SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ - N° 56 -mai
2002
Lesfigures
sociales du client
Dossiercoordonné
par Franck Cochoy, Univ. Toulouse-Le Mirail
Franck Cochoy,Figures du client, leçonsdu
marché(Texteintégral)
Fabien Ohl,La construction socialedes figures
du consommateur et du client
Gaël Bonnin,Des instrumentalistesaux chineuses,
quatre figures de la mobilité en magasin
Alexandre Mallard,Les nouvelles technologiesdans le travail
relationnel. Vers un traitement plus personnaliséde la
figure du client ?
Sophie Dubuisson-Quellier, Qualités de produit et figures du consommateur.Manières
de produire et de vendre en conchyliculture
Pascal Ughetto,Figures du client, figuresdu prestataire
François Cusin,Les figures du clientbancaire moderne
et ses relations paradoxales à la banque
Mélanie Roustan,Du client polymorpheà la figure
du "non-client". Ambiguïtésautour des transactions
de cannabis
Ygal Fijalkow,Les visages réversiblesde l'usager
et du consommateur. Ce que nous apprend la grèvedes internautes
Sandrine Barrey,Les grimaces du client.Des figures
du consumérisme aux figures du consommateur"écrivain"
Emmanuelle Lévy,L'usager est-il solubledans l'organisation
?
Franck
Cochoy,Figures du client, leçonsdu marché
Texteintégral
Depuis quelques années lesdonneurs
d'ordre industriels (Neuville, 1997 ; Segrestin, 1997; Veltz,
2000), les usagers (Borzeix, 2000 ; Warin, 1993, 1999; Weller,
1998), les consommateurs (Dubuisson-Quellier, 1999 ;Mallard, 2000
; Cochoy, 2002), voire les citoyens (Chateauraynaud,Torny 1999
; Torny, 1998 ; Callon et al., 2001) ou lespatients (Callon,
Rabeharisoa, 1999 ; Grosjean, Lacoste, 1999; Robelet, 2001 ; Cochoy,
2001a) émergentcomme
de nouveaux acteurs dignes d'attention dans les sciencessociales
(Benghozi, 1998), à côté des figuresplus anciennes
du travailleur, de l'ouvrier, du salariéou du cadre qui
ont longtemps occupé seules, ou presque,le devant de la
scène . Sans doute y a-t-il, derrièrechacune
de ces figures, des identités et des préoccupationstrès
différentes : l'étude des relationspartenariales
et des politiques de qualité industrielle,l'effort de modernisation
des services publics par l'usager, lasociologie du marché
et de la consommation, l'analyse desdébats de société
ou des enjeux de santépublique répondent à
des objectifs très diverset conçoivent souvent leurs
objets comme distincts, voiredisjoints.
Pourtant, ces partages thématiques et disciplinaires, cesdécoupages
identitaires et fonctionnels ont de plus enplus de mal à
tenir, dans la mesure où les personnesréelles circulent
entre tous ces terrains et recouvrenttour à tour l'ensemble
des identités que chacunedes sciences sociales étudie
séparément :lorsque Pierre Strobel (1993) hésitait
en intitulant l'unde ses articles " L'usager, le client et
le citoyen : quelsrôles dans la modernisation du service
public ? ",Gilles Jeannot (1999) lui faisait écho
par une tergiversationsymétrique en titrant sa propre contribution
: " Servicespublics : l'usager, le client, le consommateur
". Derrièrele glissement du " citoyen "
au " consommateur", derrière la prolifération
des termes destinésà approcher un acteur fuyant,
pluriel et complexe, se posela question des rapports qu'entretiennent
ces différentesfigures, de l'intérêt qu'il
y a à les multiplier,à les distinguer, mais aussi
à les rapprocher pouridentifier leurs points communs et
leurs modes d'action.
Telle est l'ambition du présent numéro de Sciencesde
la société, qui propose de réfléchiraux
différentes figures sociales du client, en donnantà
ce mot toutes les significations qu'il englobe : parfigures, on
entend non seulement l'ensemble des identitéssociales que
nous venons d'évoquer (usager, citoyen, consommateur,citoyen,
patient) mais aussi la figure comme visage face au
sourire commercial du vendeur [Mallard], la grimace oula complainte
du client [Barrey ; Fijalkow], voire du non-client[Roustan] ,
la figure comme arabesque et parcoursque dessinent les
pérégrinations souvent énigmatiquesdu consommateur
dans l'espace marchand [Bonnin], la figure graphiqueque
produit la compilation des comportements empiriques des clientèlesdans
les outils de gestion [Lévy], la figure comme profildu
consommateur que l'on inscrit dans la définition desproduits
[Dubuisson-Quellier] ou que l'on trace à partirdes segmentations
de la clientèle [Cusin ; Ohl ; Ughetto],voire la figure
de rhétorique qui permet de se faireobéir
et de transformer l'organisation " au nomdu client
" [Lévy]. En rassemblant à desseinune série
de monographies s'appuyant sur un ensemble deterrains variés
(télécommunications, banque,grande distribution,
agroalimentaire, services publics, drogue)et de perspectives très
diversifiées (anthropologie,gestion, sociologie), nous
espérons contribuer àl'élargissement de la
réflexion sur cet acteur-clientpolymorphe et mobile dont
l'impossible portrait travaille de plusen plus l'actuel mouvement
de marchandisation du monde, des valeurset des choses.
Une figure ancienne
Les clients, bien sûr, ont une existence beaucoup pluslongue
que les préoccupations académiques contemporaines.Grâce
aux historiens du capitalisme anglais (McKendricket al.,
1982), nous savons par exemple que la révolutionindustrielle
s'est accompagnée, dès ses origines,d'une révolution
symétrique de la consommation :aucune accumulation n'étant
possible sans destruction desbiens produits, l'éthique
protestante ne pouvait suffireà l'extension du capitalisme
; l'essor de l'industrie modernen'a pu s'étendre que dans
la mesure où l'ascétismepuritain fut relayé,
dès le départ, par uneorientation symétrique
vers la jouissance des biens matériels,de sorte que le
consommateur peut être désignécomme un acteur
du capitalisme au moins aussi ancien et importantque l'ouvrier
des fabriques traditionnelles (Campbell, 1987) un acteur
dont les figures n'ont cessé d'accompagner l'histoiredu
capitalisme et du marché, dans le nouveau monde (Strasser,1989
; Cochoy, 1999a) comme dans l'ancien (Pinto, 1990 ; Chessel,2002
; Cochoy, 1999b). Ce constat pose néanmoins une question:
comment expliquer d'un côté l'importance et lapermanence
historiques des clients, et de l'autre l'intérêttrès
variable que lui ont accordé les sciences sociales,mais
aussi les acteurs du marché ? Telle est la questionqu'aborde
Fabien Ohl dans la contribution qui ouvre ce numéro.
À partir d'une analyse statistique de plusieurs corpusde
textes puisés dans la littérature académiquecomme
dans la presse quotidienne ou magazine, l'auteur rend visiblele
chassé-croisé saisissant qui s'opère entrela
montée croissante du client-consommateur dans les discourset
le recul symétrique du travailleur-ouvrier qui mobilisaitjadis
l'attention. Est ainsi posé le problème sinonde
la substitution, du moins de la coexistence entre la vieillefigure
classique d'un acteur social implicitement réduità
celle du travailleur, et l'émergence de la figureconcurrente
du client-consommateur que semblent imposer les médias,les
politiques de modernisation des institutions, et les acteursdu
marché. Derrière une telle inversion se faitjour
le déplacement d'une attention quasi exclusive pourl'offre
et la sphère productive vers une prise en comptede la demande,
du choix, de l'achat et de l'usage, qu'il convientd'interroger.
