SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ - N° 64 - février 2005
Société civile et marchandisation de l'eau. Expériences internationales
Dossier coordonné par Catherine BARON

Catherine BARON, Pierre BAUBY, Figures d'eau   [texte intégral]
Philippe HUGON, L'eau est elle un bien privé ou public ?
Jean-Paul HAGUE, Les débuts de la marchandisation de l'eau en France au XIXe siècle : enjeux et acteurs
Hubert BONIN, Le modèle français du capitalisme de l'eau dans la compétition européenne et mondiale depuis les années 1990
Christelle PEZON, De l'apparition à la gestion d'un modèle marchand des services d'eau potable en France (1850-2000)
David-Nicolas LAMOTHE, Le cadre juridique pour la participation du secteur privé dans la gestion des services d'eau potable et d'assainissement dans l'Union Européenne
Sylvie CLARIMONT, Eau, marché et mouvements citoyens. L'association espagnole "Nouvelle Culture de l'Eau" face à la question de la marchandisation
de la ressource

Lise BREUIL, Quels modèles de gouvernance pour la gestion des services d'eau dans les pays en développement ? Rôle de la participation des usagers au sein de partenariats innovants
Catherine BARON, Anne ISLA, Modèles d'accès à l'eau dans les villes d'Afrique sub-saharienne. Entre efficacité et équité
Marie LLORENTE, Marie-Hélène ZÉRAH, Enjeux d'eau en Inde. Des effets allocatifs et redistributifs complexes entre usagers et territoires
Stéphane GHIOTTI, A qui profite la participation ? La reforme de la politique de l'eau au Liban
Graciela SCHNEIER-MADANES, La gouvernance de l'eau : l' émergence des usagers. La concession de l'eau de Buenos Aires

NOTES DE LECTURE











 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 
Catherine BARON, Pierre BAUBY, Figures d'eau

Texte intégral
Assurer partout la disponibilité en eau potable, mais aussi son accès pour chacun et pour tous constitue une priorité généralement qualifiée d'absolue, souvent annoncée, mais non réalisée dans de nombreux pays. Aux considérations technico-économiques (mise en place d'infrastructures, transformation de la ressource en eau potable, tarification, etc.), s'ajoutent des enjeux de nature socio-politique. Des finalités et logiques parfois contradictoires peuvent expliquer ce décalage entre objectifs affichés et réalisations effectives. La problématique de l'eau se pose de façon originale à l'heure actuelle, ce qui impose un enrichissement des analyses traditionnelles.

Il convient au préalable d'insister sur les ambiguïtés inhérentes à la définition de l'eau. L'eau doit-elle être considérée comme un bien économique, un bien commun, un patrimoine commun de l'humanité ou comme un droit ? Au-delà des termes, une caractéristique la distingue de tout autre ressource : l'eau est source de vie. Si cette spécificité est fortement rappelée lors de situations d'urgence, elle caractérise intrinsèquement cette ressource. Ces distinctions de termes supposent que l'on précise au préalable si l'on prend en considération l'eau en tant que ressource qui peut être utilisée, transportée, produite, ou en tant que service. De cette distinction fondamentale, souvent confuse, découlent des approches différentes et des outils d'analyse diversifiés. On constate ainsi une multiplicité de référentiels de l'eau, sous-jacents à la plupart des discours portant sur la problématique de l'accès à l'eau.

Une nouvelle problématique de l'eau

De nouvelles définitions
Au niveau international, la période actuelle se caractérise par la coproduction d'un discours de la part des institutions internationales et des grands groupes privés (Baron, Haouès-Jouve, 2004), comme cela ressort du rapport l'onu (septembre 2000) : Millénaire pour le développement (Millennium development goals) qui définit un ensemble d'objectifs mesurables et assortis de délais pour lutter contre la pauvreté, la faim, la maladie, l'analphabétisme, la dégradation de l'environnement et la discrimination à l'égard des femmes. L'accès à l'eau potable est l'un des principaux objectifs à atteindre d'ici 2015 afin de « favoriser le développement ». Pour y parvenir, les principes suivants sont énoncés : le respect des droits de l'homme, une bonne gouvernance et la démocratie. De plus, on valorise l'idée de mise en place d'un service universel afin de généraliser l'accès à l'eau dans le cadre du Partenariat Global de l'Eau (Global Water Partnership, GWP). La mise en oeuvre a débuté par la création, à la fin de 2002, du Panel Mondial sur le financement des infrastructures de l'eau, à l'initiative conjointe du Partenariat Global de l'Eau, du Conseil Mondial de l'Eau et du Troisième Forum Mondial de l'Eau à Kyoto. Ce Panel, présidé par l'ancien président du FMI, Michel Camdessus, a reçu pour mandat de réfléchir à la mobilisation de moyens financiers appropriés pour réaliser ces objectifs (Camdessus, 2003).

Une des propositions consiste à passer du principe de « full cost recovery » au principe de « sustainable cost recovery » : les pauvres ne pouvant assurer la totalité des coûts de distribution et d'assainissement, il convient de mettre en place des tarifs progressifs comme élément d'une politique qualifiée de « sociale ». Le Panel a mis aussi l'accent sur l'importance d'une « bonne gouvernance de l'eau » qui repose sur une implication plus directe des acteurs locaux (collectivités locales, mais aussi communautés locales, organisations non gouvernementales) compte tenu du fait que les efforts financiers de la communauté internationale ne suffisent pas (tant au niveau des prêts et dons d'institutions telles que la Banque Mondiale ou les Banques Régionales de Développement qu'à celui de l'aide publique au développement qui a considérablement baissé).

