives thématiques
à mener. Mais avant cela, l'approche du document semble
difficilement séparable de son contexte pragmatique de
conception et de partage. Quelle que soit la discipline qui prenne
en charge de le penser, il paraît contraire à une
saisie véritable, fondée en droit et en méthode
de conceptualiser le phénomène sans le comprendre
dans la pâte sociale où il est incrusté. Que
faire en effet d'une conception ontologique qui oublierait de
le penser sans ses contenus ou d'une approche « contenuiste
» qui voudrait le soustraire à ses supports ? On
perçoit bien qu'entre document et social, il y a plus qu'un
rapprochement théorique ou d'expérience, il y va
d'une intrication essentielle qu'il faut cerner. Ce travail est
rendu possible par les apports disciplinaires qu'en raison de
rapprochements originaires l'histoire et les sciences de l'information
ont inclus dans leurs priorités mais que d'autres disciplines
seraient à même d'intégrer dans leurs horizons
de réflexion.
Que l'objet soit ici étudié plein champ ou hors
champ des sciences de l'information et de la communication, il
se trouve à la confluence - entre autres - de l'anthropologie
(Marteleto, Nobrega), de l'ethnométhodologie (Guyot, Peyrelong),
de la sociolinguistique (Guyot, Peyrelong), de l'herméneutique
(Bratosin), de la philosophie politique (Ribeiro, Thiesen ; Bratosin)
ou de la sociologie de la consommation (Gaglio, Zacklad). Au-delà
de ce foisonnement disciplinaire, une tension conceptuelle vient
sous-tendre de manière unitaire les contributions de ce
numéro. C'est ainsi que l'on peut concevoir plusieurs strates
discursives dans lesquelles s'entrecroisent, se questionnent ou
se répondent les auteurs ; autant d'entrées
pour appréhender le document au cur du processus de la
communication, c'est-à-dire aussi bien en tant qu'objet
produit, en tant qu'objet diffusé et utilisé, ou
en tant qu'objet reçu et reconstruit par l'analyse interprétative.
On peut ainsi distinguer, sans donner une valeur absolue à
l'ordre ici choisi, car il pourrait aller inversement des pratiques
à la théorie, et en soulignant que certains auteurs
sont cités ci-après sous plusieurs entrées
:
- une entrée « théorique » recentrant
chaque approche choisie sur la visée communicationnelle
du document ;
- une entrée par les pratiques sociales à partir
desquelles les points de vue sur le document se déploient
comme autant de facettes analytiques ;
- enfin, une entrée historique souligne, au-delà
des focalisations ponctuelles, l'importance de la mise en contexte
du document dans la construction du sens.
L'entrée théorique englobe les contributions qui
optent explicitement pour une vue surplombante du concept du document.
Mais loin de survoler leur objet, ces études viennent approfondir
les soubassements mêmes de cet objet complexe, qu'il s'agisse
de sa production intentionnelle (Meyriat), de sa charge informationnelle
(Marteleto, Nobrega), de sa dynamique intrinsèque (Guyot,
Peyrelong), de sa dimension cognitive (Cahuzac, Raboutet), ou
de la transformation de son support (Cotte, Després-Lonnet).
L'entrée par les pratiques rassemble les études
du document dans des milieux bien déterminés : entreprise
de services en ntic (Gaglio, Zacklad), entreprise du secteur pharmaceutique
(Dupont, Drutel), Agence Régionale de l'Environnement de
Haute-Normandie (Jahnich, Cheveigné). Plus largement, l'optique
organisationnelle permet de préciser la place de l'objet
documentaire dans les relations entre acteurs : qu'il se situe
en amont ou en aval de processus situés, le document reste
un objet plein au sens d'objet chargé d'une matérialité
signifiante qui contribue à l'organisation. En se référant
aux éclairages ici rassemblés, on retrouve sa place
primordiale dans certains processus de travail, notamment dans
le cas des situations complexes. Les analyses le soulignent, sa
fonction est intermédiatrice et nous incite à repérer
les multiples phases et états à nommer, communs
à de nombreux procès. Document générateur,
document dérivé, document de synthèse, document
final, etc. ne sont pas que des dénominations mais des
distinctions méthodiques destinées à rendre
compte d'une élaboration. L'observation de pratiques s'articulant
autour du document rend également compte de son rôle
de pivot. Préalable à l'action, l'objet documentaire
se trouve dès lors lié au principe de coopération
(Gaglio, Zacklad ; Dupont, Drutel ; Jahnich, Cheveigné),
imposant la pertinence de l'approche par le document pour appréhender
la dimension organisationnelle.