D'un côté, cette évolution est timide : leconsommateur
a souvent été défini comme unsimple prolongement
de l'homo faber, comme l'incarnationsociale du travailleur
au repos, avec en filigrane l'idéed'une simple extension
de l'aliénation productive sousforme d'une aliénation
marchande (Baudrillard, 1970). Maisd'un autre côté
des travaux plus récents ontmontré la réversibilité
et l'ambiguïtéde ces deux figures : réversibilitédans la mesure
où le client coproducteur du service travaillebeaucoup
plus qu'on ne pourrait le penser (Gadrey, 1994) ;ambiguïté
dans la mesure où le client redevenutravailleur via la
coproduction n'intervient guère qu'àl'interface
d'une organisation dont le cur résiste souventà
sa prise en compte [Barrey, Lévy] : à biendes égards,
le client dont on réclame partout lanécessaire satisfaction
reste encore le mal-aimédes organisations (et des sciences
sociales !) modernes. D'oùl'intérêt qu'il
y a à réparer une telleasymétrie et, autant
le dire, une telle injustice.
Cette réparation passe d'abord par un refus de la définition"
productive " du client. Le terme de figure devraitnous y
aider : en mettant l'accent sur le visage, les parcours,les représentations
synoptiques et les usages discursifsde l'acheteur ou de l'usager,
la notion de figure nous inviteà tracer d'autres analogies
que celles du travail, àsaisir les spécificités
de l'action et de la relationmarchande, et donc, au bout du compte,
à redéfinir,autour de la rencontre entre les institutions
et leurs clients,les enjeux même de l'analyse du travail
et des organisations(Cochoy , Dubuisson-Quellier, 2000).
Une figure mobile
La sociologie classique du travail nous a enseignémille
choses sur le comportement d'un individu sédentaire,clairement
assigné aux murs de son entreprise et "fidèle
à son poste " ; la sociologie du client,du consommateur
ou de l'usager nous met au contraire face àun individu
qui évolue dans un espace ouvert, àun sujet mobile,
pluriel et parfois versatile, engagé dansune démarche
aux deux sens de programme et de mouvement.Cette particularité
engage le chercheur dans une doubleréflexion. D'une part,
elle le confronte à la questionde l'adéquation problématique
de l'intention etde l'action : quelsens
faut-il donner à cette démarche qui part àla
fois de la tête et des pieds ? Comment faire la part,dans
les figures spatiales que dessinent les parcours physiquesdes
clients, entre la planification et l'errance, entre la projectionroutinière
des habitudes, la traduction pragmatique d'uncalcul, voire l'expression
d'une disposition plus inattendue àla découverte
et à la curiosité (Cochoy,2001c) ? D'autre part,
le problème fondamental de la confrontationde la personne
à un environnement inconnu met au centrede l'analyse l'interaction
entre l'homme et les choses : comments'établit l'ajustement
entre les attentes de la personneet les propriétés
des objets qu'il rencontre ?
Ces questions importantes ont mobilisé l'attention de nombreuxtravaux
centrés par exemple sur la façon dont lesusagers
s'orientent dans les gares (Bayart et al., 1997; Dubuisson
et al., 1997) ou sur la manière dontles consommateurs
circulent dans les hypermarchés (Barrey,2001 ; Lave et
al., 1988 ; Dubuisson-Quellier et al.,1999). Gaël
Bonnin reprend ici cette réflexion àpartir d'une
analyse très méticuleuse de la circulationdes acheteuses
dans le rayon textile de quatre magasins. Son enquêtenous
montre à quel point l'action marchande ne présupposenullement
sa planification ; ou plutôt, l'observation destrajets décrits
par les clientes révèle lapossibilité d'une
planification ascendante, d'une miseen ordre à partir de
la dérive, qui prolonge labelle intuition de March (1988)
selon laquelle nos buts et nospréférences émergent
de l'activitémême de décision.
Le marché confirme d'autant plus cet enseignement qu'ils'offre
par définition comme un espace de circulation,de repérage,
d'exploration et d'étrangetéradicale, qui définit
à son tour le client commeun promeneur, un voyageur, un
découvreur. Cet échangede propriétés
entre caractéristiques du marchéet identité
du client permet de saisir les ressorts ambigusdu second : tel
Ulysse, le client n'est-il pas tirailléentre la nostalgie
d'un chez soi (habitus/fidélité)et l'appétit
de nouveauté (curiosité/calcul)? Explorer les mouvements
de la clientèle pourrait bien,de ce point de vue, nous
aider à saisir la pluralitédes motivations de l'acteur
social, et donc à prendre encompte d'autres dispositions
que les seuls routine ou calcul quefourbissent depuis toujours
les sociologies de mondes clos (Cochoy,2001c).
L'amateur et le professionnel
La sociologie du travail nous a beaucoup appris sur les mainset
les gestes ; les sociologies du marché et de la "relation
de service " nous amènent plutôt àregarder
le jeudes visages
et des mots : parce que les transactions marchandesappellent
la mobilisation et la construction d'un univers de paroleset de
références communes (Boltanski & Thévenot,1991),
elles reposent très largement sur l'ajustement desfaces
et des points de vue. Mais qui sont les instances engagéesdans
l'échange ? Les contributions rassemblées icinous
apprennent d'abord que l'offre ne se comprend pas sans lademande
: la figure du vendeur ou du prestataire définitcelle du
client, et inversement, comme le souligne si bien PascalUghetto
: " dire ce qu'est le client, c'est surtout direla manière
dont il faut agir face à lui et doncce qu'est (ou doit
être) le prestataire. La figure du prestataireest inévitablement
le double de celle du client ".Cette définition
de soi à travers l'évocationd'autrui ne fait que
reprendre un mécanisme inhérentà toute construction
identitaire (Dubet, 1994), avec unedifférence importante
toutefois : alors qu'en anthropologieclassique la construction
de soi en rapport à l'autre s'établitsur le mode
de l'opposition, la scène marchande a cecid'original qu'elle
amène les acteurs de l'offre àse définir
par rapport à un étranger qu'ilsdésignent
sur le mode de l'empathie.
Pour autant, les deux figures ne sont pas symétriques ;on
pourrait dire, pour schématiser, qu'à la figuredu
professionnel (comme spécialiste de l'offre) fait facecelle
d'un client-amateur (comme expression de la demande). Tandisque
l'un le commercial, le vendeur, ou tout autre professionneldu
marché consacre tout son temps et toute son énergieà
la maîtrise du marché, et même àla gestion
d'un marché particulier [Mallard], l'autre l'usager,
le client, le consommateur ne fait que passer[Bonnin], glisse
d'un rayon [Bonnin], d'un prestataire [Cusin; Ughetto] ou d'un
marché à l'autre [Ohl], entreet sort du marché,
bascule du registre marchand aux registrescivique [Fijalkow],
domestique [Barrey], voire clandestin [Roustan].Le face-à-face
du professionnel et de l'amateur recouvreainsi d'autres contrastes,
tels le clivage entre le sédentaireet le nomade ou bien
encore l'opposition entre le généralisteet le spécialiste,
autant d'antinomies qui définissentdes compétences
et des capacités d'action trèsdifférentes.
