SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ - N° 56 -mai 2002
Lesfigures sociales du client
Dossiercoordonné par Franck Cochoy, Univ. Toulouse-Le Mirail

Franck Cochoy,Figures du client, leçonsdu marché(Texteintégral)
Fabien Ohl,La construction socialedes figures du consommateur et du client
Gaël Bonnin,Des instrumentalistesaux chineuses, quatre figures de la mobilité en magasin
Alexandre Mallard,Les nouvelles technologiesdans le travail relationnel. Vers un traitement plus personnaliséde la figure du client ?
Sophie Dubuisson-Quellier, Qualités de produit et figures du consommateur.Manières de produire et de vendre en conchyliculture
Pascal Ughetto,Figures du client, figuresdu prestataire
François Cusin,Les figures du clientbancaire moderne et ses relations paradoxales à la banque
Mélanie Roustan,Du client polymorpheà la figure du "non-client". Ambiguïtésautour des transactions de cannabis
Ygal Fijalkow,Les visages réversiblesde l'usager et du consommateur. Ce que nous apprend la grèvedes internautes
Sandrine Barrey,Les grimaces du client.Des figures du consumérisme aux figures du consommateur"écrivain"
Emmanuelle Lévy,L'usager est-il solubledans l'organisation ?

NOTES DE LECTURE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Franck Cochoy,Figures du client, leçonsdu marché

Texteintégral
Depuis quelques années lesdonneurs d'ordre industriels (Neuville, 1997 ; Segrestin, 1997; Veltz, 2000), les usagers (Borzeix, 2000 ; Warin, 1993, 1999; Weller, 1998), les consommateurs (Dubuisson-Quellier, 1999 ;Mallard, 2000 ; Cochoy, 2002), voire les citoyens (Chateauraynaud,Torny 1999 ; Torny, 1998 ; Callon et al., 2001) ou lespatients (Callon, Rabeharisoa, 1999 ; Grosjean, Lacoste, 1999; Robelet, 2001 ; Cochoy, 2001a) émergentcomme de nouveaux acteurs dignes d'attention dans les sciencessociales (Benghozi, 1998), à côté des figuresplus anciennes du travailleur, de l'ouvrier, du salariéou du cadre qui ont longtemps occupé seules, ou presque,le devant de la scène . Sans doute y a-t-il, derrièrechacune de ces figures, des identités et des préoccupationstrès différentes : l'étude des relationspartenariales et des politiques de qualité industrielle,l'effort de modernisation des services publics par l'usager, lasociologie du marché et de la consommation, l'analyse desdébats de société ou des enjeux de santépublique répondent à des objectifs très diverset conçoivent souvent leurs objets comme distincts, voiredisjoints.
Pourtant, ces partages thématiques et disciplinaires, cesdécoupages identitaires et fonctionnels ont de plus enplus de mal à tenir, dans la mesure où les personnesréelles circulent entre tous ces terrains et recouvrenttour à tour l'ensemble des identités que chacunedes sciences sociales étudie séparément :lorsque Pierre Strobel (1993) hésitait en intitulant l'unde ses articles " L'usager, le client et le citoyen : quelsrôles dans la modernisation du service public ? ",Gilles Jeannot (1999) lui faisait écho par une tergiversationsymétrique en titrant sa propre contribution : " Servicespublics : l'usager, le client, le consommateur ". Derrièrele glissement du " citoyen " au " consommateur", derrière la prolifération des termes destinésà approcher un acteur fuyant, pluriel et complexe, se posela question des rapports qu'entretiennent ces différentesfigures, de l'intérêt qu'il y a à les multiplier,à les distinguer, mais aussi à les rapprocher pouridentifier leurs points communs et leurs modes d'action.
Telle est l'ambition du présent numéro de Sciencesde la société, qui propose de réfléchiraux différentes figures sociales du client, en donnantà ce mot toutes les significations qu'il englobe : parfigures, on entend non seulement l'ensemble des identitéssociales que nous venons d'évoquer (usager, citoyen, consommateur,citoyen, patient) mais aussi la figure comme visage ­face au sourire commercial du vendeur [Mallard], la grimace oula complainte du client [Barrey ; Fijalkow], voire du non-client[Roustan] ­, la figure comme arabesque et parcoursque dessinent les pérégrinations souvent énigmatiquesdu consommateur dans l'espace marchand [Bonnin], la figure graphiqueque produit la compilation des comportements empiriques des clientèlesdans les outils de gestion [Lévy], la figure comme profildu consommateur que l'on inscrit dans la définition desproduits [Dubuisson-Quellier] ou que l'on trace à partirdes segmentations de la clientèle [Cusin ; Ohl ; Ughetto],voire la figure de rhétorique qui permet de se faireobéir et de transformer l'organisation " au nomdu client " [Lévy]. En rassemblant à desseinune série de monographies s'appuyant sur un ensemble deterrains variés (télécommunications, banque,grande distribution, agroalimentaire, services publics, drogue)et de perspectives très diversifiées (anthropologie,gestion, sociologie), nous espérons contribuer àl'élargissement de la réflexion sur cet acteur-clientpolymorphe et mobile dont l'impossible portrait travaille de plusen plus l'actuel mouvement de marchandisation du monde, des valeurset des choses.

Une figure ancienne
Les clients, bien sûr, ont une existence beaucoup pluslongue que les préoccupations académiques contemporaines.Grâce aux historiens du capitalisme anglais (McKendricket al., 1982), nous savons par exemple que la révolutionindustrielle s'est accompagnée, dès ses origines,d'une révolution symétrique de la consommation :aucune accumulation n'étant possible sans destruction desbiens produits, l'éthique protestante ne pouvait suffireà l'extension du capitalisme ; l'essor de l'industrie modernen'a pu s'étendre que dans la mesure où l'ascétismepuritain fut relayé, dès le départ, par uneorientation symétrique vers la jouissance des biens matériels,de sorte que le consommateur peut être désignécomme un acteur du capitalisme au moins aussi ancien et importantque l'ouvrier des fabriques traditionnelles (Campbell, 1987) ­un acteur dont les figures n'ont cessé d'accompagner l'histoiredu capitalisme et du marché, dans le nouveau monde (Strasser,1989 ; Cochoy, 1999a) comme dans l'ancien (Pinto, 1990 ; Chessel,2002 ; Cochoy, 1999b). Ce constat pose néanmoins une question: comment expliquer d'un côté l'importance et lapermanence historiques des clients, et de l'autre l'intérêttrès variable que lui ont accordé les sciences sociales,mais aussi les acteurs du marché ? Telle est la questionqu'aborde Fabien Ohl dans la contribution qui ouvre ce numéro.
À partir d'une analyse statistique de plusieurs corpusde textes puisés dans la littérature académiquecomme dans la presse quotidienne ou magazine, l'auteur rend visiblele chassé-croisé saisissant qui s'opère entrela montée croissante du client-consommateur dans les discourset le recul symétrique du travailleur-ouvrier qui mobilisaitjadis l'attention. Est ainsi posé le problème sinonde la substitution, du moins de la coexistence entre la vieillefigure classique d'un acteur social implicitement réduità celle du travailleur, et l'émergence de la figureconcurrente du client-consommateur que semblent imposer les médias,les politiques de modernisation des institutions, et les acteursdu marché. Derrière une telle inversion se faitjour le déplacement d'une attention quasi exclusive pourl'offre et la sphère productive vers une prise en comptede la demande, du choix, de l'achat et de l'usage, qu'il convientd'interroger.
D'un côté, cette évolution est timide : leconsommateur a souvent été défini comme unsimple prolongement de l'homo faber, comme l'incarnationsociale du travailleur au repos, avec en filigrane l'idéed'une simple extension de l'aliénation productive sousforme d'une aliénation marchande (Baudrillard, 1970). Maisd'un autre côté des travaux plus récents ontmontré la réversibilité et l'ambiguïtéde ces deux figures : réversibilitédans la mesure où le client coproducteur du service travaillebeaucoup plus qu'on ne pourrait le penser (Gadrey, 1994) ;ambiguïté dans la mesure où le client redevenutravailleur via la coproduction n'intervient guère qu'àl'interface d'une organisation dont le cur résiste souventà sa prise en compte [Barrey, Lévy] : à biendes égards, le client dont on réclame partout lanécessaire satisfaction reste encore le mal-aimédes organisations (et des sciences sociales !) modernes. D'oùl'intérêt qu'il y a à réparer une telleasymétrie et, autant le dire, une telle injustice.
Cette réparation passe d'abord par un refus de la définition" productive " du client. Le terme de figure devraitnous y aider : en mettant l'accent sur le visage, les parcours,les représentations synoptiques et les usages discursifsde l'acheteur ou de l'usager, la notion de figure nous inviteà tracer d'autres analogies que celles du travail, àsaisir les spécificités de l'action et de la relationmarchande, et donc, au bout du compte, à redéfinir,autour de la rencontre entre les institutions et leurs clients,les enjeux même de l'analyse du travail et des organisations(Cochoy , Dubuisson-Quellier, 2000).

