SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ - N° 66 - octobre 2005
Marchandisation et connaissance(s)
Dossier coordonné par Alain LEFEBVRE et Pascale TROMPETTE

Alain LEFEBVRE, Pascale TROMPETTE, Entre postures critiques et arrangements pragmatiques  [texte intégral]
Geneviève AZAM, L'utopie de l'économie de la connaissance
Christian PONCET, Jean-Pierre MIGNOT, Politiques publiques et implications organisationnelles dans le processus historique d'industrialisation des connaissances
Jean-Benoît ZIMMERMANN, Logiciel libre et marchandisation. Le paradoxe de l'excellence
Dominique VINCK, Ethnographie d'un laboratoire de recherche technologique. Analyse de la médiation entre recherche publique et appropriation privée
David PONTILLE, Commerce scientifique et valeurs professionnelles : l'économie des pratiques de signature
Ashveen PEERBAYE, Compétition, coordination et effets de savoir. La génomique entre recherche académique et recherche industrielle
Marie-Pierre BÈS, Savoirs et savoir-faire élaborés dans les relations science-industrie. Un nouvel enjeu pour la marchandisation de la science ?
Vincent MEYER, Instrumentalisation des connaissances dans le champ du social : évaluation et marchandisation
Emmanuel PARIS, Fabien GRANJON, Marchandisation des savoirs, privatisation de la recherche et réformes de l'université française
Nathalie PIGNARD-CHEYNEL, L'édition de revues scientifiques. Une forme de marchandisation de la diffusion des connaissances

NOTES DE LECTURE











 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 
Alain LEFEBVRE, Pascale TROMPETTE, Entre postures critiques et arrangements pragmatiques

Texte intégral
Le thème de la marchandisation de la connaissance constitue aujourd'hui un thème de débat récurrent opposant, d'un côté, les défenseurs d'une « économie de la connaissance » pleinement adossée au marché de manière à favoriser la compétitivité des entreprises et la croissance économique, de l'autre, tous ceux qui voient dans ce processus un vecteur privilégié de la mondialisation libérale. Ce débat est particulièrement vif dans un pays comme la France où les inquiétudes vis-à-vis de ce processus s'expriment - comme l'actualité politique l'a récemment montré - avec une particulière vigueur. Il est vrai que la chronique de la marchandisation du savoir est régulièrement alimentée par de multiples manifestations : certaines d'entre elles sont très visibles et largement médiatisées comme en témoigne l'intensité des débats sur la brevetabilité du vivant, la question des logiciels libres ou, sur un autre plan, la question des moyens alloués à la recherche publique. D'autres indices sont néanmoins tout aussi significatifs. Citons en quelques-uns en vrac : l'extension de la propriété intellectuelle à de nouveaux acteurs, le rôle croissant des agences public/ privé dans la mise en uvre de la politique publique de la recherche, l'entrée du capital financier dans l'espace de production des connaissances Certains auteurs insistent sur le fait que le chercheur d'aujourd'hui n'est plus un philosophe de la nature mais un technicien captif du social et des diverses formes d'instrumentalisation qui l'accompagnent (Krimsky, 2004 ; Laredo et Mustar, 2001 ; Pestre, 2002 et 2003). D'autres auteurs, contributeurs à ce dossier, mettent l'accent sur le déplacement en cours des équilibres entre science et technologie, entre d'une part, un système de recherche publique fonctionnant selon un régime de « science ouverte », voire de « biens communs » et, d'autre part, une recherche industrielle et privée soumise à un régime d'appropriation monopolistique des connaissances. Tout le monde s'accorde pour constater, selon les termes de Poncet et Mignot, une « extension de la zone de recouvrement entre milieux académiques et milieux de recherche », mais les divergences sur l'importance, les modalités et les conséquences de ce recouvrement sont notables. L'objectif de cette introduction est de tenter de poser les principaux termes du débat.

La question du brevet au coeur du déplacement des frontières

La question du brevet est aujourd'hui au cur des recompositions en cours concernant le statut de la connaissance en tant que bien public et/ou marchand. On sait que la justification traditionnelle du brevet, telle qu'elle figure dans la plupart des manuels d'économie (Lévêque et Manière, 2003), est qu'il représente un compromis nécessaire entre deux exigences contradictoires : stimuler l'invention en récompensant et en protégeant le ou les inventeurs ; favoriser l'usage de l'invention et empêcher qu'elle ne soit stérilisée par l'inventeur, en fixant des limites aux droits qui lui sont attribués : règles de durée, conditions d'obtention. En effet, dans la théorie économique standard, l'information est considérée comme un bien à la fois non excluable (il est impossible d'exclure de l'usage un non utilisateur même si celui-ci ne contribue pas au financement du bien) et non rival (sa consommation par un individu ne diminue pas la quantité disponible pour les autres). Le système des brevets est censé supprimer les « inconvénients » (absence d'incitation, effets d'aubaine ) de cette situation qui place l'information du côté des « biens communs » : en offrant un droit d'usage exclusif, le mécanisme de la protection rend le bien excluable ; en attribuant ce droit pour une période limitée (de 7 à 20 ans, avec une tendance certaine à l'allongement ), il est censé garantir, à terme, l'usage le plus large de ce bien.

