SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ - N° 61 - février 2004
Le mythe de l'organisation intégrée. Les progiciels de gestion
Dossier coordonné par Denis SEGRESTIN, Jean-Louis DARRÉON et Pascale TROMPETTE

Denis SEGRESTIN, Les ERP entre le retour à l'ordre et l'invention du possible    [Texte intégral]
Patrick GILBERT, Pierre LECLAIR, Les systèmes de gestion intégrés. Une modernité en trompe-l'oeil ?
Jean-Luc GUFFOND, Gilbert LECONTE, Les ERP, puissants outils d'organisation du changement industriel
Laure LEMAIRE, Gérard VALENDUC, Entre rigidité et malléabilité. Le double visage des ERP
Bénédicte GEFFROY-MARONNAT, Redouane EL AMRANI, Frantz ROWE, Intégration du système d'information et transversalité. Comparaison des approches des PME et des grandes entreprises
Marie BOITIER, Les ERP. Un outil au service du contrôle des entreprises ?
Isabelle BAZET, Anne MAYÈRE, Entre performance gestionnaire et performance industrielle. Le déploiement d'un ERP
Dominique VINCK, Igor RIVERA, Bernard PENZ, Des bonnes raisons d'échouer dans un projet technique. La construction sociale de l'impact
Emmanuel KESSOUS, Céline MOUNIER, Coordination et échanges dans un collectif de vente. Le cas de la mise en place d'un progiciel de CRM
Sylvain THINE, L'espace du conseil sous l'effet des ERP

ARGUMENTS
Philippe JEANNIN
, Penser l'évaluation de la recherche. Le cas des sciences humaines et sociales en France

NOTES DE LECTURE

FORUM EN LIGNE









 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 
Denis SEGRESTIN, Les ERP entre le retour à l'ordre et l'invention du possible

Texte intégral
Les entreprises n'en ont pas fini avec les beautés et les risques du changement ! Pour s'en convaincre, il suffit d'observer le sort que leur font subir aujourd'hui les technologies de l'information. Après vingt ans d'informatisation à marche forcée des bureaux et des ateliers, les outils logiciels à la disposition des managers ne cessent de proliférer, jusqu'à la ruée de ces dernières années sur ces fameux progiciels de gestion intégrés (PGI), dits aussi ERP (Enterprise resource planning).

On sait désormais ce que cache le sigle ERP, héritier plus ou moins légitime des MRP (des systèmes d'information dédiés à la planification de la production dans l'industrie : Material Requirement Planning, progressivement reconvertis en Manufacturing Resource Planning). Il s'agit cette fois de systèmes de " planification générale des ressources " développés et vendus aux entreprises par des sociétés de service (au premier rang desquelles figurent quelques majors internationaux : SAP, Oracle, PeopleSoft, Baan...). La propriété centrale des ERP est de prétendre à la réunion de toutes les données de l'entreprise sur une base unique, par le biais d'une architecture modulaire qui couvre chaque fonction - de la comptabilité aux fichiers clients, des ressources humaines à la gestion des stocks, en passant par la production, les achats, les nomenclatures de produits, etc. Une fois paramétré (c'est-à-dire adapté aux particularités de l'organisation), l'ERP permet d'éliminer les contraintes " d'interfaçage " ou de double saisie des données. Il offre au management des tableaux de bord intégrés et sans cesse actualisés. Surtout,
il autorise à " tracer " l'activité de façon transversale, si ce n'est à en optimiser le design à l'appui des " bonnes pratiques " enregistrées dans la base.

L'onde de choc occasionnée par l'installation de cette nouvelle génération de systèmes d'information dans la grande (et moins grande) entreprise est telle que tous les observateurs du monde des affaires et de l'industrie en ont maintenant perçu l'importance. Pourtant, du point de vue économique, gestionnaire ou sociologique, cet événement reste une énigme, qui méritait bien le coup de projecteur que lui envoie cette livraison thématique de Sciences de la Société. Comment mettre en rapport l'ambition assignée à cet instrument et son coût ? Alors que ces derniers temps, les ERP ont englouti une part notable des réserves financières des entreprises qui en ont été équipées, personne ne s'aventure plus guère à évaluer les retours sur investissement que les dirigeants en escomptent. A quoi les ERP sont-ils réellement employés dans les faits ? Sont-ils des leviers d'innovation managériale et d'apprentissages collectifs ? Jusqu'à quel point les ERP font-ils évoluer les organisations, et au bénéfice de qui ? La réponse à ces questions est d'autant plus difficile que rien n'indique que la mise en place des ERP soit à l'image du mouvement de " standardisation gestionnaire " qu'elle appelle a priori de ses vux : tout laisse au contraire à penser que le pilotage des projets dédiés aux ERP suscite des stratégies extrêmement variées selon les entreprises - et plus que jamais depuis que les petites et moyennes entreprises sont entrées dans la danse. De sorte que l'installation des progiciels semble emprunter les trajectoires sociotechniques les plus diverses.

De là l'intérêt d'alimenter la réflexion à la fois par des données de terrain et des analyses - ce que font la plupart des textes réunis ici - à la différence de la plupart des études disponibles à ce jour, qui oscillent encore souvent entre des scénarios prospectifs impressionnistes et des études de cas rivées aux problèmes techniques que soulèvent le déploiement des systèmes.

Qu'apprenons-nous de ce joli bouquet d'études ? Voici à ce sujet les libres réflexions d'un sociologue, qui a lui-même une petite expérience du sujet, et qui s'est efforcé de tirer profit d'une lecture transversale de tous les matériaux réunis ici, en négligeant la variété des " genres " auxquels emprunte chaque contribution. Celles-ci se distinguent en effet de diverses manières : par la discipline (la gestion et la sociologie s'y retrouvent à peu près à égalité), par la nature des données exploitées (des textes présentent une expérience singulière, d'autres analysent un panel d'enquêtes), voire par leur niveau d'aboutissement (certains auteurs donnent des ébauches, d'autres de véritables constructions problématiques). Nous nous sommes convaincus que cette hétérogénéité ne nuisait pas, car nous sommes dans le cas où la mosaïque des points de vue finit par révéler tout un paysage. C'est ce paysage dont nous voudrions maintenant dessiner les contours, au gré des cinq étapes qui suivent.