Une figure mobile
La sociologie classique du travail nous a enseignémille choses sur le comportement d'un individu sédentaire,clairement assigné aux murs de son entreprise et "fidèle à son poste " ; la sociologie du client,du consommateur ou de l'usager nous met au contraire face àun individu qui évolue dans un espace ouvert, àun sujet mobile, pluriel et parfois versatile, engagé dansune démarche aux deux sens de programme et de mouvement.Cette particularité engage le chercheur dans une doubleréflexion. D'une part, elle le confronte à la questionde l'adéquation problématique de l'intention etde l'action : quelsens faut-il donner à cette démarche qui part àla fois de la tête et des pieds ? Comment faire la part,dans les figures spatiales que dessinent les parcours physiquesdes clients, entre la planification et l'errance, entre la projectionroutinière des habitudes, la traduction pragmatique d'uncalcul, voire l'expression d'une disposition plus inattendue àla découverte et à la curiosité (Cochoy,2001c) ? D'autre part, le problème fondamental de la confrontationde la personne à un environnement inconnu met au centrede l'analyse l'interaction entre l'homme et les choses : comments'établit l'ajustement entre les attentes de la personneet les propriétés des objets qu'il rencontre ?
Ces questions importantes ont mobilisé l'attention de nombreuxtravaux centrés par exemple sur la façon dont lesusagers s'orientent dans les gares (Bayart et al., 1997; Dubuisson et al., 1997) ou sur la manière dontles consommateurs circulent dans les hypermarchés (Barrey,2001 ; Lave et al., 1988 ; Dubuisson-Quellier et al.,1999). Gaël Bonnin reprend ici cette réflexion àpartir d'une analyse très méticuleuse de la circulationdes acheteuses dans le rayon textile de quatre magasins. Son enquêtenous montre à quel point l'action marchande ne présupposenullement sa planification ; ou plutôt, l'observation destrajets décrits par les clientes révèle lapossibilité d'une planification ascendante, d'une miseen ordre à partir de la dérive, qui prolonge labelle intuition de March (1988) selon laquelle nos buts et nospréférences émergent de l'activitémême de décision.
Le marché confirme d'autant plus cet enseignement qu'ils'offre par définition comme un espace de circulation,de repérage, d'exploration et d'étrangetéradicale, qui définit à son tour le client commeun promeneur, un voyageur, un découvreur. Cet échangede propriétés entre caractéristiques du marchéet identité du client permet de saisir les ressorts ambigusdu second : tel Ulysse, le client n'est-il pas tirailléentre la nostalgie d'un chez soi (habitus/fidélité)et l'appétit de nouveauté (curiosité/calcul)? Explorer les mouvements de la clientèle pourrait bien,de ce point de vue, nous aider à saisir la pluralitédes motivations de l'acteur social, et donc à prendre encompte d'autres dispositions que les seuls routine ou calcul quefourbissent depuis toujours les sociologies de mondes clos (Cochoy,2001c).