Ce compromis entre deux principes contradictoires a été longtemps accompagné d'une distinction largement consensuelle entre le domaine de la recherche fondamentale (non brevetable) et celui des inventions (brevetable). Le premier, en tant que bien public, devant être financé essentiellement par de l'argent public et fonctionner selon le régime de la science ouverte ; le second étant dépendant, pour l'essentiel, d'un financement privé.

Aujourd'hui cet équilibre précaire entre le domaine de la science ouverte et celui de l'invention est rompu par l'extension croissante du domaine de la brevetabilité. L'input connaissance joue un rôle croissant dans la production et la captation de la valeur ajoutée économique. Depuis deux décennies, les liens entre production de connaissance, invention technique et construction de nouveaux marchés sont devenus beaucoup plus étroits. Ainsi les nouveaux brevets sur le vivant ont tendance à protéger non seulement des applications industrielles précises mais tout un ensemble d'utilisations, voire la totalité des usages prévisibles d'une découverte, comme dans le cas des brevets sur les séquences génétiques. Les situations de monopole ainsi créées limitent, non seulement la commercialisation par un tiers, mais aussi la poursuite d'autres recherches. Une autre mutation profonde est l'abandon de la hiérarchie traditionnelle entre une recherche « fondamentale » et une recherche « finalisée » qui privilégiait la première. Dans le modèle scientifique des Trente Glorieuses, un lien étroit existait entre recherche publique d'Etat et investigations à visée cognitive contribuant au progrès économique et social de façon indirecte. Ce modèle a été incarné par les agences publiques, du type CNRS, l'INRA ou INSERM Depuis vingt ans, il a été ébranlé par la multiplication des contrats industriels, par la création, via la législation sur les brevets et les entreprises « innovantes », de véritables marchés scientifiques qui permettent une appropriation de savoirs de plus en plus généraux. Rappelons également la montée en puissance, au sein même de la recherche publique, des normes marchandes dans la production des connaissances, la mise en concurrence généralisée des systèmes de recherche, l'exhortation constante à la compétitivité.

L'évolution du régime international de la protection de la propriété intellectuelle traduit la prise en compte de ces mutations par les grandes firmes monopolistiques à leur profit exclusif. Jusqu'à la création de l'OMC en 1994, ce régime était assuré par une institution spécialisée de l'ONU, l'OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle). Les pays du Sud, majoritaires dans cette institution, y défendaient des positions correspondant à leur situation d'importateurs nets de technologies : acquérir à bas prix les technologies du Nord. L'accord sur les adpic (Aspects des Droits de la Propriété Intellectuelle liés au Commerce) de 1994, soutenu par les gouvernements européens, reconnaît que la propriété intellectuelle relève de l'activité commerciale « normale ». Cette « normalité » est néanmoins paradoxale puisque les ADPIC ont une finalité protectionniste évidente : il s'agit, non pas de supprimer les obstacles à l'échange des connaissances, mais, au contraire, d'établir des niveaux de protection minimale sur la propriété intellectuelle.

Les effets potentiellement néfastes de cette course à la brevetabilité (en 2001, l'office américain des brevets uspto a délivré 183 975 brevets alors qu'il n'en délivrait que 48 971 en 1963) ont été souvent dénoncés. Lorsque les inventions sont cumulatives, le risque est que le dernier arrivé « rafle la mise » en s'appropriant les inventions de ses prédécesseurs. Par ailleurs, le fractionnement de la propriété intellectuelle peut décourager les utilisateurs d'acquérir les brevets (ce qu'on appelle parfois « tragédie des anti communaux »). La situation est particulièrement difficile pour les pays du Sud : d'un côté ces pays doivent payer au prix fort les brevets imposés par les entreprises du Nord (en dépit d'arrangements ponctuels et réversibles comme les licences obligatoires) ; d'un autre côté, les principaux acteurs du commerce mondial se servent du droit de propriété intellectuelle sur les brevets pour légitimer l'appropriation exclusive de ressources, produits et procédés utilisés depuis des siècles par des peuples de pays non industrialisés (Shiva, 2002).

En ce qui concerne les relations université/industrie, l'extension de la brevetabilité a reçu un signal très fort aux usa en 1980 avec le Bayh-Dole Act. Cette loi avait un double objet : accorder aux organismes de recherche à but non lucratif cofinancés par l'Etat fédéral (en particulier les universités et les laboratoires fédéraux) la propriété intellectuelle de leurs découvertes. Ces organismes ont dès lors été autorisés à déposer un brevet pour une invention, sans avoir à demander l'aval de l'agence fédérale qui a financé les recherches ; donner le droit à ces organismes de transférer leurs technologies sur la base de licences exclusives, de manière à les rendre plus attractives auprès des entreprises privées. Le Bayh-Dole Act a joué aux États-unis le rôle d'un véritable passeur de frontières, il fut un catalyseur essentiel des transferts de technologie qui a permis de remédier efficacement à une situation économiquement sous optimale qui voyait l'Etat financer des recherches dont le produit était largement perdu.

