SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ
-
N° 71 - mai 2007
La
production de l'action publique dans l'exercice du métier
politique
Dossier
coordonné par Anne-Cécile
DOUILLET et Cécile ROBERT
Anne-Cécile DOUILLET, Cécile
ROBERT, Les élus dans la fabrique
de l'action publique locale [texte intégral]
Françoise de BARROS, Élus locaux et actions publiques
de l'entre-deux-guerres au début des années quatre-vingt.
Mise au jour de deux
Cesare MATTINA, Les élus en action. Redistribution
clientélaire et transformations des ressources publiques
en milieu urbain
Anne-Cécile DOUILLET, Les élus et leurs
territoires. Représentation et action publique dans les
dispositifs territorialisés de développement local
Gilles PINSON, Gouverner une grande ville européenne.
Les registres d'action et de légitimation des élus
à Venise et Manchester
Jacques de MAILLARD,
Les élus locaux
à l'épreuve de l'insécurité
ARGUMENTS
Pascal RICAUD,
Médias locaux
alternatifs et construction de micro-espaces publics aux frontières.
La démocratie participative en Europe entre réalités
et projection
Martine REGOURD,
Les musées en
Région au prisme de la recomposition des territoires
Stefan BRATOSIN, La médiatisation du politique dans la presse
locale : contribution non ostensive à une géographie
sociale
Véronique ROUSSEL, Dominique VOLLET, Politiques publiques et
troisième âge dans les espaces ruraux.
Entre secteurs et territoires ?
Anne-Cécile DOUILLET,
Cécile ROBERT,
Les élus dans la fabrique
de l'action publique locale
Texte
intégral
La distinction couramment faite entre la « politique des
problèmes » et la « politique électorale
» (Leca, 1996) entretient l'idée d'une dissociation
entre, d'une part, la concurrence entre des entreprises en quête
de légitimation électorale et, d'autre part, l'action
publique, marquée par la multiplicité des intérêts
et des sources d'expertise. Elle contribue ainsi à alimenter
une représentation singulière de l'activité
des professionnels de la politique, qui souligne leur intérêt
pour la conquête des fonctions électives et insiste,
a contrario, sur les difficultés qu'ils rencontreraient
pour peser de manière significative sur l'orientation des
politiques. Si l'articulation de ces deux dimensions politique
électorale et politique des problèmes ou, autrement
dit, compétition politique et politiques publiques
est un enjeu majeur pour les gouvernants, elle s'impose également
comme un défi analytique pour les travaux de science politique
qui souhaitent rendre compte des modalités concrètes
d'exercice du métier d'élu.
Or, les logiques d'autonomisation sous-disciplinaire à
l'uvre dans les sciences du politique n'ont pas toujours favorisé
cette articulation (Sawicki, 2002). A travers l'analyse des modalités
de recrutement des élus (positions, trajectoires, dispositions
sociales), des logiques de la compétition politique (stratégies
électorales, partisanes, de communication) et des représentations
attachées à la fonction d'élu, les travaux
sur le personnel politique2 ont ainsi contribué à
éclairer la façon dont s'obtiennent, s'entretiennent
et se vivent les fonctions électives. Mais ils se sont
moins souvent intéressés à la participation
des élus à la fabrique des politiques publiques.
Les études conduites sur les politiques publiques ont également,
à leur manière, participé à rendre
peu visible la contribution spécifique des élus
à l'élaboration de l'action publique. Lorsque ceux-ci
ne sont pas considérés comme préoccupés
essentiellement de leur réélection, leur capacité
à influer sur le cours de l'action publique paraît
pour le moins limitée. C'est en effet à d'autres
variables qu'est conféré un pouvoir explicatif déterminant,
qu'il s'agisse de souligner le poids prépondérant
d'autres acteurs intervenant dans l'élaboration des politiques
(administrations, experts, groupes d'intérêt, mouvements
sociaux), la prégnance des logiques et routines institutionnelles,
ou encore l'étroitesse des marges de manuvre laissées
aux politiques par les contraintes économiques3.
En envisageant le travail de production de l'action publique comme
une dimension de l'exercice, par les élus, de leur fonction
politique, ce numéro entend donc plus généralement
contribuer à un décloisonnement des analyses en
termes d'action publique et de sociologie politique, dont le caractère
heuristique a été souvent rappelé ces dernières
années (Duran, 1999 ; Muller, 2000 ; Hassenteufel,
Smith, 2002). L'approche adoptée ici ne saurait bien évidemment
épuiser l'ensemble des enjeux habituellement associés
à cette remise en cause des divisions sous-disciplinaires
du travail scientifique4. La question de la spécificité
du rôle joué par les élus dans la conduite
de l'action publique locale offre néanmoins dans cette
perspective plusieurs pistes suggestives, dont certaines ont d'ailleurs
été évoquées, bien que moins souvent
explorées, par un certain nombre de travaux récents5.
Dans le cadre des recherches sur le « métier »
d'élu, et sur le métier d'élu local en particulier,
certaines études se sont effet interrogées sur les
modalités de l'investissement de ces acteurs dans l'élaboration
et la mise en uvre des politiques publiques, en s'intéressant
plus particulièrement aux attributs et ressources qu'ils
mobilisent dans ce cadre6. Tout en soulignant le caractère
limité de l'intervention des élus, certaines de
ces analyses mettent par exemple en avant leur rôle d'arbitrage
en cas de conflits entre les acteurs clefs d'un domaine d'intervention
publique (Michel, 1994). D'autres travaux ont permis de mettre
l'accent sur la multipositionnalité d'une partie du personnel
politique, ainsi que sur sa capacité à évoluer
simultanément dans plusieurs sphères d'activité
et de légitimité, propriétés qui concourent
à assurer aux élus un rôle non négligeable
dans la détermination des choix publics (Sawicki, 2002).
Parallèlement, c'est à travers les débats
alimentés par les travaux sur les transformations récentes
de l'action publique locale que la question de la place spécifique
des élus dans la production des politiques a été
réintroduite. Face aux analyses insistant sur l'enchevêtrement
des niveaux de décision et la multiplication des « partenaires »7,
plusieurs auteurs (cepel, 1996 ; Borraz, 1999) ont rappelé
la nécessité de prendre en compte les stratégies
et contraintes propres aux différentes catégories
d'acteurs parties prenantes de la décision publique. Parmi
ces derniers, les élus suscitent des questionnements spécifiques,
liés à leur légitimité particulière,
et certains travaux se sont penchés sur la question de
leurs place et rôle dans ce « nouveau »
contexte d'action publique. C'est notamment le cas des réflexions
initiées autour de la notion de leadership (Baraize et
al., 2000 ; Smith et Sorbets, 2003) : si certaines des
analyses menées dans cette perspective ont souligné
« l'impuissance décisionnelle » des
élus locaux (Le Bart, 2001), d'autres ont montré
que les ressources offertes par l'action publique peuvent être
un instrument de légitimation de l'élu, des positionnements
différents vis-à-vis de l'action publique
et notamment des « dispositifs partenariaux »
pouvant avoir des conséquences sur la carrière politique
(Genieys, 1997)8.
Prolongeant les perspectives et hypothèses ouvertes par
ces travaux, ce dossier propose de les réarticuler autour
d'une réflexion sur le rôle des élus dans
les politiques publiques locales. Conduites dans cette perspective,
les études empiriques rassemblées dans ce numéro
portent sur différents types de politiques (prévention
et sécurité, logement, emploi, développement
local, aménagement urbain), inscrites dans des configurations
institutionnelles et politiques, et des contextes historiques
et nationaux variés (zones rurales, moyennes et grandes
villes françaises, italiennes et anglaises). Leur confrontation
permet ainsi d'explorer deux grands types de questionnements.
Le premier concerne les propriétés, dispositions,
et ressources spécifiques mobilisées par les élus
dans le cadre de leur participation à l'élaboration
des politiques locales. Il s'agit ainsi de mieux cerner les formes
que prend leur contribution à la formulation de l'action
publique, ses modalités et temporalités singulières.
Une deuxième interrogation porte ensuite sur les usages
politiques que peuvent faire les élus de leur implication
dans les processus décisionnels. Elle propose d'envisager
les cadres de l'action publique et les ressources qu'ils offrent
comme des structures de contraintes et d'opportunité à
partir desquelles les élus construisent leurs rôles.
Elle vise conjointement à observer comment les logiques
partisanes, les concurrences sur le marché politique local
et national, ou encore le rapport de l'élu à ses
électeurs, orientent ses investissements en matière
d'action publique. La mise en évidence des logiques d'ajustement
entre ces différentes dimensions du métier d'élu
alimente enfin une dernière piste de réflexion,
abordée ici de manière plus transversale, portant
sur leurs transformations conjointes. Dans quelle mesure l'évolution
des cadres institutionnels et procéduraux de l'action publique
favorisant notamment la mobilisation de « nouvelles »
compétences et/ou formes de légitimité
vient-elle infléchir les logiques de recrutement du personnel
politique et/ou la manière dont celui-ci interprète
son rôle ; inversement, les élus favorisent-ils,
ou du moins accompagnent-ils, ces transformations de l'action
publique ?