L'amateur et le professionnel
La sociologie du travail nous a beaucoup appris sur les mainset les gestes ; les sociologies du marché et de la "relation de service " nous amènent plutôt àregarder le jeudes visages et des mots : parce que les transactions marchandesappellent la mobilisation et la construction d'un univers de paroleset de références communes (Boltanski & Thévenot,1991), elles reposent très largement sur l'ajustement desfaces et des points de vue. Mais qui sont les instances engagéesdans l'échange ? Les contributions rassemblées icinous apprennent d'abord que l'offre ne se comprend pas sans lademande : la figure du vendeur ou du prestataire définitcelle du client, et inversement, comme le souligne si bien PascalUghetto : " dire ce qu'est le client, c'est surtout direla manière dont il faut agir face à lui et doncce qu'est (ou doit être) le prestataire. La figure du prestataireest inévitablement le double de celle du client ".Cette définition de soi à travers l'évocationd'autrui ne fait que reprendre un mécanisme inhérentà toute construction identitaire (Dubet, 1994), avec unedifférence importante toutefois : alors qu'en anthropologieclassique la construction de soi en rapport à l'autre s'établitsur le mode de l'opposition, la scène marchande a cecid'original qu'elle amène les acteurs de l'offre àse définir par rapport à un étranger qu'ilsdésignent sur le mode de l'empathie.
Pour autant, les deux figures ne sont pas symétriques ;on pourrait dire, pour schématiser, qu'à la figuredu professionnel (comme spécialiste de l'offre) fait facecelle d'un client-amateur (comme expression de la demande). Tandisque l'un ­ le commercial, le vendeur, ou tout autre professionneldu marché ­ consacre tout son temps et toute son énergieà la maîtrise du marché, et même àla gestion d'un marché particulier [Mallard], l'autre ­l'usager, le client, le consommateur ­ ne fait que passer[Bonnin], glisse d'un rayon [Bonnin], d'un prestataire [Cusin; Ughetto] ou d'un marché à l'autre [Ohl], entreet sort du marché, bascule du registre marchand aux registrescivique [Fijalkow], domestique [Barrey], voire clandestin [Roustan].Le face-à-face du professionnel et de l'amateur recouvreainsi d'autres contrastes, tels le clivage entre le sédentaireet le nomade ou bien encore l'opposition entre le généralisteet le spécialiste, autant d'antinomies qui définissentdes compétences et des capacités d'action trèsdifférentes.
Face à un représentant de l'offre professionnel,sédentaire, spécialisé, et " travaillant" son marché à plein temps, le client amateur,mobile, généraliste et engagé dans l'échangeà temps partiel ferait-il le poids ? Paradoxalement, lacontribution d'Alexandre Mallard nous montre que les positionsdu professionnel et du client peuvent atteindre un certain équilibrelorsqu'elles sont, justement, le produit d'un véritabletravail d'équilibrage qui consiste pour le vendeur àse présenter selon les termes mêmes de son client,c'est-à-dire à convertir une relation qui relèvesouvent, au départ, d'unerencontre fragile entre une offre et une demande qui ne se connaissentpas et dont les intérêts sont divergents, enéchanges spontanés, confiants, personnels et (sipossible) durables : " Moi, quand je commence àtravailler avec un client, tu peux être sûr que jel'ai à vie. Je fidélise les clients ".Ce témoignage d'un commercial de France Telecom signaletout l'enjeu du travail marchand, qui s'efforce de transformerle mouvement de marchandisation des choses en entreprise de "domestication " de la clientèle, si l'on veut biendonner à ce terme non seulement le sens d'" intéressement" défini par Callon (1986), mais aussi (et peut-êtresurtout) son sens littéral de familiarisation :dans le temps même où tous les compartiments du mondesocial semblent condamnés à basculer dans le règnede la concurrence et du marché, les professionnels du marchétentent d'abstraire les relations sociales de l'économique,ou plutôt de revenir à l'conomia, aux originesde l'économie comme gestion de l'espace domestique (Polanyi,1983). Le " travail relationnel " qui se déploiesur le marché (Cochoy, 2001b ; [Mallard]) vise bien, pourune large part, à réencastrer les relations marchandesdans un registre " maison ", à situer le rapportde clientèle dans un monde où les acteurs pensentleurs échanges en termes d'appartenance, de communauté,de réciprocité. Cet effort est particulièrementperceptible dans le cas de la banque qui ne cesse d'exploiterses propriétés dérogatoires vis-à-visdu modèle classique du marché : alors que ce dernierest en principe le lieu par excellence de l'anonymat et des transactionsinstantanées, les propriétés du produit bancaire­ le crédit, qui engage les partenaires de l'échangedans un contrat long ­ permet à la banque d'introduireune transaction à la fois durable et personnalisée.Le chargé de clientèle amène ainsi le clientà lui dévoiler son intimité économiquetout comme le médecin obtient de son patient la mise ànu de son intimité corporelle. Il n'est pas étonnant,dans ces conditions, que le client finisse par vivre la relationbancaire sur le registre d'un rapport affectif, possessif et quasiment familialdu client à " sa " banque et à "son banquier " [Cusin].
La domestication du client consiste ainsi, pour le professionnel,à vaincre le frisson de l'anonymat consubstantiel aux relationsde marché en " personnalisant " la relation :il s'agit de " faire connaissance ", de produire des" connaissances sur l'interconnaissance ", et surtoutd'articuler ces deux dernières opérations dans l'espoirnon seulement de pérenniser l'interaction avec tel client,mais aussi de multiplier les relations " réussies" avec d'autres clients " du même type "(grâce à l'usage des bases de données, logiciels,et autres " équipements " de la relation commerciale).En d'autres termes, les différentes figures du " travailrelationnel " que nous décrivent Alexandre Mallardet François Cusin consistent à construire une interactionprofessionnalisée, humaniséeet technicisée , c'est-à-dire à développerdes outils et un savoir-faire de la relation qui visent autantà tirer le meilleur parti de l'asymétrie cognitiveentre le vendeur et l'acheteur qu'à présenter cettemême asymétrie sous les dehors d'un parfait équilibre entrel'un et l'autre (la réussite du second objectif conditionnantle succès du premier).
Si Alexandre Mallard et François Cusin nous permettentde comprendre à quel point le client est le produit d'uneinteraction aussi naturalisée en aval qu'elle est (ou devient)technicisée en amont, Sophie Dubuisson-Quellier nous montrecombien les identités du produit et du client sont en faitindissociables. Souvent, la production-commercialisation supposemoins la mise en scène d'un client coproducteur de l'objet/duservice que la production conjointe, par l'entreprise,du produit et du client qui lui correspond. L'exemple de la conchylicultureest particulièrement éclairant : dans ce secteur,les instances européennes, la grande distribution et lespetits producteurs ont tour à tour subordonné la(re)définition des produits à celle des consommateurs.Pour étendre l'espace de circulation des denrées,l'Europe a construit un produit standard adossé àun client soucieux de sécurité ; pour canaliservers elle une demande de masse, la grande distribution s'est différenciéeen créant simultanément un produit et un clienttous deux attachés à une appellation d'origine ;pour tenter d'exister entre contraintes européennes etconcurrence des grandes surfaces, de petits producteurs ont enfinproposé une stratégie alternative liant le modede production des coquillages et la figure d'un client orientévers les propriétés organoleptiques des produits.Chaque fois, la logique concurrentielle conduit ainsi les acteursà chercher ailleurs que dans le produit lui-mêmeles signes de la différenciation (sécurité,origine, goût/mode de production), et contribue par conséquentà l'éducation mais aussi à la productiondu consommateur et de ses différentes figures. On comprendainsi que le produit, sur le marché, n'est plus forcémentcelui qu'on croit : aujourd'hui les producteurs travaillent autantle consommateur que la chose qu'ils lui vendent ; la vente desproduits sur les marchés de masse suppose de plus en plusla construction simultanée de leurs clientèles.