Face à un représentant de l'offre professionnel,sédentaire,
spécialisé, et " travaillant" son marché
à plein temps, le client amateur,mobile, généraliste
et engagé dans l'échangeà temps partiel ferait-il
le poids ? Paradoxalement, lacontribution d'Alexandre Mallard
nous montre que les positionsdu professionnel et du client peuvent
atteindre un certain équilibrelorsqu'elles sont, justement,
le produit d'un véritabletravail d'équilibrage qui
consiste pour le vendeur àse présenter selon les
termes mêmes de son client,c'est-à-dire à
convertir une relation qui relèvesouvent, au départ,
d'unerencontre
fragile entre une offre et une demande qui ne se connaissentpas
et dont les intérêts sont divergents, enéchanges
spontanés, confiants, personnels et (sipossible) durables
: " Moi, quand je commence àtravailler avec un
client, tu peux être sûr que jel'ai à vie.
Je fidélise les clients ".Ce témoignage
d'un commercial de France Telecom signaletout l'enjeu du travail
marchand, qui s'efforce de transformerle mouvement de marchandisation
des choses en entreprise de "domestication " de la clientèle,
si l'on veut biendonner à ce terme non seulement le sens
d'" intéressement" défini par Callon (1986),
mais aussi (et peut-êtresurtout) son sens littéral
de familiarisation :dans le temps même où
tous les compartiments du mondesocial semblent condamnés
à basculer dans le règnede la concurrence et du
marché, les professionnels du marchétentent d'abstraire
les relations sociales de l'économique,ou plutôt
de revenir à l'conomia, aux originesde l'économie
comme gestion de l'espace domestique (Polanyi,1983). Le "
travail relationnel " qui se déploiesur le marché
(Cochoy, 2001b ; [Mallard]) vise bien, pourune large part, à
réencastrer les relations marchandesdans un registre "
maison ", à situer le rapportde clientèle dans
un monde où les acteurs pensentleurs échanges en
termes d'appartenance, de communauté,de réciprocité.
Cet effort est particulièrementperceptible dans le cas
de la banque qui ne cesse d'exploiterses propriétés
dérogatoires vis-à-visdu modèle classique
du marché : alors que ce dernierest en principe le lieu
par excellence de l'anonymat et des transactionsinstantanées,
les propriétés du produit bancaire le crédit,
qui engage les partenaires de l'échangedans un contrat
long permet à la banque d'introduireune transaction
à la fois durable et personnalisée.Le chargé
de clientèle amène ainsi le clientà lui dévoiler
son intimité économiquetout comme le médecin
obtient de son patient la mise ànu de son intimité
corporelle. Il n'est pas étonnant,dans ces conditions,
que le client finisse par vivre la relationbancaire sur le registre
d'un rapport affectif, possessif
et quasiment familialdu client à " sa " banque
et à "son banquier " [Cusin].
La domestication du client consiste ainsi, pour le professionnel,à
vaincre le frisson de l'anonymat consubstantiel aux relationsde
marché en " personnalisant " la relation :il
s'agit de " faire connaissance ", de produire des"
connaissances sur l'interconnaissance ", et surtoutd'articuler
ces deux dernières opérations dans l'espoirnon seulement
de pérenniser l'interaction avec tel client,mais aussi
de multiplier les relations " réussies" avec
d'autres clients " du même type "(grâce
à l'usage des bases de données, logiciels,et autres
" équipements " de la relation commerciale).En
d'autres termes, les différentes figures du " travailrelationnel
" que nous décrivent Alexandre Mallardet François
Cusin consistent à construire une interactionprofessionnalisée,
humaniséeet
technicisée , c'est-à-dire à développerdes
outils et un savoir-faire de la relation qui visent autantà
tirer le meilleur parti de l'asymétrie cognitiveentre le
vendeur et l'acheteur qu'à présenter cettemême
asymétrie sous les dehors d'un
parfait équilibre entrel'un et l'autre (la réussite
du second objectif conditionnantle succès du premier).
Si Alexandre Mallard et François Cusin nous permettentde
comprendre à quel point le client est le produit d'uneinteraction
aussi naturalisée en aval qu'elle est (ou devient)technicisée
en amont, Sophie Dubuisson-Quellier nous montrecombien les identités
du produit et du client sont en faitindissociables. Souvent, la
production-commercialisation supposemoins la mise en scène
d'un client coproducteur de l'objet/duservice que la production
conjointe, par l'entreprise,du produit et du client qui lui
correspond. L'exemple de la conchylicultureest particulièrement
éclairant : dans ce secteur,les instances européennes,
la grande distribution et lespetits producteurs ont tour à
tour subordonné la(re)définition des produits à
celle des consommateurs.Pour étendre l'espace de circulation
des denrées,l'Europe a construit un produit standard adossé
àun client soucieux de sécurité ; pour canaliservers
elle une demande de masse, la grande distribution s'est différenciéeen
créant simultanément un produit et un clienttous
deux attachés à une appellation d'origine ;pour
tenter d'exister entre contraintes européennes etconcurrence
des grandes surfaces, de petits producteurs ont enfinproposé
une stratégie alternative liant le modede production des
coquillages et la figure d'un client orientévers les propriétés
organoleptiques des produits.Chaque fois, la logique concurrentielle
conduit ainsi les acteursà chercher ailleurs que dans le
produit lui-mêmeles signes de la différenciation
(sécurité,origine, goût/mode de production),
et contribue par conséquentà l'éducation
mais aussi à la productiondu consommateur et de ses différentes
figures. On comprendainsi que le produit, sur le marché,
n'est plus forcémentcelui qu'on croit : aujourd'hui les
producteurs travaillent autantle consommateur que la chose qu'ils
lui vendent ; la vente desproduits sur les marchés de masse
suppose de plus en plusla construction simultanée de leurs
clientèles.
Un marché de figures
Plus généralement, le client et ses figuressont
l'objet d'un incessant travail de configuration, de représentationet
de catégorisation. Ce travail commence discrètementpar
exemple lorsque les standardistes de France Telecom, en s'efforçantd'
" aiguiller " les appels des clients vers les numérosadéquats,
contribuent non seulement à " mettrele client à
sa place ", mais aussi à construire/mobiliserimplicitement
le portrait de celui que l'on cherche à orienter[Mallard]
; ce travail se poursuit bien sûr au travers desoutils de
catégorisation et de figuration qui, de FranceTelecom [Mallard]
à la RATP [Lévy], de la banque[Cusin ; Ughetto]
à la grande distribution [Barrey], s'efforcentde produire
des représentations synthétiques àpartir
des informations extraordinairement foisonnantes et complexesque
les professionnels recueillent sur leurs clientèles(via
les questionnaires, bases de données, réclamations,etc.).
Enfin, ce travail parvient à gagner l'ensemble dumarché
avec l'action des professionnels de la gestion etdu conseil qui,
en produisant un discours continu sur les clientèles,finissent
par obtenir la "performation"des
notions qu'ils mobilisent, fabriquent et manipulent.
Comme le montre Pascal Ughetto à partir du secteur bancaire,"
c'est sur la base d'une figure du client socialementconstruite
que les acteurs des entreprises élaborent leursplans d'action
et leurs pratiques. L'idée de figure duclient sous-entend
que les représentations àpartir desquelles
ceux-ci agissent se trouvent fortement structurées,en amont,
par un travail d'élaboration d'une représentationde
cette réalité jugée fondamentale qu'estle
client ". Fabien Ohl généralise cetenseignement,
en montrant à quel point les discours "socio-marketing
" font proliférer les figures du consommateur
tour à tour " cocooner ", " zappeur",
membre d'une " tribu " ou " bobo ".Cette prolifération
de figures oriente alors les représentationsde l'offre
comme celles de la demande, montrant ainsi le paradoxede consommateurs
définis par la presse, par le management,par les sciences
sociales, voire par les mouvements citoyens ouconsuméristes,
mais assez peu par les principaux intéressés,sinon
à l'occasion de rares moments de protestation (cf.infra)
ou, plus fréquemment, lorsqu'ils finissent pars'identifier
à ces portraits d'eux-mêmes construitsen dehors d'eux.