Propriétés des élus et modes de participation
à l'action publique
L'enjeu de ce premier axe problématique est d'analyser
dans quelle mesure les élus sont des producteurs d'action
publique comme les autres : sont-ils dotés d'attributs
particuliers, ont-ils un accès privilégié
à certaines ressources, agissent-ils dans un système
de contraintes particulier ? Du fait des particularités
qui sont les leurs, les élus jouent-ils au final un rôle
spécifique dans le processus de construction des politiques
publiques ? Au regard des contributions rassemblées
dans ce dossier, trois caractéristiques semblent mériter
d'être étudiées de près : leur
fonction de représentation, l'étendue de leurs champs
d'intervention et leur accès privilégié à
une diversité de ressources institutionnelles. En effet,
ce qui définit l'élu, c'est à la fois sa
qualité de représentant disposant de la légitimité
du suffrage universel, le caractère généraliste
de sa fonction et sa multipositionnalité institutionnelle.
Cette dernière caractéristique prend, plus que les
autres, des formes variables suivant les élus et renvoie
de ce fait à deux autres questions : celle, d'abord, de
l'influence différenciée des élus dans le
traitement des « problèmes publics » ;
celle, ensuite, de l'impact éventuel de la transformation
des cadres institutionnels de l'action publique sur les capacités
d'action respectives des élus.
Si les élus sont des acteurs singuliers de la fabrique
de l'action publique, c'est d'abord parce que, quels que soient
les débats sur leur représentativité sociologique,
le suffrage universel les consacre représentants des citoyens.
Les principes du gouvernement représentatif (Manin, 1995)
font en outre de l'élu un « décideur »,
un individu choisi pour faire valoir sa volonté9. Pour
dire les choses plus directement, l'élu est dans une position
qui lui donne une légitimité à agir pour
régler les « affaires publiques ». Cette qualité
de représentant politique propre aux élus a plusieurs
effets sur la façon dont ils participent à l'action
publique. Elle leur confère d'une part une autorité
qui, dans la mesure où elle est reconnue par les autres
acteurs, dote leurs interventions d'une force particulière.
Elle les place d'autre part dans une position institutionnelle
qui leur permet de trancher un certain nombre de questions.
La mise en évidence des effets de la légitimité
électorale sur les relations entre les élus et les
autres acteurs de politiques publiques est une entreprise difficile.
De fait, rares sont les textes de ce dossier qui permettent de
préciser dans quelle mesure et dans quelles circonstances
cette qualité de représentant est déterminante
dans les interactions auxquelles participent les élus sur
les scènes de construction de l'action publique. L'autorité
propre aux élus reste le plus souvent implicite10. C'est
cependant en lien avec cette propriété qu'il faut
sans doute analyser le travail de légitimation réalisé
par les élus auprès d'un ensemble de publics :
population de la ville, mais également services municipaux
et partenaires institutionnels. C'est ainsi en tant que représentants
que les élus peuvent jouer un rôle central dans la
mise à l'agenda d'un certain nombre de questions, même
s'ils n'ont évidemment pas le monopole en la matière.
En effet, c'est à ce titre qu'ils se posent en relais de
« demandes sociales » et orientent l'action
publique en faisant reconnaître certains thèmes comme
prioritaires ou, du moins, comme devant faire l'objet d'une attention
particulière de la part des pouvoirs publics. Pour un sujet
tel que l'insécurité, les campagnes électorales
apparaissent dans cette logique comme des moments privilégiés
de politisation. Les candidats municipaux évoqués
par Jacques de Maillard participent par exemple pleinement à
la légitimation du thème comme enjeu d'action publique,
par la visibilité qu'ils lui donnent, mais aussi parce
qu'ils présentent la sécurité comme une demande
de la population, que les autorités publiques se doivent
de prendre en compte. La capacité des élus à
contribuer à la diffusion de certains thèmes ou
dispositifs d'action publique ou, à l'inverse, à
en interdire durablement l'émergence par une délégitimation
de leurs principes, ne joue d'ailleurs pas uniquement dans la
phase de mise à l'agenda. Elle intervient aussi tout au
long du processus de construction de l'action publique. C'est
ce que montre en particulier Gilles Pinson à travers son
évocation des « discours mobilisateurs », qui
favorisent le lancement d'un grand projet urbain, et des «
policy discourses », qui, tout au long de la construction
et de la mise en uvre d'un projet, procèdent à des
« cadrages cognitifs » en donnant un sens
à ce qui est entrepris. Si ce travail de production discursive
est propre aux élus, c'est que, en tant que représentants
de la collectivité, ils sont à la fois poussés
à rendre compte de ce qui est réalisé en
son nom et considérés par leurs partenaires comme
les porte-parole naturels de leurs actions. Or, dans la mesure
où ces interventions discursives sont aussi des modes de
solidification (de systèmes d'acteurs, d'accords), elles
sont tout à fait déterminantes dans la construction
de l'action : la plus-value du travail politique des élus
peut ici se lire comme la valorisation/diffusion des accords construits
par les différentes parties prenantes11.
La qualité de représentant élu ne permet
pas uniquement de légitimer des priorités ou des
projets engagés. En effet, elle s'accompagne de pouvoirs
formels qui permettent aux élus de trancher, individuellement
ou collectivement, sur les questions débattues dans les
collectivités publiques. De ce point de vue, il faut préciser
que le pouvoir donné aux élus est autant un pouvoir
d'initiative qu'un pouvoir de blocage : l'exemple de la vidéosurveillance
évoqué par Jacques de Maillard montre ainsi qu'à
Lyon ce sont des élus qui prennent l'initiative, qu'ils
vont « imposer » aux services, tandis qu'à
Grenoble les élus freinent des projets émanant de
l'administration municipale. L'importance de ces pouvoirs formels
permet de comprendre les effets sur l'action publique des configurations
propres à chaque collectivité mais aussi l'impact
des réformes institutionnelles entreprises dans plusieurs
pays européens. Pour ce qui est du premier point, les moyens
dont disposent les autorités locales en termes
de compétences et de ressources financières notamment
sont effectivement des déterminants de l'action publique
et du rôle que peuvent y jouer les élus locaux, de
même d'ailleurs que les équilibres politiques internes12.
Sur ce dernier aspect, la situation des élus socialistes
dans les municipalités de gauche plurielle étudiées
par Jacques de Maillard, à propos des projets de vidéosurveillance,
rappelle que l'élu qui veut porter et défendre une
initiative a besoin de l'aval des instances délibérantes :
suivant l'équation politique du moment, il trouvera plus
ou moins de soutiens auprès des autres élus et pourra
même être contraint à renoncer à son
projet. Quant aux changements institutionnels, les exemples italien
et français évoqués dans le dossier permettent
d'illustrer en quoi ils peuvent agir sur le rôle des élus
en matière d'action publique. La réforme italienne
de 1993 évoquée par Cesare Mattina a allégé
les contraintes institutionnelles pesant sur le maire, notamment
en instaurant son élection au suffrage universel direct :
les maires italiens ont ainsi retrouvé des marges d'action
dans la mesure où ils sont moins soumis aux jeux d'équilibre
internes à la municipalité. En France, les réformes
de décentralisation sont en principe un facteur de renforcement
du pouvoir des élus locaux dans leur ensemble, puisqu'elles
ont donné de nouvelles compétences aux collectivités
territoriales : celles-ci sont moins contraintes juridiquement
dans les initiatives qu'elles peuvent prendre et disposent d'une
plus grande légitimité à intervenir dans
tous les domaines qui concernent leur territoire. Cependant, comme
le rappelle Jacques de Maillard, « il ne faut pas confondre
l'institution (la municipalité) et son personnel (les élus)
: le renforcement des municipalités ne se traduit pas nécessairement
par le renforcement du pouvoir des élus »13. Les
nouvelles compétences et les moyens accrus dont sont dotées
les collectivités locales peuvent effectivement aussi être
investis par d'autres acteurs municipaux, administratifs par exemple,
qui peuvent avoir l'avantage de mieux maîtriser des champs
d'action spécifiques.
En effet, l'élu est non seulement un représentant,
c'est aussi un généraliste. Son statut d'élu
politique le met en position d'intervenir sur toutes les questions
traitées par l'institution à laquelle il appartient.
Il n'est pas élu comme spécialiste d'un domaine
mais comme représentant d'une collectivité. Dans
le traitement des dossiers qu'il a à connaître, l'élu
généraliste se retrouve face à des « experts »
de diverses natures : agents administratifs des services
spécialisés, techniciens d'entreprises, représentants
de groupes professionnels, qui disposent souvent d'une maîtrise
technique des dossiers à laquelle tous les élus
ne peuvent pas prétendre. Cette asymétrie entre
les élus et leurs « partenaires »
explique en partie l'implication à la fois différenciée
et discontinue des premiers dans les dispositifs d'action publique.
La contrainte liée au caractère généraliste
de l'activité politique rend particulièrement importante
la capacité à compenser ce handicap par l'acquisition
ou la valorisation de ressources spécifiques. C'est pourquoi,
pour comprendre la participation différenciée des
élus à la fabrique de l'action publique, il est
nécessaire de prendre en compte l'ensemble des ressources
savantes et techniques dont ils disposent, leur capacité
à reconvertir des compétences acquises dans d'autres
espaces mais aussi leur capacité à développer
des stratégies de spécialisation dans le cadre de
leur activité d'élu. Trouver des relais, se constituer
un entourage susceptible de prendre en charge une partie de l'activité
est un premier moyen pour un élu de garder une place de
choix dans la construction des choix publics. Si l'on en croit
Jacques de Maillard, sur des questions comme celles de la sécurité,
d'étroites collaborations se nouent parfois entre le maire
et son directeur de cabinet ou le secrétaire général,
qui permettent au premier de garder une maîtrise du dossier.