Un marché de figures
Plus généralement, le client et ses figuressont l'objet d'un incessant travail de configuration, de représentationet de catégorisation. Ce travail commence discrètementpar exemple lorsque les standardistes de France Telecom, en s'efforçantd' " aiguiller " les appels des clients vers les numérosadéquats, contribuent non seulement à " mettrele client à sa place ", mais aussi à construire/mobiliserimplicitement le portrait de celui que l'on cherche à orienter[Mallard] ; ce travail se poursuit bien sûr au travers desoutils de catégorisation et de figuration qui, de FranceTelecom [Mallard] à la RATP [Lévy], de la banque[Cusin ; Ughetto] à la grande distribution [Barrey], s'efforcentde produire des représentations synthétiques àpartir des informations extraordinairement foisonnantes et complexesque les professionnels recueillent sur leurs clientèles(via les questionnaires, bases de données, réclamations,etc.). Enfin, ce travail parvient à gagner l'ensemble dumarché avec l'action des professionnels de la gestion etdu conseil qui, en produisant un discours continu sur les clientèles,finissent par obtenir la "performation"des notions qu'ils mobilisent, fabriquent et manipulent.
Comme le montre Pascal Ughetto à partir du secteur bancaire," c'est sur la base d'une figure du client socialementconstruite que les acteurs des entreprises élaborent leursplans d'action et leurs pratiques. L'idée de figure duclient sous-entend que les représentations àpartir desquelles ceux-ci agissent se trouvent fortement structurées,en amont, par un travail d'élaboration d'une représentationde cette réalité jugée fondamentale qu'estle client ". Fabien Ohl généralise cetenseignement, en montrant à quel point les discours "socio-marketing " font proliférer les figures du consommateur­ tour à tour " cocooner ", " zappeur", membre d'une " tribu " ou " bobo ".Cette prolifération de figures oriente alors les représentationsde l'offre comme celles de la demande, montrant ainsi le paradoxede consommateurs définis par la presse, par le management,par les sciences sociales, voire par les mouvements citoyens ouconsuméristes, mais assez peu par les principaux intéressés,sinon à l'occasion de rares moments de protestation (cf.infra) ou, plus fréquemment, lorsqu'ils finissent pars'identifier à ces portraits d'eux-mêmes construitsen dehors d'eux.
Derrière la représentation du marché on discerneainsi l'avènement d'un véritable marché desreprésentations dont les enjeux méritent d'êtreidentifiés et soulignés. Comme le souligne FabienOhl, la figuration d'un client " zappeur " ou "cocooner " consiste à définir le sujet socialnon plus par son enracinement dans la production, mais par sonattachement à un " style de consommation ". Ondécouvre alors la contribution décisive du marchéà l'incessante catégorisation du social : aux appartenancestrès stables que définissent les variables classiquesancrées dans les propriétés biologiques (sexeet âge) ou productives des personnes (diplôme, CSP,revenu), s'opposent les affiliations très mouvantes etinventives que propose l'univers consommatif (marques, segmentsde clientèle, groupes d'usagers, styles de vie). Ainsiet selon Fabien Ohl, les nouveaux repères identitairesfondés sur les pratiques de consommation finiraient parconcurrencer, voire menacer, les anciennes référencesproductives : " La figure du consommateur semble défaireles autres identités et fonctionne comme complémentidéal d'une démocratie régulée essentiellementpar le marché ".
Il y aurait peut-être, dans cette évolution, le moyend'éclairer le trouble croissant qui s'empare des sociologuesface à ces acteurs " récalcitrants " (Latour,1998) qui se laissent de moins en moins enfermer dans les théorieset les catégories que l'on a forgées pour eux etqui, plongés dans plusieurs mondes (Boltanski, Thévenot1991), confrontés à une pluralité de situations(Lahire, 1998), tiraillés entre plusieurs logiques d'action(Dubet, 1994), nous amènent
à nous déprendredes approches centrées sur les catégorisations etles variables a priori (Lahire, 1996)pour au contraire accepter leur propre manière de décrirele monde et de s'y situer (Callon, 2001). La proliférationdes taxinomies marchandes, en introduisant une concurrence desdéfinitions de soi, amène chacun à se construireau carrefour d'une multitude d'appartenances officielles et officieuses,publiques et privées, telles la profession ou l'habitat,mais aussi le segment de clientèle auquel on appartient[Cusin ; Ughetto], la catégorie de produits que l'on consomme[Dubuisson-Quellier], les services téléphoniquesqu'on utilise [Fijalkow ; Mallard], etc. Alors qu'il y a peu detemps l'enracinement social commandait encore l'usage des produits(Bourdieu, 1979), on peut se demander si ce n'est pas autour duproduit que se jouent désormais les nouvelles identificationscollectives et personnelles [Dubuisson-Quellier].

Une figure fuyante
Derrière cette reprise du processus de " désencastrement" de l'économique vis-à-vis du social dontparlait Polanyi, on discerne toute l'ambivalence de la "récalcitrance " d'un client qui trouve dans l'extensiondu marché les moyens non seulement de se libérerdes anciennes appartenances mais aussi, contre toute attente,de gagner des marges de manuvre vis-à-vis de ces professionnelsde l'offre qui s'efforcent pourtant de le redéfinir chaquejour. Certes et a priori, le combat est inégal,comme le montre bien l'important décalage qui se fait jourentre " ce que se figure le client " et la façondont l'offre le représente et le construit. Par exemple,les représentations et les compétences économiquesplutôt approximatives du client bancaire [Cusin] sont trèséloignées de ce client compétent, informé,opportuniste, calculateur et versatile qu'agitent les promoteursde la banque électronique afin de promouvoir une relationbancaire technicisée, appuyée d'une part sur lamobilisation de points de contacts " technologiques "tels les sites Internet, les centres d'appels, les serveurs vocaux,et d'autre part sur des outils d'informatisation de l'échangecommercial comme le datamining ou le scoring. Maisjustement, ce décalage entre compétences réelleset compétences supposées du client désigneles limites de la technicisation, de la figuration mécaniquedes profils de clientèle, et la nécessaire poursuited'une interaction entre le chargé de clientèle etson client plus incertaine, mais aussi plus humaine et chaleureuse[Cusin ; Ughetto].
À la limite, on pourrait se demander si le client décalévis-à-vis des figurations de l'offre ne serait pas capablede prolonger cette première prise en distance en s'extirpantdu marché, en quittant les faux semblants du jeu économiquestandard entre l'offre et la demande pour rechercher un rapportalternatif et/ou plus authentique aux choses, bref si le sujetéconomique moderne pourrait refuser l'identité declient. C'est cette question qu'examine Mélanie Roustan,en mobilisant la thématique du client sur un terrain dontcet acteur est a priori exclu. Le terrain choisi ­la consommation du cannabis ­ relève en effet d'uneéconomie souterraine par définition trèséloignée des " surfaces " commerciales(grandes ou petites !) que fréquentent les " clientsde base ", et désigne une forme d'échange communautaireet clandestine par nature très différente de larelation commerciale ordinaire. Précisément : endélaissant l'économie souterraine du cannabis pours'interroger au contraire sur la tension qui relie ce produitaux figures de l'échange standard, l'auteur se donne lesmoyens de faire émerger une pluralité de figuresqu'une approche plus classique aurait sans doute rendues moinsperceptibles. On découvre ainsi qu'en matière decannabis la figure du client sert à la fois de repoussoiret de repère identitaire aux amateurs de joints : ces derniersdiffractent l'image du simple client en " client-outsider" dans le cas du " deal de rue ", en " client-ami" dans le cas de la vente pyramidale ou en " client-pair" dans le cas de la " dépanne ". Cet acteur-clientauquel on ne saurait s'identifier tout à fait permet ainside baliser les frontières d'un espace de consommation nonmarchandisé, via la mobilisation de l'opposition classiqueentre " eux " (les clients) et " nous " (lesnon-clients, ou les clients-non standard).
Cependant, la nécessaire préhension du cannabissur un registre monétaire finit par " clientéliser" ces relations alternatives que les fumeurs voudraient garderdans un pur registre de convivialité alternative et communautaire.Parce qu'il s'agit d'un produit irréductiblement venduet tarifé, le cannabis brûle les mains : il marque,comme la pomme jadis, la fin de l'innocence (la sortie des paradisartificiels !), il fait entrer ses adeptes dans la spirale dumarché, là même où ces derniers voyaienten lui le moyen d'en sortir, bref il transforme le fumeur en "client malgré lui " (cf. ce bel aveu recueillipar l'auteur : " si c'est des amis, t'as pas envie qu'ilspensent que tu vas les voir pour ça, ce service [i.e.se procurer un joint, bref se présenter comme client] ").On découvre ainsi qu'il est bien difficile de lutter contrela consommation (standard) par la consommation (alternative),dans la mesure où la consommation alternative convoquesans arrêt les référentiels de l'échangestandard, qu'on mobilise ces référentiels pour circonscrirele monde que l'on refuse ou pour désigner au contraireun univers auquel on aspire, avec le rêve d'une sortie dela clandestinité, d'une libéralisation et d'unereconnaissance, d'une meilleure accessibilité du produitet de garanties en matière de qualité. Les questionssur lesquelles l'auteur clôt son parcours sont de ce pointde vue riches d'enseignements : en s'interrogeant sur la possibilitéde " choisir d'être ou de ne pas être client", elle en vient à se demander si " la figuredu "non-client" " ne serait pas finalement "une figure du client parmi d'autres " ; Mélanie Roustannous permet ainsi de comprendre combien il est difficile d'échapperau marché et aux identités qu'il nous contraintd'endosser, fût-ce sous la forme d'une dénégationbien souvent illusoire.