Les différents contributeurs à ce dossier n'affichent pas de désaccord substantiel avec l'analyse esquissée ci-dessus, même si tous ne la reprennent pas à leur compte dans leur propos. Question de positionnement idéologique, peut-être, mais aussi, certainement, d'angle de vue adopté. Pour la plupart d'entre eux, l'opposition tranchée entre une recherche publique ouverte et désintéressée et une recherche privée gouvernée par les stratégies concurrentielles n'est pas pertinente pour pouvoir rendre compte de la complexité des mutations à l'uvre. L'analyse des relations entretenues entre le monde de la connaissance et celui du marché nécessite, selon eux, la prise en compte des logiques complexes voire contradictoires qui sont à l'uvre dans le processus de marchandisation des connaissances. Ils nous invitent également à nous intéresser à des aspects souvent méconnus de ce processus et, plus encore, aux formes d'hybridation multiples, souvent tacites et parfois réversibles qui relient ces deux mondes.

Questions de point de vue

L'échelle de questionnement est un premier aspect à considérer. Le regard macro social sur le processus de marchandisation des connaissances est volontiers critique et renvoie, pour le dire vite, à une sociologie de la croyance et de la domination (Lahire, 2004). Dans cette perspective, il s'agit de dénoncer les effets pervers de la marchandisation sur le statut de la connaissance, en révélant par exemple ce qu'une terminologie sociale peut chercher à dissimuler. Geneviève Azam estime ainsi que « l'économie de la connaissance » est une catégorie conceptuelle qui dissimule l'appropriation capitaliste d'un domaine qui devrait, pour le bien-être du plus grand nombre, être géré comme un bien public. Elle insiste sur la dimension anthropologique de la contre révolution en cours qui instrumentalise la connaissance en la réduisant à un processus technique, à une capacité d'apprentissage et à une capacité cognitive.

La dénonciation globale d'un processus appelle évidemment une réponse globale, un contre modèle positif ou, tout au moins, une esquisse de réponse. G. Azam aborde la question du logiciel libre (longuement traitée par J.B. Zimermann dans une autre perspective) en y voyant l'amorce d'une contre tendance positive au processus de marchandisation. Elle s'inscrit là dans la lignée de K. Polanyi en estimant que la connaissance n'est qu'une marchandise « fictive », dont l'abandon aux forces du marché ne peut qu'entraîner de graves dommages à la société toute entière. Pour leur part, E. Paris et F. Granjon, à partir d'une critique radicale des réformes en cours dans les universités françaises, s'efforcent de réhabiliter le modèle universitaire français face aux dérives néo-libérales qu'ils dénoncent. Une telle position - qui privilégie le rôle de l'Etat et celui de la communauté scientifique elle-même dans les dispositifs de financement et d'évaluation de la recherche - n'est pas nécessairement partagée par tous les altermondialistes. Certains d'entre eux rejettent en effet le postulat fondamental qui faisait de l'État et des communautés savantes les seules à même de juger de l'intérêt, de la faisabilité et de l'utilité des projets de recherche (Sclove, 2003).

Conscients néanmoins des limites d'une critique par trop générale, Paris et Granjon s'intéressent aux procédures accompagnant les réformes en cours et pas seulement aux effets néfastes attendus de ces dernières. La question de l'évaluation, en tant qu'outil de normalisation des financeurs publics et privés de la recherche, censé garantir la probité et la neutralité des choix, leur semble leur semble constituer un point crucial. Une position assez proche est adoptée par V. Meyer lorsqu'il interroge l'impact de l'instrumentalisation informatique dans le travail social, dans le cadre d'évaluations scientométriques, avec la montée en puissance d'une culture du résultat. L'auteur ne plaide pas pour autant en faveur d'un retour à « l'indicible » qui a longtemps présidé dans la gestion du secteur concerné, mais il s'inquiète ouvertement de la montée en puissance des observatoires en tant qu'outils de normalisation et de légitimation de la gestion privée.

Le point de vue adopté par d'autres contributeurs relève délibérément d'une approche microsociale que l'on peut rattacher à une sociologie compréhensive. Il s'agit de se rapprocher au plus près des acteurs les plus directement concernés, à commencer par les chercheurs et techniciens de laboratoire. Il s'agit d'analyser des pratiques de terrain, en s'appuyant parfois sur une démarche ethnologique. Un tel cadre méthodologique s'accompagne difficilement de positions très normatives de la part de l'enquêteur. Le terrain révèle en effet rapidement la complexité ou l'ambivalence des postures au quotidien des acteurs Entre les compromis stratégiques de chercheurs vis-à-vis des industriels et l'acceptation pleine et entière de l'industrialisation de leurs connaissances, il existe toute une gamme de positionnements où l'éthique du citoyen n'apparaît pas toujours clairement derrière l'attitude du professionnel. Comme le montrent A. Peerbaye et D. Vinck dans leurs articles respectifs, ce n'est pas pour autant que le nouveau monde de la connaissance apparaît comme un monde enchanté aux yeux des chercheurs et techniciens de laboratoire concernés, mais le malaise souvent exprimé par ces derniers relève au moins autant d'un questionnement identitaire diffus que d'un clair positionnement théorique, qu'il soit de nature philosophique, politique ou scientifique.