En même temps, les auteurs du rapport estiment d'une part qu'un recours croissant au secteur privé est incontournable, et d'autre part que la « good governance » implique de mettre en avant des objectifs de transparence comme outil de lutte contre la corruption dans un domaine où les détournements sont fréquents. Les modes de gouvernance préconisés visent à accroître l'efficacité de l'action publique, sans remettre en cause le processus de marchandisation généralisée et sans considérer les rapports de pouvoir qui sont sous-jacents dans l'édiction de nouvelles règles. Selon cette logique, dans le domaine de l'eau, les partenariats public/ privé doivent être soumis à des « critères d'efficacité, de coût et de compétences ». Les partisans d'un paiement par tous, parfois avec un système de péréquation entre les pauvres et les riches, s'affrontent aux « altermondialistes » (Petrella, 2003 ; Shiva, 2003) qui préconisent l'eau gratuite pour les plus pauvres en invoquant le statut de l'eau en tant que droit à la vie, de bien commun de l'humanité. D'autres, notamment certaines associations, organisations non gouvernementales et organismes uvrant dans le cadre de la coopération décentralisée, adoptent une position intermédiaire en avançant l'idée d'un partenariat public/ privé/ usagers avec des organes de gestion et de régulation dans lesquels ces trois composantes seraient représentées et avec un système de péréquation des investissements. Cette proposition émane du Programme Solidarité Eau (PSEau) (Olivier, 1998), mis en place dès le milieu des années 1980 pour favoriser la coopération européenne décentralisée dans le domaine de l'eau. Il accompagne, en collaboration avec des actions gouvernementales, les initiatives de coopération de la société civile, des collectivités locales, des associations et organismes de recherche.

De son côté, l'Union européenne avait jusqu'à présent mis l'accent, dans ses politiques internes, sur l'élaboration de normes contraignantes de qualité de l'eau et d'efficacité de l'assainissement, bien davantage que sur les formes d'organisation et de régulation du marché de l'eau. Celles-ci restaient jusqu'ici du ressort de chacun des États membres. Le secteur de l'eau et de l'assainissement n'avait donc pas fait l'objet de politiques de libéralisation, comme cela a été le cas pour les autres services publics des communications, du transport et de l'énergie. Mais cette situation pourrait évoluer rapidement compte tenu de la volonté de la Commission européenne et d'une série d'acteurs de valoriser des logiques du marché intérieur. L'argument évoqué réside dans la volonté d'améliorer l'efficacité des modes de gestion en s'attaquant aux formes de monopole qui caractérisent l'organisation du secteur.

Les retraits du « public »
Le contexte international a donc fondamentalement évolué au cours des deux dernières décennies. Alors qu'auparavant, on valorisait essentiellement une responsabilité publique (étatique ou des collectivités territoriales) pour assurer les services d'eau, dans le cadre de régies nationales, régionales ou locales, on assiste à un développement rapide des délégations de gestion de nombreux services publics à des entreprises privées, ainsi qu'à des privatisations, avec l'obligation qui en résulte de se référer à de nouvelles normes en matière de gestion. Ces prescriptions, véhiculées par les décideurs internationaux et locaux, sont soumises à des interprétations diverses et à des réappropriations par les acteurs concernés. Il en résulte, dans les faits, des modes d'intervention variés. Par conséquent, l'analyse des services urbains se voit renouvelée dans le contexte du retrait de l'État, contesté dans sa capacité à fournir efficacement et équitablement certains biens publics, et d'une implication croissante et originale d'acteurs extra-étatiques (de nature privée ou associative) dans les dispositifs d'action publique de plus en plus décentralisés. Ces transformations des conditions de production, de distribution et de gestion des services urbains sont analysées sous différents angles qui renvoient au concept encore peu stabilisé de gouvernance.

La problématique de la gouvernance est née et s'est développée d'abord dans le cadre de la « corporate governance », du « gouvernement d'entreprise », pour prendre en compte les rapports entre actionnaires et managers dans les grandes entreprises par actions. Cette séparation des fonctions, inhérente à la concentration des entreprises, pose en effet de nombreuses questions : qui assure le pilotage stratégique de l'entreprise ? qui en définit les objectifs ? comment en assurer le contrôle ?

La problématique de la gouvernance a ensuite été étendue aux modes de fonctionnement, de pilotage et de contrôle de l'ensemble des institutions, en particulier des institutions politiques (Baron, 2003). Le terme a été retenu dans les années 1990 pour désigner « l'art ou la manière de gouverner », dans un contexte de porosité croissante des frontières entre public et privé qui nécessitait la recherche de nouveaux modes d'action publique. Il s'est agi, sous un vocable « nouveau », de promouvoir un mode de gestion des affaires publiques fondé sur la participation de la société civile et des acteurs économiques privés, en insistant sur les interactions entre les dynamiques transnationales, les logiques nationales et les initiatives locales. La Banque Mondiale a été le principal diffuseur du terme de gouvernance (assimilé à la good governance) dès son Rapport de 1992 (World Bank, 1992). Constatant l'échec des plans d'ajustement structurel dans les pays en développement fondés sur la lutte contre les déficits budgétaires et l'endettement, elle préconise la recherche de nouveaux modes de gestion. Cette conception de la gouvernance renferme un contenu normatif, les critères de good governance étant liés aux règles de l'économie de marché (privatisation, décentralisation, dérégulation). Dès lors, l'efficacité de l'action publique renvoie aux conditions nécessaires pour que fonctionne la libre concurrence. Si l'économie de marché ne peut exister sans intervention de l'État, celui-ci ne doit compléter l'action du marché que lorsque ce dernier connaît des défaillances avérées. L'État doit respecter les règles de l'efficience économique, la décentralisation des pouvoirs et une nouvelle gestion publique.