1. Pour commencer, une certaine unanimité se fait pour observer l'ampleur des ambitions managériales qui s'attachent aux ERP - mais pour y voir aussitôt la source d'un problème. Pour considérable qu'elle soit, l'ambition du nouvel outil semble en effet devoir compter avec la mise en concurrence d'utopies plus ou moins contradictoires.
L'ambition d'abord. P. Gilbert & P. Leclair nous suggèrent d'inscrire l'apparition des ERP dans la lignée des grands courants qui ont produit des représentations globales de l'entreprise, à commencer par l' " organisation scientifique du travail " selon F. W. Taylor. Par extension, on comprend que les ERP ne sont pas seulement un outil technique : les entreprises les adoptent pour se conformer à la norme ambiante et comme on s'acquitte d'un " investissement de forme " - en l'occurrence le prix que l'organisation est prête à payer pour tenir son rang. " Investissement de forme " : on se souvient des termes par lesquels Laurent Thévenot appliquait précisément ce concept à l'OST taylorienne, déjà nommée. Il voyait dans celle-ci un " modèle radical de l'entreprise " en rapport avec " la maîtrise de tous les investissements utiles pour l'usage de la main-d'oeuvre ", et propre à faire tenir ensemble des machines, des instruments de mesure, des principes de commandement, des méthodes d'instruction, des conventions de rémunération, des règles de vie (Thévenot, 1985). Les ERP, nous est-il suggéré, sont de ce rang-là, et c'est pourquoi leur entrée en scène dans la décennie quatre-vingt-dix a provoqué des remous infiniment plus importants que ceux que provoque d'ordinaire l'apparition d'un nouveau dispositif technique.

Le " problème " pointe pourtant déjà derrière le retour à l'histoire, qui vaut par exemple à Gilbert & Leclair de nous rappeler que les ERP sont le fruit d'une longue gestation remontant à la fin des années soixante-dix. Comment imaginer un aussi long cycle probatoire sans tiraillements ni confrontation de forces contraires ? Assez naturellement, l'une des lignes de clivage fut celle qui allait séparer les professionnels occupés par le versant technique de l'outil (l'ingénierie informatique) et ceux que leur métier portait à mettre en avant la dimension stratégique du système. Dans sa contribution consacrée au monde du conseil, S. Thine témoigne de ce phénomène en montrant comment, dès la mise sur le marché d'un outil tel que SAP R/3 en 1993, la mobilisation des cabinets est allée de pair avec le creusement de la ligne de partage entre les " intégrateurs " (offrant aux entreprises de réaliser le paramétrage du progiciel) et les cabinets de stratégie (proposant aux maîtres d'ouvrage de les assister dans les grands choix d'organisation attenant à la nouvelle machine).

Mais ce n'était là qu'un début. Par delà cette ligne de clivage entre les " techniciens " et les " stratèges ", une bonne partie des textes nous suggèrent surtout que les ERP se sont en fait retrouvés à la merci de la formidable ambiguïté qui s'attache à l'idée même des systèmes d'information intégrés. Intégration, qu'est-ce à dire en effet ? A suivre plusieurs des auteurs, le grand problème des progiciels de gestion intégrés tient au fait que le principe d'intégration peut voler au secours de deux représentations presque antagoniques des systèmes de gestion. Dans une première acception, l'intégration se trouve associée au grand projet de la standardisation des pratiques et à toutes les mesures qui s'y rapportent : au premier rang de celles-ci, l'encodage généralisé des données selon une syntaxe homogène, derrière quoi ne tarde pas à apparaître l'ambition du contrôle généralisé de l'organisation par le centre. Dans une seconde acception au contraire, l'intégration se donne comme le grand principe à partir duquel peuvent se concevoir des organisations transversales, décloisonnées et de nature à fonctionner " à l'horizontal " ou en réseau.

Selon des inflexions variables et de façon plus ou moins explicite, ce débat sur l'ambiguïté quasi-constitutive du projet d'intégration pourra apparaître comme la donnée récurrente de ce volume. Il nous est suggéré que des " logiques " sont à l'oeuvre et poussent les organisations d'un côté ou de l'autre. D'un côté, la logique de la standardisation vient à point pour équiper la volonté dirigeante de chasser les procédures spécifiques : des manières de faire propres à telle unité fonctionnelle, tel pays ou telle filiale, qui maintiennent les services hors de contrôle et élèvent les coûts. L'enjeu de l' ERP est alors non seulement d'élargir le périmètre du contrôle central, mais aussi d'appliquer des best practices - des chemins validées par l'expérience, et mis à la disposition des usagers par le nouveau système. De l'autre côté, la logique de la transversalité fait plutôt du progiciel de gestion intégré le vecteur de la gestion des processus à laquelle la frange innovatrice du management est désormais si attachée. Gérer les processus, expliquent les spécialistes, c'est oublier les organigrammes et oeuvrer pour que les ressources internes de la firme soient affectées aux activités qui créent de la valeur utile pour le client.