Derrière la représentation du marché on discerneainsi
l'avènement d'un véritable marché desreprésentations
dont les enjeux méritent d'êtreidentifiés
et soulignés. Comme le souligne FabienOhl, la figuration
d'un client " zappeur " ou "cocooner " consiste
à définir le sujet socialnon plus par son enracinement
dans la production, mais par sonattachement à un "
style de consommation ". Ondécouvre alors la contribution
décisive du marchéà l'incessante catégorisation
du social : aux appartenancestrès stables que définissent
les variables classiquesancrées dans les propriétés
biologiques (sexeet âge) ou productives des personnes (diplôme,
CSP,revenu), s'opposent les affiliations très mouvantes
etinventives que propose l'univers consommatif (marques, segmentsde
clientèle, groupes d'usagers, styles de vie). Ainsiet selon
Fabien Ohl, les nouveaux repères identitairesfondés
sur les pratiques de consommation finiraient parconcurrencer,
voire menacer, les anciennes référencesproductives
: " La figure du consommateur semble défaireles autres
identités et fonctionne comme complémentidéal
d'une démocratie régulée essentiellementpar
le marché ".
Il y aurait peut-être, dans cette évolution, le moyend'éclairer
le trouble croissant qui s'empare des sociologuesface à
ces acteurs " récalcitrants " (Latour,1998) qui
se laissent de moins en moins enfermer dans les théorieset
les catégories que l'on a forgées pour eux etqui,
plongés dans plusieurs mondes (Boltanski, Thévenot1991),
confrontés à une pluralité de situations(Lahire,
1998), tiraillés entre plusieurs logiques d'action(Dubet,
1994), nous amènent à nous déprendredes approches centrées
sur les catégorisations etles variables a priori
(Lahire, 1996)pour au contraire
accepter leur propre manière de décrirele monde
et de s'y situer (Callon, 2001). La proliférationdes taxinomies
marchandes, en introduisant une concurrence desdéfinitions
de soi, amène chacun à se construireau carrefour
d'une multitude d'appartenances officielles et officieuses,publiques
et privées, telles la profession ou l'habitat,mais aussi
le segment de clientèle auquel on appartient[Cusin ; Ughetto],
la catégorie de produits que l'on consomme[Dubuisson-Quellier],
les services téléphoniquesqu'on utilise [Fijalkow
; Mallard], etc. Alors qu'il y a peu detemps l'enracinement social
commandait encore l'usage des produits(Bourdieu, 1979), on peut
se demander si ce n'est pas autour duproduit que se jouent désormais
les nouvelles identificationscollectives et personnelles [Dubuisson-Quellier].
Une figure fuyante
Derrière cette reprise du processus de " désencastrement"
de l'économique vis-à-vis du social dontparlait
Polanyi, on discerne toute l'ambivalence de la "récalcitrance
" d'un client qui trouve dans l'extensiondu marché
les moyens non seulement de se libérerdes anciennes appartenances
mais aussi, contre toute attente,de gagner des marges de manuvre
vis-à-vis de ces professionnelsde l'offre qui s'efforcent
pourtant de le redéfinir chaquejour. Certes et a priori,
le combat est inégal,comme le montre bien l'important décalage
qui se fait jourentre " ce que se figure le client "
et la façondont l'offre le représente et le construit.
Par exemple,les représentations et les compétences
économiquesplutôt approximatives du client bancaire
[Cusin] sont trèséloignées de ce client compétent,
informé,opportuniste, calculateur et versatile qu'agitent
les promoteursde la banque électronique afin de promouvoir
une relationbancaire technicisée, appuyée d'une
part sur lamobilisation de points de contacts " technologiques
"tels les sites Internet, les centres d'appels, les serveurs
vocaux,et d'autre part sur des outils d'informatisation de l'échangecommercial
comme le datamining ou le scoring. Maisjustement,
ce décalage entre compétences réelleset compétences
supposées du client désigneles limites de la technicisation,
de la figuration mécaniquedes profils de clientèle,
et la nécessaire poursuited'une interaction entre le chargé
de clientèle etson client plus incertaine, mais aussi plus
humaine et chaleureuse[Cusin ; Ughetto].
À la limite, on pourrait se demander si le client décalévis-à-vis
des figurations de l'offre ne serait pas capablede prolonger cette
première prise en distance en s'extirpantdu marché,
en quittant les faux semblants du jeu économiquestandard
entre l'offre et la demande pour rechercher un rapportalternatif
et/ou plus authentique aux choses, bref si le sujetéconomique
moderne pourrait refuser l'identité declient. C'est cette
question qu'examine Mélanie Roustan,en mobilisant la thématique
du client sur un terrain dontcet acteur est a priori exclu.
Le terrain choisi la consommation du cannabis relève
en effet d'uneéconomie souterraine par définition
trèséloignée des " surfaces " commerciales(grandes
ou petites !) que fréquentent les " clientsde base
", et désigne une forme d'échange communautaireet
clandestine par nature très différente de larelation
commerciale ordinaire. Précisément : endélaissant
l'économie souterraine du cannabis pours'interroger au
contraire sur la tension qui relie ce produitaux figures de l'échange
standard, l'auteur se donne lesmoyens de faire émerger
une pluralité de figuresqu'une approche plus classique
aurait sans doute rendues moinsperceptibles. On découvre
ainsi qu'en matière decannabis la figure du client sert
à la fois de repoussoiret de repère identitaire
aux amateurs de joints : ces derniersdiffractent l'image du simple
client en " client-outsider" dans le cas du " deal
de rue ", en " client-ami" dans le cas de la vente
pyramidale ou en " client-pair" dans le cas de la "
dépanne ". Cet acteur-clientauquel on ne saurait s'identifier
tout à fait permet ainside baliser les frontières
d'un espace de consommation nonmarchandisé, via la mobilisation
de l'opposition classiqueentre " eux " (les clients)
et " nous " (lesnon-clients, ou les clients-non standard).
Cependant, la nécessaire préhension du cannabissur
un registre monétaire finit par " clientéliser"
ces relations alternatives que les fumeurs voudraient garderdans
un pur registre de convivialité alternative et communautaire.Parce
qu'il s'agit d'un produit irréductiblement venduet tarifé,
le cannabis brûle les mains : il marque,comme la pomme jadis,
la fin de l'innocence (la sortie des paradisartificiels !), il
fait entrer ses adeptes dans la spirale dumarché, là
même où ces derniers voyaienten lui le moyen d'en
sortir, bref il transforme le fumeur en "client malgré
lui " (cf. ce bel aveu recueillipar l'auteur : "
si c'est des amis, t'as pas envie qu'ilspensent que tu vas les
voir pour ça, ce service [i.e.se procurer un joint,
bref se présenter comme client] ").On découvre
ainsi qu'il est bien difficile de lutter contrela consommation
(standard) par la consommation (alternative),dans la mesure où
la consommation alternative convoquesans arrêt les référentiels
de l'échangestandard, qu'on mobilise ces référentiels
pour circonscrirele monde que l'on refuse ou pour désigner
au contraireun univers auquel on aspire, avec le rêve d'une
sortie dela clandestinité, d'une libéralisation
et d'unereconnaissance, d'une meilleure accessibilité du
produitet de garanties en matière de qualité. Les
questionssur lesquelles l'auteur clôt son parcours sont
de ce pointde vue riches d'enseignements : en s'interrogeant sur
la possibilitéde " choisir d'être ou de ne pas
être client", elle en vient à se demander si
" la figuredu "non-client" " ne serait pas
finalement "une figure du client parmi d'autres " ;
Mélanie Roustannous permet ainsi de comprendre combien
il est difficile d'échapperau marché et aux identités
qu'il nous contraintd'endosser, fût-ce sous la forme d'une
dénégationbien souvent illusoire.