La question du point de vue est également celle de la relation entre l'ici et l'ailleurs. Les références aux réformes américaines des 25 dernières années sont souvent utilisées pour indiquer la voie à suivre ou, au contraire, à fuir absolument L'exemple du Bayh-Dole Act, cité plus haut et largement commenté par G. Azam ainsi que par C. Poncet & J.P. Mignot dans leurs contributions, est emblématique à ce sujet. Il en va de même de l'arrêt Chakbarty, qui date également de l'année 1980 et dans lequel G. Azam voit - au-delà même de l'ouverture de la brevetabilité au vivant - la fin de la distinction entre l'invention, qui relève du génie humain, et la découverte, qui est la connaissance d'un domaine qui existe déjà. Ces deux rappels historiques ne sont pas contestables en tant que tels mais un tel point de vue, qui permet de localiser et dater précisément le « coupable n°1 », ne saurait faire oublier l'existence, en France même, d'autres éléments fondateurs du rapprochement contemporain entre la science et l'industrie. La problématique de la valorisation industrielle dans les epst de l'après guerre en est un exemple. Même si la recherche d'un certain équilibre entre le fondamental et l'appliqué a été facilitée par la position d'interface de ces organismes de transfert, plusieurs auteurs estiment que leur rôle a été essentiel dans l'apprentissage de la valorisation industrielle par les milieux de recherche. On peut faire ici référence aux travaux de l'historien Pierre Mounier-Kuhn (1999) sur les conditions d'introduction de l'informatique fondamentale et appliquée en France au lendemain de la 2ème guerre mondiale. Mais l'exemple analysé ici même par D. Vinck est également intéressant dans la mesure où il s'agit d'un laboratoire de type epst rattaché au cea. L'hypothèse d'un certain rapprochement entre secteur public et secteur privé n'est cependant pas reprise par l'ensemble des contributeurs puisque Poncet et Mignot estiment, de leur côté, que les organismes de transfert français pérennisent la distance entre milieu industriel et milieu académique en créant une sorte de ceinture protectrice autour de la recherche académique.

Par ailleurs, d'un point de vue normatif, le modèle nord-américain ne saurait constituer la voie exclusive de valorisation des connaissances. C'est ce que Poncet et Mignot mettent en évidence en insistant sur les spécificités nationales des expériences de transfert entre milieux académiques et milieux industriels. La différence de contexte historique et institutionnel entre la France et les États-unis est, à leur avis, tellement importante que l'adoption pure et simple, en dehors de son contexte, du modèle proposé par ces derniers serait dangereuse et sans doute illusoire.

Les registres discrets de la marchandisation

La question des brevets - on l'a vu - est centrale dans les processus de rapprochement entre le monde de la connaissance et celui du marché. Mais il existe également d'autres leviers, moins spectaculaires sans doute, qui constituent autant de « niches » favorisant ces rapprochements. Deux articles mettent particulièrement en évidence ce point.

Celui de N. Pignard-Cheyniel traite de la niche éditoriale. L'auteur rappelle l'existence d'un fort mouvement de concentration dans le secteur de l'édition scientifique, encore plus marqué pour les revues de référence (core journals). Elle souligne le poids croissant des contraintes marchandes (forte hausse des tarifs des revues, report sur les auteurs d'une partie des tâches d'édition) qui pèsent tant sur les auteurs que sur les usagers. D'où le paradoxe dans lequel fonctionne l'édition scientifique contemporaine, puisque « la communauté scientifique se voit contrainte de monnayer des informations qu'elle a elle-même produites, sélectionnées puis validées de manière bénévole ». Le développement d'Internet ne modifie pas en profondeur cet état de fait puisque, à côté du mouvement d'open access appliqué par certains éditeurs, le système d'achats groupés de revues en lignes par licences réduit l'indépendance des bibliothèques vis-à-vis des éditeurs (packaging banalisé, durée limités des licences ) en même temps que ces derniers enlèvent aux bibliothèques une partie de leurs fonctions traditionnelles (collections en ligne, moteurs de recherche spécialisés, production d'indicateurs scientométriques).

Une autre niche, étudiée par M.-P. Bès, est relative au rôle joué par les savoirs tacites dans les relations entre les laboratoires académiques et les milieux industriels. L'auteur rappelle que ces savoirs tacites se manifestent dans la phase de faisabilité des projets ainsi que dans la phase expérimentale. Certains savoirs sont liés à la maîtrise d'une technologie nouvelle, d'autres sont liés à l'usage de dispositifs expérimentaux ; il existe également des méta savoirs portant sur l'état du marché et des technologies (savoirs de faisabilité). Tous ces types de savoir sont plus ou moins tacites. Le système des laboratoires communs et celui des accords cadre, destinés à créer des « synergies créatrices d'innovations », constituent des lieux privilégiés de production et d'échange de ces connaissances tacites. Ils participent à la construction d'espaces socio-cognitifs hybrides dans le cadre d'un régime scientifique de coproduction des découvertes entre institutions diverses.