De la même façon, la capacité des élus
à recruter et à s'associer des acteurs clefs dans
la négociation et l'animation des politiques (les chargés
de mission) va leur donner des marges de manuvre. Il arrive cependant
que ces relais techniques « échappent aux élus »,
comme c'est le cas avec le chargé de mission sécurité
des Mureaux après 2001, qui développe une action
autonome, mobilisant ses propres réseaux, hors du contrôle
du maire. Au-delà de ce cas particulier, l'exemple des
questions de sécurité et de prévention de
la délinquance souligne aussi que la participation des
élus à certains forums professionnels est freinée
par des techniciens qui entendent préserver leur domaine
de compétence. Ainsi, malgré les logiques de politisation
des services municipaux au sens de proximité
aux élus et d'intégration de logiques politiques14 ,
l'administration municipale dispose de moyens pour servir, bloquer
ou reformuler un projet politique, qui marginalisent le rôle
des élus, y compris le maire. Face à des administrations
expertes qui leur échappent en partie, les élus
sont en fait inégaux dans leur capacité à
intervenir dans les projets portés par leur collectivité
car tous n'ont pas la même maîtrise des savoirs techniques
mobilisés par leurs administrations ou leurs partenaires.
L'exemple développé par Gilles Pinson dans ce numéro
offre une illustration intéressante de ce point de vue.
L'équipe qui accède à la tête de Venise
en 1993 dispose en effet d'atouts non négligeables qui
lui permettent de participer directement à la construction
des projets urbains. Professeurs d'université, urbanistes,
les élus municipaux ont été mobilisés
à ce titre dans des réseaux de réflexion
sur les problèmes de la ville avant d'accéder à
la tête de la municipalité, ce qui a nourri et informé
les projets de l'équipe. Leurs pratiques professionnelles
ont aussi développé chez ces élus une «
propension à la prospective et à la projection territoriale
» qui leur permet de donner sens aux initiatives municipales.
Grâce à leurs liens avec les universités et
divers instituts de recherche et d'expertise, ils peuvent par
ailleurs mobiliser des ressources expertes extérieures
à l'administration municipale. Quant à l'exemple
de Lucien Weygand analysé dans ce volume par Cesare Mattina,
il montre que les ressources d'expertise s'acquièrent aussi
dans la pratique même du métier politique, qui peut
pousser à une spécialisation dans certains domaines
d'action publique15 : l'élu marseillais devient progressivement
expert en matière d'assistance sociale et de logement hlm
et sa connaissance du domaine lui donne une légitimité
dans les débats relatifs à ces questions.
Si elle peut être en partie contrebalancée par diverses
formes de spécialisation, la position de généraliste
fait que les élus n'ont pas les moyens de prendre en charge
avec la même attention tous les dossiers, ni d'en suivre
toutes les phases de développement, d'autant qu'ils ont
rarement une seule activité : comme l'explique Jacques
de Maillard dans ce volume, qu'ils exercent une activité
professionnelle en parallèle ou qu'ils soient des professionnels
de la politique et donc souvent cumulards
le problème du temps se pose toujours. Les élus
sont ainsi amenés à établir des priorités
: celles-ci sont en partie déterminées par le caractère
plus ou moins stratégique de la question traitée
variable d'ailleurs suivant la phase de développement
du projet , mais elles s'expliquent aussi par le fait
que les élus ont face à eux d'autres acteurs qui,
sur certaines dimensions de l'action, ont plus de ressources qu'eux.
Les textes du dossier montrent par exemple que les élus
prêtent une attention toute particulière à
la dimension constitutive des dispositifs d'action publique, c'est-à-dire
à la détermination des cadres de l'intervention
publique : définition d'un cadre territorial d'intervention,
création de services, mise à disposition de budgets
Leur participation apparaît, en revanche, beaucoup plus
ténue lorsqu'il s'agit de définir le contenu et
la mise en uvre des grandes orientations. C'est ce que souligne
Jacques de Maillard à propos des politiques locales de
sécurité : les élus municipaux le
maire en particulier apparaissent soucieux de montrer
que la municipalité agit sur ces questions et sont surtout
attentifs à ce que des structures soient créées
et des moyens alloués. Anne-Cécile Douillet montre
pour sa part que les élus sont beaucoup plus actifs au
moment du lancement de la « démarche pays »
et des négociations sur son périmètre que
pendant la phase de construction du projet de développement.
Cela fait écho à l'intérêt porté
par les parlementaires/élus locaux aux débats relatifs
à l'introduction des « pays » dans la loi.
Cette attention particulière s'explique en partie par le
fait qu'en tant que politique constitutive, la politique des pays
a potentiellement un impact sur les ressources institutionnelles
des élus locaux (pouvoirs, moyens, légitimité
des différentes collectivités locales). L'exemple
de la mise en uvre des dispositifs de pays montre par ailleurs
que la procéduralisation limite l'investissement des élus
dans certaines phases de l'action publique, en donnant un avantage
à d'autres acteurs, qui font valoir des ressources spécifiques :
les projets locaux doivent en effet souvent s'inscrire dans le
cadre de contrats, plans, schémas et autres chartes, qui
génèrent leurs spécialistes, lesquels peuvent
opposer aux élus leur savoir-faire en termes de mise en
forme de projets. A côté des « spécialistes
sectoriels », les élus ont donc aussi affaire
à des spécialistes des dispositifs d'action publique.
La dernière caractéristique des élus, ou
du moins de la grande majorité d'entre eux, est leur multipositionnalité :
elle est le fait des élus cumulards mais aussi de ceux
qui ont un investissement partisan et/ou une position professionnelle
ou sociale susceptible d'être reconvertie dans l'espace
politique. Parce qu'il intervient dans plusieurs arènes,
l'élu se fait souvent médiateur, soit pour relayer
les intérêts d'une institution auprès d'une
autre, soit pour rapprocher et faire coopérer différents
acteurs institutionnels. L'élu agit ainsi aussi bien en
« courtier » qu'en « généraliste »,
pour reprendre les catégories utilisées par Olivier
Nay et Andy Smith (2002). Les analyses rassemblées dans
ce volume montrent cependant que la logique de courtage reste
largement prédominante.
C'est notamment en intercédant en faveur de leur territoire
auprès d'autorités publiques susceptibles de leur
fournir des ressources que les élus participent à
la construction de l'action publique. Les élus municipaux
étudiés par Françoise de Barros revendiquent
ainsi régulièrement une augmentation des financements
étatiques en matière de secours aux chômeurs
et de logement : « toute occasion est mise à profit
par la municipalité pour accroître la part de financements
étatiques dans les réalisations municipales ».
A Nanterre, le projet d'aménagement de la Défense
lancé par l'Etat dans les années 1950 donnera lieu
dans cette logique à de multiples tractations. Comme l'illustre
le cas des Contrats de locaux de sécurité, les procédures
contractuelles peuvent également constituer pour les élus
locaux des lieux de négociation et de pression sur les
autorités nationales en vue de l'attribution de ressources
supplémentaires : pour les édiles municipaux,
ces contrats sont l'occasion de négocier les effectifs
policiers mais aussi de discuter les missions de la Police nationale.
Ce travail de médiation territoriale apparaît facilité
et démultiplié lorsque les élus sont présents
dans plusieurs collectivités publiques. Cesare Mattina
montre ainsi que les élus d'arrondissement à Marseille
défendent leur circonscription auprès de la mairie
centrale en tentant d'obtenir emplois et logements pour les habitants
de leurs quartiers ; de même, les députés
napolitains s'efforcent d'orienter le flux des investissements
vers leur région lorsqu'ils participent aux instances nationales.
Anne-Cécile Douillet montre par ailleurs comment les élus
communaux se mobilisent pour obtenir des ressources dans les structures
intercommunales, de même que les élus intercommunaux
dans les instances départementales et régionales,
et les élus départementaux et régionaux dans
les enceintes parlementaires. Ainsi, intervenir dans différentes
arènes institutionnelles permet de jouer les courtiers
d'une institution auprès d'une autre, de chercher dans
la seconde des soutiens ou des ressources financières pour
un projet ou d'y défendre des arbitrages favorables lorsque
la configuration politique le permet.
Le cumul de positions, au sein ou en dehors de la sphère
politique, peut aussi permettre à l'élu de se faire
médiateur entre différents espaces sociaux ou institutions
pour construire des accords autour de projets communs. L'élu
endosse alors la deuxième figure de la médiation
: non plus celle du courtier mais celle du généraliste,
qui « construit du sens commun à des milieux
qui ne recourent pas aux mêmes savoirs et aux mêmes
représentations » (Nay et Smith, 2002, 13).
Les élus vénitiens et mancuniens étudiés
par Gilles Pinson semblent d'une certaine façon assurer
une fonction de ce type en travaillant à la mise en réseau
d'acteurs porteurs de ressources diversifiées et à
la structuration d'un « système d'acteurs ».