L'entrée historique fixe des horizons documentaires spécifiques
qui permettent de revenir précisément sur le document
dans sa dimension patrimoniale. Ces études montrent comment
des dispositifs documentaires élaborent aussi bien une
mémoire informationnelle - à travers les systèmes
de récupération de l'information - (Tálamo,
Smit), qu'une mémoire sociale (Ribeiro, Thiesen), ou une
mémoire politique - structure étatique du régime
communiste roumain - (Bratosin). Rejoignant notamment les préoccupations
de la bibliothéconomie (Lara, Ortega), cette entrée
débouche bien au-delà du terrain délimité
des sciences de l'information en montrant les enjeux idéologiques
de l'analyse interprétative des documents en dehors de
leur sphère socio-culturelle d'origine.
Différentes strates s'appuient sur un niveau metadiscursif
qui oriente la réflexion sur la définition même
du document en tant que concept. Chaque contribution se trouve
étayée par des conceptions fortes du document comme
objet informationnel à visée communicationnelle.
Qu'il soit pris comme outil pour l'analyse marketing (Gaglio,
Zacklad) ou comme objet de connaissance au cur du Knowledge Management
(Cahuzac, Raboutet), envisagé par attribution (Guyot, Peyrelong)
ou par intention (Meyriat), le document dévoile son intégrité
à travers ses propres métamorphoses. Les contributions
entérinent le processus de co-construction du sens potentiellement
à l'oeuvre dans la constitution du document. Cette spécificité
de l'objet documentaire se décline à travers une
liste de dénominations discutées et assumées
: « documents intermédiaires » (Dupont, Drutel),
«documents repères» et recyclés (Jahnich,
Cheveigné), « miroir de protodocuments successifs
» (Cahuzac, Raboutet), « produit intermédiaire
de la coopération » (Gaglio, Zacklad), « objet
particulier, intermédiaire » (Guyot, Peyrelong) Plutôt
qu'une définition figée, les auteurs opèrent
des figements définitoires du document observé à
différents stades de sa constitution. Si un document n'acquiert
son statut que par une nécessaire activation à réception,
ces partis-pris reviennent sur les moments qui permettent de mieux
dessiner sa contextualisation. L'ensemble de ces démarches
trouvent ainsi un écho dans la critique génétique
du texte (Ferrer et al., 1998), issue du mouvement structuraliste,
afin de préciser la métamorphose dont le document
est l'objet.
Les trois entrées que nous venons d'évoquer recouvrent
par ailleurs le questionnement sur ce que l'on appelle - souvent
à tort, eu égard à leurs conséquences
dans le processus de construction du sens - les techniques documentaires.
Qu'elles soient mentionnées, étudiées ou
sous-entendues, ces techniques apparaissent en filigrane de la
plupart des contributions. L'observation pratique ou l'étude
historique montre ainsi tout à la fois l'aspect processuel
du travail documentaire (Jahnich, Cheveigné) et ses implications
dans la construction d'une « signification en suspens »
(Bratosin). De la même manière, les recherches plus
théoriques renvoient au noyau dur traité par ces
techniques documentaires : l'information, « consubstantielle
au document » (Meyriat). Or nous touchons là, par
la marge diront certains, la ligne de force du discours pluriel
de ce numéro. Subsumant ces préoccupations, le passage
de l'information au document (Cotte, Després-Lonnet) ou
la virtualité même qui fonde le document - quel que
soit son support, sa matérialité - constituent l'ouverture
disciplinaire ultime en Infocom.
©
Sciences de la Société n° 68 - mai 2006
Références bibliographiques
Couzinet (V.), Régimbeau (G.), Courbières (C.),
2001, « Sur le document : notion, travaux et propositions »,
in Couzinet (V.), dir., Jean Meyriat, théoricien
et praticien de l'information-documentation, Paris, ADBS éditions.
Ferrer (D.), Stiegler (B.), Derrida (J.), Contat (M.), Biasi (P.-M.
de), 1998, Pourquoi la critique génétique ? Méthodes,
théories, Paris, CNRS Éditions.
Jeanneret (Y.), 2000, Y a-t-il (vraiment) des technologies
de l'information ?, Villeneuve d'Asq, Presses universitaires
du Septentrion, coll. Savoirs mieux.