Une figure duplice et méconnue
Si les personnes ont bien du mal à échapperau marché et à l'identité de client, et siles clients, comme nous l'avons vu, n'ont pas toujours les compétencesqu'on leur prête, faut-il pour autant conclure que le clientne peut rien sur ­ ou contre ­ le marché ? Tellessont les questions qu'abordent les contributions complémentairesde Sandrine Barrey et Ygal Fijalkow. Tandis que l'une explore,à partir de lettres de réclamation privéesadressées à une grande surface, les habiletésargumentatives des clients mécontents, le second étudie,au travers des protestations exprimées publiquement surle web par les internautes en grève contre France Telecom,les modalités ambiguës d'un consumérisme quioscille entre références marchandes et préoccupationscitoyennes.
En organisant en 1998 un boycott du prestataire public de télécommunicationspour ses tarifs jugés inadaptés à l'usaged'Internet, les utilisateurs du service auraient d'abord montréla capacité de tout client-usager à " prendrela parole ", à ne pas se laisser enfermer dans lesfigures tracées pour eux par un opérateur embrassantla logique du marché. Mais Ygal Fijalkow nous montre qu'ilsfont beaucoup plus que cela : l'étude systématiqueet approfondie des messages laissés sur le web lors decette action montre à quel point les acteurs de la demandesont capables de se couler dans les portraits contradictoiresqu'on leur tend, pour ensuite opposer, combiner et reconstruireces mêmes portraits, peut-être dans l'espoir de gagnersur tous les tableaux. Nous avions souligné plus haut àquel point la faiblesse des acteurs de la demande résidaitdans leur identité d'" amateur généralistes" face à des représentants de l'offre plusprofessionnels et spécialisés. Ygal Fijalkow nousmontre comment les mêmes acteurs parviennent, tel Davidcontre Goliath, à retourner cette faiblesse en vertu. Toujoursmoins compétents que l'offre pour un produit donné,les utilisateurs ont en effet l'avantage de partager une pluralitéd'expériences à la fois marchandes et citoyennes.Partant, ils peuvent réinvestir les figures dans lesquelleschaque secteur de l'offre croyait avoir enfermé sa demande­ client ici, usager ailleurs ­ comme autant de ressourcespour obtenir satisfaction. En effet, pour amener France Telecomà réviser sa politique tarifaire, les internauteséchangent, tel Jupiter et Amphitryon, les figures du clientet de l'usager, témoignant ainsi d'une redoutable capacitéà argumenter tous azimuts, à mêler argumentsde gauche (égalité, solidarité, justice)et de droite (liberté de choix, lourdeur bureaucratique,arrogance des monopoles publics, privilèges des fonctionnaires),à invoquer le service public pour défendre leurintérêt privé et à convoquer la concurrencepour obtenir un sursaut du service public. Le même schémase retrouve aussi du côté des clients du secteurbancaire, qui regrettent à la fois que les banques ne soientpas (ou plus) un service public et qu'elles ne se conduisent pasvraiment comme des entreprises privées [Cusin]. Face àcette vertigineuse combinaison des registres de justification,face à l'étonnante " réversibilité" des identités citoyenne et marchande, il sembleque le spécialiste de sciences sociales ait bien du malà y voir clair, à savoir à coup sûrsi l'on se trouve en présence d'un attachement sincèreaux valeurs du service public ou à l'instrumentation deces valeurs à des fins personnelles, et s'il est donc encorebien raisonnable de maintenir le cloisonnement qui règneencore entre les approches de la " relation de service "et les sociologies du " travail marchand ".
Le travail de Sandrine Barrey invite à un tel rapprochement.Le corpus de lettres qu'elle étudie a pour particularitéde nous placer face à une voice purement bilatéraleet privée : les réclamations adressées auservice consommateur de la grande surface Cityshop se confinentsagement dans le cadre d'un " tête-à-tête" à huis-clos entre le plaignant et l'enseigne. Cefaisant, ces réclamations définissent une formede protestation qui ne se confond ni avec la revendication politiqueni avec le repli sur soi. Cette expression met en jeu des compétencestrès particulières : l'étude quantitativeet qualitative des modalités d'argumentation déployéesdans ces lettres montre à quel point les clients mécontentsfont preuve d'une véritable capacité relationnellequi consiste à aller au-delà du seul produit incriminé,à le replacer dans le contexte de ses conditions d'utilisation,pour ensuite révéler l'incidence sociale de sesdéfauts, tels les sentiments d'humiliation et de fauteressentis lors d'un repas préparé avec un produitdéfectueux, le risque encouru par les proches, etc.
Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991) nous avaient rappeléà quel point l'accord marchand repose sur la capacitédes acteurs à adopter la position du " spectateurimpartial ", c'est-à-dire à embrasser le pointde vue d'autrui, à mobiliser l'ordre de référencecommun dont dépend la possibilité même dela transaction. Sandrine Barrey nous apprend ici que les acteurssont aussi capables d'exiger cette position de " spectateurimpartial " de leur vis-à-vis : ils demandent au distributeurde revêtir à son tour la figure du client, sur leregistre empathique du " mettez-vous à ma place,qu'auriez-vous pensé ou fait si vous aviez vécuma propre mésaventure ? ". On découvreainsi, chemin faisant, que la réversibilité latéraledes figures marchande et citoyenne mise au jour par Ygal Fijalkow(échange des identités d'usager et de client) sedouble ici d'une réversibilité plus verticale quiplaide pour une éventuelle permutation des positions deprestataire et d'utilisateur.
Pourtant, cette dernière réversibilité sembleinachevée. La mise au jour de consommateurs compétents,capables de faire appel à une commune humanité,de mettre les produits en scène pour montrer combien leursdéfauts matériels infligent des préjudicesnon seulement personnels, mais aussi moraux et sociaux, soulignepar contraste l'incapacité des dispositifs de réclamationà saisir toute l'étendue de cette compétence.Certes, nombre de réclamations enclenchent une réponse,mais un examen attentif révèle combien la réponseapportée méconnaît la question qui la fonde: les services consommateurs chargés d'instruire les plaintespersonnelles et argumentées des clients leur apportenten fait des réponses standardisées sous formes dechèques plus que de paroles. Comme le dit si bien SandrineBarrey, " l'"argument" du dédommagementfinancier vient clore l'échange en considérant larelation de service non comme "interaction", mais comme"réparation" ". En quelque sorte, forceest de reconnaître que le one-to-one qui se déploiedu côté des stratégies marketing [Ughetto]est encore balbutiant du côté du service aprèsvente : l'offre d'arrangement amiable prévaut sur une demanded'interaction plus aimable ; si les clients sont pris en comptedans les discours et dans les dispositifs, les dispositifs semblentinaptes à relier compétence des clients et discoursdu prestataire.