Leur travail consisterait donc à créer une capacité
collective à coopérer à l'échelle
du territoire urbain, en rapprochant tous les acteurs potentiels
du « développement urbain », grâce à
leur position institutionnelle, qui peut les placer en position
de « chef d'orchestre ». Ce travail est aussi facilité
par leurs investissements antérieurs dans le cadre professionnel
qui leur ont permis de construire des relations avec ces acteurs.
Cependant, parce qu'elle insiste sur le fait que les élus
participent ainsi à la négociation sans y avoir
un rôle de proposition supérieur aux autres, l'analyse
développée fait des élus des médiateurs
à l'influence limitée quant au contenu de l'action
publique. Les autres élus évoqués dans les
différents textes restent pour leur part dans une logique
de courtiers plus que de généralistes, confirmant
ainsi l'analyse de Frédéric Sawicki (2002, 44),
selon laquelle, « beaucoup d'hommes politiques n'assurent
pas directement cette fonction de traduction (...), à la
fois chronophage et peu rentable électoralement ».
L'examen de ces attributs propres aux élus permet à
ce stade de dégager trois conclusions intermédiaires
sur la façon dont ils contribuent à l'action publique.
Il convient d'abord de souligner que l'investissement des élus
est différencié suivant les moments de l'action
publique. Les différents textes révèlent
en effet que la participation des élus à l'action
publique prend rarement la forme d'une prise en charge de l'ensemble
d'un dossier, du lancement du projet à sa mise en uvre,
ceci s'expliquant par leurs contraintes de temps et leur (généralement)
faible spécialisation. Parce que ce sont des généralistes
de l'action publique qui, par leur qualité de représentant,
sont en position de légitimer des priorités, leur
intervention se fait surtout sentir à deux « moments »
de l'action publique : d'une part dans les processus de politisation
et de construction de problèmes en enjeux collectifs16,
d'autre part dans la définition des cadres de l'intervention
publique, qu'il s'agisse des cadres budgétaires, administratifs
ou géographiques.
Les développements ci-dessus soulignent par ailleurs que
les élus locaux participent pleinement à l'imbrication,
non seulement des marchés politiques national et locaux,
mais aussi des espaces d'action publique. Lors de campagnes électorales
en vue d'élections locales, il est ainsi fréquent
qu'ils évoquent les politiques nationales, participant
de ce fait à la mise en débat locale de leurs orientations.
Ceci est lié en particulier au fait qu'un certain nombre
d'entre eux ont aussi des responsabilités nationales et/ou
une affiliation partisane, qui les poussent à se positionner
ainsi17. Les textes de ce dossier montrent aussi l'importance
du travail de médiation institutionnelle fourni par les
élus. Comme le rappelle l'article de Françoise de
Barros, celui-ci n'est d'ailleurs pas le propre de la gouvernance
contemporaine, puisque ce mode d'intervention est largement mobilisé
par les édiles de l'entre-deux-guerres. Ce travail de courtage,
qui prend la forme d'une mobilisation auprès de différentes
institutions en vue d'obtenir des ressources pour leur(s) territoire(s),
souligne l'interdépendance de ce qui est parfois présenté
comme des « niveaux » d'action publique.
Si les besoins de l'analyse poussent parfois à distinguer
politiques locales et politiques nationales, ces « niveaux
» se co-construisent en fait largement, par le fait d'acteurs
comme les élus locaux, pour qui le franchissement constant
de ces « frontières » est une des
conditions de leur possibilité d'agir.
Enfin, l'analyse conjointe de ce que sont les élus locaux
et de ce qu'ils font en matière d'action publique met en
évidence l'influence particulière que certains d'entre
eux parviennent à exercer sur le traitement des problèmes
publics. Cela peut s'expliquer par la détention de ressources
expertes propres. Par ailleurs, certains élus, du fait
de la spécificité des mandats qu'ils détiennent,
peuvent s'affranchir plus que d'autres de la « contrainte
de légitimité » induite par la qualité
de représentant18. Un troisième élément
à prendre en compte, pour comprendre l'influence différenciée
des élus locaux en matière d'action publique, est
la forme et l'étendue de leur multipositionnalité,
qui leur donne accès à plus ou moins de ressources.
De ce point de vue, il est à noter que le développement
de nouvelles structures et dispositifs à l'échelle
intercommunale est susceptible de redistribuer les capacités
d'action dans la mesure ils offrent aux élus la possibilité
d'accéder à de nouvelles ressources juridiques,
financières mais aussi à de nouveaux espaces de
« mise en relation » entre acteurs de politiques
publiques. Cependant, comme le montre l'exemple des « pays »
Rhône-Alpins des années 1990, les ressources liées
à ces dispositifs peuvent être captées par
des élus déjà fortement positionnés19 :
en matière de leadership politique, le bouleversement des
hiérarchies n'a donc rien d'une évidence. Cela n'interdit
pas, toutefois, que l'importance stratégique que peuvent
revêtir ces nouveaux espaces institutionnels participe à
renouveler les formes et modalités d'investissement institutionnel
des élus20. Cette question en amène d'ailleurs une
autre : l'investissement différencié des élus
dans ce type de structures peut-il avoir des effets à plus
long terme sur les processus de sélection des élus,
du fait des ressources d'action publique qu'elles leur procurent
? Encore faut-il savoir dans quelle mesure la participation des
élus à la production de l'action publique est pour
eux un atout dans la compétition politique. C'est un des
objets de la partie suivante que de répondre à cette
interrogation21.
Des usages politiques de l'action publique
Une seconde problématique transversale aux articles proposés
dans ce numéro renvoie aux usages, par les élus,
de leur participation à la fabrique des politiques. Toujours
dans l'objectif d'éclairer les modalités spécifiques
d'investissement de ces derniers dans la conduite de l'action
publique, il s'agit ici d'observer comment cet investissement
s'ajuste à et détermine leurs
stratégies et carrières politiques. Les usages politiques
envisagés ici s'entendent au sens large, visant à
saisir les modalités variées selon lesquelles l'élu
construit et entretient son autorité symbolique. A ce titre,
leur analyse suggère un dépassement de l'opposition
entre stratégies de légitimation par les « inputs »
passant par la recherche de soutiens notamment électoraux
auprès de segments de la population et par les
« outputs » via la valorisation
de résultats en matière d'action publique. La démarche
adoptée consiste à s'intéresser plus généralement
à la manière dont les élus travaillent, à
travers leur participation à l'action publique, à
se faire reconnaître auprès de leur électorat,
comme d'ailleurs de leurs interlocuteurs politiques, administratifs
et économiques un ensemble de qualités
propres à les légitimer. Pour rendre compte des
différents usages inventoriés ici, on peut considérer
qu'ils renvoient, en empruntant partiellement la typologie formulée
par Rémi Lefebvre (2004), à trois types de légitimité
mobilisés dans l'exercice du métier politique local,
l'une liée à « la construction d'un rapport
à la population », l'autre à la gestion
« d'une identité politique et partisane »,
et la troisième à l'affirmation de ses qualités
de gestionnaire de l'action publique locale22.
Si elles n'en constituent qu'une des déclinaisons, historiquement
et géographiquement située, les pratiques « clientélaires »,
décrites dans ce numéro par Cesare Mattina et Françoise
de Barros, offrent néanmoins une illustration exemplaire
d'une première forme d'usage politique, visant à
l'établissement d'un lien spécifique entre l'élu
et ses ressortissants. Leur observation met en effet au jour des
formes d'intervention particulières des élus dans
différents types de politique logement, emplois
publics, aide aux chômeurs , qui leur permettent
de contrôler et de redistribuer ces ressources de manière
relativement discrétionnaire. La maîtrise de ces
biens se présente comme un avantage stratégique
à plusieurs titres : elle offre d'abord à ces
élus la possibilité d'apparaître auprès
de leurs électeurs comme des « bienfaiteurs »,
garants potentiels de leur sécurité matérielle,
et d'entretenir avec ceux qui en bénéficient des
liens d'allégeance et de fidélisation. Lorsqu'il
s'agit de logements, leur attribution permet en outre de jouer,
à plus long terme, sur la composition de la population
du territoire concerné, et de pouvoir éventuellement
favoriser la représentation de segments de l'électorat
politiquement proches de l'élu concerné. Telle qu'elle
est conduite ici, l'étude des pratiques clientélaires
met par ailleurs en lumière un des aspects essentiels des
usages politiques envisagés dans ce numéro, et qui
en conditionne l'efficacité symbolique. Comme l'évoquent
en effet les documents d'archives (lettres d'électeurs,
réponses personnalisées d'élus, courriers
administratifs, etc.) étudiés par Françoise
de Barros et Cesare Mattina23, la fourniture d'un bien matériel
ou d'un emploi, ou le travail d'intermédiation déployé
pour ce faire, ne sont rien sans la production discursive qui
les accompagne et leur donne sens. S'ils prennent des formes et
des inflexions différentes en fonction des contextes, ces
discours et écrits visent d'abord à attribuer à
l'élu, ou au conseil municipal dans son ensemble, la responsabilité
et la réussite de l'opération, ou tout au moins
à mettre en évidence les efforts qu'il a consentis
dans ce sens. Ils peuvent également passer par une occultation
de la contribution d'autres acteurs et institutions à l'existence
des politiques publiques concernées, comme le montre Françoise
de Barros à propos de l'effacement du rôle de l'État
dans le financement des aides attribuées localement par
les élus. Le caractère crucial de ce travail rhétorique
d'imputation24 permet de comprendre a contrario les résistances
des élus étudiés par Anne-Cécile Douillet
à la mise en place de politiques qui, parce qu'elles sont
transverses à plusieurs territoires, rendent moins lisible
la part qu'y prend chacun d'entre eux.