Bien entendu, aucun des textes qui suivent n'en reste jamais à cette présentation binaire ni n'affirme que les entreprises choisissent nécessairement leur camp. Pourtant, il est parfois utile de lire entre les lignes pour comprendre qu'il y aurait un " bon " et un " mauvais " usage des ERP selon que l'une ou l'autre des deux " utopies " mène le jeu. Sous entendu : si l'installation du progiciel encourage l'obsession du contrôle standardisé, il faut craindre que celui-ci n'expose les entreprises aux effets pervers de la reprise en main ; c'est seulement si le nouveau système est mis au service du management transversal qu'il aura des chances de contribuer à une authentique modernisation du système de gestion. Cette alternative est suffisamment transparente pour apparaître jusque dans les titres : L. Lemaire & G. Valenduc parlent du " double visage " des ERP, " entre rigidité et malléabilité ". I. Bazet & A. Mayère opposent deux visions de la performance, la " gestionnaire " et " l'industrielle " dans un sens paradoxalement peu différent. Dès leur première page, B. Geffroy-Maronnat et ses collègues signalent pour leur part le balancement des ERP entre les visions verticale et transversale de l'entreprise. Traitant du contrôle de gestion " sous ERP ", M. Boitier reprend à son compte une idée analogue, mettant en regard le " contrôle programmé " (de type hiérarchique et routinier) et le " contrôle interactif " (autorisant les apprentissages).

2. Sur ces bases, que nous apprend notre panel d'enquêtes sur les conditions concrètes dans lesquelles fonctionnent les ERP ? S'il nous est permis un instant d'aborder les textes avec des verres grossissants, le constat saute aux yeux : les ERP ne marchent pas bien. Ce constat était certes attendu, mais l'important est l'occurrence de voir le diagnostic s'éclairer à la lumière de la tension initiale qui vient d'être présentée.

En substance, il faut comprendre que l'ambivalence foncière des ERP " plombe " l'outil, même dans les cas où le management semblait le mieux disposé. Autrement dit, les ERP ont pour fâcheuse tendance de tomber du mauvais côté, celui du " contrôle programmé ". Pour quelles raisons ? En première analyse, parce les rapports de forces sont à l'oeuvre. Pour les uns, les systèmes d'information sont sous la surveillance d'investisseurs qui misent plus volontiers sur l'efficacité immédiate que sur des innovations aléatoires. Pour les autres, il en va plus simplement du pouvoir des directions : s'il arrive que le jeu s'ouvre momentanément dans la phase de projet, l'autorité hiérarchique retrouve ensuite tout naturellement ses droits. Cette neutralisation supposée des ERP n'est évidemment pas sans conséquences : on attend des systèmes d'information d'aujourd'hui qu'ils prennent leur part au nouveau cours de l'économie, qu'ils accompagnent l'explosion de l'offre, qu'ils contribuent au déploiement de la " cité par projets " et des nouvelles organisations en réseau. Comment le feront-ils s'ils sont essentiellement commis à la tâche de la recentralisation ? Les experts et les consultants spécialisés opposent parfois les progiciels de gestion intégrés et les nouveaux systèmes de management des connaissances pour suggérer que seuls les seconds seraient réellement innovants : a priori discutable, cette affirmation prend assurément du poids si l' ERP doit être systématiquement associé aux gains de standardisation.

Voilà en tout cas l'état des lieux tel qu'il ressort de la plupart des enquêtes menées dans les grandes entreprises. Gilbert & Leclair décrivent des ERP qui étouffent l'initiative et imposent des solutions uniformes. Lemaire & Valenduc déplorent la spirale dans laquelle se retrouvent souvent les dirigeants du fait des surcoûts entraînés par l'installation des systèmes : leur tentation est alors de se rembourser par des usages rivés sur les gains de structure, fût-ce au prix d'une concentration des pouvoirs et d'une standardisation à tout va. Dans les grandes entreprises observées par Geffroy-Maronnat & al., les directions centrales utilisent les ERP pour reprendre en main les fonctions, et plus spécialement pour affirmer leur ascendant sur les DSI (les informaticiens maison). Bazet & Mayère relatent le cas d'une multinationale où une solution SAP R/3 abonde presque toujours dans les sens des règles globales contre les anciennes procédures nationales, à charge pour chaque pays de justifier au cas par cas de ses sujétions spécifiques (par exemple : les contraintes juridiques). Kessous & Mounier ont étudié l'installation d'un système orienté clients (un progiciel de CRM) : ils expliquent que la consolidation des données pour le compte du management prévaut presque toujours sur les besoins de coordination latérale...

3. Le diagnostic se complique il est vrai un peu si l'on change de focale. Plus précisément, un examen rapproché révèle que toutes ces contributions usent en fait de grilles problématiques différentes, au point de diverger sur de points sensibles de la discussion.

La divergence la plus notable est celle qui pousse à distinguer le texte de Gilbert & Leclair de tous les autres. En effet, Gilbert & Leclair ne s'intéressent directement ni à l'ambivalence de l'ERP, ni aux prises que cette ambivalence fournirait aux acteurs pour faire prévaloir leurs intérêts. Les deux auteurs interrogent plutôt la genèse de l'outil et sa structure interne, pour plaider finalement, à l'opposé de la thèse dominante, sa faible ambivalence. Pour eux en effet, les ERP ne marchent pas bien pour une raison simple et rédhibitoire : ils sont en eux-mêmes de mauvais outils. Leur tendance à faire prévaloir la centralisation et le contrôle contre la transversalité et la distribution des initiatives tient à leurs propriétés intrinsèques. Pour Gilbert & Leclair, ces systèmes d'information souffrent de leur filiation objective avec la tradition taylorienne, dont ils empruntent la forme, au point qu'à la manière de l'OST de jadis, ils débordent de leur état premier pour devenir à eux seuls de véritables systèmes de gestion . Ce faisant, personne ne domine l'ERP ni ne l'utilise pour le compte de ses propres intérêts (si ce n'est par le biais de stratégies de sous-utilisation qui réduisent l'outil à un simulacre). L'ERP en vient à s'identifier à ces " technologies invisibles " dont parlait naguère M. Berry, pour désigner ces faux amis qui veulent faire croire qu'ils sont au service des dirigeants alors qu'ils prospèrent en fait en instillant dans l'organisation des schèmes cognitifs qui s'imposent à tous les acteurs sans que personne ne les ait sollicités (Berry, 1983).