Le poids des dispositifs techniques et des normes

L'hybridation est un terme qui revient sous la plume de plusieurs contributeurs pour exprimer la façon dont s'opère le rapprochement des deux mondes précédemment énoncés. Cette hybridation - faut-il le souligner ? - reste évidemment incomplète et inégalement développée en fonction des contextes. Il faut surtout relever qu'elle ne procède pas pour l'essentiel de considérations idéologiques ou financières de la part des acteurs de terrain. D. Vinck insiste sur le fait que les connaissances produites ne sont appropriables que par un nombre très retreint d'acteurs, pour des questions de compétences et d'accès à des équipements de plus en plus complexes et coûteux. De ce fait, la distinction entre bien commun et bien privé perd de sa pertinence. A. Peerbaye nous montre, à partir du cas de la génomique, que la recherche publique n'y mène pas des activités essentiellement différentes de la recherche privée mais que les deux instances sont de plus en plus souvent amenées à utiliser des technologies génériques similaires voire des infrastructures communes. Acteurs publics et privés développent ainsi des pratiques et des produits circulant à travers des réseaux technico-économiques de plus en plus hétérogènes. Ces acteurs sont contraints à coopérer tout en étant en situation de concurrence. En génomique, l'instrumentation et la technique sont construites comme de vecteurs de coordination entre recherche génomique publique et privée et l'on assiste à une forte mobilité des chercheurs d'un univers à l'autre. Mais l'auteur rappelle avec vigueur que la coordination instrumentale renvoie à un travail social intense plutôt qu'à une dynamique technologique endogène.

Le déterminisme technologique est également absent de l'analyse de V. Meyer quand il met en évidence le rôle des nouvelles normes dans le management du secteur social, à travers des instruments informatiques appelés à fournir une transcription lisible de pratiques protéiformes dans un monde social où l'imprévisibilité des situations et des volontés éducatives sont désormais rejetées a priori par les décideurs. Si les techniques d'observation et d'évaluation représentent un marché non négligeable en tant que tel (expertise, formation ), elles ont surtout pour fonction d'objectiver des procédures et des normes. Une position assez proche est défendue par Paris et Granjon dans leur critique du nouveau dogme évaluatif dans les universités françaises ou celle de la réforme du système lmd avec ce qu'ils appellent la « remise en cause du processus de transmission des connaissances au profit du processus d'acquisition de compétences ».

Entre capital argent et capital symbolique

D. Pontille rappelle les deux conceptions traditionnelles de l'échange académique : l'une fondée sur le don (réciprocité, reconnaissance interpersonnelle, responsabilité morale), toute forme de rémunération monétaire étant perçue comme immorale ; l'autre conçue comme un marché où règnent l'investissement de la crédibilité et l'accumulation du capital.

A en juger par les témoignages recueillis sur le terrain par plusieurs des contributeurs, la première conception a aujourd'hui bien du mal à s'imposer. La question des incitations financières pour les chercheurs du monde académique n'apparaît plus comme un tabou. D. Vinck rappelle que la marchandisation des connaissances fait aujourd'hui partie intégrante de la culture de laboratoire. Dans la structure qu'il a étudiée, la culture du brevet est omniprésente, y compris chez les doctorants. L'auteur affirme y avoir rencontré une véritable obsession de la valorisation industrielle, un fort besoin de concrétiser, de passer de la découverte au produit. La question du brevet y est traitée, nous dit-il, de façon pragmatique, en termes de rapport coût/résultat. Il en va de même pour l'activité de publication : on hésite souvent à publier car cela rapporte moins qu'un brevet, mais on le fait néanmoins pour rester « intéressant » aux yeux des pairs ainsi que des futurs « clients ».

D. Pontille insiste, quant à lui, sur les zones de recouvrement entre les deux conceptions de l'échange académique, en s'attachant à la question de la signature scientifique. Elle met en jeu, selon l'auteur, les relations entre les personnes et elle est, à ce titre un régulateur de lien social ; mais la signature est également un moteur de l'échange et de l'accumulation des ressources (conversion des publications en prix, postes, rémunérations, financements), voire un moyen utilisé pour restreindre l'accès aux ressources (elle marque les différences entre les personnes, elle établit une distinction entre le groupe des propriétaires du savoir et celui des travailleurs. Selon D. Pontille les chercheurs peuvent être définis comme « des propriétaires privés en concurrence sur un marché académique régi par une économie morale fondée sur le don ». D'où le développement de multiples tensions et ambivalences.

Ces tensions se manifestent également dans le domaine du logiciel libre, étudié par J.B. Zimmermann, qui s'intéresse au paradoxe du développement d'un secteur marchand dont l'activité repose sur l'existence et la pérennisation d'une activité non marchande. L'élargissement de l'audience du logiciel libre, y compris dans le secteur marchand, conduit les développeurs à être de plus en plus souvent en interaction avec des entrepreneurs privés soucieux de valorisation financière. Si la production du libre continue à produire des incitations individuelles (apprentissage par interaction et réputation), l'équilibre est de plus en plus menacé par la confrontation de la logique don/contre don avec celle de la réalisation privée de bénéfices. Le problème vient du fait que les développeurs du libre les plus compétents sont les moins demandeurs d'incitations de nature symbolique. D'où la nécessité de leur fournir des compensations financières (embauche à temps partiel dans le secteur marchand, développement de projets publics sur le libre, soutien à des organisations d'open source) pour éviter les défections et l'effondrement progressif du « bazar ».