RTP-Doc, 2003-2006, Documents et contenu : création,
indexation, navigation [en ligne], CNRS, ENSSIB, <http://rtp-doc.enssib.fr/sommaire.php3>
[le 17/03/2006].
Jean
MEYRIAT,
Pour une compréhension plurisystémique du
document (par intention)
Résumé
Tout
document créé pour que de l'information y soit inscrite
et ainsi communiquée a sa place première dans un
des multiples systèmes techno-sociaux de communication,
dont chacun se distingue par la nature de l'information communiquée,
les moyens employés, etc. Mais ce même document occupe
aussi une position dans d'autres systèmes, au moins celui
de sa production, le plus couramment plusieurs autres. L'analyse
de chacun des systèmes pertinents met en lumière
le rôle qu'il joue dans la création du document.
L'analyse plurisystémique prend en compte l'ensemble des
systèmes en interaction et vise à éclairer
le lieu où ils se rencontrent, place virtuelle de leur
nécessaire transaction. En effet les finalités de
ces systèmes sont rarement les mêmes et peuvent parfois
être contradictoires. La finalité du système
de communication est d'optimiser la capacité informative
du document, c'est à dire sa propriété de
véhiculer de l'information sans perte ni distorsion. Mais
le système de production a d'autres exigences, et par exemple
ne peut généralement pas ignorer les considérations
de coût. La transaction d'où sort finalement le document
risque ainsi de porter quelque atteinte à sa capacité
informative. Ce modèle théorique peut aider à
interpréter diverses situations très concrètes,
comme le suggèrent un essai d'application au cas de l'article
scientifique et l'évocation plus brève de problèmes
posés dans cette perspective par six exemples de documents
très différents les uns des autres.
Mots-clés
: analyse
systémique, analyse plurisystémique, article scientifique,
communication scientifique, système du document, message
personnel, loi, déclaration de revenus, communication administrative,
thèse, manuel scolaire, carte (géographique).
Regina Maria MARTELETO, Nanci Gonçalves
da NOBREGA,
Les documents et leurs appropriations.
Réflexions sur « information-document » et
réserve symbolique
Résumé
L'article
cherche à traiter le document en tant que notion et comme
objet, par une contextualisation multidisciplinaire. Les guides
de compréhension de la question documet sont les concepts
d'information, document, tierce connaissance, récit et
réserve symbolique. Ces concepts sont compris dans le terrain
de la culture et sur la pespective de la ligne d'études
de l'anthropologie de l'information, qui inscrit ces phenomènes
dans l'espace des sujets et de la production de sens. Afin de
mieux projeter la notion de document dans le scénario socio-historique
et, de cette façon, comprendre son importance hier et aujourd'hui,
d'autres concepts sont employés, dans le cadre des recherches
de l'Anthropologie de l'Information. En premier moment, dans l'espace
de l'école et après, au sein des mouvements sociaux
et ses réseaux de mobilisation de ressources symboliques
pour l'intervention et la transformation sociale. La question
qui traverse et fonde le texte est: finalement, qu'est-ce qu'ils
sont, les documents ? À quoi servent-ils ?
Mots-clés
: information,
document, récit, connaissance sociale.
Brigitte
GUYOT, Marie-France PEYRELONG,
Le document dans une perspective
organisationnelle. Un objet comme un autre ?
Résumé
Objets
mobilisés dans le travail quotidien, les documents sont
tellement présents qu'ils ne sont plus questionnés,
alors même qu'ils réclament un effort d'écriture,
de recherche, d'interprétation, de jugement, d'organisation
et qu'ils occupent une part non négligeable du temps pris
sur l'activité principale (ou de production prescrite).
A la lumière de l'activité d'information vue comme
activité située, nous souhaiterions reconsidérer
cette relation d'information que l'on attribue souvent d'emblée
au document, avant d'interroger les transformations qui font qu'un
inscrit devient un document : comment passe-t-on d'un écrit
individuel ou « local » au document ? Ces questions
nous conduisent à considérer un document comme un
objet particulier, intermédiaire, arrivé à
un certain stade de stabilisation et fruit de négociations
plus ou moins intenses entre une organisation et des acteurs à
travers un processus que nous nommons éditorialisation.
L'approche par le document nous permet de suivre ce processus
et de dégager les articulations entre organisation et situation.
Mots-clés :
activité
d'information, document, processus d'éditorialisation.