Une ascension bloquée ?
Un tel constat nous amène à revenir ­ avec l'aide d'EmmanuelleLévy ­ sur l'articulation problématique desfigures du client, cette fois au double sens de figure de rhétorique(utilisée par le management) et de figure de chair (opposéepar la clientèle). En sciences sociales, le client a surtoutété évoqué pour douter de son existence: comme l'a superbement démontré Jean-Philippe Neuville(1999), le client est avant tout un être de fiction, unargument brandi par le management pour se faire obéir,d'après une idée aussi simple qu'efficace : lessubordonnés acceptent davantage le langage d'un acteurdont ils partagent l'identité (à la ville) que celuid'un chef aux antipodes de leurs intérêts (dans l'atelier/aubureau). Et Neuville d'éventer le stratagème, enisolant une scène où subordonnés et chefargumentent tous deux au nom du client : dans un tel cas, on découvreà quel point le client du chef, tel les kilos de plombdans l'esprit des enfants, pèse beaucoup plus lourd quele client du subordonné ­ le kilo de plume. Pourtant,tout ce que nous avons vu jusqu'ici cadre mal avec un tel schéma: comment concilier inexistence du client (rhétorique)et prolifération des clients (empiriques) ? Comment s'articulentles clients de papier que construisent les professionnels du marché[Dubuisson-Quellier ; Mallard ; Ohl] et de la gestion [Lévy; Cusin ; Ughetto] et les clients qui circulent [Bonnin], quiachètent et/ou qui consomment [Roustan], qui protestent[Fijalkow] et/ou qui réclament [Barrey] ? Les clients réelss'invitent-ils dans le face-à-face hiérarchiquequi les convoque, viennent-ils troubler la rhétorique,instrumenter véritablement la gestion ?
La contribution d'Emmanuelle Lévy permet d'éclairerce genre de questions. Emmanuelle Lévy confirme et approfonditle constat de surdité relative du management au discoursdu client réel [Barrey] en tentant d'évaluer, àpartir d'un cas précis, ces politiques de " modernisation[des organisations] par l'usager " et/ou de " pilotagepar le bas " qui, ces dernières années,semblent avoir motivé l'enthousiasme tant des servicespublics en quête de réforme que des sciences socialesréformatrices (Weller, 1998). L'auteur se demande si cespolitiques sont parvenues à leur fins ­ " produiremieux " mais aussi " produire autrement ". Alorsque les analystes se sont surtout centrés sur le premierterme (privilégier les bienfaits supposés, pourles usagers, d'une gestion " ascendante " de la relationde service), Emmanuelle Lévy propose de mettre l'accentsur le second, de montrer que " l'usager fin " a souventeu tendance à devenir un " usager moyen ", c'est-à-direun argument de changement organisationnel. Elle nous invite ainsià délaisser la surface de l'interaction entre l'agentet l'usager pour remonter au contraire dans l'épaisseurde l'organisation. La démarche proposée consisteà examiner empiriquement ­ à partir d'une étudelongitudinale des outils et des schémas de gestion développésà la RATP ­ la réalité de cette ascensionorganisationnelle de l'acteur-client qui, jusqu'à présent,a davantage été postulée qu'étudiée.Ce programme de recherche nous semble avoir (au moins) deux vertus.
La première consiste à rappeler que l'approche clientse situe au carrefour de l'ouverture (politique) des servicespublics à la concurrence, mais aussi de l'inscription (technique)d'outils de gestion privée dans le cadre du managementpublic. D'un côté, l'intrusion croissante du client(rhétorique) dans l'administration des services publicsest très exactement proportionnelle à la fuite desusagers (empiriques) vers la concurrence : c'est bien la fin dela captivité qui motive la mise en uvre de stratégiesde " captation " des clientèles (Cochoy, 2001c),c'est bien la transformation de l'usager captif des anciens monopolesen consommateur doté de possibilités de choix quisuscite l'émergence de l'acteur-client, comme le montrent l'histoire de la RATP,mais aussi celle des secteurs des télécommunications[Fijalkow] ou de la banque [Cusin, Ughetto], voire les déboiresd'un (ex-)ministre soucieux de mettre " l'élèveau centre " des réformes de l'Education nationaleou les difficultés de la SNCF à imposer une projetde réorganisation nommé " cap client ".Mais d'un autre côté, cette même montéeen puissance de politiques ancrées sur la représentationdu client repose symétriquement et simultanémentsur la disponibilité d'outils de gestion ad hoc.L'irruption du client dans les organisations publiques relèveautant de choix politiques que d'innovations techniques ou, pourle dire en d'autres termes, ces politiques de modernisation qued'aucuns se plaisent à présenter comme l'expressiond'un pur engagement néo-libéral sont aussi le résultatde la migration, dans les entreprises publiques, d'outils sophistiquésde représentation, de catégorisation et de gestionde la demande hérités du marketing social (Cochoy,1999a) et de la normalisation industrielle (Cochoy, 1999b), telsles enquêtes de satisfaction, les techniques de segmentation,les référentiels d'assurance qualité,etc.­ autant d'équipements des relations de marchéqui permettent de faire émerger une pluralité deprofils là où régnait auparavant la figureà la fois rassurante, consensuelle mais aussi assez frustede " l'usager moyen ".
On en arrive ainsi à la deuxième vertu de l'étuded'Emmanuelle Lévy, qui consiste à nous montrer defaçon précise comment ces outils travaillent àla fois la figure du consommateur et les contours de l'organisation.D'une part, nous apprenons que l'usage du client comme figurede rhétorique n'est nullement exclusif, et même toutau contraire, de la mise en uvre d'outils tangibles permettantd'assurer sa figuration. À la RATP, non seulement ces outilsexistent, mais ils foisonnent ; ce sont, pêle-mêle,des courriers d'information ou de plainte émanant d'acteursinstitutionnels, d'associations ou de particuliers, des enquêtesportant sur le trafic, l'image de l'entreprise, ou la satisfactiondes usagers, etc. D'autre part, nous découvrons aussi quela rhétorique du client alimente des transformations organisationnellesbien réelles, dont témoignent la réductiondrastique des lignes hiérarchiques (de 7 à 3 échelons)opérée entre 1989 et 1994 à la RATP au nomd'un nécessaire rapprochement entre l'entreprise et sesusagers, ou bien encore, à partir de 1992, la mise en uvred'outils de management de la qualité justifiée parl'améliorationdu service due aux voyageurs.
Que penser de telles transformations qui se retrouvent d'ailleursdans bien d'autres terrains et questionnements [Barrey ; Cusin; Dubuisson-Quellier ; Mallard ; Ohl ; Ughetto] ? D'un côté,la mobilisation croissante, par les organisations, d'outils deremontée d'information témoigne d'une réflexivitéétonnante, d'une ouverture des organisations à lacritique ou à l'autocritique (Boltanski, Chiappello, 1999).L'orientation client est dans une large mesure un signe de maturitédes acteurs sociaux qui passent par le regard de l'autre pourse regarder eux-mêmes. Mais d'un autre côté,ce mouvement semble inachevé, dévié, bloqué: de même que les professionnels de la distribution n'écoutentpas vraiment ces consommateurs dont ils recueillent et traitentpourtant les doléances [Barrey], les acteurs de la RATPne sont pas forcément réceptifs aux dispositifsde figuration des clients qu'ils mettent en uvre [Lévy].De tels mystères ne s'éclairent qu'au terme d'uneanalyse organisationnelle fine, qui montre d'une part que lesprofessionnels au contact du marché ne disposent pas forcémentde tous les moyens et de tous les appuis nécessaires pour" servir " au mieux leurs clients (en externe) et faire" valoir " ces mêmes clients plus en amont del'organisation (en interne), et d'autre part que " le"plus d'usager" rhétorique se traduit par uneplus grande rationalisation des processus de production, voirepar un renforcement des outils de gestion existants, créantainsi une sorte de fossé entre les deux " [Lévy].On retrouve ici un paradoxe aussi important qu'étonnant: l'ouverture de la gestion au client, loin de diluer l'organisationdans l'espace du marché comme on le croit trop souvent,contribue au contraire à distinguer les deux espaces, àaccuser leurs spécificités, voire à compromettreleurs chances de dialogue (Cochoy, Neuville, 2000).