La recherche d'un arbitrage toujours problématique entre logique de don et logique de rémunération monétaire n'est évidemment pas la seule préoccupation des chercheurs de laboratoire face au processus de marchandisation des connaissances. D. Vinck rappelle que nombre de chercheurs, sans critiquer ouvertement ce processus, supportent mal la tendance accrue des industriels à les considérer comme de simples sous-traitants, ce qui les interroge en permanence sur leur identité. De là à mettre sérieusement en question la gouvernance de la recherche, il y a un pas d'autant plus malaisé à franchir que la hiérarchie des laboratoires ne semble guère ouverte à ce type de questionnement.

A une échelle plus globale, on observe d'ailleurs qu'un collectif de chercheurs contestataires tels que Sauvons la recherche ne met pas directement en cause le processus de marchandisation des connaissances. Il le fait simplement de manière indirecte, en critiquant le dispositif de pilotage du type Agence nationale de la recherche où se côtoient des représentants de la recherche publique et des porteurs d'intérêts privés, et en réclamant une augmentation de la part des crédits transitant pas l'intermédiaire des EPST.

Faut-il en conclure que les préoccupations citoyennes sont désormais largement étrangères au monde académique ? Peut-on considérer que l'enjeu de la marchandisation des connaissances est, pour les chercheurs, exempt de questionnement politique ? Ce serait aller bien vite en besogne, même s'il apparaît que la critique du nouveau régime de la science stratégique se développe plus volontiers à l'extérieur des laboratoires qu'en leur sein. Contestation par procuration ou réelle indifférence ? Toujours est-il que le hiatus constaté entre les tenants d'une critique venue d'en haut et des acteurs de terrain marqués par une acceptation plus ou moins résignée des mutations en cours n'est guère favorable à l'exercice d'un débat démocratique sur les questions posées par l'évolution des relations entre connaissance et marché. Peut-être faudrait-il ici écouter la voix de ceux qui, à l'instar de M. Callon (1999), plaident en faveur d'une co-production des savoirs entre chercheurs et société civile. Certaines associations comme la Fondation Sciences citoyennes (2005) décèlent, à côté de la recherche publique et du secteur privé, l'émergence d'un tiers secteur de la recherche associative, de l'expertise citoyenne et de l'innovation coopérative. C'est dans la trame d'une société de la connaissance désormais disséminée que pourraient émerger les savoirs et les innovations qui font la cohésion sociale et la productivité de la société.

Les animateurs de ce mouvement affirment que « toute politique de recherche et d'innovation ambitieuse et soucieuse de l'intérêt général devra s'appuyer sur ces aspirations citoyennes et sur ces nouvelles dynamiques ascendantes d'expertise et d'innovation ». Utopie généreuse sans doute mais peut être aussi piste féconde pour aider à sortir du dialogue bien difficile entre ceux qui pensent le statut général de la connaissance et ceux qui produisent celle-ci au quotidien dans des cadres économiques, sociaux et idéologiques où le marché est prégnant. Il y a là un problème de « traduction » typiquement latourien auquel nous espérons que le présent dossier aura su apporter, sinon un début de solution, du moins quelques éléments de clarification.
© Sciences de la Société n° 66 - octobre 2005

Références bibliographiques
Callon (M.), 1999, « Des différentes formes de démocratie technique », in « Risque et Démocratie: savoirs, pouvoir, participation vers un nouvel arbitrage ? », Cahiers de la sécurité intérieure, n° 38.
fondation sciences citoyennes, 2005, <http://sciencescitoyennes.org/>.
Krimsky (S.), 2004, La recherche face aux intérêts privés, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond.
Lahire (B), 2004, La culture des individus, Paris, Ed. La Découverte.
Larédo (P.), Mustar (P.), dir., 2001, Research and Innovation Policies in the New Global Economy, Cheltenham, Edward Elgar.
Lévêque (F.), Manière (Y.), 2003, Economie de la propriété intellectuelle, Paris, La Découverte, coll. Repères, n° 375.
Mounier-Kuhn (P.), 1999, Thèse de doctorat sur L'informatique en France, de la Seconde Guerre mondiale au Plan Calcul : Science, Industrie, Politiques publiques, Paris, cnam.
Pestre (D.), 2002, « Regimes of Knowledge Production in Society : Which recent changes ? Which alternatives ? », Minerva.
Pestre (D.), 2003, Science, argent et politique, un essai d'interprétation, Paris, inra Éditions.
Sclove (R.), 2003, Choix technologiques, choix de société, Paris, Descartes & Cie et Ed. Ch-L. Mayer.
Shiva (V.), 2002, La biopiraterie ou le pillage de la nature et de la connaissance, Paris, Alias.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Geneviève AZAM
, L'utopie de l'économie de la connaissance

Résumé
Cet article se propose d'analyser le sens de l'invention d'une « économie de la connaissance » comme construction d'un champ d'activité économique et d'un discours qui légitime ce sens. Cela suppose l'analyse préalable des conditions de la transformation de la connaissance en bien économique, illustrée par les transformations des droits de propriété intellectuelle. En poursuivant l'analyse de Karl Polanyi à propos des « quasi-marchandises », la connaissance ne doit-elle pas plutôt être considérée comme une marchandise « fictive » ? C'est le point de vue adopté dans cet article qui montre comment la tentative actuelle de rendre cette fiction effective menace la connaissance elle-même en l'assignant à un rôle instrumental.