Mais il existe d'autres approches (Gilly, Wallet, 2001 ; Baron, 2003) qui rejettent tout contenu normatif et qui, à partir d'une critique de la rationalité instrumentale et d'une hiérarchisation des différents niveaux de décision, abordent l'analyse de la gouvernance en termes de processus et de dynamiques institutionnelles, et d'élaboration de modes de coordination. Dans cette acception, la notion de gouvernance permet d'étudier les interdépendances de plus en plus nombreuses entre les différentes sphères d'intervention, de rendre compte de la mise en cohérence des coordinations entre acteurs. La gouvernance renvoie à une analyse de la complexification de l'action publique et aux problèmes de coordination qui en résultent dans des environnements fragmentés et incertains. On peut la définir comme un processus de coordination d'acteurs, de groupes sociaux, d'institutions, pour atteindre des buts discutés et définis collectivement. Le concept de gouvernance rend compte de la complexité des enjeux qui ont à la fois une dimension territoriale (local/ régional/ national/ européen mondial), une dimension économique (public/ privé/ mixte/ associatif/ social et coopératif), une dimension sociale (expression des besoins des usagers par leur participation) et une dimension politique (individu-citoyen/ société). Entendu comme mode de décision collective élargie, le concept de gouvernance est fécond pour appréhender la complexification des enjeux car il renvoie à l'idée d'une action collective, à sa dimension stratégique et aux relations de pouvoir que celle-ci engendre. L'ensemble de ces préoccupations concerne le domaine de l'eau, raison pour laquelle ce concept, une fois défini, permet une analyse pertinente des stratégies d'acteurs.

Ce retrait des acteurs publics d'un domaine qui relevait pourtant de leur compétence va donc de pair avec un processus généralisé de marchandisation. Mais peut-on parler d'un marché de l'eau ? Une des hypothèses posées est que le marché de l'eau est une construction sociale. Il convient donc de discuter du sens et de la portée d'une telle hypothèse ce qui amène à aborder ce processus de construction d'un marché de l'eau à partir des liens entre le politique, l'économique et le juridique. Une perspective historique, de long terme, doit être retenue pour aborder de telles questions et montrer ainsi comment l'eau a été progressivement intégrée dans la sphère marchande. A nouveau, on constate des évolutions différentes entre les pays, entre pays européens comme entre pays en développement.

L'émergence de nouveaux acteurs ?
La mobilisation de la société civile, et en particulier du milieu associatif, dans la gestion des services publics d'eau et d'assainissement est devenue une caractéristique de ces dernières années, tant dans les pays en développement que dans les pays industrialisés.

Il convient de souligner les ambiguïtés de cette notion. Si, dans ses fondements, la société civile apparaissait comme un acteur impliqué dans la recherche d'alternatives au marché et à l'État, la situation s'est complexifiée dans le contexte de la mondialisation. En effet, une diversité de logiques, parfois contradictoires, anime les acteurs de la société civile. Même s'ils affichent souvent des objectifs communs (lutte contre la pauvreté, mise en place de services et d'infrastructures de base, etc.), ils se distinguent du point de vue de leurs modalités organisationnelles d'intervention et de leur conception du développement. Leur hétérogénéité peut être appréhendée à travers la nature de l'hybridation entre trois principes, à savoir le principe marchand, le principe de redistribution et le principe de réciprocité. Si certaines associations revendiquent explicitement leur rôle en tant qu'alternatives dans le sens où elles construisent un véritable projet politique indépendant des seules logiques économiques, d'autres font plutôt l'objet d'une instrumentalisation de la part de l'État et/ou du marché.

De nombreuses associations, mues par des intérêts divers, se sont donc créées pour intervenir dans le domaine de l'eau, entrant parfois en concurrence avec d'autres associations préexistantes qui se sont saisies de revendications, notamment face à une tendance générale à l'augmentation du prix de l'eau. La confrontation entre différents usages et représentations de la ressource a pu susciter de nombreux conflits, en Amérique Latine, en Inde, mais aussi dans divers pays européens. Ces conflits font émerger des intérêts parfois divergents entre les acteurs, aussi bien sur le plan économique que social, environnemental, politique, etc. Se pose alors la question du rôle de la société civile face au processus de marchandisation de l'eau. Dans de nombreux cas, c'est le modèle de partenariat public/ privé qui est au centre des débats. Il importe donc de s'interroger sur les formes de partenariat entre opérateurs privés, autorités publiques et représentants de la société civile.

Une diversité de situations et d'approches

Les articles rassemblés dans le présent numéro de Sciences de la Société abordent l'ensemble de ces questionnements à travers l'analyse des systèmes et des jeux d'acteurs qui émergent face aux enjeux liés à l'accès à l'eau dans plusieurs aires géographiques, qu'il s'agisse de l'Europe ou des pays en développement. L'objectif a été de confronter les propositions émanant des différentes institutions (gouvernements, régions, mais aussi institutions internationales et même opérateurs privés des services) face aux demandes de participation et de contrôle exprimées par les usagers, en utilisant un éclairage sur différentes situations nationales. Une perspective comparative à l'échelle internationale semble riche d'intérêt. De plus, dans la mesure où les questions relatives à l'eau requièrent des outils d'analyse variés, émanant tant de la géographie que de la sociologie, des sciences politiques, du droit, des sciences économiques et de gestion, des éclairages pluridisciplinaires ont été recherchés.
Les approches économiques (détermination du coût d'accès, du prix de vente) ou/et technicistes (analyse en termes de réseaux techniques et de leurs effets structurants) de l'eau dominent. Elles restent cependant incomplètes, d'où l'intérêt de les enrichir en se référant à d'autres disciplines. Cependant, la confrontation de ces différentes grilles suppose au préalable une réflexion sur un vocabulaire commun, partagé. Par exemple, les termes d'habitant, d'usager, de client, de consommateur, voire d'institution, de marché et d'association, restent en débat, mettant en valeur les différents types d'approche. De même, diverses échelles sont prises en considération selon que l'on se situe au niveau d'un pays, d'une région, d'une ville. Finalement, les contributions rassemblées ici permettent de dégager trois grandes problématiques : les référentiels pluriels de l'eau, l'eau comme nud d'enjeux multi-dimensionnels et les conditions de gouvernance de l'eau.

Les référentiels pluriels de l'eau
L'eau présente la caractéristique de renvoyer à de multiples référentiels que l'on a le plus souvent tendance à opposer. Il faudrait savoir ­ et l'on nous presse de trancher ces alternatives ­ si l'eau est un bien économique, un bien commun, un patrimoine commun de l'humanité, un droit ou une marchandise ; si l'eau est à prendre en compte comme ressource ou comme service, sans oublier sa caractéristique fondamentale de ne pouvoir s'analyser qu'en termes cycliques ; s'il faut mettre l'accent sur les usages ou sur les représentations ; si les enjeux se situent d'abord au Sud de la planète ou dans les pays développés ; et l'on pourrait continuer cette recension.