Des figures du client aux politiquesdu marché
En définitive, les quelquesesquisses du client et de ses multiples figures rassembléesici nous apprennent que l'organisation résiste autant auclient que le client résiste à l'organisation. Lesefforts considérables de figuration de la demande qui s'observentdu secteur privé au secteur public contribuent àla fois (en interne) à transformer les pratiques de gestion,en adossant l'exercice de l'autorité au nouveau principede légitimité du respect que chacun doit àl'acteur-client, et à faire proliférer (en externe)des figures et des " contre-figures " du client, dontla maîtrise constitue désormais un enjeu crucial[Dubuisson-Quellier, Ughetto], pour des raisons tant économiquesque politiques.
Pour l'instant, force est de reconnaître que cette maîtriseest surtout ­ même de façon malhabile et partielle­ une compétence de l'offre, qui définit àsa guise la " politique du marché ", si l'onveut bien entendre cette expression comme " gestion des relationsavec la clientèle ". Dans ce cadre, l'un des enjeuxde la sociologie économique consiste à mettre aujour l'importante division du travail cognitif qui ne cesse des'approfondir entre l'offre et la demande : plus les uns calculent,rationalisent, anticipent, gèrent, formatent, plus lesautres papillonnent [Bonnin], se laissent guider par les dispositifsdu " prêt-à-choisir " (Cochoy, 1999c),s'abandonnent aux identités et aux appartenances que tracentpour eux les professionnels du marché [Cusin ; Dubuisson-Quellier; Ohl ; Mallard ; Ughetto]. Cette distribution asymétriquedes capacités d'action ­ calcul et rationalité(plutôt) du côté de l'offre, routine et fantaisie(surtout) du côté de la demande ­ se trouve encouragéepar les caractères " amateur " des clients et" professionnel " de l'offre : parce qu'ils ne viennentau marché que de façon intermittente et marginale,parce qu'ils consacrent tout le reste de leur temps à lavie domestique ou productive, les clients trouvent souvent rationnelde ne pas être (directement) rationnels, de confier l'exercice de leur cognitionà tous ceux qui font profession de les assister dans leurschoix (Cochoy, 2002).
Pourtant, le jeu même de l'offre et de la demande définitun autre sens de la " politique du marché ",entendu cette fois comme politisation, comme expression non seulementde la récalcitrance des acteurs à se reconnaîtretout à fait dans les miroirs qu'on leur tend, mais aussiet paradoxalement des stratégies industrielles elles-mêmesqui, en accueillant le client, s'ouvrent aussi (et de plus enplus) au citoyen. On pourrait citer, ici, les protestations directesdes consommateurs, que ce soit sous une forme singulièreet privée [Barrey] ou collective et publique [Fijalkow]; on pourrait évoquer la subversion aussi médiatiquequ'astucieuse du dispositif de personnalisation des chaussuresNike tentée par Jonah Peretti (2001), cet étudiantqui a commandé en ligne une paire de baskets griffées"Nike sweatshop"; on pourrait mentionner la multiplication des forums hybridesqui donnent enfin la parole aux profanes (Callon, al., 2001),l'avènementdu consumérisme politique qui plaide pour la politisationdes produits et "l'empowerement"des consommateurs (Micheletti, à paraître)...On devrait aussi ­ surtout ? ­ mentionner la récupérationparadoxale de cette même critique par les professionnelsde l'offre qui, en promouvant le commerce équitable, lescodes de conduite ou la " normalisation sociale ", tententde transformer les enjeux sociaux et politiques en outils de différenciationcommerciale (Cochoy, 2001b). Tous ces exemples nous le montrent: si l'émergence des figures du client pose la questionde la politique du marché ­ définissant au passageun nouveau champ de recherche ­ le sens qu'il convient dedonner à cette dernière expression repose tout entiersur l'engagement des acteurs, sur leur capacité àtirer les leçons du marché.
©Sciences de la Société n° 56 - mai 2002


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Fabien Ohl, Laconstruction sociale des figures du consommateur et du client

Résumé
Le consommateuret le client sont devenus des figures de référencede nos sociétés alors que les figures plus traditionnellesdu travailleur et de l'ouvrier sont reléguées àun second rang. L'article se propose de montrer que cette présencen'est pas contingente et n'est pas liée à l'abondancedes situations de consommation. Le recours croissant aux figuresdu client et du consommateur résulte d'un travail collectifde production auquel les mouvements consuméristes, lesinstitutions politiques, les médias et les experts du «socio-marketing » contribuent. Mais le consommateur et leclient occupent aussi une place croissante dans les recherchessociologiques ; cela impose donc de traiter de la question dela participation de l'analyse sociologique au travail de production
de ces figures.

Mots-clés: client,consommateur, sociologie, marketing, consumérisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Gaël Bonnin,Des instrumentalistes aux chineuses,quatre figures de la mobilité en magasin

Résumé
Alors quede nombreux travaux en distribution ont mis au jour des figuresde l'activité de magasinage (magasinage utilitaire versusmagasinage de loisir) et des figures d'espaces commerciaux (espacesde ravitaillement versus espaces de loisir), la connaissance descomportements physiques en magasin se réduit à unequantification de l'interaction avec les produits et àune interprétation fonctionnaliste. Cet article relateles résultats d'une étude menée dans un doubleobjectif : identifier des figures moins réductrices descomportements en magasin et explorer le sens des figures repérées.Quatre figures de mobilité ont été distinguées.Il semble qu'elles peuvent être interprétéescomme des créations par les consommatrices de types d'expériencede magasinage.

Mots-clés: magasins,comportement physique, observation, distribution, shopping

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Alexandre Mallard, Les nouvelles technologies dans le travail relationnel.Vers un traitement plus personnalisé de la figure du client?

Résumé
Les technologies de l'information etde la communication tendent à transformer la prise en chargede la figure du client dans les organisations. Cet article présenteune étude de cas concernant des vendeurs itinérantsde France Télécom, qui interroge la façondont des innovations récentes (en matière de téléphoniemobile, de centre d'appels, d'informatique de connaissance client)sont mobilisées dans des activités ordinaires deprise de contact client-fournisseur. Il suggère que pardelà leur capacité à adapter l'offre àun client dont elles permettraient de dresser un portrait plusfin, les nouvelles technologies contribuent à la personnalisationdu lien commercial, de par un équipement spécifique
du travail relationnel.