Catriona RABOUTET, Hubert CAHUZAC, Le
document comme espace de connaissance(s), entre fonction sociale
et fonction cognitive
Résumé
A partir d'une pratique où deux communautés, scientifique
et industrielle, ont à construire un socle de connaissances
communes, afin de favoriser la circulation de nouveaux savoirs,
le document en tant qu'espace de connaissance est étudié
sous deux aspects : support (forme, appropriation) et espace
de construction (production). Un mode de lecture (parcourir) est
en relation avec l'espace des concepts (réseau). Une forme
propre à accueillir une dynamique de co-conception est
une mise en espace : collection, carte de concepts et de
relations. La puissance d'un pré-texte, comme vision commune
antérieure à une formalisation, peut inciter à
tirer parti de la démarche analogique et métaphorique.
Mots-clés :
carte
conceptuelle, espace de connaissances, réseau de connaissance,
appropriation de l'information, communauté scientifique,
formatisation, pré-textualité.
Dominique COTTE, Marie DESPRES-LONNET, Information
et document numérique. Entre métaphore et matérialité
Résumé
L'émergence
du concept de « document numérique »,
tant dans la sphère scientifique que dans notre vie quotidienne
est le point de départ de cet article. Nous y analysons
les caractéristiques spécifiques de ce nouveau type
de document et proposons différentes hypothèses
qui permettraient d'expliquer pourquoi aujourd'hui les questions
liées au traitement informatique du document semblent prendre
le pas sur celles posées par celui de l'information.
Mots-clés :
document
numérique, approche sociologique.
Gérald GAGLIO, Manuel ZACKLAD, La
circulation documentaire en entreprise comme analyseur de pratiques
professionnelles. Une étude de cas
Résumé
L'étude des documents
commandés et émis au sein des entreprises n'est
pas encore très courant en sociologie du monde du travail.
Pourtant, cette production documentaire, souvent écrite
à plusieurs mains et via des supports informatisés,
constitue un remarquable analyseur d'un système d'acteurs
investi dans un projet commun ainsi qu'un traceur de son évolution.
Cela sera cerné à l'aide des transactions se nouant
entre différents acteurs. Pour les mettre en évidence,
le cas étudié sera celui de la commande d'études
marketing puis de leur exploitation variée (à l'aide,
ou non, de nouveaux documents) dans une entreprise de services
en ntic. Plusieurs enjeux apparaîtront autour des documents
produits, comme par exemple les tactiques de préservation
de territoires professionnels pouvant avoir cours lors de leur
écriture.
Olivier
DUPONT, Sabine DUTREL,
Entretien annuel d'évaluation.
Le document, un objet « intermédiateur »
Résumé
Suscitant
de nouvelles coopérations, redéfinissant le management
des hommes et produisant de nouveaux savoirs, l'entretien annuel
d'évaluation se voit octroyer une importance croissante
dans la dynamique organisationnelle des grandes entreprises. Sa
qualité d'événement ponctuel se conjugue
à une gestion pérenne des compétences qu'il
a pour vocation d'alimenter. Pour ce faire, il s'appuie sur l'élaboration
et l'échange de documents dont le rôle est complexe
mais essentiel. C'est l'étude de ce rôle à
partir de l'utilisation du concept d'objet intermédiateur
que développe cet article. A l'aide de ce concept, l'analyse
du document support de l'entretien annuel associé aux documents
de synthèse dérivés, permet, sans en négliger
les limites, d'identifier une pluralité d'intermédiations :
réification et pérennisation d'un acte, production
de nouvelles normes, introduction d'un tiers, décloisonnement
et articulation de collectifs, construction de connaissances
Mots-clés :
intermédiation,
document, médiation, objets intermédiaires, interactions,
formats, écrit, normes, évaluation, compétences,
partage.
Mathieu
JAHNICH, Suzanne de CHEVEIGNE,
Production, circulation et échange
de documents : une observation des pratiques
Résumé
Les «
nouvelles technologies de l'information et de la communication
» suscitent de nombreuses questions quant à leurs
usages. L'enquête présentée ici avait pour
but de cerner l'évolution des pratiques, entre documents
« virtuels » et documents matériels, au sein
d'une recherche plus large dont l'objectif était d'analyser
la construction et la circulation des discours environnementaux
via les NTIC. Il s'agissait de comprendre les pratiques
de sélection et de mise en forme de l'information, en évaluant
l'implication effective, forte ou faible, des ressources tirées
des médias informatisés dans ces processus, quelle
que soit cette implication (documentaire, argumentative, délibérante,
militante, etc.). Nous décrivons et analysons ici des pratiques
du document sur le lieu de production d'un site à contenu
environnemental, nous appuyant sur des entretiens et sur une observation
de type ethnographique. Nous montrons ainsi l'importance de la
place occupée par le document papier dans cette activité,
où il devient le support matériel du travail collectif
et un élément important de cohésion du groupe
de collaborateurs.