Les articles qui suivent mettent plutôt l'accent sur les complémentarités de ces différents référentiels, leur emboîtement nécessaire si l'on veut avoir une vision du système seule à même d'appréhender l'eau sous tous ses enjeux et facettes. Il s'agit de prendre en compte l'eau à la fois comme ressource, comme service et comme système cyclique ; d'appréhender à la fois les différents usages de l'eau et les représentations auxquelles ils renvoient. Philippe Hugon souligne les multiples dimensions de l'eau potable : économique compte tenu de sa rareté et des infrastructures nécessaires ; environnementale du fait des problèmes de pollution ; sociale puisqu'elle répond à un besoin vital. De plus, « l'eau a une dimension collective et constitue en partie un bien commun et public. Elle a également une signification symbolique et sa gestion doit prendre en compte la diversité culturelle ». Sur ces bases, l'auteur soulève les grands enjeux de régulation, de modes de gestion, d'échelle territoriale, de développement et, finalement, de démocratie.

L'eau apparaît à la fois comme un bien collectif indispensable à la vie ­ ce qui renvoie à la problématique des droits fondamentaux de la personne et fonde sa qualification de service public ou, au plan européen, de service d'intérêt général ­ et comme marchandise rare ayant un coût. Ces deux dimensions se déploient en parallèle ­ et le plus souvent de manière antagonique ­, alors que l'on peut aussi voir leur complémentarité, leur unité contradictoire, avec d'un côté le développement de processus de marchandisation et de l'autre les débats concernant le service public, le rôle des autorités publiques et celui de la société civile, comme le soulignent Marie Llorente et Marie-Hélène Zérah à propos de l'Inde. De ce point de vue, le retour sur l'histoire longue auquel nous invite Jean-Paul Haghe montre bien comment l'eau s'est insérée progressivement dans le champ économique dès le début du XIXe siècle. Il retrace les différentes étapes qui, de 1789 aux années 1880, ont conduit à l'essor d'un « modèle français » de gestion de l'eau. Se développe alors une branche industrielle prestataire de service dont la gestion échappe à la sanction du marché. Son analyse du processus de marchandisation sur la période atteste de la dissociation progressive de la ressource eau et du service : « les tentatives d'appropriation portèrent d'abord sur l'eau en tant que matière première, puis ensuite également sur son service de distribution ».

De son côté, Christelle Pezon retrace l'histoire de la distribution d'eau potable depuis 1850 à partir d'une analyse technico-économique de cette activité, puis d'une analyse institutionnelle du service d'eau. Elle souligne que la distribution d'eau renvoie à une logique duale dans la mesure où elle est à la fois une activité régalienne et une activité marchande « selon qu'une commune ou une personne privée en assure le financement et l'exploitation ». Ceci explique l'existence de deux modèles de gestion du service de l'eau, « chacun s'incarnant à l'origine dans une seule organisation jusqu'au début du XXe siècle ». Elle explicite alors les étapes successives qui conduiront en France, à la différence des autres pays européens, au développement de la gestion déléguée et de la marchandisation à partir des années 1960.

C'est dans ce contexte que se sont développés, sur la longue période, des groupes français, aujourd'hui multinationaux et multi-services, devenus leaders mondiaux du secteur de l'eau et de l'assainissement. Hubert Bonin revient sur la combinaison de facteurs qui sont à la racine du développement de ces « majors » de l'eau, en particulier de Suez-Ondeo et de Veolia : les relations avec les collectivités territoriales (qui auraient gagné à aborder explicitement le mode de financement de la vie politique pendant les années 1970 et le début des années 1980), l'établissement des conventions, la gestion financière, la gestion technique, la gestion des réseaux et des usines d'assainissement, la gestion commerciale, puis un développement rapide d'activités à l'échelle mondiale. Il analyse les facteurs à l'origine de leur expansion dans les années 1980-2000, dans le contexte de la mondialisation, tout en insistant sur les obstacles auxquels ces groupes sont confrontés à l'heure actuelle et sur les critiques formulées à leur égard.

Enfin, les référentiels apparaissent également fort différents selon que l'on se situe dans les pays développés ou dans les pays en développement, avec des évolutions de plus en plus contrastées non seulement entre ces deux aires géo-culturelles, mais aussi à l'intérieur de celles-ci, en particulier au sein du Sud. L'ensemble des articles portant sur la question de la gestion de l'eau au Sud (Lise Breuil, Catherine Baron et Anne Isla, Marie Llorente et Marie-Hélène Zérah, Stéphane Ghiotti, Graciela Schneier-Madanes) atteste de cette diversité. Recensant les enjeux d'eau en Inde, Marie Llorente et Marie-Hélène Zérah soulignent « une déconnexion assez marquée entre le comportement des agents et les arrangements qu'ils mettent en uvre, d'une part, et l'environnement institutionnel, d'autre part. Chacun de ces éléments est gouverné par des dynamiques internes, sans véritable interaction entre eux, ce qui souligne l'ampleur du blocage institutionnel. C'est donc une situation de laisser-faire tacite qui prédomine et qui contribue à l'épuisement de la ressource et à la dégradation des infrastructures ». En ce qui concerne la situation au Liban, Stéphane Ghiotti montre que la réforme de la politique de l'eau manifeste le passage d'un mode de régulation plutôt centralisé et planifié à un système plus managérial voulant associer l'ensemble des acteurs de l'eau. Cette synergie s'inscrit dans un nouveau référentiel issu du développement durable associant un principe : la tarification à coût complet, une méthode : la participation et la gestion décentralisée, et enfin un territoire : le bassin versant. Ces trois piliers de la « bonne gouvernance » sont censés assurer l'efficacité des réformes et leur démocratisation.