Si les pratiques clientélaires offrent aux élus
la possibilité de témoigner leur intérêt
à l'égard des préoccupations manifestées
par leurs administrés, elles n'en constituent pas l'unique
modalité. Comme le suggère Jacques de Maillard,
la nécessité d'apparaître concerné
par les inquiétudes de la population au sujet de l'insécurité
semble avoir été un vecteur important de l'inscription
à l'agenda de plusieurs municipalités de mesures
dans ce domaine. Sous-produit de la compétition électorale
locale, la mise en place de politiques de sécurité
serait également le fait d'élus soucieux de répondre
à « la pression d'une demande sociale »,
telle du moins que la perçoivent les candidats. La nécessité
pour les élus de retirer les profits politiques de leurs
investissements dans ce domaine permet par ailleurs de comprendre
les demandes qu'ils adressent à la police nationale d'une
plus grande visibilité de sa présence, et les tensions
que peuvent susciter entre l'équipe municipale et ses partenaires
ces conceptions différenciées des enjeux liés
à la sécurité.
Comme les pratiques de distribution de ressources et l'affichage
d'un souci de réponse aux administrés, les efforts
déployés par les élus pour se poser en représentants
des intérêts d'un territoire s'inscrivent plus généralement
dans la recherche d'une légitimité reposant sur
la construction, par l'élu, d'un rapport spécifique
à « une » population. C'est ce que
montre l'analyse, conduite dans ce numéro par Anne-Cécile
Douillet, des positions adoptées par différents
élus à l'égard d'un ensemble d'actions publiques
relatives au développement territorial. Tant dans les négociations
présidant à la définition des dispositifs
et des zones géographiques sur lesquels ils s'appliquent,
que dans la mise en uvre concrète de ces actions publiques,
l'un des principaux objectifs poursuivis par ces élus est
de se préserver la possibilité d'apparaître
comme des porte-parole de leur territoire. Dans les enceintes
collégiales chargées de conduire des projets à
de nouvelles échelles intercommunalités,
pays, etc. , les investissements des élus sont
centrés sur la recherche de financements qui bénéficient
à leur territoire d'élection, alimentant ainsi les
critiques concernant l'éparpillement des fonds et l'absence
de dynamiques d'ensemble. L'attitude de ces élus n'est
d'ailleurs pas sans rappeler celles qu'adoptent à un autre
niveau, mais selon des logiques similaires, les représentants
des Etats membres soucieux notamment de rechercher, et d'afficher
publiquement, à travers les programmes communautaires,
un « retour sur investissement » pour leurs espaces
nationaux (Robert, 2001, chap.3). La valeur conférée
par les élus à cette ressource politique que constitue
le fait de se poser en défenseur des intérêts
d'un territoire est également perceptible dans les prises
de position des conseillers régionaux. Comme ils le soulignent
eux-mêmes, leur implication dans l'animation des nouveaux
« pays » vise à leur offrir une identité
territoriale « de substitution » pour pallier le manque
d'ancrage géographique induit par les modalités
de leur élection (scrutin de liste départemental
puis régional).
Un second ensemble d'usages politiques de l'action publique peut
être identifié et caractérisé par le
fait qu'ils permettent à l'élu de réaffirmer
son identité politique, entendue à la fois comme
une filiation partisane, et/ou comme une fidélité
à des convictions de nature idéologique. Leur analyse
croise ainsi la question, classique, des liens entre coalitions
politiques au pouvoir et contenu de l'action publique, même
si la perspective retenue ici s'intéresse plus précisément
à la manière dont de tels liens sont rendus manifestes.
Les réponses apportées dans le dossier sont à
cet égard pour le moins nuancées. L'appropriation
par les élus municipaux des enjeux de sécurité,
étudiée par Jacques de Maillard, peut certes trouver
à s'inscrire dans les prises de position au niveau national
des équipes gouvernementales. Elle prend toutefois rarement
la forme, dans les campagnes électorales locales, d'un
affrontement entre deux conceptions partisanes de ces politiques,
sauf peut-être à Amiens et au Havre (à l'occasion
de débats entre les communistes et leurs challengers de
droite autour du dépositaire légitime commune
ou État des compétences en matière
de sécurité). La prise en charge par les acteurs
politiques locaux des questions de sécurité semble
ainsi moins utilisée pour affirmer des orientations idéologiques
que pour se démarquer de l'adversaire, le critiquer ou
encore éviter de lui abandonner le terrain.
On peut également évoquer l'usage politique singulier
que font les édiles étudiés par Françoise
de Barros des politiques nationales qu'ils sont chargés
de mettre en uvre : en dénonçant la conduite
de ces politiques au niveau national, et les moyens insuffisants
qui leur sont accordés, certains d'entre eux travaillent
non seulement à se protéger des critiques susceptibles
de leur être adressées en tant que gestionnaires
locaux, mais aussi à en faire des instruments de mobilisation
politique, voire partisane, de leurs administrés. Ce sera
notamment le cas de certains élus communistes qui feront
du logement « un motif de critique systématique des
gouvernements dont ils sont exclus à partir de 1947 ».
Il faut enfin souligner la place circonscrite que tient ce second
type d'usages dans les articles ici rassemblés : peu ou
pas évoquées dans certaines contributions, relativisées
dans d'autres, ces références aux enjeux idéologiques
de l'action publique semblent plutôt rares. Il serait hasardeux
d'en tirer des conclusions de portée générale,
dans la mesure où ces constats peuvent être liés
au type de politiques étudiées ou à des effets
de cadrage problématique, reflétant donc moins la
« réalité » observée
que le regard porté sur elle. On peut néanmoins
faire l'hypothèse que cette faible politisation partisane
n'est pas sans lien avec le succès rencontré par
ce qu'on pourrait appeler la « rhétorique managériale »
de certains des élus étudiés ici, qui tendraient
à minorer la dimension idéologique de leur action
au profit d'une valorisation de son pragmatisme, et plus généralement
de leurs capacités à « animer »,
« impulser » des politiques publiques.
Plus précisément, cette « rhétorique
managériale » renvoie à l'existence d'un
troisième type d'usage politique de l'action publique,
qui vise à exalter les qualités de l'élu
comme conducteur et maître d'uvre des politiques. S'il existe
de multiples déclinaisons de ces usages, l'une d'entre
elles semble consister, pour les élus qui s'en saisissent,
à mettre en avant leur expertise technique, d'une part,
et leurs qualités de gestionnaires (sens du concret, maîtrise
des procédures, aptitude à rassembler différents
acteurs autour de « projets ») d'autre part. Ces élus
s'appuient en outre sur une conception de l'action publique locale,
déjà bien décrite par ailleurs25, qui en
souligne les transformations importance du partenariat,
des collaborations public-privé, de la recherche de financements,
de l'innovation comme pour mieux justifier de l'importance
des qualités revendiquées pour eux-mêmes.
Quelle que soit la nature des changements structurels invoqués
par ces acteurs, dont le cadre restreint de cette introduction
ne nous permet pas de débattre, leur invocation semble
ici revêtir un caractère stratégique, visant
plus généralement à redéfinir les
compétences nécessaires à l'exercice légitime
de l'autorité politique et à se démarquer,
favorablement, de leurs concurrents. C'est dans cette perspective
que l'on peut peut-être interpréter les attitudes
et propos des élus étudiés par Gilles Pinson
dans ce numéro. Comme l'évoque l'entretien conduit
par l'auteur avec Massimo Cacciari, élu maire de Venise
en 1993, la figure du maire gestionnaire est ainsi construite
par ce dernier et son équipe en opposition à celle
des « vieux politiques » (leurs prédécesseurs
à la mairie), auxquels ils reconnaissent une plus grande
« représentativité » pour mieux souligner
qu'ils ont « certainement moins de compétence,
et moins d'engagement technico-administratif ». La
promotion par ces nouvelles équipes municipales, à
Venise comme à Manchester, d'une autre image du gouvernement
local, si elle traduit un renouvellement des pratiques, est ainsi
également reconvertie en ressource proprement politique.
Elle est d'autant plus utile que les compétences qu'elle
leur permet de revendiquer viennent compenser, autant que disqualifier,
d'autres ressources qui sont, comme le montre bien Gilles Pinson,
mieux contrôlées par leurs concurrents (proximité
avec certains segments de l'électorat, forte intégration
dans les réseaux partisans, syndicaux et associatifs).
Particulièrement prisées par les élites politiques
qui ont conquis le pouvoir dans un certain nombre de grandes villes
européennes à Venise et à Manchester,
mais aussi peut-être à Marseille et Naples, étudiées
par Cesare Mattina , ces stratégies de légitimation,
qui ne constituent d'ailleurs pas l'unique condition de leur succès26,
ne sont pas toutefois leur exclusivité.