Une figure duplice et méconnue
Si les personnes ont bien du mal à échapperau
marché et à l'identité de client, et siles
clients, comme nous l'avons vu, n'ont pas toujours les compétencesqu'on
leur prête, faut-il pour autant conclure que le clientne
peut rien sur ou contre le marché ? Tellessont
les questions qu'abordent les contributions complémentairesde
Sandrine Barrey et Ygal Fijalkow. Tandis que l'une explore,à
partir de lettres de réclamation privéesadressées
à une grande surface, les habiletésargumentatives
des clients mécontents, le second étudie,au travers
des protestations exprimées publiquement surle web par
les internautes en grève contre France Telecom,les modalités
ambiguës d'un consumérisme quioscille entre références
marchandes et préoccupationscitoyennes.
En organisant en 1998 un boycott du prestataire public de télécommunicationspour
ses tarifs jugés inadaptés à l'usaged'Internet,
les utilisateurs du service auraient d'abord montréla capacité
de tout client-usager à " prendrela parole ",
à ne pas se laisser enfermer dans lesfigures tracées
pour eux par un opérateur embrassantla logique du marché.
Mais Ygal Fijalkow nous montre qu'ilsfont beaucoup plus que cela
: l'étude systématiqueet approfondie des messages
laissés sur le web lors decette action montre à
quel point les acteurs de la demandesont capables de se couler
dans les portraits contradictoiresqu'on leur tend, pour ensuite
opposer, combiner et reconstruireces mêmes portraits, peut-être
dans l'espoir de gagnersur tous les tableaux. Nous avions souligné
plus haut àquel point la faiblesse des acteurs de la demande
résidaitdans leur identité d'" amateur généralistes"
face à des représentants de l'offre plusprofessionnels
et spécialisés. Ygal Fijalkow nousmontre comment
les mêmes acteurs parviennent, tel Davidcontre Goliath,
à retourner cette faiblesse en vertu. Toujoursmoins compétents
que l'offre pour un produit donné,les utilisateurs ont
en effet l'avantage de partager une pluralitéd'expériences
à la fois marchandes et citoyennes.Partant, ils peuvent
réinvestir les figures dans lesquelleschaque secteur de
l'offre croyait avoir enfermé sa demande client ici,
usager ailleurs comme autant de ressourcespour obtenir satisfaction.
En effet, pour amener France Telecomà réviser sa
politique tarifaire, les internauteséchangent, tel Jupiter
et Amphitryon, les figures du clientet de l'usager, témoignant
ainsi d'une redoutable capacitéà argumenter tous
azimuts, à mêler argumentsde gauche (égalité,
solidarité, justice)et de droite (liberté de choix,
lourdeur bureaucratique,arrogance des monopoles publics, privilèges
des fonctionnaires),à invoquer le service public pour défendre
leurintérêt privé et à convoquer la
concurrencepour obtenir un sursaut du service public. Le même
schémase retrouve aussi du côté des clients
du secteurbancaire, qui regrettent à la fois que les banques
ne soientpas (ou plus) un service public et qu'elles ne se conduisent
pasvraiment comme des entreprises privées [Cusin]. Face
àcette vertigineuse combinaison des registres de justification,face
à l'étonnante " réversibilité"
des identités citoyenne et marchande, il sembleque le spécialiste
de sciences sociales ait bien du malà y voir clair, à
savoir à coup sûrsi l'on se trouve en présence
d'un attachement sincèreaux valeurs du service public ou
à l'instrumentation deces valeurs à des fins personnelles,
et s'il est donc encorebien raisonnable de maintenir le cloisonnement
qui règneencore entre les approches de la " relation
de service "et les sociologies du " travail marchand
".
Le travail de Sandrine Barrey invite à un tel rapprochement.Le
corpus de lettres qu'elle étudie a pour particularitéde
nous placer face à une voice purement bilatéraleet
privée : les réclamations adressées auservice
consommateur de la grande surface Cityshop se confinentsagement
dans le cadre d'un " tête-à-tête"
à huis-clos entre le plaignant et l'enseigne. Cefaisant,
ces réclamations définissent une formede protestation
qui ne se confond ni avec la revendication politiqueni avec le
repli sur soi. Cette expression met en jeu des compétencestrès
particulières : l'étude quantitativeet qualitative
des modalités d'argumentation déployéesdans
ces lettres montre à quel point les clients mécontentsfont
preuve d'une véritable capacité relationnellequi
consiste à aller au-delà du seul produit incriminé,à
le replacer dans le contexte de ses conditions d'utilisation,pour
ensuite révéler l'incidence sociale de sesdéfauts,
tels les sentiments d'humiliation et de fauteressentis lors d'un
repas préparé avec un produitdéfectueux,
le risque encouru par les proches, etc.
Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991) nous avaient rappeléà
quel point l'accord marchand repose sur la capacitédes
acteurs à adopter la position du " spectateurimpartial
", c'est-à-dire à embrasser le pointde vue
d'autrui, à mobiliser l'ordre de référencecommun
dont dépend la possibilité même dela transaction.
Sandrine Barrey nous apprend ici que les acteurssont aussi capables
d'exiger cette position de " spectateurimpartial " de
leur vis-à-vis : ils demandent au distributeurde revêtir
à son tour la figure du client, sur leregistre empathique
du " mettez-vous à ma place,qu'auriez-vous pensé
ou fait si vous aviez vécuma propre mésaventure
? ". On découvreainsi, chemin faisant, que la
réversibilité latéraledes figures marchande
et citoyenne mise au jour par Ygal Fijalkow(échange des
identités d'usager et de client) sedouble ici d'une réversibilité
plus verticale quiplaide pour une éventuelle permutation
des positions deprestataire et d'utilisateur.
Pourtant, cette dernière réversibilité sembleinachevée.
La mise au jour de consommateurs compétents,capables de
faire appel à une commune humanité,de mettre les
produits en scène pour montrer combien leursdéfauts
matériels infligent des préjudicesnon seulement
personnels, mais aussi moraux et sociaux, soulignepar contraste
l'incapacité des dispositifs de réclamationà
saisir toute l'étendue de cette compétence.Certes,
nombre de réclamations enclenchent une réponse,mais
un examen attentif révèle combien la réponseapportée
méconnaît la question qui la fonde: les services
consommateurs chargés d'instruire les plaintespersonnelles
et argumentées des clients leur apportenten fait des réponses
standardisées sous formes dechèques plus que de
paroles. Comme le dit si bien SandrineBarrey, " l'"argument"
du dédommagementfinancier vient clore l'échange
en considérant larelation de service non comme "interaction",
mais comme"réparation" ". En quelque
sorte, forceest de reconnaître que le one-to-one
qui se déploiedu côté des stratégies
marketing [Ughetto]est encore balbutiant du côté
du service aprèsvente : l'offre d'arrangement amiable prévaut
sur une demanded'interaction plus aimable ; si les clients sont
pris en comptedans les discours et dans les dispositifs, les dispositifs
semblentinaptes à relier compétence des clients
et discoursdu prestataire.