L'eau, nud d'enjeux multi-dimensionnels
La complémentarité ­ et l'opposition ­ des référentiels débouche sur le fait que l'eau est de plus en plus à la convergence d'une série d'enjeux multi-dimensionnels (économiques, sociaux, territoriaux, environnementaux) que l'on peut difficilement dissocier et qui forment système.

On ne peut appréhender l'eau sans prendre en compte de multiples aspects économiques. Elle relève, à l'échelle de la planète et surtout au sein de certaines zones géographiques, de la rareté, et toutes les problématiques en termes de développement durable conduisent à mettre en uvre une gestion efficace, la lutte contre toute forme de gaspillage, etc. Dans ce cadre, l'eau a un coût, d'autant plus élevé que l'on met l'accent sur sa qualité et son accessibilité à tous, ce qui implique de se poser les questions de son financement (par l'usager et/ou la collectivité) et de la mobilisation des ressources nécessaires, avec tous les débats qui relèvent des partenariats public-privé. David-Nicolas Lamothe dresse l'état des lieux des formes juridiques que peut prendre la participation du secteur privé dans les pays de l'Union européenne : sous-traitance, partenariats public-privé (qui recouvrent les sociétés à capitaux mixtes et les contrats de délégation), privatisation. Il souligne qu'un « double consensus semble se faire jour dans la plupart des pays : si des règles spécifiques destinées à réguler et contrôler l'intervention des opérateurs privés sont nécessaires, des dispositions générales doivent également être mises en uvre pour organiser la régulation de l'ensemble des services d'eau ».

La dimension économique se retrouve aussi dans le fait que la desserte en eau, comme la gestion de l'assainissement, prennent souvent la forme de réseaux qui relèvent de la problématique du monopole naturel, et plus généralement de celle des défaillances du marché. Philippe Hugon revient sur les caractéristiques économiques spécifiques de l'eau. « Sa production, sa distribution et son assainissement nécessitent des infrastructures très capitalistiques, de longue durée et avec très faible redéploiement, d'où un risque élevé pour l'opérateur ; il y a ainsi monopole naturel local ».

Mais ces différents aspects économiques mis en avant de manière déterminante, sinon exclusive, par les tenants de la marchandisation de l'eau ne sont qu'une des dimensions des enjeux fondamentaux de l'eau. L'eau relève tout autant d'enjeux sociaux et sociétaux, qu'il s'agisse de l'accès de chacun et de tous à la ressource et au service, de l'équité, de la garantie des droits fondamentaux, non seulement de manière déclarative, mais aussi de leur effectivité, des garanties données aux usagers-consommateurs-citoyens, de leurs capacités de recours, etc. C'est dire la nécessité de repartir régulièrement des besoins des usagers, des citoyens et de la société. La difficulté d'assurer les principes d'équité dans un contexte où la recherche de l'efficacité est la règle est abordée dans la contribution de Catherine Baron et Anne Isla qui montrent que, si jusqu'à une période récente, la référence au principe d'équité dominait, on assiste depuis les années 1980, du moins dans de nombreuses villes africaines, à la volonté d'articuler les principes d'équité à ceux d'efficacité. Mais, on peut se demander si le principe d'efficacité, en insistant exclusivement sur une gestion rationnelle de cette ressource (lutte contre le gaspillage, baisse des coûts, etc.), est compatible avec une logique d'équité.

L'eau recouvre également toute une série d'enjeux territoriaux, qu'ils concernent l'inégale répartition de la ressource, les possibilités de transport, l'accessibilité dans les zones transfrontalières (avec toutes les problématiques du type « guerres de l'eau »), les compétences des institutions supranationales (telles que l'Union européenne). Stéphane Ghiotti, à travers le cas du Liban, établit un parallèle entre les mutations institutionnelles que connaît ce pays et l'organisation territoriale de la politique de l'eau. En effet, la réforme du secteur de l'eau « associe et encourage l'expression de cette nouvelle forme de participation négociée localement, à travers un découpage fonctionnel, celui du bassin versant. [...] Cette maille territoriale, devenue à toutes les échelles le référentiel de la gestion territoriale des ressources en eau, possède un formidable potentiel de transformations institutionnelles et politiques, et répond ainsi parfaitement aux nouvelles orientations de la "bonne gouvernance" ».

Le fait que l'eau relève d'un cycle amène, ici peut-être plus qu'ailleurs, à prendre en compte les aspects temporels et inter-générationnels : la qualité de l'eau de demain dépend de l'assainissement mis en uvre aujourd'hui. Les aspects liés à la protection de l'environnement et aux normes de qualité occupent une place de plus en plus importante. Ces différents aspects se conjuguent dans les problématiques de développement durable qui cherchent à intégrer les dimensions économique, sociale et environnementale. Cette caratéristique est abordée dans l'article de Stéphane Ghiotti qui démontre que « le lien entre développement durable et "bonne gouvernance" s'est non seulement renforcé, mais s'est également imposé, au moins dans les discours, comme la norme de toutes politiques d'intervention dans le domaine de l'eau ». Hubert Bonin montre pour sa part la manière dont les grands groupes deviennent, d'une certaine façon, des « acteurs du développement durable », légitimant parfois ainsi leur intervention sur des marchés dans des pays en développement.

Plus généralement, la conjugaison des enjeux économiques, sociaux et sociétaux, territoriaux et temporels renvoie au fait que, dans tous les pays européens, le secteur de l'eau et de l'assainissement relève de la qualification de service public ou de service d'intérêt général (Bauby, 1997, 1998). Les autorités publiques locales, nationales et, aujourd'hui, européennes ont été amenées à considérer que l'eau et l'assainissement ne pouvaient pas relever du seul droit commun de la concurrence et des seules règles du marché, mais de normes économiques et juridiques spécifiques du fait de trois objectifs et finalités : il s'agit de garantir le droit de chaque habitant d'accéder à ce bien et à ce service essentiel, de mettre en uvre des rapports de solidarité et de cohésion à chaque niveau territorial d'organisation de la société, et enfin de prendre en compte le long terme et la préparation de l'avenir.