La recherche par l'élu d'une légitimité par
la mise en scène de son rôle dans l'action publique
peut en effet emprunter des formes différentes. Ainsi,
d'une manière générale, les élus se
montrent attachés à la visibilité des lieux
de pouvoir qu'ils représentent, de sorte que celle-ci puisse
rejaillir sur eux. Dans les débats sur la territorialisation
observés par Anne-Cécile Douillet, les efforts qu'ils
déploient pour préserver les prérogatives
de leurs institutions et territoires traduisent notamment leur
volonté de conserver, aux yeux de leurs administrés,
des capacités d'action et un rôle décisionnel
conséquents. De même, ceux qui prennent la tête
des dispositifs de développement local y voient un moyen
de conquérir une autorité supplémentaire :
outre le fait qu'ils s'y positionnent en coordinateur d'actions
publiques, cette position leur confère, à l'égard
et auprès des autres élus, des capacités
d'action (maîtrise de ressources financières associées
à ces dispositifs) et un prestige supplémentaires.
Quels enseignements retirer de la mise à
jour de ces différents usages politiques ? Ils offrent
en premier lieu un éclairage original sur les politiques
publiques. Ils soulignent ainsi tout d'abord l'intérêt
d'une approche de celles-ci comme « vecteurs de consentement »
politique (Négrier, 2001). Si cette dernière hypothèse
a plutôt été formulée en référence
au récent déploiement, par les élus locaux,
de discours visant à exalter leur image d'entrepreneur
de politiques publiques, les pratiques des élus sous la
Troisième République, analysées ici par Françoise
de Barros, en soulignent la portée plus générale.
Les articles rassemblés dans ce numéro ne sauraient
bien évidemment épuiser l'ensemble des pistes ouvertes
par une telle hypothèse : en particulier, elles appellent
de nouvelles enquêtes visant notamment à mieux analyser
la perception, par les populations concernées, des politiques
qui leur sont destinées localement, et du rôle qu'y
jouent leurs élus. Les analyses proposées ici attirent
par ailleurs l'attention sur la manière dont les élus
contribuent ou non , en retour, à
la légitimation de l'action publique et de l'autorité
qui l'impulse. Elles soulignent que leurs stratégies les
conduisent précisément parfois soit à occulter
le rôle de l'Etat, soit au contraire à critiquer
ses politiques pour mieux dénoncer les orientations gouvernementales,
rappelant en ce sens certaines des attitudes des représentants
nationaux à l'égard des politiques impulsées
à Bruxelles. L'observation de ces stratégies politiques
offre à ce titre un éclairage singulier sur les
relations d'interdépendance entre différents espaces
politiques et institutionnels, locaux et nationaux. Si les jeux
locaux sont notamment structurés par l'existence de ressources
étatiques susceptibles d'être utilisées « sur
place », l'intérêt que ces dernières
suscite localement contribue à alimenter leur développement
au niveau national, à travers le maintien ou
la mise en place de nouvelles politiques publiques,
et participe ainsi, indirectement, à « l'étatisation
de la société »27. Ces mêmes jeux
locaux peuvent également, à l'inverse, conduire
les élus à contester la répartition des prérogatives
entre national et local pour pouvoir conserver ou annexer un domaine
d'intervention qui leur paraît offrir de fortes ressources
de légitimité28 : c'est le cas notamment des
équipes municipales étudiées par Jacques
de Maillard qui cherchent à se doter d'une capacité
d'action autonome en matière de police.
Les analyses conduites ici démontrent également
qu'envisager l'action publique à travers ses usages politiques
constitue un détour particulièrement fructueux pour
saisir les logiques qui gouvernent sa mise en uvre. C'est très
explicitement le propos de Françoise de Barros, qui souligne
comment les profits que tentent d'en retirer les élus sur
le terrain politique local contribuent à déterminer
la forme concrète de politiques publiques impulsées
par l'Etat, expliquant ainsi le caractère contrasté
de leurs déclinaisons sur le territoire national. De même,
la variété des dispositifs de développement
local, et des zones sur lesquelles ils sont déclinés,
est le fait des appropriations politiques différentes dont
ils font l'objet localement29. Enfin, comme le rappelle la contribution
de Cesare Mattina, une analyse des échanges politiques
dont elles ont fait l'objet entre élus et certains segments
de la population permet de mieux saisir les effets à plus
long terme produits par certaines politiques de logement social,
notamment sur la composition sociologique et l'évolution
des quartiers d'habitat populaires.
Parce qu'elles les conditionnent, les usages politiques de l'action
publique nous renseignent, en second lieu, sur les conceptions
qu'ont les élus de leur rôle et fonction. Loin de
la représentation d'un élu cynique et rationnel,
calculant à chaque moment les profits électoraux
des actions qu'il engage, les études proposées ici
renvoient une image plus riche et plus complexe. A la suite de
plusieurs travaux (Lagroye, 1994 ; Nay, 2003), elles évoquent
d'abord le caractère moins maîtrisé qu'intériorisé
et, dans une certaine mesure, imposé des postures adoptées
par ces acteurs politiques : bienfaiteur, intercesseur, médiateur
pour ses administrés, courtier et mandataire de son territoire,
animateur et entrepreneur de l'action publique, l'élu est
tributaire autant que dépositaire d'une autorité
spécifique et des représentations qui lui sont associées.
Certaines des contributions insistent ensuite sur la sédimentation
de ces représentations sur le temps long, et leur constance
d'une période à une autre, « (correspondant)
à un métier politique, à un rôle d'élu
local puisqu'elles sont partagées par des élus très
différents, à des époques diverses, inscrites
au cur de la légitimité politique qu'ils recherchent
et dans des dispositifs de politiques publiques30. »
Les analyses rassemblées ici révèlent toutefois
que pour prégnantes qu'elles soient, ces prescriptions
de rôle ne sont pas les uniques déterminants des
usages politiques de l'action publique. Dépendant également
du contexte politique appartenance partisane, état
de la concurrence sur le marché politique local ,
ces usages sont en outre fonction de la disponibilité de
certaines ressources. Or celles-ci logement, aide aux chômeurs,
emplois publics, par exemple sont souvent elles-mêmes
liées à des évolutions plus générales
sur lesquelles les élus n'ont guère de maîtrise.
Que se passe-t-il lorsqu'elles viennent à s'amenuiser ?
L'article de Cesare Mattina montre bien les tensions que peut
susciter le désajustement entre, d'une part, des pratiques
d'échange entre élus et électeurs durablement
inscrites dans les relations politiques et, d'autre part, un contexte
socio-économique de disparition de ces ressources qui rend
l'échange impossible ou le réduit à un travail
de médiation symbolique.
Plus généralement, certains des articles posent
la question des effets produits par les transformations du cadre
institutionnel, procédural et financier de l'action publique
sur le rôle joué par les élus locaux. Plusieurs
réponses sont apportées dans ce numéro. L'étude
conduite sur les élus vénitiens et mancuriens par
Gilles Pinson, et dans une certaine mesure celle de Cesare Mattina
sur les cas marseillais et napolitains, semblent accréditer
la thèse d'un renouvellement concomitant des modes de gouvernement
local et des élites politiques urbaines. Arrivées
dans un contexte d'épuisement des ressources militantes,
sociales, et financières habituellement mobilisées
par leurs prédécesseurs, de transformations économiques
et sociales de grande ampleur et de reconfiguration des relations
entre villes et Etat, ces nouvelles élites conquièrent
le pouvoir en s'ajustant à ce contexte. Elles mobilisent
de « nouvelles » compétences, revendiquent
des formes de légitimité alternatives, s'attachent
à gagner la confiance des acteurs économiques, désormais
perçus comme des partenaires incontournables. Mais elles
semblent également renoncer conjointement à une
certaine forme de travail militant passant notamment
par l'entretien des réseaux partisans, syndicaux et associatifs
et par des contacts plus directs avec leur électorat ,
ce qui contiendrait en germe le risque d'un délaissement
de certains segments de la population, dépourvus de ressources
autres qu'électorales. Si elle peut contribuer à
bousculer la hiérarchie des pratiques politiques légitimes
dans certains contextes, la transformation des cadres de l'action
publique n'implique toutefois pas nécessairement la disparition
de conceptions et modes de faire plus « traditionnels » :
c'est notamment ce dont témoignent les investissements
des élus locaux analysés par Anne-Cécile
Douillet dans la définition puis l'animation des « pays ».
La persistance de logiques d'intercession, lesquelles sont destinées
à « défendre les intérêts »
de territoires dont les frontières demeurent celles des
circonscriptions électorales permet de mettre en évidence
la « résistance au changement » des
modes de construction de l'autorité politique des élus
locaux, mais aussi de prendre la juste mesure des bouleversements
induits par le « mouvement de territorialisation »
sur les cadres de l'action publique eux-mêmes.
La diversité des stratégies adoptées par
les élus locaux étudiés dans ce numéro
à l'égard de ces transformations structurelles invite
enfin à s'intéresser aux effets de leurs propriétés
sociales (trajectoires sociales, parcours professionnel, etc.)
sur les attitudes qu'ils adoptent à l'égard de ces
« changements ». A titre d'exemple, les
diplômes universitaires et l'expertise revendiqués
par l'élite vénitienne semblent avoir pesé
de manière importante dans leur entreprise de redéfinition
des modes de gouvernement de cette ville et de leurs stratégies
de légitimation. Ainsi, comme l'a bien montré Fabien
Desage (2005) à partir de l'exemple des transformations
suscitées dans la communauté urbaine de Lille par
le remplacement, à la tête des petites communes,
des maires agriculteurs des années 1960 par les maires
diplômés représentatifs des nouvelles populations
suburbaines, les investissements des élus dans de nouvelles
configurations institutionnelles tiennent non seulement à
leurs positions et ressources politiques, mais également
à leurs propriétés sociales singulières.