Contentons-nous pour le moment d'enregistrer sans commentaire cette analyse radicale : sa propriété originale est de fournir une critique " génétique " de l'outil, là où les autres tendent plutôt à combiner la critique de l'ERP avec les conditions contingentes de sa mise en oeuvre. A ce sujet d'ailleurs, les points de vue ne sont pas encore parfaitement superposables : il n'est pas sans intérêt d'en faire un rapide inventaire, ne serait-ce que parce qu'on y retrouve le fondement de bien des débats sur les conditions de la rencontre entre les outils de gestion et l'entreprise. Trois postures typiques méritent d'être distinguées.

La première est celle à laquelle se rapporte le mieux l'idée de la contingence, au sens des théories du même nom. Une illustration caractéristique en est fournie par la contribution de Geffroy-Maronnat & al. : le propos de ces trois chercheurs n'est en effet pas seulement de mettre en évidence les défaillances de l'ERP, il est surtout de tirer au clair le contraste étonnant qu'ils estiment avoir décelé entre les conditions de mise en oeuvre de l'outil selon qu'ils observaient des grandes entreprises ou des PME. Dans la petite et moyenne entreprise, nous expliquent-ils, la décision d'investir dans un ERP n'a de sens que si l'intention est bien d'en faire un usage global, c'est-à-dire étendu à un grand nombre des briques fonctionnelles (quand la grande entreprise, opérant par investissements fractionnés, s'accommode forcément d'usages modulaires). Cette différence dans le rapport à l'outil s'avère décisive : les dirigeants de PME volontaires pour l'aventure de l' ERP ne sont pas habités par l'obsession du contrôle : leur projet est bien plus souvent de mettre leurs processus à niveau, d'accroître la réactivité de leur organisation, et de se mettre à l'écoute de leurs clients. Cette opposition entre grande entreprise et PME est-elle trop tranchée ? On peut en discuter, mais à condition de reconnaître l'intérêt de ce diagnostic comparatif inédit et qui vaut invitation - contingence oblige - à ne pas aller trop vite à un jugement univoque.

Une deuxième posture reprend la tradition de l'analyse sociotechnique, qui nous a appris à tenir pour indissociables la rationalisation technique et l'aménagement des rôles dévolus au personnel . Lemaire & Valenduc illustrent tout à fait ce registre analytique en présentant une sorte de loi de l'échec des ERP : à les suivre, les dirigeants qui exigent des progiciels une rentabilité immédiate sans s'occuper du déplacement qui s'ensuit pour le système de gestion obtiennent les bénéfices organisationnels qu'ils méritent, c'est-à-dire la re-bureaucratisation de l'entreprise, la parcellisation des tâches de saisie, et le désengagement des utilisateurs finaux du système. A contrario, les auteurs dessinent évidemment les traits d'une implantation vertueuse : des structures projet associant toutes le catégories d'experts et d'usagers, un paramétrage propice au partage horizontal de l'information, une stratégie volontariste de requalification des exécutants... Un idéal hélas éloigné de bien des situations réelles, tant la composante sociale est rarement leur point fort : les projets doivent avancer rapidement, et seule une frange étroite de responsables a voix au chapitre ; au stade de la mise en oeuvre, la main-d'oeuvre qualifiée fait défaut, et plus encore les acteurs intéressés au changement du dispositif de gestion.

La troisième posture - tendanciellement dominante chez les sociologues ? - évite toute classification et tout présupposé normatif pour décrire des systèmes d'action complexes où se rencontrent l'outil technique, les projets managériaux, et les acteurs du terrain. Ainsi, chacun à leur manière, les textes de Bazet & Mayère, de Kessous & Mounier, de Guffond & Leconte, de Vinck & al., présentent l'appropriation des ERP comme un vaste champ de manoeuvre sur lequel les acteurs affrontent le nouvel équipement et les nouvelles règles du jeu, tantôt pour les contourner, tantôt pour les infléchir ou les utiliser à leur avantage. A ce sujet, plusieurs auteurs sont bien inspirés d'utiliser la formule du " travail d'organisation " proposée par G. de Terssac pour traiter du lent processus de confrontation des forces par lequel s'opère le changement (Terssac, Lalande, 2002). Le texte de Guffond & Leconte est de ceux qui illustrent le mieux comment le travail continu des acteurs fait l'outil et lui affecte sa place dans l'organisation au moins autant que l'inverse - au point qu'il en devient réducteur de séparer les prescripteurs des usagers, ou de postuler une discontinuité tangible entre la phase de projet et le temps de l'usage opérationnel de l'outil.

Bien entendu, on a compris que toutes ces postures " non génétiques " ont en commun de suggérer que l'échec des ERP - aussi courant soit-il - n'est pas une fatalité. La comparaison conduite par Geffroy-Maronnat & al. entre la PME et la grande entreprise n'est pas la seule à montrer que l'effet ERP peut s'inverser, si le contexte, les structures de la firme et les acteurs s'y prêtent. L'analyse de M. Boitier s'en rapproche beaucoup quand elle affirme que selon le milieu d'application, les mêmes indicateurs de reporting serviront tantôt la cause du centralisme, tantôt celle de la " gestion distribuée ". Certes, fait-elle entendre, les outils de contrôle servent en général l'ordre bureaucratique. Mais dans une situation propice au partage de l'initiative, il est tout à fait plausible que ces indicateurs reviennent à l'état de " ressources ouvertes ", pour devenir des outils d'aide à la décision à la disposition de tous les échelons opérationnels. Par d'autres voies, des raisonnements analogues se profilent derrière l'analyse sociotechnique, comme pour les tenants du " travail d'organisation ". Lemaire & Valenduc voient dans l'effort de formation la clé qui sauverait les ERP du mauvais sort qui semble s'acharner sur eux. Guffond & Leconte dressent un tableau bien plus ouvert, si ce n'est plus optimiste : loin de tout déterminisme, leur propos est de montrer que chaque projet ERP constitue une aventure singulière dont l'issue dépend bien davantage des " structures de jeu " développées dans la firme que des contraintes de conformation inscrites dans l'outil.