Une ascension bloquée ?
Un tel constat nous amène à revenir avec l'aide d'EmmanuelleLévy
sur l'articulation problématique desfigures du client,
cette fois au double sens de figure de rhétorique(utilisée
par le management) et de figure de chair (opposéepar la
clientèle). En sciences sociales, le client a surtoutété
évoqué pour douter de son existence: comme l'a superbement
démontré Jean-Philippe Neuville(1999), le client
est avant tout un être de fiction, unargument brandi par
le management pour se faire obéir,d'après une idée
aussi simple qu'efficace : lessubordonnés acceptent davantage
le langage d'un acteurdont ils partagent l'identité (à
la ville) que celuid'un chef aux antipodes de leurs intérêts
(dans l'atelier/aubureau). Et Neuville d'éventer le stratagème,
enisolant une scène où subordonnés et chefargumentent
tous deux au nom du client : dans un tel cas, on découvreà
quel point le client du chef, tel les kilos de plombdans l'esprit
des enfants, pèse beaucoup plus lourd quele client du subordonné
le kilo de plume. Pourtant,tout ce que nous avons vu jusqu'ici
cadre mal avec un tel schéma: comment concilier inexistence
du client (rhétorique)et prolifération des clients
(empiriques) ? Comment s'articulentles clients de papier que construisent
les professionnels du marché[Dubuisson-Quellier ; Mallard
; Ohl] et de la gestion [Lévy; Cusin ; Ughetto] et les
clients qui circulent [Bonnin], quiachètent et/ou qui consomment
[Roustan], qui protestent[Fijalkow] et/ou qui réclament
[Barrey] ? Les clients réelss'invitent-ils dans le face-à-face
hiérarchiquequi les convoque, viennent-ils troubler la
rhétorique,instrumenter véritablement la gestion
?
La contribution d'Emmanuelle Lévy permet d'éclairerce
genre de questions. Emmanuelle Lévy confirme et approfonditle
constat de surdité relative du management au discoursdu
client réel [Barrey] en tentant d'évaluer, àpartir
d'un cas précis, ces politiques de " modernisation[des
organisations] par l'usager " et/ou de " pilotagepar
le bas " qui, ces dernières années,semblent
avoir motivé l'enthousiasme tant des servicespublics en
quête de réforme que des sciences socialesréformatrices
(Weller, 1998). L'auteur se demande si cespolitiques sont parvenues
à leur fins " produiremieux " mais aussi
" produire autrement ". Alorsque les analystes se sont
surtout centrés sur le premierterme (privilégier
les bienfaits supposés, pourles usagers, d'une gestion
" ascendante " de la relationde service), Emmanuelle
Lévy propose de mettre l'accentsur le second, de montrer
que " l'usager fin " a souventeu tendance à devenir
un " usager moyen ", c'est-à-direun argument
de changement organisationnel. Elle nous invite ainsià
délaisser la surface de l'interaction entre l'agentet l'usager
pour remonter au contraire dans l'épaisseurde l'organisation.
La démarche proposée consisteà examiner empiriquement
à partir d'une étudelongitudinale des outils
et des schémas de gestion développésà
la RATP la réalité de cette ascensionorganisationnelle
de l'acteur-client qui, jusqu'à présent,a davantage
été postulée qu'étudiée.Ce
programme de recherche nous semble avoir (au moins) deux vertus.
La première consiste à rappeler que l'approche clientse
situe au carrefour de l'ouverture (politique) des servicespublics
à la concurrence, mais aussi de l'inscription (technique)d'outils
de gestion privée dans le cadre du managementpublic. D'un
côté, l'intrusion croissante du client(rhétorique)
dans l'administration des services publicsest très exactement
proportionnelle à la fuite desusagers (empiriques) vers
la concurrence : c'est bien la fin dela captivité qui motive
la mise en uvre de stratégiesde " captation "
des clientèles (Cochoy, 2001c),c'est bien la transformation
de l'usager captif des anciens monopolesen consommateur doté
de possibilités de choix quisuscite l'émergence
de l'acteur-client, comme
le montrent l'histoire de la RATP,mais aussi celle des secteurs
des télécommunications[Fijalkow] ou de la banque
[Cusin, Ughetto], voire les déboiresd'un (ex-)ministre
soucieux de mettre " l'élèveau centre "
des réformes de l'Education nationaleou les difficultés
de la SNCF à imposer une projetde réorganisation
nommé " cap client ".Mais d'un autre côté,
cette même montéeen puissance de politiques ancrées
sur la représentationdu client repose symétriquement
et simultanémentsur la disponibilité d'outils de
gestion ad hoc.L'irruption du client dans les organisations
publiques relèveautant de choix politiques que d'innovations
techniques ou, pourle dire en d'autres termes, ces politiques
de modernisation qued'aucuns se plaisent à présenter
comme l'expressiond'un pur engagement néo-libéral
sont aussi le résultatde la migration, dans les entreprises
publiques, d'outils sophistiquésde représentation,
de catégorisation et de gestionde la demande hérités
du marketing social (Cochoy,1999a) et de la normalisation industrielle
(Cochoy, 1999b), telsles enquêtes de satisfaction, les techniques
de segmentation,les référentiels d'assurance qualité,etc.
autant d'équipements des relations de marchéqui
permettent de faire émerger une pluralité deprofils
là où régnait auparavant la figureà
la fois rassurante, consensuelle mais aussi assez frustede "
l'usager moyen ".
On en arrive ainsi à la deuxième vertu de l'étuded'Emmanuelle
Lévy, qui consiste à nous montrer defaçon
précise comment ces outils travaillent àla fois
la figure du consommateur et les contours de l'organisation.D'une
part, nous apprenons que l'usage du client comme figurede rhétorique
n'est nullement exclusif, et même toutau contraire, de la
mise en uvre d'outils tangibles permettantd'assurer sa figuration.
À la RATP, non seulement ces outilsexistent, mais ils foisonnent
; ce sont, pêle-mêle,des courriers d'information ou
de plainte émanant d'acteursinstitutionnels, d'associations
ou de particuliers, des enquêtesportant sur le trafic, l'image
de l'entreprise, ou la satisfactiondes usagers, etc. D'autre part,
nous découvrons aussi quela rhétorique du client
alimente des transformations organisationnellesbien réelles,
dont témoignent la réductiondrastique des lignes
hiérarchiques (de 7 à 3 échelons)opérée
entre 1989 et 1994 à la RATP au nomd'un nécessaire
rapprochement entre l'entreprise et sesusagers, ou bien encore,
à partir de 1992, la mise en uvred'outils de management
de la qualité justifiée parl'améliorationdu service due
aux voyageurs.
Que penser de telles transformations qui se retrouvent d'ailleursdans
bien d'autres terrains et questionnements [Barrey ; Cusin; Dubuisson-Quellier
; Mallard ; Ohl ; Ughetto] ? D'un côté,la mobilisation
croissante, par les organisations, d'outils deremontée
d'information témoigne d'une réflexivitéétonnante,
d'une ouverture des organisations à lacritique ou à
l'autocritique (Boltanski, Chiappello, 1999).L'orientation client
est dans une large mesure un signe de maturitédes acteurs
sociaux qui passent par le regard de l'autre pourse regarder eux-mêmes.