Cette observation des jeux et rôles des élus dans
les politiques locales souligne ainsi l'intérêt d'un
détour par les dispositions sociales et l'analyse micro-sociologique
des acteurs, pour mieux saisir la nature des processus de changements
institutionnels et leur lien avec les évolutions du personnel
politique. Elle plaide plus généralement pour une
analyse de l'action publique, que celle-ci soit observée
au niveau local, national ou européen, plus attentive à
la sociologie de ses protagonistes.
©
Sciences de la Société n° 71 - mai 2007
Références bibliographiques
« Le métier
d'élu : jeux de rôles », 1994, Politix,
dossier, n° 28.
Arnaud (L.), Le Bart (C.), Pasquier (R.), dir., 2005, « Déplacements
idéologiques et action publique. Le laboratoire des politiques
territoriales », Sciences de la société,
n° 65.
Baraize (F.), Faure (A.), Genieys (W.), Négrier (E.), Smith
(A.), 2000, « Le pouvoir local en débats. Pour
une sociologie du rapport entre leadership et territoire »,
Pôle Sud, n° 13, 103-119.
Borraz (O.), 1999, « Pour une sociologie des dynamiques
de l'action publique locale », in Balme (R.), Faure
(A.), Mabileau (A.), dir., Les nouvelles politiques locales, Paris,
Presses de sciences po, 79-110.
Borraz (O.), Le Galès (P.), 2002, « Gouvernement
et gouvernance des villes », in Leresche (J.-P.), dir.,
Pouvoir local. Tome I : gouvernance locale, coopération
et légitimité. Le cas suisse dans une perspective
comparée, Paris, Pedone.
Bukowski (J.), Piattoni (S.), Smyrl (M.), dir., 2003, Between
Europeanization and Local Societies. The Space for local Governance,
Lanham, Rowman and Littlefield.
Caciagli (M.), 1977, Democrazia Cristiana e potere nel Mezzogiorno.
Il sistema democristiano a Catania, Florence, Guaraldi.
cepel, 1996, La négociation des politiques contractuelles,
Paris, l'Harmattan.
Desage (F.), 2005, Le consensus communautaire contre l'intégration
communautaire. Séquences et dynamiques d'institutionnalisation
de la communauté urbaine de Lille (1964-2003), thèse
pour le doctorat en science politique, Université de Lille
2.
Duran (P.), 1999, Penser l'action publique, Paris, lgdj.
Duran (P.), Thoenig (J.-C), 1996, « L'Etat et la gestion
publique territoriale », Revue française de science
politique, vol. 46, n° 4, 580-623.
Fontaine (J.), Le Bart (C.), dir., 1994, Le métier d'élu
local, Paris, L'Harmattan.
Garraud (P.), 1989, Profession homme politique : la carrière
politique des maires urbains, Paris, L'Harmattan.
Gaudin (J.-P.), 1999, Gouverner par contrat. L'action publique
en question, Paris, Presses de Sciences po.
Genieys (W.), 1997, « Le territoire imaginaire du pays
cathare », Pôle Sud, n° 7, 118-131.
Hassenteufel (P.), Smith (A.), 2002, « Essoufflement
ou second souffle ? L'analyse des politiques publiques française »,
Revue Française de Science Politique, vol. 52, n° 1,
53-73.
Kingdon (J. W.), 1995, Agendas, alternatives and public policies,
New York, Longman.
Lagroye (J.), 1994, « Etre du métier »,
Politix, n°28, 5-15.
Lascoumes (P.), Le Bourhis (J.-P.), 1998, « Le bien
commun comme construit territorial. Identités d'action
et procédures », Politix, n° 42, 37-66.
Le Bart (C.), 2003, Les maires : sociologie d'un rôle,
Villeneuve D'Ascq, Presses universitaires du septentrion.
Le Bart (C.), 2001, « Leadership et impuissance décisionnelle.
Les élus locaux face à la marée noire de
l'Erika », Sciences de la société, n° 53.
Leca (J.), 1996, « La "gouvernance" de la
France sous la Cinquième République : une perspective
de sociologie comparative », in d'Arcy (F.), Rouban
(L), dir., De la Cinquième République à l'Europe.
Hommage à Jean-Louis Quermonne, Paris, Presses de Science
Po, 329-365.
Lefebvre (R.), 2004, « La difficile notabilisation
de Martine Aubry à Lille. Entre prescription de rôle
et contraintes d'identité », Politix, n° 65,
119-145.
Le Galès (P.), 1995, « Du gouvernement des villes
à la gouvernance urbaine », Revue française
de science politique, vol. 45, n° 1, 57-95.
Le Galès (P.), 2003, Le retour des villes européennes.
Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement
et gouvernance, Paris, La Découverte.
Leibfried (S.), Pierson (P.), dir., 1998, Politiques sociales
européennes. Entre intégration et fragmentation,
Paris, L'Harmattan, coll. Logiques politiques.
Lowi (T.), 1964, At the pleasure of the Mayor. Patronage and power
in New-York city, 1898-1958, Londres, The Free Press of Glencoe,
Collier-Macmillan Limited.
Maillard (J. de), 2006, « Les services de prévention-sécurité
à l'épreuve du politique », Politiques
et management public, vol. 24, n° 2, 23-39.
Manin (B.), 1995) Principes du gouvernement représentatif,
Paris, Calmann-Lévy.
Mattina (C.), 2004, « Mutations des ressources clientélaires
et construction des notabilités politiques à Marseille »,
Politix, n° 67, 129-155.
Michel (H.), 1994, « Décideurs ou régulateurs ?
Le cas des élus régionaux chargés de la formation
professionnelle en Bretagne », in Fontaine (J.), Le
Bart (C.), dir., Le métier d'élu local, Paris, L'Harmattan,
249-266.
Muller (P.), 2000, « Vers une sociologie politique
de l'action publique ? », Revue Française
de Science Politique, vol. 50, n° 2, 89-207.
Nay (O.), 1997, « L'institutionnalisation de la région
comme apprentissage des rôles : le cas des conseillers régionaux »,
Politix, n° 38, 18-46.
Nay (O.), Smith (A.), dir., 2002, Le gouvernement du compromis,
Paris, Economica.
Nay (O.), 2002, « Le jeu du compromis. Les élus
régionaux entre territoires et pratiques d'assemblée »,
in Nay (O.), Smith (A.), dir., Le gouvernement du compromis :
courtiers et généralistes dans l'action politique,
Paris, Economica, 47-86.
Négrier (E.), 2001, « Municipales 2001 :
les nouveaux fiefs », Pôle sud, n° 15,
109-118.
Offerlé (M.), dir., 1999, La profession politique. XIX°-XX°
siècles, Paris, Belin.
Pierson (P.), Leibfried (S.), dir., 1998, Politiques sociales
européennes. Entre intégration et fragmentation,
Paris, L'Harmattan, coll. Logiques politiques.
Poirmeur (Y.), Mazet (P.), dir., 1999, Le métier politique
en représentations, Paris, L'Harmattan.
Robert (C.), 2001, La fabrique de l'action publique communautaire.
Le programme Phare (1989-1998) : enjeux et usages d'une politique
européenne incertaine, thèse pour le doctorat en
science politique, Université Pierre-Mendès France
Grenoble II.
Sawicki (F.), 2002, « Du parti à l'assemblée
régionale. Itinéraire d'un professionnel de l'intermédiation »,
in Nay (O.), Smith (A.), dir., Le gouvernement du compromis, Paris,
Economica, 23-45.
Smith (A.), Sorbets (C.), dir., 2003, Le leadership politique
et le territoire : les cadres d'analyse en débat,
Rennes, Presses universitaires de Rennes.
Vignon (S.), 2004, « Les rétributions inégales
de l'intercommunalité pour les maires ruraux. Les improbables
retour sur investissement(s) politique(s) », in Madoré
(F.), Le Saout (R.), dir., Les effets de l'intercommunalité,
Rennes, pur, 17-38.
Françoise
de BARROS,
Élus locaux et actions
publiques de l'entre-deux-guerres au début des années
quatre-vingt. Mise au jour de deux
Résumé
Une enquête sur deux périodes
et 5 communes différentes a permis de mettre au jour des
investissements communaux similaires dans deux ensembles de politiques
publiques : les assistances et secours aux chômeurs
pour l'entre-deux-guerres ; le logement et l'urbanisme de l'après-guerre
aux années quatre-vingt. Grâce aux dispositifs particuliers
qui les organisent, ces politiques apparaissent dès lors
constituer des « répertoires d'actions clientélaires »
pour les élus locaux car elles permettent à ces
derniers de disposer de biens matériels individualisables
financés en grande partie par l'État et de les allouer
à leurs administrés avec une relativement grande
marge. Cet article s'attache à analyser la diversité
des usages politiques locaux de ces dispositifs et à leur
mise en perspective dans une réflexion générale
sur les pratiques politiques clientélaires.