Mots-clés
: environnement,
NTIC, travail.
Icléia
THIESEN, Leila Beatriz RIBEIRO,
Documenter, informer, marquer. Le
retour à un « nouveau » passé ?
Résumé
L'article
présenté ici analyse le document photographique
comme élément de mémoire sociale et d'histoire.
Il aborde la photographie en tant que document d'identification
utilisé comme une des stratégies de la modernité
tendant, en même temps, à l'homogénéisation
et à la singularisation. Le portrait photographique institué
à la Casa de Correção da Corte (Rio, Brésil)
est ainsi analysé dans sa fonction de stigmatisation, une
marque apposée sur l'image produite sur les prisonniers.
Mots-clés
: document
photographique, anthropométrie, photo-vérité,
prison, Brésil, mémoire sociale.
Stefan
BRATOSIN,
Le dossier personnel de la Securitate
roumaine. Un document politique en tant qu'oeuvre
Résumé
L'article
propose un rapprochement théorique entre « document
» et « uvre ». Ce rapprochement est mis à
l'épreuve ici en rapport avec le cas précis du «
dossier personnel » de la Securitate roumaine et il participe
essentiellement de l'herméneutique critique ricurienne.
Dans ce cadre - où l'auteur admet la redondance syntagmatique
qui interfère parfois naturellement entre les termes «
document » et « uvre », comme d'ailleurs il
admet aussi la charge tautologique qui apparaît dans les
tentatives respectives de conceptualisation -, son analyse est
orientée fondamentalement vers les conditions du processus
interprétatif du document, en l'occurrence, du « dossier
personnel » de la Securitate. Considérer le
document en tant qu'uvre, n'est, donc, pas un objectif à
atteindre dans cette étude, mais un choix méthodologique,
une voie pour parvenir à un modèle d'analyse communicationnelle
d'un document devenu institution.
Mots-clés :
document,
dossier personnel, herméneutique critique, oeuvre, police
politique.
Maria
Fátima Gonçalves Moreira TALAMO, Johanna W. SMIT, Documentation.
La mémoire et les systèmes de recherche d'information
Résumé
La production
et la circulation de la culture sont largement influencées
par les conceptions sociales et les technologies disponibles à
chaque moment de l'histoire. Les propositions de l'organisation
de la connaissance de Vannevar Bush et de Paul Otlet sont analysées,
afin d'identifier le concept de mémoire implicite dans
ces propositions. La fonction des langages documentaires dans
les Systèmes de Recherche de l'Information comme moyen
pour transformer la «mémoire de retention»
en « mémoire souvenir » est ensuite discutée.
Mots-clés
: sciences
de l'information, système de recherche de l'information,
mémoire, vocabulaire, langage documentaire.
Marilda
Lopes Ginez de LARA, Christina Dotta ORTEGA, Le
document et l'information documentaire. Une construction organisée
sous forme et contenu
Résumé
On parle
de notion de production de documents dans le contexte de la Documentation
et de la Science de l'Information, en abordant le document en
tant qu'unité textuelle organisée sous une forme
et un contenu. On part du principe que les aspects formels du
document comme produit de l'activité documentaire sont
plus évidents et transparents avec la production du document
électronique, lors d'une approche entre les étapes
de formatage du texte de l'auteur et celles de représentation
de son contenu visant sa récupération dans des systèmes
d'informations. Considérant que le document électronique
inclut une forme de présentation et de représentation
- les informations documentaires -, il s'agit d'étudier
les catégories possibles d'analyse pour la notion de document,
sur base de sa production dans l'aspect formel (processus et composant)
et dans son aspect implicite lié à son contenu.
En ce qui concerne son contenu, on considère que l'information
documentaire n'est pas donnée a priori, mais que c'est
une construction basée sur une hypothèse d'organisation
formulée sur des bases institutionnelles. Ainsi, considérant
la fonction sociale des produits documentaires, la recherche de
systématicité doit être basée sur le
partage, c'est-à-dire, sur les références
collectives légitimées à travers la diversité
de publics, de langues et d'exigences.
Mots-clés
: document,
production de documents électroniques, organisation d'information
documentaire, conditions de production et de réception
d'information documentaire.