Mais d'un autre côté,ce mouvement semble inachevé,
dévié, bloqué: de même que les professionnels
de la distribution n'écoutentpas vraiment ces consommateurs
dont ils recueillent et traitentpourtant les doléances
[Barrey], les acteurs de la RATPne sont pas forcément réceptifs
aux dispositifsde figuration des clients qu'ils mettent en uvre
[Lévy].De tels mystères ne s'éclairent qu'au
terme d'uneanalyse organisationnelle fine, qui montre d'une part
que lesprofessionnels au contact du marché ne disposent
pas forcémentde tous les moyens et de tous les appuis nécessaires
pour" servir " au mieux leurs clients (en externe) et
faire" valoir " ces mêmes clients plus en amont
del'organisation (en interne), et d'autre part que " le"plus
d'usager" rhétorique se traduit par uneplus grande
rationalisation des processus de production, voirepar un renforcement
des outils de gestion existants, créantainsi une sorte
de fossé entre les deux " [Lévy].On retrouve
ici un paradoxe aussi important qu'étonnant: l'ouverture
de la gestion au client, loin de diluer l'organisationdans l'espace
du marché comme on le croit trop souvent,contribue au contraire
à distinguer les deux espaces, àaccuser leurs spécificités,
voire à compromettreleurs chances de dialogue (Cochoy,
Neuville, 2000).
Des figures du client aux politiquesdu
marché
En définitive, les quelquesesquisses
du client et de ses multiples figures rassembléesici nous
apprennent que l'organisation résiste autant auclient que
le client résiste à l'organisation. Lesefforts considérables
de figuration de la demande qui s'observentdu secteur privé
au secteur public contribuent àla fois (en interne) à
transformer les pratiques de gestion,en adossant l'exercice de
l'autorité au nouveau principede légitimité
du respect que chacun doit àl'acteur-client, et à
faire proliférer (en externe)des figures et des "
contre-figures " du client, dontla maîtrise constitue
désormais un enjeu crucial[Dubuisson-Quellier, Ughetto],
pour des raisons tant économiquesque politiques.
Pour l'instant, force est de reconnaître que cette maîtriseest
surtout même de façon malhabile et partielle
une compétence de l'offre, qui définit àsa
guise la " politique du marché ", si l'onveut
bien entendre cette expression comme " gestion des relationsavec
la clientèle ". Dans ce cadre, l'un des enjeuxde la
sociologie économique consiste à mettre aujour l'importante
division du travail cognitif qui ne cesse des'approfondir entre
l'offre et la demande : plus les uns calculent,rationalisent,
anticipent, gèrent, formatent, plus lesautres papillonnent
[Bonnin], se laissent guider par les dispositifsdu " prêt-à-choisir
" (Cochoy, 1999c),s'abandonnent aux identités et aux
appartenances que tracentpour eux les professionnels du marché
[Cusin ; Dubuisson-Quellier; Ohl ; Mallard ; Ughetto]. Cette distribution
asymétriquedes capacités d'action calcul et
rationalité(plutôt) du côté de l'offre,
routine et fantaisie(surtout) du côté de la demande
se trouve encouragéepar les caractères "
amateur " des clients et" professionnel " de l'offre
: parce qu'ils ne viennentau marché que de façon
intermittente et marginale,parce qu'ils consacrent tout le reste
de leur temps à lavie domestique ou productive, les clients
trouvent souvent rationnelde ne pas être (directement) rationnels,
de confier l'exercice
de leur cognitionà tous ceux qui font profession de les
assister dans leurschoix (Cochoy, 2002).
Pourtant, le jeu même de l'offre et de la demande définitun
autre sens de la " politique du marché ",entendu
cette fois comme politisation, comme expression non seulementde
la récalcitrance des acteurs à se reconnaîtretout
à fait dans les miroirs qu'on leur tend, mais aussiet paradoxalement
des stratégies industrielles elles-mêmesqui, en accueillant
le client, s'ouvrent aussi (et de plus enplus) au citoyen. On
pourrait citer, ici, les protestations directesdes consommateurs,
que ce soit sous une forme singulièreet privée [Barrey]
ou collective et publique [Fijalkow]; on pourrait évoquer
la subversion aussi médiatiquequ'astucieuse du dispositif
de personnalisation des chaussuresNike tentée par Jonah
Peretti (2001), cet étudiantqui a commandé en ligne
une paire de baskets griffées"Nike sweatshop"; on pourrait
mentionner la multiplication des forums hybridesqui donnent enfin
la parole aux profanes (Callon, al., 2001),l'avènementdu consumérisme
politique qui plaide pour la politisationdes produits et "l'empowerement"des consommateurs
(Micheletti, à paraître)...On devrait aussi
surtout ? mentionner la récupérationparadoxale
de cette même critique par les professionnelsde l'offre
qui, en promouvant le commerce équitable, lescodes de conduite
ou la " normalisation sociale ", tententde transformer
les enjeux sociaux et politiques en outils de différenciationcommerciale
(Cochoy, 2001b). Tous ces exemples nous le montrent: si l'émergence
des figures du client pose la questionde la politique du marché
définissant au passageun nouveau champ de recherche
le sens qu'il convient dedonner à cette dernière
expression repose tout entiersur l'engagement des acteurs, sur
leur capacité àtirer les leçons du marché.
©Sciences
de la Société n° 56 - mai 2002
Fabien Ohl, Laconstruction
sociale des figures du consommateur et du client
Résumé
Le consommateuret
le client sont devenus des figures de référencede
nos sociétés alors que les figures plus traditionnellesdu
travailleur et de l'ouvrier sont reléguées àun
second rang. L'article se propose de montrer que cette présencen'est
pas contingente et n'est pas liée à l'abondancedes
situations de consommation. Le recours croissant aux figuresdu
client et du consommateur résulte d'un travail collectifde
production auquel les mouvements consuméristes, lesinstitutions
politiques, les médias et les experts du «socio-marketing
» contribuent. Mais le consommateur et leclient occupent
aussi une place croissante dans les recherchessociologiques ;
cela impose donc de traiter de la question dela participation
de l'analyse sociologique au travail de production
de ces figures.
Mots-clés:
client,consommateur,
sociologie, marketing, consumérisme.
Gaël Bonnin,Des
instrumentalistes aux chineuses,quatre figures de la mobilité
en magasin
Résumé
Alors quede
nombreux travaux en distribution ont mis au jour des figuresde
l'activité de magasinage (magasinage utilitaire versusmagasinage
de loisir) et des figures d'espaces commerciaux (espacesde ravitaillement
versus espaces de loisir), la connaissance descomportements physiques
en magasin se réduit à unequantification de l'interaction
avec les produits et àune interprétation fonctionnaliste.
Cet article relateles résultats d'une étude menée
dans un doubleobjectif : identifier des figures moins réductrices
descomportements en magasin et explorer le sens des figures repérées.Quatre
figures de mobilité ont été distinguées.Il
semble qu'elles peuvent être interprétéescomme
des créations par les consommatrices de types d'expériencede
magasinage.
Mots-clés: magasins,comportement physique, observation, distribution, shopping
Alexandre Mallard, Les nouvelles technologies dans le travail relationnel.Vers
un traitement plus personnalisé de la figure du client?
Résumé
Les technologies de l'information etde
la communication tendent à transformer la prise en chargede
la figure du client dans les organisations. Cet article présenteune
étude de cas concernant des vendeurs itinérantsde
France Télécom, qui interroge la façondont
des innovations récentes (en matière de téléphoniemobile,
de centre d'appels, d'informatique de connaissance client)sont
mobilisées dans des activités ordinaires deprise
de contact client-fournisseur. Il suggère que pardelà
leur capacité à adapter l'offre àun client
dont elles permettraient de dresser un portrait plusfin, les nouvelles
technologies contribuent à la personnalisationdu lien commercial,
de par un équipement spécifique
du travail relationnel.