Mots
clés : administration
communale, politiques publiques, clientélisme, logement,
assistances
Cesare MATTINA, Les
élus en action. Redistribution clientélaire et transformations
des ressources publiques en milieu urbain
Résumé
Dans cette contribution, nous
analysons les transformations du rôle des élus au
sein de l'action publique à la lumière de l'évolution
des phénomènes clientélaires. Nous développons
l'idée que la transformation des ressources publiques traditionnellement
liées à la redistribution clientélaire (emplois
publics, logements sociaux) engendre une évolution dans
les modalités d'articulation des contraintes du métier
d'élu (impératifs d'élection, carrière
politique, activité partisane) avec les stratégies
d'intervention dans les politiques publiques locales. Les villes
française et italienne de Marseille et de Naples représentent
des cas extrêmes de milieux urbains traditionnellement considérées
comme enclins aux moeurs clientélaires, voire à
la corruption. Pourtant, même dans ces villes, les évolutions
récentes montrent que les leaderships locaux ne gouvernent
plus comme auparavant par des pratiques et des politiques de redistribution
clientélaire systématique. La moindre capacité
à disposer de ressources publiques clientélaires
pour répondre aux demandes des électeurs a modifié
la légitimité politique des représentants,
les obligeant à s'investir davantage dans la construction
de réseaux politico-institutionnels et l'accumulation de
compétences techniques.
Mots
clés : métier
d'élu, clientélisme politique, gouvernement urbain,
Naples, Marseille.
Anne-Cécile
DOUILLET,
Les élus et leurs territoires.
Représentation et action publique dans les dispositifs
territorialisés de développement local
Résumé
Cet article se propose d'interroger
la place des élus locaux dans les processus de construction
de l'action publique, à un moment où celle-ci connaît
un certain nombre d'évolutions, qui tendent en particulier
à accentuer le décalage entre les territoires de
la représentation politique et ceux de l'action publique.
L'analyse s'appuie sur l'étude de politiques contractuelles
de développement local comme la politique des pays, emblématiques
de ces changements. En regardant de près comment les élus
locaux s'investissent dans la conception et la mise en oeuvre
de ces politiques et en examinant les ressources qu'ils peuvent
en tirer dans le cadre de la compétition politique, l'analyse
souligne un point essentiel : à l'heure où
l'on insiste sur l'intégration des élus dans les
réseaux socio-économiques et dans des démarches
de projet qui peuvent les conduire à être moins ancrés
dans leurs territoires d'élection, la logique de représentation
territoriale et d'intercession en faveur d'un territoire au sein
du système politco-administratif garde toute son importance
pour un certain nombre d'élus.
Mots
clés : élus
locaux, représentation, territoire, action publique, développement
local.
Gilles PINSON,
Gouverner une grande ville européenne.
Les registres d'action et de légitimation des élus
à Venise et Manchester
Résumé
A partir des exemples de deux
villes européennes, Venise et Manchester, et des grands
projets urbains dans lesquels leurs élus sont engagés,
cet article tente de mettre au jour l'émergence d'une nouvelle
génération de leaders politiques urbains. Ces leaders
se distinguent de leurs prédécesseurs par une plus
grande implication dans l'action publique urbaine au détriment
de l'investissement dans l'entretien et la mobilisation des soutiens
électoraux. De ce fait, ces nouveaux leaders ont des pratiques
quotidiennes, des emplois du temps et des formes de sociabilité
les mettant davantage en contact avec des groupes sociaux porteurs
de ressources pour l'action publique que des groupes uniquement
pourvus de ressources électorales. Paradoxalement, la moindre
inscription de ces élus dans des réseaux de sociabilité
et d'encadrement qui permettaient jusque-là aux élus
de contrôler politiquement les groupes sociaux urbains débouche
sur une plus grande marge de manuvre en matière de construction
des politiques urbaines. S'il est générateur d'un
renforcement de la capacité d'action des élus, ce
type de rapport à la société urbaine ne laisse
pas d'inquiéter sur l'évolution des formes de mobilisation
politique dans les villes européennes.
Mots
clés : leader,
ville, projet urbain, légitimité, Manchester, Venise.
Jacques de MAILLARD, Les
élus locaux à l'épreuve de l'insécurité
Résumé
Le présent article vise
à savoir pourquoi et comment les élus municipaux
ont investi le thème de l'insécurité dans
les années 80 et 90. A partir de différentes études
locales, il montre que le processus de politisation de l'insécurité
locale procède à la fois de la compétition
politique locale mais aussi, et surtout, de la perception d'une
demande de sécurité de la population. Partant, les
logiques d'investissement des élus ont été
de deux ordres différents : la recherche d'intermédiation
vis-à-vis d'institutions et de professions spécialisées
dans le domaine et la constitution d'une capacité d'action
propre des municipalités sur les thèmes liés
de la prévention et de la sécurité. Sur ces
deux registres, les élus ont à faire face aux difficultés
de la conduite de politiques publiques dans un contexte de forte
fragmentation institutionnelle mais également de spécialisation
professionnelle qui limite considérablement leur capacité
d'action. Le traitement par les élus de la question de
l'insécurité révèle également
les tensions et différenciations politiques internes aux
municipalités.
Mots
clés : élus
locaux, politique de sécurité, Etat, professionnels.
Pascal RICAUD,
Médias locaux alternatifs
et construction de micro espaces publics aux frontières.
La démocratie participative en Europe entre réalités
et projection
Résumé
Dans un contexte de décentralisation
de l'Etat français et, conjointement, d'élargissement
de l'Union Européenne et de revalorisation du local (principe
de subsidiarité), de nouveaux médias locaux sont
apparus dès le début des années 80. Ils ont
représenté et représentent encore pour la
plupart une alternative aux médias de masse et, plus largement,
aux médias en situation de monopole à l'échelle
régionale ou nationale. Comme le montre cet article, ces
derniers ont également mené des politiques intéressantes
de décentralisation, et d'ouverture sur l'Europe et les
minorités transfrontalières Ces phénomènes
sont d'autant plus intéressants à observer aux frontières,
au carrefour du local et de l'Europe. Ces médias, sont
les témoins et parfois les acteurs de nouvelles formes
de gouvernance et d'expériences participatives, impliquant
la société civile ; ils apparaissent aussi comme
de nouveaux espaces d'expression de minorités actives (radios
communautaires), et de nouveaux acteurs politiques et mouvements
associatifs (radios et presse locale en particulier). Avec eux,
on assiste à l'émergence de micro-espaces publics
et plus largement d'un nouvel espace public médiatique.
Mots clés :
proximité, reliance,
médias locaux, espace public, Europe.
Martine
REGOURD,
Les musées en Région au prisme de la recomposition
des territoires
Résumé
Les musées
nationaux ont inscrit dans le débat public, notamment avec
le projet du Louvre à d'Abou Dhabi, une nouvelle politique
selon laquelle ces établissements doivent participer au
rayonnement de la marque France. Les mêmes logiques sont
perceptibles dans les musées d'art en région. Ces
musées jouent un rôle majeur dans la recomposition
des territoires, dont ils deviennent des marqueurs. Ils fondent
des enjeux de stratégies communicationnelles dans un tissu
administratif largement balkanisé. Les collections sont
redéployées, spécialisées, mobilisées
pour accroître la compétitivité des territoires
selon une mise en réseau. Ces mouvements sont de nature
à générer une mutation importante de l'institution.
Mots clés :
musées,
territoires, politiques patrimoniales, communication.
Stefan
BRATOSIN,
La médiatisation du politique
dans la presse locale : contribution non ostensive à une
géographie sociale
Résumé
L'article tâche d'enrichir
la discussion sur l'apport documentaire de la presse locale à
une géographie sociale. Plus exactement, il vise, dans
ce cadre, la mise en exergue d'une contribution médiatique
participant d'une textualité non ostensive. Dans cette
perspective l'analyse repose sur une étude de la médiatisation
du politique dans la presse de Calarasi, ville moyenne du Sud-Est
de Roumaine. Le but poursuivi est de montrer que par leurs références
non ostensives les récits qui médiatisent le politique
à travers cette presse participent au bornage de la réalité
sociale d'un territoire même dans des conditions où
se pose objectivement la question de la pertinence des récits
médiatiques et de la politisation de la presse.
Mots clés :
Calarasi (Roumanie), document,
géographie sociale, médiatisation politique, presse
locale, territoire.
Véronique
ROUSSEL, Dominique VOLLET,
Politiques publiques et troisième
âge dans les espaces ruraux. Entre secteurs et territoires
?
Résumé
Une analyse des politiques publiques
gérontologiques a été menée dans quatre
zones rurales françaises différentes du point de
vue de leur accessibilité et de leurs caractéristiques
socio-économiques (Haut-Forez dans la Loire, vallée
de la Jonte dans la Lozère, Bourganeuf dans la Creuse,
Lezoux dans le Puy de Dôme). Bien que l'objectif national
de maintien le plus longtemps possible des personnes âgées
à domicile soit effectivement communément partagé,
les organisations mises en place sont fortement différenciées
selon les zones. Des liens formels (coordinations gérontologiques),
ou non, entre acteurs des domaines sanitaire et social n'existent
pas dans tous les territoires. En revanche, l'ensemble des zones
est confronté à une carence de moyens humains et
financiers. De même, l'action publique gérontologique
reste marginale dans tous les projets de territoire.
Mots clés : politique publique, développement
rural, retraités, analyse de politique.