Mots-clés : relationcommerciale, pratiques de communication, France Télécom,NTIC, téléphone.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Sophie Dubuisson-Quellier, Qualitésde produit et figures du consommateur. Manières de produireet de vendre en conchyliculture

Résumé
Les acteursde l'offre déploient une énergie conséquenteà redéfinir en permanence la figure du consommateurde tel ou tel produit. Les figures du client, loin d'êtrestatiques, évoluent ainsi de façon dynamique àtravers les micro-ajustements permanents entre les produits etles consommateurs qui se jouent sur les marchés. Par unfort pouvoir de marché, les enseignes de la grande distributionalimentaire ont obligé les acteurs de l'amont àcomposer avec des figures du client stabilisées. Malgrétout, cela ne signifie pas que d'autres figures du consommateur,alternatives au modèle dominant n'existent pas ailleurs.Il paraît intéressant de voir comment peuvent seconstituer des figures alternatives du consommateur dans des espacesde production qui ne sont pas totalement coupés des circuitsde la grande distribution. Nous décrirons plus particulièrementle cas de la production et de la mise en marché des coquillagesfrais.

Mots-clés: grande distribution, marchés, coquillages, consommateurs,qualité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Pascal Ughetto, Figuresdu client, figures du prestataire

Résumé
Les entreprisessont de plus en plus nombreuses à développer une« orientation client ». Une telle orientation reposecependant sur une représentation du client, de ses attentes,de son comportement, etc. Certains médiateurs peuvent intervenirdans la construction d'une telle représentation. Àpartir d'un examen de la presse professionnelle bancaire, quis'attache à jouer le rôle d'un tel médiateur,l'article s'intéresse à ce travail d'élaborationd'une figure du client à destination du management. Ils'agit de montrer que ce travail implique, en contrepartie, laconstruction d'une figure du professionnel capable de satisfairece client, c'est-à-dire une représentation du prestataireque l'on souhaiterait idéalement
faire advenir.

Mots-clés: banque,client, Internet, professionnels, service

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
François Cusin, Lesfigures du client bancaire moderne et ses relations paradoxalesà la banque

Résumé
Le marchéde la banque aux particuliers a connu d'importantes transformationsdepuis une vingtaine d'années. Partant de ce constat, cetarticle vise à comprendre pourquoi, en dépit dessignes d'émergence du « consumérisme financier», la fidélité à sa banque demeurela règle, et pourquoi, au milieu même de cette «loyauté », les clients manifestent des attitudestrès souvent paradoxales à l'égard des banques(mélange de confiance, méfiance et dé-fiance).L'analyse d'une enquête qualitative permet de saisir lesreprésentations individuelles et sociales de la banqueet de souligner la pluralité des registres impliqués(intérêts, affects, cognitions, normes, valeurs).Elle conduit à la fois à faire éclater l'imageunifiée de la figure du client et à distinguer plusieursdimensions fondamentales de la relation à la banque, selonque la banque est envisagée sous l'angle d'un système,d'une activité, d'une institution ou d'une relation interpersonnelle.L'étude insiste sur le caractère central pour lesménages de la relation bancaire ­au-delà dela « simple » relation marchande­, tant du pointde vue de leur intégration économique que de leurintégration sociale.

Mots-clés: argent, banque, client, confiance, fidélité,relation marchande, représentations, sociologie économique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Mélanie Roustan, Du client polymorphe à la figure du "non-client".Ambiguïtés autour des transactions de cannabis

Résumé
Les pratiqueset représentations associées à l'acquisitionde cannabis, au-delà de leur intérêt ethnographique,servent d'analyseurs des mécanismes liés àl'acte d'achat en général. Après une rapidedescription du marché final du cannabis, une discussionest engagée autour de la qualification de l'acheteur decannabis en client. D'un côté, les formes de la transaction(modes d'approvisionnement) produisent une figures du client polymorphe; de l'autre, les acheteurs eux-mêmes produisent en miroirune figure du non-client (pas de client sans « vrai »vendeur et sans « vraie » marchandise).

Mots-clés: cannabis,marché, marchandisation, client, consommateur, échanges.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Ygal Fijalkow, Les visages réversibles de l'usager et duconsommateur. Ce que nous apprend la grève des internautes

Résumé
On s'interroge sur les rapportsproblématiques entre les figures de l'usager et du consom-mateurqui se font jour à l'occasion de l'ouverture à laconcurrence, de la dérèglementation, de la privatisationpartielle, et de la marchandisation de l'offre des services publics.La grève des internautes de l'entreprise France Télécoms'offre comme un terrain privilégié pour étudierla transformation de l'usager en consommateur et ses ambiguïtés.L'analyse de l'enquête réalisée révèleainsi la compétence des grévistes à combinerun registre de justifications marchand et civique et àle rendre réversible, ce qui finit paradoxalement par consoliderles deux figures, et par reconstruire l'usager quand on croyaitl'avoir définitivement transformé en consommateur.

Mots-clés : usager, consommateur, service public,ouverture à la concurrence, dérèglementation,privatisation, marchandisation, grève, Internet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Sandrine Barrey, Les grimaces du client. Des figures du consumérismeaux figures du consommateur "écrivain"

Résumé
Cet article porte sur un corpusde lettres parvenues au Service consommateurs d'une enseigne dedistribution alimentaire et interroge les formes de consumérismeengagées par leurs auteurs lorsqu'ils décident de« prendre la plume » pour « prendre la parole». L'analyse statistique du corpus permet d'abord de «photographier » les différents profils du «client écrivain ». En discutant ces premiers résultatsau regard de la littérature sur le consumérisme,l'auteur s'écarte des catégories préconstruites-consommateur politique/consommateur marchand, etc.- afin de regarderdans le détail les manoeuvres mobilisées par lesclients pour obtenir réparation des préjudices subis.L'ouverture de la boîte noire du consumérisme permetin fine d'évaluer le traitement de ces courriers par lesservices destinataires.

Mots-clés : consumérisme, lettres consommateurs,Service consommateurs, grande distribution

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Emmanuelle Lévy, L'usager est-il soluble dans l'organisation ?

Résumé
« Usagers » ou «clients », les destinataires de produits ou de servicessont désormais considérés comme des acteursà part entière des processus de production. A cetitre, ils ont acquis une place de choix dans les discours modernisateurset ont inspiré de nouvelles pratiques managériales.Pour évaluer les impacts effectifs de ces transformations,et sur la base d'une recherche empirique conduite sur le réseauBus de la ratp, nous sommes partie sur les traces des usagersdans l'organisation, nous en avons traqué les représentations,les figures et les empreintes matérielles à troismoments du processus de production : dans la conception de l'offrede transport ; dans la production ; dans l'évaluation.L'article conclut à un « changement paradoxal »où le « plus d'usager » rhétorique setraduit en définitive par une plus grande rationalisationdu processus de production qui fait peser sur les agents de l'interfacel'essentiel de la modernisation visée.

Mots-clés : service public, modernisation, coproduction,relation de service, usager, client, figures, représentations,qualité de service, outils de gestion.