4. Entre pessimistes et optimistes, entre la critique génétique des ERP et les thèses plus relativistes, à qui donner raison ? Il n'est pas si facile de trancher, tant la tonalité générale de ce débat reste en deçà de toute véritable controverse, jusqu'à suggérer qu'il conviendrait d'accorder à chacun sa part de vérité. Il est pourtant au moins un élément potentiel de dispute qui nous semble justifier quelques réflexions de plus : la question du déterminisme technique.

Plusieurs auteurs font valoir que l'évaluation des ERP est au nombre de ces sujets qui ne cessent de faire renaître de ses cendres la tentation déterministe. Cette remarque alimente même la conclusion de deux papiers : pas plus qu'aucun autre dispositif technique, plaident in fine Lemaire et Valenduc, les ERP ne peuvent à eux seuls déterminer la transformation du travail : tout dépend des structures préexistantes et des stratégies de changement. Le moment n'est pas venu de se laisser intoxiquer par la fameuse formule selon laquelle, à l'heure des ERP, " l'entreprise doit s'adapter à l'outil et non l'outil à l'entreprise " ; " Il faut rompre une bonne fois avec l'idée de l'impact des techniques sur l'organisation ", renchérissent Vinck et al. De prime abord, il est difficile de ne pas donner acte à nos collègues de l'opportunité de ce rappel. Simultanément, nous voudrions suggérer qu'avec les ERP, il se pourrait quand même que nous tenions un objet d'une nature si particulière qu'il fournirait l'occasion de revisiter cette discussion dans des termes moins conventionnels. Nous le ferons en discutant la thèse de Vinck et de ses collègues - au demeurant particulièrement originale et forte.

Le matériau de l'enquête ne diffère pas foncièrement des autres, si ce n'est que les auteurs relatent ici un " échec fracassant " : l'entreprise renonce à investir au terme d'un long projet ERP, ponctué par de multiples péripéties - appel à des consultants, installation de comités GPAO puis ERP, lancement d'un appel d'offre, sélection d'un éditeur, signature d'un contrat, etc. Mais cette longue marche n'aboutit pas : le contrat est cassé et le comité de projet se donne une année de plus pour aviser ! C'est là que, par le fait d'un déplacement analytique, les auteurs innovent : ils nous invitent à observer comment cet échec s'est en réalité conjugué avec une puissante dynamique d'appropriation du " nouvel outil pas encore là ". De sorte que cet échec mérite en réalité d'être regardé comme un succès, si l'on en juge par l'intensité des apprentissages, de plus en plus largement distribués, qui ont jalonné le projet. En définitive, pour les trois auteurs, la vertu de ce cas est d'administrer une " preuve par l'échec " que le déterminisme technique est inadéquat. Dans ce récit, nous explique-t-on en effet, on observe une telle discontinuité entre les parcours respectifs de l'innovation technique et du " travail d'organisation " qu'il en devient évident que la première n'est pas la cause du second. C'est la raison pour laquelle, à la suite d'A. Hennion, Vinck & al. suggèrent de concevoir plutôt le rapport de la technique à l'organisation comme un rapport de médiation (Hennion, 1993).

La place accordée aux phénomènes d'apprentissage est assurément le point fort de l'article. Quant à la " preuve par l'échec ", elle rend le propos particulièrement percutant. Selon nous, il resterait toutefois à se demander si les auteurs, portés par leur souci d'observation micro-sociologique, ne poussent pas trop loin leur parti-pris de séparation entre la dynamique de l'outil et la dynamique de l'organisation. Deux plans doivent en effet être distingués : une chose est d'affirmer que les apprentissages sont relativement indépendants du destin du projet technique (de son succès ou de son échec) ; une autre de suggérer que ces apprentissages ne devraient rien à la nature particulière du projet dont ils ont procédé. Dans l'histoire qui nous est contée, est-il exact d'écrire que " la variable technique disparaît en cours de route " ? Si cette assertion signifie que n'importe quel projet managérial d'une certaine ampleur aurait assumé la même fonction de médiation, il nous semble difficile d'y souscrire. En effet, nous inclinerions plutôt à croire que le remue-ménage organisationnel qui nous est présenté ne tire son sens que de l'épreuve particulière qui l'a suscité. Autrement dit : à défaut d'avoir été façonnés par la machine ERP elle-même, les savoir-faire accumulés par les acteurs l'ont été par l'équipement cognitif installé dans l'entreprise pour préparer son arrivée. Selon nous, le récit des trois chercheurs témoigne par lui-même de l'intensité de cet effet ERP.

Après tout, il n'était pas écrit d'avance que les cadres de cette entreprise moyenne se retourneraient vers les marchés pour penser l'évolution de leur organisation. Alors que la tradition de la firme était de déléguer cette tâche à un cabinet-conseil plus ou moins attitré, nous voyons l'équipe projet s'affranchir peu à peu de cette tutelle pour scruter d'elle-même l'état de l'offre en matière de systèmes d'information. Nous la voyons se prêter à l'expérience du benchmarking et organiser la confrontation entre les systèmes spécifiques (développés dans l'entreprise) et les systèmes génériques (développés à l'extérieur). De même n'était-il pas établi de tout temps que cette organisation se saisirait comme d'une priorité de la redéfinition de ses processus majeurs ou de la mise à plat de ses nomenclatures de produits...