Mots-clés : bien économique, brevet, droits de propriété intellectuelle, quasi-marchandise, enclosure.

 




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Christian PONCET, Jean-Pierre MIGNOT
, Politiques publiques et implications organisationnelles dans le processus historique d'industrialisation des connaissances

Résumé
Le transfert des connaissances scientifiques, produites par les laboratoires publics de recherché, vers le secteur industriel suppose l'organisation, entre deux sphères a priori bien distinctes, de relations dont la nature suppose une grille spécifique de lecture capable de rendre compte d'un tel processus. L'objectif de cette contribution vise à mettre en relief, en particulier, l'importance de l'histoire dans la compréhension du phénomène de transfert des connaissances et de leur industrialisation, ainsi que l'émergence de structures organisationnelles singulières associés aux politiques publiques de recherche susceptibles de faciliter des telles opérations. Il apparaît à la lumière des situations observées, notamment dans le cadre de la brevetabilité, que culture et traditions académique et industrielle, dont l'analyse, l'importance et la compréhension relèvent de la perspective historique, jouent un rôle déterminant permettant ainsi de mieux percevoir et de mieux comprendre les logiques qui président au processus de transfert.

Mots-clés : industrialisation des connaissances, processus de transfert, histoire, structures organisationnelles, milieu académique, milieu industriel.

 

 

 






 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Jean-Benoît ZIMMERMANN
, Logiciel libre et marchandisation. Le paradoxe de l'excellence

Résumé
Un logiciel « libre » ou « open source » est un logiciel dont le « code-source », c'est-à-dire l'expression explicite du travail de programmation, est ouvertement accessible. Jusqu'à une période récente, le développement du libre pouvait être considéré comme une affaire d'informaticiens, motivés par la construction et le partage d'un ensemble de programmes développés pour leurs propres besoins. Aujourd'hui, le modèle du logiciel libre est désormais présent dans le monde marchand des entreprises et même du marché grand public. Le paradoxe ici est celui du développement d'un secteur marchand dont l'activité repose sur l'existence et la pérennisation d'une activité par essence non marchande. Nous montrerons que le dépassement d'un tel paradoxe devrait passer par la mise en place de nouveaux modèles d'incitation, complémentaires aux motivations du mouvement d'origine et dont la dimension monétaire constitue une composante incontournable. Un tel virage constitue déjà une réalité, comme en témoigne le fait qu'une part croissante du logiciel libre soit désormais produite par des développeurs salariés rémunérés pour ce faire. Cette « hybridation » du marchand et du non-marchand apparaît désormais comme une nécessité incontournable et interpelle la responsabilité des pouvoirs publics qui peuvent intégrer le soutien au monde du Logiciel Libre dans des perspectives de politique technologique.

Mots-clés : logiciel libre, bien public, marché, contribution, incitations.

 


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Dominique VINCK
, Ethnographie d'un laboratoire de recherche technologique. Analyse de la médiation entre recherche publique et appropriation privée

Résumé
Ce papier porte sur un médiateur singulier de la marchandisation des connaissances, en l'occurrence un laboratoire public de recherche technologique, dont la mission est d'assurer un transfert des résultats de la recherche vers le développement industriel. L'article s'arrête sur ce lieu de médiation et tente d'en saisir la dynamique interne, notamment de déplacement et de stabilisation d'une relative frontière entre la production de connaissances et appropriation privée. Il rapporte la dynamique à l'uvre dans un laboratoire de recherche technologique et décline plusieurs dimensions des dynamiques locales. La situation étudiée est particulièrement intéressante parce que représentative de ces laboratoires publics de recherche étroitement enrôlés dans les dynamiques technico-économiques. L'enquête repose sur un travail d'observation directe sur le terrain et d'entretiens avec les acteurs concernés. Le cas étudié permet d'interroger l'apparente simplicité de la frontière entre bien commun et bien marchand en rendant compte des processus locaux de construction et de transformation de ce passage. Il montre les contradictions qu'une telle organisation doit résoudre au quotidien pour maintenir sa position d'interface entre la recherche publique et l'industrie.

Mots-clés : médiation, R&D, transfert technologique, laboratoire de recherche, public/ privé, marchandisation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
David PONTILLE
, Commerce scientifique et valeurs professionnelles : l'économie des pratiques de signature

Résumé
Depuis une trentaine d'années, de nombreux travaux ont montré la place croissante que tiennent le marché et la capitalisation des connaissances dans la production scientifique. Cette marchandisation est généralement perçue comme contraire aux valeurs académiques qui promulguent la recherche désintéressée, le don et la non propriété. Pourtant, l'analyse de la signature des articles scientifiques proposée dans ce texte oriente vers une autre direction. L'économie des pratiques de signature soutient, au sein même de la recherche académique, plusieurs régimes d'échange qui tirent leur pertinence l'un de l'autre. La « science » apparaît alors moins comme une sphère autonome, opposée au « marché », que comme le lieu de tensions entre différentes formes de commerce avec les personnes et les choses. Cette perspective révèle aussi la place particulière attribuée au « travail » dans les activités scientifiques.