Les conditions de la gouvernance de l'eau
L'intérêt du concept de gouvernance est de permettre la prise en compte des systèmes complexes dans lesquels inter-agissent toute une série d'enjeux et d'acteurs, avec des intérêts, des aspirations, des stratégies différentes, et même souvent opposées. Le concept de gouvernance met l'accent sur les relations entre tous ces aspects, sur la nécessité d'assurer leur expression, leur confrontation, la recherche de solutions qui visent à dégager un intérêt général. Des contributions s'y réfèrent pour aborder la complexité des interactions entre acteurs dans le domaine de l'eau. L'article de Catherine Baron et Anne Isla utilise le concept de gouvernance comme grille d'analyse pour rendre compte de la diversité des formes de gouvernance qui ont caractérisé les modalités d'accès à l'eau dans les villes africaines à différentes périodes. L'angle d'approche retenu permet d'appréhender et d'interpréter les conflits entre les logiques d'acteurs tels que les opérateurs économiques privés, les autorités publiques, les institutions internationales et les représentants d'une société civile plus ou moins organisée. De même, Lise Breuil propose une analyse tridimensionnelle de la gouvernance de l'eau en questionnant la complexité des interactions entre acteurs. Trois dimensions de la gouvernance sont mises en exergue : l'une à travers la relation bilatérale entre une collectivité et son opérateur, la suivante à travers la prise en compte de la dimension institutionnelle, et enfin une troisième renvoyant à la participation des usagers.

Ce dernier aspect apparaît central dans de nombreuses contributions. En effet, il s'agit désormais d'assurer l'expression de ceux pour lesquels le service est organisé : l'usager, l'habitant, le citoyen, ainsi que l'ensemble des utilisateurs (entreprises, collectivités, etc.). L'expression de la société civile est de plus en plus un prérequis d'une gouvernance efficace. La référence constante à la notion d'« empowerment » (terme diffusé par les organisations internationales et difficile à traduire, qui renvoie à l'idée de conférer un pouvoir de décision à la société civile) démontre la volonté de faire participer les pauvres aux processus de décision, de leur donner le pouvoir de gouverner, au sens d'influer sur les politiques. Des décalages existent néanmoins entre des discours qui préconisent la participation et leurs modalités concrètes de mise en oeuvre, dans les pays en développement comme dans les pays industrialisés. Dans de nombreuses situations, on assiste cependant à la participation des habitants à travers des arrangements collectifs à l'initiative d'individus insérés dans des structures communautaires, associatives, etc. C'est le cas dans les villes indiennes étudiées par Marie Llorente et Marie-Hélène Zérah. De plus, la participation des usagers conduit à de nouvelles formes de gouvernance de l'eau comme le montre Graciela Schneier-Madanes à propos de Buenos Aires en définissant les différentes facettes de l'usager qui se sont construites au cours du temps. Le cas de Buenos Aires est intéressant car il « offre à l'observateur un terrain privilégié pour suivre les métamorphoses de l'usager, tiraillé entre les nouveaux statuts ­ client, habitant, consommateur ­ que lui impose la nouvelle "scène" de l'eau ». Graciela Schneier-Madanes explore ces métamorphoses « par delà les définitions juridiques, en relation avec la diversité des formes d'accès à l'eau, les pratiques sociales et les conflits ». De même, Stéphane Ghiotti montre une diversité de logiques au sein des associations impliquées dans le domaine de l'eau au Liban. L'association peut intervenir « au niveau des décisions municipales, dans les domaines où elle est compétente, notamment par le biais de l'expertise ou de l'appui technique. [...] L'autre situation, beaucoup plus conflictuelle, répond à une stratégie de "contournement". L'objectif poursuivi par les associations est de se positionner (discours, diagnostics, faisabilité, programmes d'action, etc.) sur des thématiques relevant de la compétence des municipalités, mais faisant référence à d'autres échelles que ces dernières pour leur gestion, c'est-à-dire opérant au-delà du territoire municipal ».

Les analyses en termes de conflits entre des acteurs aux objectifs parfois contradictoires et leur résolution à travers la recherche de compromis renvoient à une approche en termes de gouvernance qui s'écarte de la conception de la « bonne gouvernance » préconisée par les institutions internationales. Par exemple, l'analyse en termes de conflits et de compromis est sous-jacente dans l'article de Sylvie Clarimont. L'auteur étudie les controverses récentes qui se sont développées en Espagne suite à l'introduction de mécanismes de marché dans la gestion de l'eau. Il en a résulté la création de l'association Nouvelle Culture de l'Eau, mouvement contestataire en apparence hostile à la mise en marché de l'eau, mais finalement promoteur d'une voie médiane associant gestion intégrée de l'eau et des territoires, participation citoyenne et régulation de l'allocation de ressource par les mécanismes de marché. Certains types de partenariat peuvent être innovants dans la manière dont ils intègrent la participation des usagers. Les études de cas (Bolivie, Brésil) proposées par Lise Breuil spécifient un modèle de gouvernance innovant avec un partenariat institutionnel incluant à la fois un opérateur privé et les communautés : « la participation de la société civile sous ses diverses formes permet de débloquer des situations d'impasse ».

La notion de gouvernance amène à s'interroger sur le rôle des institutions dans l'accès à l'eau. Marie Llorente et Marie-Hélène Zérah insistent sur cette dimension, l'institution se composant « non seulement de règles formelles (constitution, droits de propriété, droit des contrats, type d'incitations,) mais aussi de règles informelles (traditions, tabous, normes, conventions, préférences) ». Selon elles, le cadre institutionnel complexe existant en Inde est en partie responsable d'une mauvaise utilisation des ressources en eau.

Enfin, la gouvernance de l'eau suppose la prise en compte des relations entre le local et le global : le local, au plus proche des réalités et des besoins des populations, est la maille pertinente de prise en compte du cycle de l'eau, de définition des normes de gestion et de qualité ; le global est le niveau où se définissent nombre de financements, ainsi que les stratégies des opérateurs intégrés.