Comment ne pas être frappé de la correspondance de chacun des ces mouvements avec le saut cognitif que supposait le passage de l'ancien système de GPAO à l' ERP ? L'occasion est trop belle d'observer que le nouvel outil ne se contente pas de prescrire des règles inédites d'intégration ; il donne aussi un tour radical à quelques-unes des grandes questions que soulève aujourd'hui la coordination industrielle : quelle place donner au marché par rapport à l'organisation ? Où arrêter le curseur entre l'imitation et la création ? entre les outils standards et les équipements sur mesure ? Comment concilier la flexibilité des systèmes productifs avec la nécessité de codifier les produits et de tracer les procédés ? Comment respecter l'autonomie des centres d'affaires tout en procédant au remodelage des processus transversaux ? Loin de disparaître en cours de route, il nous apparaît que toutes ces questions, directement en rapport avec la matrice des ERP, sont de celles qui ont presque explicitement " cadré ", si ce n'est donné son sens, à la mobilisation collective contée par D. Vinck et ses collègues.

Est-ce à dire que nous serions menacés de retomber dans les ornières du déterminisme ? Notre espoir est évidemment qu'il n'en est rien, tant ce qui précède est peu suspect de décrire quelque relation mécanique entre le développement des technologies de l'information et l'état des organisations. Ceci étant, il ne nous semble pas pensable que le déni du déterminisme technique puisse conduire à ignorer les " effets de cadrage cognitif " dont les outils sont porteurs, a fortiori s'ils s'apparentent - comme c'est le cas pour les progiciels de gestion intégrés - à des investissements de forme ou à de véritables des systèmes de gestion. Selon nous, une bonne partie de l'intérêt qui s'attache aujourd'hui aux travaux empiriques sur les ERP tient précisément au fait que cet outil, et les conditions dans lesquelles les acteurs se l'approprient sur le terrain, peuvent être regardés comme de bons analyseurs des modèles cognitifs à partir desquelles s'opèrent les innovations industrielles et de management. Telle est aussi la raison qui fait, in fine, la portée de toutes les discussions sur l'ambivalence des ERP et sur l'espace qu'elle ouvre au " travail d'organisation ". D'un point de vue analytique, les contributions qui traitent ici de cette question sont sans doute trop occupées à juger cette ambivalence et à en dénoncer les usages plus ou moins néfastes : selon nous, il est plus utile et plus intéressant d'y percevoir l'espace de délibération à l'intérieur duquel évoluent désormais peu ou prou les acteurs du changement, qu'ils soient occupés aux grandes décisions d'investissement ou à la régulation de l'activité productive au quotidien.

5. Par delà les points de vue sur les vices endogènes des ERP, sur leur ambivalence, et par delà la variété des jugements sur la nature des intérêts qui commandent leur usage, les articles réunis ici ont pour point commun d'éclairer de quelque manière l'espace de délibération dans lequel s'accomplit aujourd'hui la rationalisation des organisations : telle est finalement la thèse centrale que nous proposons aux lecteurs de ce numéro thématique de garder à l'esprit.

Cette proposition s'applique particulièrement bien à la critique dominante dont les ERP font l'objet : l'abus de centralisme et de standardisation. On se souvient de l'abondance des arguments mobilisés à ce propos : le principe d'intégration inscrit au fronton des ERP est trop souvent un pur paravent pour le retour en force du contrôle de l'organisation par le centre (au lieu de promouvoir la gestion transversale des processus) ; ce regain du contrôle programmé vaut encouragement à la prescription de bonnes pratiques sans rapport avec les compétences spécifiques de la firme (quand on croyait le management moderne acquis à la valorisation de celles-ci) ; il donne la primeur aux gains de standardisation (alors que l'heure de la gestion flexible laissant place aux initiatives locales semblait advenue).

Faut-il comprendre que la résurgence de ces controverses ne trouverait sa source que dans une pure crispation dirigeante au service des intérêts dominants ? Même si l'on fait droit à la discussion critique, la cause semble bien courte. Le problème surgit par contre dans toute son étendue si l'on en vient à concevoir que le modèle de l' ERP ait pu apparaître aux managers comme une incitation inédite à tester des formules de rationalisation radicale, pour en arriver à la redéfinition des enjeux et à la mise en chantier de nouvelles règles du jeu.

Qu'entend-on ici par rationalisation radicale ? Depuis que la page du taylorisme avait été tournée, les dirigeants s'étaient habitués à prendre pour acquis le reflux de la prescription autoritaire, allant jusqu'à reprendre à leur compte ce que les sociologues ont appelé la part aléatoire de l'activité ou la nécessité d'une gestion locale des " événements " inhérents au travail industriel. Dans un premier temps, les outils de gestion (y compris les outils logiciels) ont accompagné le mouvement : selon la formule de J.-C. Moisdon, l'avantage était aux outils " flexibles, incomplets, simples, discutables, décentralisés " (Moisdon, 1997). C'est alors que sont arrivés les ERP, prenant cette évolution à revers et réouvrant le champ des possibles. Une nouvelle hypothèse a été mise à l'ordre du jour : celle de la restauration d'une authentique discipline industrielle, à l'opposé de tous les " bricolages " qui avaient de fait trouvé droit de cité dans la firme. Dans cette optique, proférer qu'il faudrait bien que l'entreprise s'adapte à l'outil et non l'inverse n'était pas une provocation gratuite : il s'agissait de faire entendre qu'avec l' ERP, l'heure pouvait être à un réel effort de standardisation des systèmes de gestion à l'encontre de tous les arrangements spécifiques, fût-ce au prix d'un retrait de l'activité managériale elle-même.

Ceci étant, personne n'a cru qu'il s'agirait de virer de bord d'un seul coup, d'autant que le paramétrage de l' ERP autorisait d'entrée toutes sortes d'aménagements : depuis l'application modulaire jusqu'aux mesures de " débrayage " du progiciel permettant de restituer autant que nécessaire l'initiative aux acteurs locaux. De sorte qu'en réalité, les ERP sont entrés dans l'entreprise sur le registre de la transaction : c'est moins la standardisation proprement dite qui s'est imposée que la légitimité renouvelée du débat sur les mérites comparés de la gestion standard et de la gestion spécifique. Les managers ont acquis le droit d'affirmer que tout ajustement local à un coût et que l'issue raisonnable d'un problème local de gestion pourrait être de dresser un inventaire des avantages et des risques afférant respectivement aux solutions très formalisées et à celles qui privilégient les arrangements décentralisés.