Mots-clés : signature, travail, science, don, marché.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Ashveen PEERBAYE
, Compétition, coordination et effets de savoir. La génomique entre recherche académique et recherche industrielle

Résumé
L'avènement d'un régime de recherche stratégique a profondément modifié l'économie des relations entre recherche académique et recherche industrielle, rendant plus complexes les modalités d'accessibilité, de circulation et d'appropriation des connaissances scientifiques. En se basant sur le cas emblématique de la recherche génomique, cet article met en lumière certains phénomènes qui échappent la plupart du temps aux analyses traditionnelles des relations entre recherche publique et recherche privée, reposant souvent sur l'hypothèse que la recherche publique mène des activités essentiellement différentes de celles susceptibles d'être poursuivies par des firmes privées. L'une des conséquences de la dépendance des biotechnologies contempo-raines vis-à-vis d'infrastructures technologiques, sociales et organisationnelles plus larges, réside dans la coexistence de plus en plus fréquente de situations où des technologies génériques ou des équipement partagés obligent les acteurs académiques et industriels à coopérer tout en étant dans des situations de concurrence. L'instrumentation et la technique sont alors construits comme des vecteurs de coordination entre recherche génomique publique et privée. Les tensions que l'on voit se dessiner entre les acteurs, loin de constituer de simples entraves ou menaces à la production scientifique, influent en fait sur la dynamique de cette dernière. Les interactions, convergences et formes de concurrence entre recherche académique et recherche industrielle orientent alors les trajectoires scientifiques et technologiques, et modifient la nature, l'accessibilité et les modalités d'appropriation des connaissances.

Mots-clés : recherche stratégique, instrumentation, coordination instrumentale, génomique, biotechnologies, plates-formes technologiques.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Marie-Pierre BÈS
, Savoirs et savoir-faire élaborés dans les relations science­industrie. Un nouvel enjeu pour la marchandisation de la science ?

Résumé
L'article se base sur l'étude détaillée de collaborations (contrats, financements de doctorants et laboratoires mixtes) entre scientifiques et industriels dans le domaine des sciences de l'ingénieur. Il s'agit d'étudier minutieusement les savoir et savoir-faire élaborés aux cours de ces collaborations afin de mettre en évidence leurs aspects collectifs et instrumentés. Nous montrons que quatre types de savoir particuliers sont élaborés dans les équipes de recherche (technologique, instrumental, méthodologique et économique) qui ont parfois un aspect « tacite » et qui ne peuvent donc être transférés à distance. Précisément, à la fin de l'article, nous posons la question des modalités de fonctionnement des nouveaux rapprochements science-industrie que sont les laboratoires communs CNRS-industrie.

Mots-clés : contrats de recherche, chercheurs, industrie, savoir scientifique, tacite, laboratoires communs.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Vincent MEYER
, Instrumentalisation des connaissances dans le champ du social : évaluation et marchandisation

Résumé
Cette contribution propose une analyse des développements actuels d'une nouvelle « fièvre » de l'évaluation dans le champ professionnel de l'intervention sociale en France. Dans ce dernier, de plus en plus adossé au marché, la production de connaissances sur les activités conditionne aujourd'hui les moyens humains et financiers engagés. Ainsi ces développements dévoilent-ils de nombreux enjeux politiques, éthiques et sociaux dans la mesure où les professionnels du champ vont devoir affronter une instrumentalisation sans précédent de leurs connaissances. Dans cet article ­ qui développe en trois volets : les usages de l'évaluation, les traductions informatiques des connaissances et leurs effets marchands ­ on montrera pourquoi et comment le formatage d'un savoir professionnel et les logiques d'usage de logiciels d'évaluation vont, de proche en proche, précipiter définitivement l'intervention sociale dans une logique marchande.

Mots-clés : évaluation, informatisation, intervention sociale, marchandisation,
production de connaissances.

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Emmanuel PARIS, Fabien GRANJON
, Marchandisation des savoirs, privatisation de la recherche et réformes de l'université française

Résumé
Dans cet article, nous avons souhaité montrer, sous quelques aspects, en quoi les principes et conséquences attendues des réformes de l'université française relèvent d'une puissante volonté d'engager l'alma mater dans une dynamique de marchandisation de l'enseignement supérieur. La prescription gouvernementale d'autonomie, la fin du cadrage national des diplômes, le développement des domaines de formation ou encore la place prise par la culture psychologique font partie des nouvelles normes, règles et procédures dont la vocation est de déstabiliser le système universitaire que nous connaissons aujourd'hui.

Mots-clés : réforme de l'université, engineering social, évaluation, psychologisation.

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Nathalie PIGNARD-CHEYNEL
, L'édition de revues scientifiques. Une forme de marchandisation de la diffusion des connaissances

Résumé
Dans cet article, nous nous proposons de mettre en lumière les processus de marchandisation qui accompagnent la diffusion des connaissances scientifiques. Nous nous appuierons sur l'analyse du secteur de l'édition de revues scientifiques, dominés depuis quelques dizaines d'années par de grands groupes éditoriaux dont les stratégies tendent à faire des contenus scientifiques des marchandises rentables. Nous montrerons en quoi cette dimension marchande des revues scientifiques fait peser un certain nombre de contraintes sur le champ scientifique et quelles sont les évolutions perceptibles dans le contexte de l'édition électronique.

Mots-clés : édition scientifique, revue scientifique, édition électronique, marchandisation.