Mots-clés : relationcommerciale, pratiques de communication, France Télécom,NTIC, téléphone.
Sophie Dubuisson-Quellier, Qualitésde
produit et figures du consommateur. Manières de produireet
de vendre en conchyliculture
Résumé
Les acteursde
l'offre déploient une énergie conséquenteà
redéfinir en permanence la figure du consommateurde tel
ou tel produit. Les figures du client, loin d'êtrestatiques,
évoluent ainsi de façon dynamique àtravers
les micro-ajustements permanents entre les produits etles consommateurs
qui se jouent sur les marchés. Par unfort pouvoir de marché,
les enseignes de la grande distributionalimentaire ont obligé
les acteurs de l'amont àcomposer avec des figures du client
stabilisées. Malgrétout, cela ne signifie pas que
d'autres figures du consommateur,alternatives au modèle
dominant n'existent pas ailleurs.Il paraît intéressant
de voir comment peuvent seconstituer des figures alternatives
du consommateur dans des espacesde production qui ne sont pas
totalement coupés des circuitsde la grande distribution.
Nous décrirons plus particulièrementle cas de la
production et de la mise en marché des coquillagesfrais.
Mots-clés: grande distribution, marchés, coquillages, consommateurs,qualité
Pascal Ughetto, Figuresdu
client, figures du prestataire
Résumé
Les entreprisessont
de plus en plus nombreuses à développer une«
orientation client ». Une telle orientation reposecependant
sur une représentation du client, de ses attentes,de son
comportement, etc. Certains médiateurs peuvent intervenirdans
la construction d'une telle représentation. Àpartir
d'un examen de la presse professionnelle bancaire, quis'attache
à jouer le rôle d'un tel médiateur,l'article
s'intéresse à ce travail d'élaborationd'une
figure du client à destination du management. Ils'agit
de montrer que ce travail implique, en contrepartie, laconstruction
d'une figure du professionnel capable de satisfairece client,
c'est-à-dire une représentation du prestataireque
l'on souhaiterait idéalement
faire advenir.
Mots-clés: banque,client, Internet, professionnels, service
François Cusin, Lesfigures
du client bancaire moderne et ses relations paradoxalesà
la banque
Résumé
Le marchéde
la banque aux particuliers a connu d'importantes transformationsdepuis
une vingtaine d'années. Partant de ce constat, cetarticle
vise à comprendre pourquoi, en dépit dessignes d'émergence
du « consumérisme financier», la fidélité
à sa banque demeurela règle, et pourquoi, au milieu
même de cette «loyauté », les clients
manifestent des attitudestrès souvent paradoxales à
l'égard des banques(mélange de confiance, méfiance
et dé-fiance).L'analyse d'une enquête qualitative
permet de saisir lesreprésentations individuelles et sociales
de la banqueet de souligner la pluralité des registres
impliqués(intérêts, affects, cognitions, normes,
valeurs).Elle conduit à la fois à faire éclater
l'imageunifiée de la figure du client et à distinguer
plusieursdimensions fondamentales de la relation à la banque,
selonque la banque est envisagée sous l'angle d'un système,d'une
activité, d'une institution ou d'une relation interpersonnelle.L'étude
insiste sur le caractère central pour lesménages
de la relation bancaire au-delà dela « simple
» relation marchande, tant du pointde vue de leur intégration
économique que de leurintégration sociale.
Mots-clés: argent, banque, client, confiance, fidélité,relation marchande, représentations, sociologie économique
Mélanie Roustan, Du client polymorphe à la figure du "non-client".Ambiguïtés
autour des transactions de cannabis
Résumé
Les pratiqueset
représentations associées à l'acquisitionde
cannabis, au-delà de leur intérêt ethnographique,servent
d'analyseurs des mécanismes liés àl'acte
d'achat en général. Après une rapidedescription
du marché final du cannabis, une discussionest engagée
autour de la qualification de l'acheteur decannabis en client.
D'un côté, les formes de la transaction(modes d'approvisionnement)
produisent une figures du client polymorphe; de l'autre, les acheteurs
eux-mêmes produisent en miroirune figure du non-client (pas
de client sans « vrai »vendeur et sans « vraie
» marchandise).
Mots-clés:
cannabis,marché,
marchandisation, client, consommateur, échanges.
Ygal Fijalkow, Les visages réversibles de l'usager et duconsommateur.
Ce que nous apprend la grève des internautes
Résumé
On s'interroge sur les rapportsproblématiques
entre les figures de l'usager et du consom-mateurqui se font jour
à l'occasion de l'ouverture à laconcurrence, de
la dérèglementation, de la privatisationpartielle,
et de la marchandisation de l'offre des services publics.La grève
des internautes de l'entreprise France Télécoms'offre
comme un terrain privilégié pour étudierla
transformation de l'usager en consommateur et ses ambiguïtés.L'analyse
de l'enquête réalisée révèleainsi
la compétence des grévistes à combinerun
registre de justifications marchand et civique et àle rendre
réversible, ce qui finit paradoxalement par consoliderles
deux figures, et par reconstruire l'usager quand on croyaitl'avoir
définitivement transformé en consommateur.
Mots-clés : usager, consommateur, service public,ouverture à la concurrence, dérèglementation,privatisation, marchandisation, grève, Internet.
Sandrine Barrey, Les grimaces du client. Des figures du consumérismeaux
figures du consommateur "écrivain"
Résumé
Cet article porte sur un corpusde
lettres parvenues au Service consommateurs d'une enseigne dedistribution
alimentaire et interroge les formes de consumérismeengagées
par leurs auteurs lorsqu'ils décident de« prendre
la plume » pour « prendre la parole». L'analyse
statistique du corpus permet d'abord de «photographier »
les différents profils du «client écrivain
». En discutant ces premiers résultatsau regard de
la littérature sur le consumérisme,l'auteur s'écarte
des catégories préconstruites-consommateur politique/consommateur
marchand, etc.- afin de regarderdans le détail les manoeuvres
mobilisées par lesclients pour obtenir réparation
des préjudices subis.L'ouverture de la boîte noire
du consumérisme permetin fine d'évaluer le traitement
de ces courriers par lesservices destinataires.
Mots-clés : consumérisme, lettres consommateurs,Service consommateurs, grande distribution
Emmanuelle Lévy, L'usager est-il soluble dans l'organisation ?
Résumé
« Usagers » ou «clients
», les destinataires de produits ou de servicessont désormais
considérés comme des acteursà part entière
des processus de production. A cetitre, ils ont acquis une place
de choix dans les discours modernisateurset ont inspiré
de nouvelles pratiques managériales.Pour évaluer
les impacts effectifs de ces transformations,et sur la base d'une
recherche empirique conduite sur le réseauBus de la ratp,
nous sommes partie sur les traces des usagersdans l'organisation,
nous en avons traqué les représentations,les figures
et les empreintes matérielles à troismoments du
processus de production : dans la conception de l'offrede transport
; dans la production ; dans l'évaluation.L'article conclut
à un « changement paradoxal »où le «
plus d'usager » rhétorique setraduit en définitive
par une plus grande rationalisationdu processus de production
qui fait peser sur les agents de l'interfacel'essentiel de la
modernisation visée.
Mots-clés : service public, modernisation, coproduction,relation de service, usager, client, figures, représentations,qualité de service, outils de gestion.