Un espace de délibération du même ordre est apparu à propos des vertus respectives des progiciels de gestion généralistes et des logiciels spécialistes. Après que les ERP ont été présentés comme des outils conçus pour couvrir toute l'activité, et donc pour se substituer aux outils spécialisés, le régime de la cohabitation des deux systèmes a prévalu. De ce fait et encore une fois, ce n'est pas tant l'intégration des données qui caractérise la nouvelle situation que la mise en concurrence de plusieurs solutions légitimes : pour aberrant que cela puisse paraître, et comme on l'a déjà observé, l'usage modulaire du progiciel et la superposition des outils sont restés des alternatives parfaitement crédibles face au cas (encore fort improbable) d'application intégrale du système.

L'usage des ERP " ouvre la question de l'innovation plutôt qu'il ne la ferme ", peuvent écrire pertinemment Guffond & Leconte, avant de raconter des histoires de changement : où l'on voit la prétendue standardisation d'un système de gestion conduire à la mise en place de " bonnes pratiques " tout à fait singulières ! Où l'on apprend qu'un projet d'intégration des données et d'automatisation des décisions peut finalement aboutir à la négociation locale d'une nouvelle forme de division du travail ! De tels propos illustrent excellemment ce qu'il peut advenir de l'introduction d'un nouvel outil quand ses propriétés formelles passent au second plan, pour faire place à de nouvelles échelles de grandeur. Parce que les ERP sont déjà rendus à l'état de matrice cognitive, de " forme " que le management manipule pour négocier ou défendre de nouveaux principes de gestion légitimes, ce ne sont plus tant, dès maintenant, les ERP qui font question : ce qui compte est le mouvement dans lequel ils s'inscrivent et qu'ils contribuent à orienter. Au point que bientôt peut-être, le destin de ces outils singuliers ne pourra plus être distingué des trajectoires générales du changement.


© Sciences de la Société n° 61 - fév. 2004

Références bibliographiques
BERRY (M.), 1983, Une technologie invisible L'impact des instruments de gestion sur l'évolution des systèmes humains, Paris, Centre de recherche en gestion, École Polytechnique.
BOLTANSKI (L.), CHIAPELLO (É.), 1999, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.
HENNION (A.), 1993, La passion musicale - Une sociologie de la médiation, Paris, Métailié.
MINTZBERG (H.), 1982, Structure et dynamique des organisations, Paris/ Montréal, Éditions d'Organisation/ Éditions Agence d'Arc.
MOISDON(J.-C.), dir., 1997, Du mode d'existence des outils de gestion - Les instruments de gestion à l'épreuve de l'organisation, Paris, Seli Arslan.
SEGRESTIN (D.), 2003, "Les nouveaux horizons de la régulation en organisation le cas des progiciels de gestion intégrés, in TERSSAC (G. de), dir., La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud - Débats et prolongements, Paris, La Découverte, 61-76.
TERSSAC (G. de), LALANDE (K.), 2002, Du train à vapeur au TGV - Sociologie du travail d'organisation, Paris, PUF.
THEVENOT (L.), 1985, "Les investissements de forme, Cahiers du Centre d'Études del'emploi, n° 29, Conventions économiques, 21-72.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Patrick GILBERT, Pierre LECLAIR
, Les systèmes de gestion intégrés. Une modernité en trompe-l'oeil ?

Résumé
Les systèmes de gestion intégrés apparaissent d'une éblouissante modernité. Fondés sur les technologies les plus avancées et promouvant les meilleures pratiques, ils en présentent, il est vrai, toutes les apparences. Mais les apparences seulement ; comme dans l'art pictural du trompe-l'oeil. A l'instar de l'effet produit par l'image de synthèse, si l'il est trompé, c'est qu'il croit voir, non pas la réalité, mais une photographie de la réalité : le SGI reproduirait l'entreprise réelle dans sa modernité. Malgré les efforts pour transformer cette réalité (via le Business Process Reengineering), rendre l'original conforme à la copie et se rapprocher ainsi du modèle idéal (?) formalisé dans le progiciel, cette prétention rencontre d'évidence d'importantes limites.

Mots-clés : progiciel de gestion intégré, stratégie, structure, système de gestion.

 




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Jean-Luc GUFFOND, Gilbert LECONTE
, Les ERP, puissants outils d'organisation du changement industriel

Résumé
Si l'on sait désormais que le temps de l'implantation d'un progiciel de gestion intégré est porteur de changements organisationnels. Qu'en est-il ultérieurement en période d'usage routinisé ? Là est l'objet de cet article, résultat de l'observation fine d'une dizaine d'entreprises « entrées en ERP » depuis quelques temps. Nous verrons que si les « qualités » désignées de ces outils - essentiellement la standardisation et l'intégration - continuent à agir au sein des organisations lors des pratiques ordinaires, ces effets sont chaque fois complexes, voire même paradoxaux. Le fait est néanmoins que les activités et le travail sont profondément modifiés. Nul doute, les ERP sont de puissants et robustes dispositifs du changement industriel.

Mots-clés : ERP, systèmes informatiques, intégration informatique, outil de gestion, changement industriel.