Qu'il s'agisse des référentiels pluriels de l'eau, des enjeux multi-dimensionnels liés à l'eau ou des conditions de gouvernance de l'eau, la confrontation des expériences internationales inscrite dans une perspective historique nous permet de souligner la diversité des modes de gouvernance choisis.
La question du choix politique entre ces divers modes reste entière.
© Sciences de la Société n° 64 - fév. 2005

Références bibliographiques
Baron (C.), 2003, « La gouvernance : débats autour d'un concept polysémique », Revue Droit et Société, n° 54, 329-351.
Baron (C.), Haouès-Jouve (S.), 2004, « Accessibilité des services urbains pour les plus démunis », in Baron (C.), Coll (J.-L.), Guibbert (J.-J.), Haouès-Jouve (S.) et al., Les services urbains liés à l'environnement, entre mondialisation et participation : regards croisés Sénégal-Maroc, Rapport de Recherche pour le Prud, Projet n° 82, en collaboration avec CIRUS-CIEU, Université de Toulouse le Mirail.
Bauby (P.), 1997, Le service public, Paris, Flammarion.
Bauby (P.), 1998, Reconstruire l'action publique, Paris, Syros.
Camdessus (M.), 2003, Report of the World Panel on financing water infrastructure, World Water Council.
Gilly (J.-P), Wallet (F.), 2001, « Forms of proximity, local governance and the dynamics of local economic spaces. The case of industrial conversion », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 25, n° 3, 553-570.
Olivier (J.-L.), 1998, Eau potable et assainissement dans les quartiers périurbains et les petits centres, Paris, Ed. Gret.
Petrella (R.), dir., 2003, L'eau. Res publica ou marchandise ?, Paris, La Dispute.
Shiva (V.), 2003, La guerre de l'eau. Privatisation, pollution, profit, Paris, Ed. L'Aventurine.
World Bank, 1992, Governance and development, Washington D.C., Oxford University Press.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Philippe HUGON
, L'eau est elle un bien privé ou public ?

Résumé
L'eau potable a plusieurs dimensions, économique par son coût de gestion liée à une logistique importante et sa rareté, environnementale en posant la question notamment de son renouvellement et de la pollution des nappes phréatiques et sociale en tant que bien répondant à un besoin vital. Elle a une dimension collective et constitue en partie un bien commun et public. Cet article présente les éléments du débat théorique concernant le statut de l'eau avant d'étudier les enjeux des réformes en cours quant à sa production, sa gestion et à son financement.

Mots-clés : biens communs, biens publics, biens premiers, droits, efficience, équité, gouvernementalité, patrimoine, régulation, services publics.

 




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Jean-Paul HAGUE
, Les débuts de la marchandisation de l'eau en France au XIXe siècle : enjeux et acteurs

Résumé
Le début du processus de marchandisation de l'eau commence dès la Révolution Française. L'appropriation de l'eau pour l'agriculture est alors l'enjeu principal. Le Code Civil associe la propriété de la ressource eau à celle du sol. Dans les années 1840-1860, l'État opère la division fonctionnelle des eaux courantes dans un but productif, ce qui permet de mieux les intégrer au marché. Les effets utiles de l'eau sont rationalisés et organisés en filières institutionnalisées et cloisonnées. A partir de 1880, les enjeux relatifs à l'appropriation de la ressource s'intensifient avec le développement de l'hydroélectricité ; ils se portent aussi sur la marchandisation du service lorsque sont créés les grands réseaux pour l'alimentation urbaine et l'irrigation.

Mots-clés : eau, marchandisation, enjeux, appropriation, histoire.

 

 

 






 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Hubert BONIN
, Le modèle français du capitalisme de l'eau dans la compétition européenne et mondiale depuis les années 1990

Résumé
Les sociétés privées françaises actives dans le secteur de l'eau ont accumulé depuis la seconde moitié du 19e siècle un capital de savoir-faire diversifié. Le mouvement d'urbanisation leur a permis de le valoriser ; puis l'essor des pays émergents, tant en Europe centrale et orientale que dans les pays en développement procure à la gestion déléguée des réseaux d'eau un vaste marché et une légitimité certaine. Mais cet essor est bridé par les débats autour du prix de l'eau et de cette intermédiation privée.

Mots-clés : eau, gestion déléguée, développement, externalisation, capitalisme tertiaire, urbanisation.

 


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Christelle PEZON
, De l'apparition à la gestion d'un modèle marchand des services d'eau potable en France (1850-2000)

Résumé
En France, la gestion marchande du service d'eau est aujourd'hui la norme. La gestion non marchande de ce service n'a pas toujours été résiduelle. La coexistence des deux modèles de gestion s'est tour à tour traduite par la suprématie d'un modèle sur l'autre, à l'avantage du modèle marchand jusqu'au début du XXe siècle, puis du modèle non marchand jusqu'aux années 1970, avant que le modèle marchand ne reprenne le leadership qu'il a conservé depuis. Cet article se propose de faire la genèse du modèle de gestion marchande, donc de rendre intelligibles les changements successifs de nature du service de l'eau depuis le milieu du XIXe siècle.

Mots-clés : service d'eau potable, modèle marchand, modèle non marchand, histoire de la distribution d'eau, stratégie des communes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
David-Nicolas LAMOTHE
, Le cadre juridique pour la participation du secteur privé dans la gestion des services d'eau potable et d'assainissement dans l'Union Européenne

Résumé
Comment sont gérés les services d'eau à travers l'Europe et quelle est la place des opérateurs privés ? Il est impossible de donner une réponse simple et catégorique à cette question : même si des points communs existent, on rencontre autant de schémas de gestion que de pays. Malgré cette diversité, des questions de fond traversent l'Europe entière, autour des thèmes de la place à accorder au secteur privé, des indicateurs de performance, de la régulation et de la transparence A partir d'une recherche européenne, cet article propose un panorama des cadres juridiques en vigueur et un état des lieux des débats en cours.