 

 






 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Laure LEMAIRE, Gérard VALENDUC
, Entre rigidité et malléabilité. Le double visage des ERP

Résumé
Quels sont les impacts des ERP sur la qualité du travail, les compétences des employés et leurs besoins de formation ? Tel est l'objet principal d'une recherche menée dans des entreprises belges en 2001-2002. Les résultats se basent sur des études de cas et sur une méthodologie de reconstruction de la chronique de l'implantation d'un ERP. Les facteurs de succès sont liés aux stratégies de gestion du changement organisationnel et de mise en valeur des compétences acquises par les travailleurs, tandis que les facteurs d'échec sont dus à la rigidité et à la vulnérabilité du système technique, ainsi qu'aux incertitudes relatives au bilan coûts/ bénéfices des ERP. Un investissement accru dans la formation, à tous les niveaux, est le meilleur moyen de maîtriser les risques. Finalement, peut-on considérer le pouvoir structurant des ERP comme une forme résurgente de déterminisme technologique ? Pas vraiment, car le fatalisme des décideurs n'est pas une preuve du déterminisme de la technologie. Nous proposons de distinguer différents rôles joués par la technologie, afin de comprendre pourquoi et comment les ERP représentent une forme particulière d'interaction entre travail et technologie.

Mots-clés : TIC, travail, facteurs de succès et d'échec, interactions.

 


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Bénédicte GEFFROY-MARONNAT, Redouane EL AMRANI, Frantz ROWE
, Intégration du système d'information et transversalité. Comparaison des approches des PME et des grandes entreprises

Résumé
Avec l'arrivée des progiciels ERP, les entreprises peuvent enfin prétendre concilier intégration du système d'information et approche par processus de l'organisation. Dans cet article, les auteurs montrent que le contexte organisationnel des PME et des GE explique des formes d'intégration du système d'information différentes et que les PME parviennent davantage à construire, par ce biais, une vision transversale de l'organisation. Sur la base de cinq études de cas, ils mettent en évidence certains dispositifs (composition de l'équipe projet, formation) à partir desquels émerge l'intégration cognitive et managériale associée à l'ERP.

Mots-clés : ERP, intégration du système d'information, transversalité, grandes entreprises, PME.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Marie BOITIER
, Les ERP. Un outil au service du contrôle des entreprises ?

Résumé

Les ERP ont été conçus dans les années 1990 pour répondre à un besoin de rationalisation des systèmes d'information des entreprises. Cependant, au-delà des enjeux techniques, se pose la question du modèle d'organisation et de contrôle associé à l'outil. L'objet de cet article est donc d'examiner à quel type de contrôle peut servir un ERP, en tenant compte des mécanismes de structuration de nature technique et économique et des jeux sociopolitiques inhérents à l'adoption d'une telle technologie.

Mots-clés : ERP, configuration de contrôle, contrôle de gestion, modèles d'organisation.


 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Isabelle BAZET, Anne MAYÈRE
, Entre performance gestionnaire et performance industrielle. Le déploiement d'un ERP

Résumé
Les dynamiques à l'uvre lors du déploiement d'un ERP participent d'un travail d'organisation dont cet article propose d'identifier différentes scènes et étapes, en prenant appui sur un ensemble d'entretiens, d'observations et de recueils de documents réalisés dans l'un des sites d'un grand groupe industriel. A partir de l'identification de tensions repérables, nous verrons comment interviennent des questions de signification, de domination et de légitimation, qui interrogent en retour sur les différents ordres de performance en présence.

Mots-clés : travail d'organisation, théorie de la structuration, contrôle, schémas interprétatifs, organisations productives contemporaines.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Dominique VINCK, Igor RIVIERA, Bernard PENZ
, Des bonnes raisons d'échouer dans un projet technique. La construction sociale de l'impact

Résumé
Cet article porte sur l'introduction d'un ERP au sein d'une entreprise industrielle. Il rapporte la dynamique à l'oeuvre dans la préparation, la décision, le choix et la mise en oeuvre. La situation étudiée a tourné à l'échec : l'éditeur a fait faillite et l'entreprise a abandonné son premier projet. L'enquête repose sur un travail d'observation directe. Le cas étudié est mobilisé pour repenser les relations entre technique et organisation, la dynamique des changements sociotechniques et la question des apprentissages. Il propose une voie d'analyse en termes d'action distribuée.

Mots-clés : déterminisme technique, apprentissage, anticipation, médiation, action distribuée, échec, impact.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Emmanuel KESSOUS, Cécile MOUNIER
, Coordination et échanges dans un collectif de vente. Le cas de la mise en place d'un progiciel de CRM

Résumé
Une épreuve est décisive quant à l'appropriation d'un progiciel de CRM : celle de son usage au quotidien par les professionnels impactés par son déploiement. La richesse des informations qu'ils y inscrivent est tout aussi importante, voire plus, que des processus en adéquation avec le système technique. En analysant les contours d'un projet de CRM et les difficultés pour investir les deux espaces qu'il contient - un espace consacré au travail sur des affaires en cours et un autre destiné à la gestion des dossiers clients dans la durée - cette contribution met l'accent sur les tensions contenues dans la démarche.

Mots-clés : coopération, coordination, contrôle, relation de service, relation client, CRM, système d'information.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Sylvain THINE
, L'espace du conseil sous l'effet des ERP

Résumé
Dans cet article, nous analysons les effets des ERP sur l'espace du conseil. Cette innovation technologique et managériale relance le secteur du conseil au début des années 1990 et a modifié l'espace à plusieurs niveaux. La profession de consultant en ERP est apparue et compte approximativement 12 000 membres. Si les ERP ont permis de renforcer les positions des gros cabinets qui ont la capacité de réaliser des projets importants, ils ont contribué à marginaliser les petits qui limitent leurs interventions en ERP à la seule maîtrise d'ouvrage. L'origine du cabinet est la variable la plus déterminante. Elle permet de distinguer ceux qui ont été créés par les cabinets d'audit anglo-saxons, les cabinets de management, les SSII et les indépendants. A l'inverse, les grands cabinets en stratégie semblent avoir été peu affectés par l'arrivée des ERP. Finalement, les importants changements évoqués n'ont pas changé la structure de l'espace.

Mots-clés : ERP, conseil, consultant, SSII, éditeur de logiciel, stratégie, management.