Mots-clés : services d'eau, partenariats public-privé, opérateurs privés, cadre juridique, régulation.


 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Sylvie CLARIMONT
, Eau, marché et mouvements citoyens. L'association espagnole "Nouvelle Culture de l'Eau" face à la question de la marchandisation de la ressource

Résumé
Plus encore qu'en France, la gestion de l'eau se caractérise en Espagne par une forte intervention de l'État. L'administration publique de l'eau s'articule autour des organismes de bassin institués par un décret de 1926 et renforcés par la loi sur les eaux de 1985. La gestion d'une eau dotée du statut juridique de bien public, reste très largement affaire de l'État et des collectivités territoriales. Pourtant, un glissement vers une marchandisation est perceptible à travers l'évolution récente du droit de l'eau. En principe hostile à toute forme de privatisation de la gestion de la ressource, le mouvement citoyen Nouvelle culture de l'eau adopte une position ambiguë sur cette question.

Mots-clés : politique hydraulique, marché, mouvements citoyens, controverse, Espagne.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Lise BREUIL
, Quels modèles de gouvernance pour la gestion des services d'eau dans les pays en développement ? Rôle de la participation des usagers au sein de partenariats innovants

Résumé
L'article propose un cadre théorique permettant d'analyser deux partenariats innovants mis en place au sein de deux concessions d'Amérique Latine, où la participation des usagers facilite l'extension des services dans les quartiers pauvres. Ce cadre repose sur une analyse tri-dimensionnelle de la gouvernance des services d'eau dans les pays en développement et met en lumière les interactions fortes entre la dimension contractuelle (les mécanismes d'incitation et de contrôle), la dimension institutionnelle (les dispositifs de pilotage du contrat) et la dimension sociale (la place des usagers). La nouvelle répartition des rôles entre acteurs est porteuse d'un partage des risques plus équilibré et d'une plus grande flexibilité.

Mots-clés : services d'eau, pays en développement, gouvernance, partenariat public-privé, théories des organisations.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Catherine BARON, Anne ISLA
, Modèles d'accès à l'eau dans les villes d'Afrique sub-saharienne. Entre efficacité et équité

Résumé
L'objet de cet article est d'analyser l'accessibilité à l'eau, non seulement du point de vue des modalités d'accès, mais surtout des systèmes de valeur qui les sous-tendent. Ainsi, nous définissons quatre modèles selon la façon de hiérarchiser les objectifs. Une perspective historique nous permet de déceler une pluralité de modes de gouvernance. Nous supposons qu'ils représentent différents modes de coordination entre acteurs et supposent un accord préalable sur la qualification de la ressource. Nous montrons qu'il découle de ces modèles différents modes d'accès à l'eau qui oscillent entre équité et efficacité. Si tous peuvent rencontrer des limites, tant dans leur définition que dans leur application, notre démonstration mettra en évidence l'impossibilité de passer outre une domination du principe d'efficacité sur celui d'équité lorsque l'on est dans le modèle d'évaluation marchand et ceci, quelle que soit la volonté a priori d'articuler ces deux principes.

Mots-clés : accessibilité à l'eau, gouvernance, partenariat public-privé, société civile, services urbains, Afrique Sub-saharienne, patrimoine, efficacité-équité.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Marie LLORENTE, Marie-Hélène ZÉRAH
, Enjeux d'eau en Inde. Des effets allocatifs et redistributifs complexes entre usagers et territoires

Résumé
Depuis plusieurs années, la réflexion sur la mondialisation a investi le champ de l'eau. Deux visions s'opposent. Pour l'une, l'eau doit être traitée comme un bien économique. Pour l'autre, l'eau est un patrimoine commun de l'humanité. Ces deux positions contraires ne permettent pas de rendre compte de la complexité des enjeux d'eau, tels que sa répartition, ses usages, sa préservation ou encore son accès. Notre propos cherche à éclairer ce débat et tente de le dépasser, à travers l'analyse des questions liées à l'appropriation de la ressource, dont les problèmes d'accès, en nous appuyant sur des exemples du contexte indien. Ce pays offre en effet un terrain d'étude privilégié car l'analyse des transformations concernant la ressource et les services y est riche d'enseignements.

Mots-clés : ressources en eau, eau et assainissement, Inde, marchandisation, institutions.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Stéphane GHIOTTI
, A qui profite la participation ? La reforme de la politique de l'eau au Liban

Résumé
Ce texte analyse les transformations de la politique de l'eau au Liban. Le fondement de la réforme est la mise en uvre de la gestion intégrée des ressources en eau avec l'aide de la Banque Mondiale. L'application concrète de cette approche se heurte à de nombreuses difficultés. En effet, des oppositions institutionnelles et politiques pour le contrôle des ressources en eau transforment la participation de l'ensemble des " parties prenantes " et la gestion par bassin versant en enjeux territoriaux de tout premier ordre.

Mots-clés : réforme de la politique de l'eau, participation, gestion par bassin versant, enjeux territoriaux, Liban.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Graciela SCHNEIER-MADANES
, La gouvernance de l'eau : l' émergence des usagers. La concession de l'eau de Buenos Aires

Résumé
La concession du service de l'eau et de l'assainissement de Buenos Aires en 1993 à un consortium international dirigé par Suez ­ Lyonnaise des Eaux suscite une dynamique nouvelle au sein de la société civile (associations de consommateurs, d'usagers, mouvements d'habitants, ong). Les changements introduits dans la gestion du service ont des impacts sociaux et trasnforment la vie quotidienne des habitants, leur relations aux institutions, leur conception du service public et de la ville. La diversité des conflits techniques (expansion des réseaux, tarification, montée des nappes phréatiques) sert de révélateur du rôle que peut jouer un processus de privatisation dans la mise en place d'une « gouvernance de l'eau » à l'heure de la mondialisation.

Mots-clés : concession d'eau et d'assainissement, privatisation, service urbain, réseaux d'eau, société civile, gouvernance, Buenos Aires.